Les langages documentaires encyclopédiques

guide pratique d'indexation

par Anne Curt

Noë Richter

Marigné (72220 Le Bourg) : Ed. de la Queue du chat, 1990. -172 p. ; 22 cm.

Plaisir de bibliophilie un peu « rétro », ce livre broché, de format pratique - on peut le glisser dans une poche - porte une élégante couverture de couleur écrue en papier vergé de fort grammage, ornée d'une gravure ancienne de bibliothèque signée Poyet. La mention d'édition achève de nous dépayser et nous renvoie bien loin en arrière quand on lit avec étonnement et plaisir : « Aux dépens de l'auteur aux éditions de la Queue du chat, le Bourg F72220 Marigné ».

Noë Richter a imprimé ce livre sur les Presses de Plein chant à Bassac comme ses deux livres sur « la lecture et ses institutions ». Le fait-il à compte d'auteur ainsi qu'il le laisse entendre, ou n'a-t-il pu résister au plaisir de retourner à ses vieilles amours de bibliophile? Il est certain que la mention d'édition interpelle le lecteur et lui procure un petit frisson de curiosité et d'attente... Si l'on tourne les pages, on ne peut être déçu par ces cahiers cousus en beau papier blanc, la présentation est soignée, la typographie choisie et toute l'organisation physique de ce livre concourt à le rendre lisible.

Noë Richter a déjà édité de nombreux ouvrages sur l'indexation et a collaboré à d'autres au cours de ces dernières années. L'indexation alphabétique de matières de 1980 est aussitôt suivie de La pratique de l'indexation en 1991. Classer et indexer paraît en 1987, ainsi que Grammaire de l'indexation décimale, sans oublier la Grammaire de l'indexation alphabétique qui paraît successivement en 1984, 1985 et 1988. Ce dernier ouvrage, par sa conception même, son organisation et sa philosophie semble inspirer directement Les langages documentaires encyclopédiques.

Différentes phases de l'indexation

Fruit d'une longue expérience de bibliothécaire-praticien et d'enseignant, ce petit livre technique s'adresse à de futurs documentalistes qui se présentent au CAPES de documentation pour exercer ensuite en CDI (centre de documentation et d'information), ou à de futurs bibliothécaires des collectivités territoriales ou de l'Etat. Noë Richter pose les questions essentielles. Qu'est-ce qu'indexer ? Pour qui ? Quels classements ? Quels documents indexer ? Comment ? A l'aide de quels outils ?

L'ouvrage traite de l'indexation alphabétique de matières en application de la norme NFZ 44-070 et de l'indexation décimale selon les classifications décimales Dewey et universelle. Les différentes phases du travail d'indexation sont étudiées suivant une progression pédagogique évidente. Une étude parallèle entre ces trois types d'indexation permet d'afficher clairement similitudes et disparités d'application des règles selon le mode d'indexation choisi. Extraction du sujet principal, choix d'une tête de vedette, détection des sujets secondaires, sont expliqués avec simplicité et clarté, démontrant une grande maîtrise de ces techniques.

Sous-vedettes, subdivisions, notations de point de vue, de localisation dans l'espace (géographiques) ou dans le temps (chronologiques), ou enfin de forme s'épanouissent au fur et à mesure que l'on tourne les pages. La complexité des opérations n'est évoquée que pour aider l'étudiant à surmonter les embûches de l'indexation et à en éviter les pièges. Y abondent les conseils de bon sens. Les têtes de chapitres intitulées « sujet », « compléments du sujet »... rapprochent ce manuel d'indexation d'une grammaire de la langue de façon plus nette encore que dans les précédents ouvrages.

Indexation systématique et indice de cotation sont bien différenciés et l'étudiant ne pourra s'y tromper. Qu'ils soient d'équivalence ou généraux, ou systématiques, ou spécifiques, ou d'orientation..., l'efficacité des renvois est démontrée pour tendre vers une recherche pertinente, économique et rationnelle. Un lexique de l'indexation encyclopédique définit tous les termes techniques de façon explicite. Désormais, homographe, polysémie, quasi-synonyme, rejet, séparateur, uniterme,... et bien d'autres termes de notre jargon bibliothéconomique, n'auront plus de secret pour nos étudiants en sciences de l'information et de la communication. Un index complète ce lexique en renvoyant le lecteur aux numéros de pages qui traiteront de notions barbares comme la datation, ou le dépouillement par exemple.

Plus difficile à trouver et très succincte, une petite bibliographie clôt le troisième chapitre intitulé « Les outils de l'analyse et de l'indexation ». On y cherche en vain Les langages documentaires et classificatoires de Jacques Maniez. Paru en 1987 aux éditions d'organisation, c'est un des ouvrages les plus importants sur les classifications, et particulièrement sur les classifications décimales Dewey et universelle.

Querelle bibliothéconomique

Noë Richter écrit, en introduction, qu'il « négligera délibérément les lexiques d'autorités tels que RAMEAU, Mémobase et Thélyce » car « ces langages ont leur propre mode d'emploi ou leur manuel d'application et qu'ils ne doivent être adoptés que par les services intégrés à des réseaux.documentaires coopératifs informatisés ». La grammaire de l'indexation alphabétique de 1988 menait avec brio un parallèle entre les règles d'application de l'indexation selon RAMEAU et selon la norme NFZ 44-070. On regrette cet abandon au moment où le Répertoire d'autorité de