Panorama des agences régionales de coopération

Béatrice Pedot

Outils culturels de la décentralisation, les agences régionales de coopération permettent une politique partenariale entre l'Etat, les collectivités territoriales et les professionnels. Pour la deuxième année consécutive, la Fédération française de coopération entre bibliothèques a procédé à une enquête, Etat des lieux de la coopération régionale, qui permet de dresser le tableau de bord du fonctionnement et des activités de ces agences.

As decentralized structures in the cultural network, the regional agencies of cooperation allow a policy of exchanges between state, local authorities and librarians.For the second year consecutively, the « Fédération française de coopération, entre bibliothèques » has conducted a survey to draw a picture of the running and the activities of the regional structures.

La cooperation régionale entre bibliothèques a été en France étroitement liée à la mise en application de la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation, et notamment à la création des régions, nouvelles collectivités territoriales.

Dès 1984, les premières agences de coopération virent le jour. Il aura fallu attendre 1989 pour couvrir la quasi-totalité du territoire national d'un outil nouveau, fruit du dialogue ouvert entre l'Etat, les collectivités territoriales et les professionnels.

Le premier texte de référence pour la coopération entre bibliothèques a été établi en 1984 dans le cadre du rapport « Décentralisation et bibliothèques publiques », rédigé par Louis Yvert. Ce dernier préconisait, alors, la création de services régionaux décentralisés de coopération et prévoyait le statut associatif comme une étape provisoire. Sept ans après, toutes les structures régionales de coopération fonctionnent encore sous forme d'associations, issues de la loi de 1901. Cette formule juridique a pour avantage d'associer étroitement aux prises de décisions les différents partenaires en région ; elle peut avoir pour inconvénient de fragiliser la pérennité de ces structures, confrontées à la recherche annuelle de subventions, en accentuant la difficulté d'élaboration de projets pluriannuels, en dehors de ceux retenus par les contrats de plan.

Pour la deuxième année consécutive, la Fédération française de coopération, qui regroupe en son sein les agences régionales de coopération, a procédé à une enquête « Etat des lieux de la coopération régionale » qui a pour objet d'établir un tableau de bord du fonctionnement et des activités de ces structures. Nous reprendrons dans cet article des éléments de cette enquête afin de dresser la photographie actuelle du cadre de la coopération décentralisée.

A propos du fonctionnement

Force est de constater l'implication grandissante des collectivités territoriales (régions, départements, communes) dans la vie des structures régionales de coopération.

Seules deux agences (sur 18 qui ont répondu à l'enquête) ne comptent pas encore d'élus des collectivités territoriales dans leur conseil d'administration. Sept d'entre elles sont, par ailleurs, présidées par des élus territoriaux. Quand aux budgets, ils confirment eux aussi l'intérêt grandissant des régions pour la coopération documentaire par un financement confirmé pour la plupart d'entre elles, dans une proportion nationale moyenne de 30 %, mais avec des taux encore très variables d'une région à l'autre. Il est à noter également une augmentation des ressources propres (moyenne nationale 18,28 % des recettes), liée en grande partie au développement des prestations de services.

Les agences de coopération comptent en 1990 un total de 1598 adhérents, répartis en 57 membres de droit, 661 personnes morales et 880 adhésions individuelles. L'importance des adhésions individuelles s'explique par le fait que la plupart des agences offrent statutairement deux possibilités : des adhésions modulables pour les collectivités selon leur importance et une adhésion individuelle unique située généralement autour de 50 F. Les bibliothèques publiques et leurs professionnels sont encore majoritaires dans les conseils d'administration. Mais ceci n'exclut pas la participation des autres secteurs de la documentation (bibliothèques universitaires, CRDP et CDDP 1, documentalistes,...). Leur participation aux travaux reste sans doute encore à développer : la coopération documentaire implique la mise en place d'un réseau régional qui devrait déboucher sur une politique d'échanges et de services dépassant le cadre unique du réseau de lecture publique. Il est à noter également que les régions qui ne disposent pas de centre régional des lettres ou d'office du livre ont pu attribuer aux agences des missions interprofessionnelles. On retrouve alors dans les instances décisionnelles des représentants de ces secteurs (libraires, éditeurs).

L'ensemble des agences représente une masse salariale (en équivalent plein temps) de 42 personnes : 23 d'entre elles exercent des responsabilités de direction et d'animation. Une masse salariale encore faible compte tenu des nombreuses missions développées et dont la réussite repose sur la volonté d'engagement, au côté de l'équipe permanente, de l'ensemble des coopérateurs et plus particulièrement des administrateurs.

...et des activités

Les activités liées à la conservation et la mise en valeur du patrimoine écrit et graphique constituent actuellement une mission développée par l'ensemble des agences de coopération (voir le tableau ci-joint).

L'intervention des agences peut être regroupée sous différents axes :

1. Les inventaires et plans de conservation partagée.

Ils peuvent prendre la forme de plans de conservation partagée pour les périodiques (ex. CORDIAL, CORAIL, ACCOLAD, ACCES 2) ou pour les ouvrages imprimés d'un inventaire des ressources patrimoniales (INTERBIBLY, CRL Midi-Pyrénées, ACORD).

2. Les opérations de microfilmage et de sensibilisation aux technologies de substitution. Elles s'effectuent par la gestion d'ateliers de microfilmage (ARCOB, INTERBIBLY) ou par la participation à des opérations ponctuelles en ce domaine, notamment pour la presse locale (ABIDOC, COBB, AHNCORD, ALCOL), par la réalisation et diffusion de vidéodisques patrimoniaux (ABCD Poitou-Charentes) ou encore par la sensibilisation et la promotion de la numérisation de la presse des XIXe et XXe siècles (CRL Midi-Pyrénées, ACCES).

3. L'achat groupé de matériel peut s'effectuer par une centrale d'achat de matériel de préservation des fonds anciens (CORAIL).

4. L'opération de promotion et de mise en valeur du patrimoine écrit et graphique passe par des expositions (INTERBIBLY, ALCOL, CORAIL, ACCOLAD...), des publications d'actes de colloque ou de catalogues d'expositions (ABCD, ABIDOC, COBB...), par l'organisation de colloques et de débats, ou encore par la participation au mois du patrimoine écrit et graphique organisé sous l'égide de la FFCB.

L'information bibliographique

C'est sans doute dans le domaine de l'information bibliographique que les missions originelles confiées aux agences lors de leur création (et plus précisément pour les premières d'entre elles) ont subi les plus grands bouleversements. Sans revenir une fois encore sur les tribulations de

LIBRA et alors que la Direction du livre et de la lecture reconnaissait encore dans le rapport Briand-Alessio, publié en 1989, la nécessité de mettre en place des bases bibliographiques régionales permettant l'élaboration de catalogues collectifs régionaux, on assiste aujourd'hui à une remise en question de ces principes, en relation partielle avec la création annoncée d'un établissement national chargé de la diffusion de l'information bibliographique.

Trois bases bibliographiques régionales existent actuellement. NADAL, en Midi-Pyrénées a fonctionné jusqu'à présent au moyen d'une base de type « LIBRA » dont le principe est le catalogage partagé des adhérents. A la suite de l'arrêt du réseau, ce type de fonctionnement prendra fin en mars 1991, pour être remplacé par une activité centrée essentiellement sur la mise sur serveur et la gestion de catalogues particuliers et collectifs des adhérents. BRASIL 1, la base bibliographique d'ACORD, et surtout BRASIL 2, catalogue collectif régional, se heurtent à des négociations parfois longues et difficiles pour obtenir l'autorisation de diffuser les notices OPALE et OPALINE de la BN, et ceci malgré un important soutien financier et politique des collectivités territoriales. AC2L n'a pas retenu l'option catalogage partagé pour la production d'information bibliographique : l'arrêt du réseau LIBRA conjugué, ici aussi, aux difficultés d'obtenir les notices, paraissent d'autant plus paradoxales qu'elles s'instaurent avant même la mise en place du serveur national chargé de la diffusion des notices et qu'elles pourraient conduire à arrêter un service sans que le suivant soit opérationnel. En Bourgogne, le démarrage de la base bibliographique bourguignonne est annoncé pour 1991. Il s'agit de constituer une base de fonds locaux ou régionaux à partir d'une carte d'acquisition partagée. Les activités des autres agences, en la matière, se limitent actuellement à des études comme celle menée par ABCD sur « l'interconnexion des systèmes en région », à des informations sur l'informatisation des bibliothèques de la région et à l'organisation de journées de formation.

L'audiovisuel

En ce qui concerne l'audiovisuel, il s'agit là aussi d'un champ d'investigation proposé dès l'origine aux agences de coopération. L'introduction encore récente de ce média dans les bibliothèques, le cloisonnement existant tant au niveau national que régional entre les secteurs du livre et ceux de l'audiovisuel justifient parfois un développement sporadique de ce secteur.

Il convient cependant de noter que deux agences négocient des droits et acquièrent des vidéogrammes pour les bibliothèques de leur région de manière régulière et institutionnalisée : il s'agit de COBB en Bretagne et d'ACORD en Rhône-Alpes. L'Alsace et le Languedoc-Roussillon démarrent cette activité. Des productions audiovisuelles sont élaborées : on peut citer pour exemple l'édition de cassettes vidéo sur les acteurs de la francophonie par ALCOL ou encore la réalisation d'un diaporama intitulé « journal de bord », inspiré d'un livre de Jean-François Laguionie, par CBA.

Groupes de travail, stages, journées d'étude pour vidéothécaires et discothécaires, organisés en région permettent une approche professionnelle et une amélioration des pratiques dans un secteur où la demande de formation continue est forte. L'organisation de festivals en Rhône-Alpes et en Bretagne met en valeur la production audiovisuelle régionale et crée des passerelles fonctionnelles entre les producteurs et les diffuseurs d'images.

Publics spécifiques

En direction des publics spécifiques, on remarque à côté des actions autour de l'illettrisme conduites par de nombreuses agences, la gestion de bibliothèques sonores régionales par ARCOB et CORAIL et l'implantation de machine de type Delta (micro-ordinateur, imprimante en braille, carte de synthèse vocale) dans les bibliothèques du Pays de Loire. Il convient également de signaler le travail entrepris par ACCES vers le milieu carcéral : création de mobilier spécifique pour les bibliothèques de prison, coordination prisons/collectivités territoriales, stages de sensibilisation au développement d'une bibliothèque pour le personnel pénitentiaire.

Interprofession

Offrir la possibilité à des libraires et à des éditeurs de participer à des salons régionaux, nationaux et internationaux du Livre, organiser journées d'étude et colloques, coordonner la Fureur de lire, telles sont les principales activités développées par les agences de coopération qui œuvrent dans le domaine de l'interprofession et remplissent parfois des fonctions proches de celles développées par les conseillers régionaux pour le livre et les offices du livre.

Jeunesse

Dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, les travaux déployés le sont généralement en collaboration avec des organismes agissant dans le domaine de la petite enfance (Entre les lignes, par exemple, en Aquitaine). Outre la gestion de centres régionaux de documentation sur le livre de jeunesse par ACCES dans le Nord et le CRL Midi-Pyrénées, l'organisation de journées d'études et de colloques peut être prolongée par la mise en place de structures permanentes comme l'observatoire de la petite enfance en Haute-Normandie.

Formation continue

Toutes les agences de coopération développent des activités dans le domaine de la formation professionnelle continue. C'est ainsi qu'en 1990, 55 programmes de formation ont été proposés à l'ensemble des professionnels par les agences. L'informatique, les nouvelles technologies, les documents audiovisuels, les politiques culturelles sont des secteurs en pleine évolution et la demande de formation est vive : nous retrouvons donc souvent ces thèmes dans les différentes régions. D'autres secteurs plus classiques (bibliothéconomie, bibliologie) s'intègrent également dans des programmes de formation souples adaptés à la demande régionale.

Recherche

La recherche et les relations internationales sont des secteurs apparus plus tardivement dans les champs d'activité des structures régionales. Ces activités sont orientées le plus souvent encore vers des prospections spécifiques comme l'enquête statistique sur la lecture publique en Bretagne en vue d'une publication d'un atlas, ou l'étude sur les décors et les aménagements des bibliothèques publiques anciennes de Basse-Normandie, ou encore la création d'un centre de traduction sociale dans le Nord. La recherche peut aussi être intégrée de manière régulière aux activités comme en Rhône-Alpes où ACORD propose un programme de recherche annuel, restitué sous forme de publications, de colloques et de séminaires.

Relations iniernctionales

Les relations internationales se développent essentiellement à l'échelon européen. ACORD, ACCES, CORDIAL mettent en place une politique d'échanges avec leurs pays frontaliers. AGIR a participé à une collecte de livres pour la Roumanie. ABCD Poitou-Charentes a soumis au Comité français pour le pilotage du plan d'Action, qui étudie les projets pouvant être soutenus par la CEE, un projet de vidéodisque sur les grandes découvertes 3.

Bilan

Cette contribution se limite volontairement à un panorama du fonctionnement et des activités proposées en région. L'analyse de leur développement et les difficultés auxquelles la coopération documentaire peut parfois être confrontée sera traduite par ailleurs. En conclusion, il convient de rappeler le rôle primordial que les structures régionales de coopération ont joué pour intéresser les collectivités régionales à l'élaboration d'une politique du livre et de la lecture, alors que la loi de 1982 posait uniquement le principe d'une compétence de la région en matière culturelle, sans en préciser la nature. Cette démarche s'inscrivait logiquement dans la mise en œuvre d'une politique culturelle décentralisée.

Il reste donc à souhaiter que les projets qui se dessinent actuellement autour de la Bibliothèque de France et la mise en place de pôles associés prendront en compte cette démarche et considéreront les agences de coopération comme des partenaires naturels pour l'élaboration de conventions régionales, d'ores et déjà annoncées.

Avril 1991

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Tableau - Types d'activités proposées par les agences

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Des agences de coopération dans 2 régions...

  1. (retour)↑  CRDP : Centre régional de documentation pédagogique CDDP : Centre départemental de documentation pédagogique.
  2. (retour)↑  Voir le développement des sigles en annexe.
  3. (retour)↑  Voir : L'Interactif. n° 7.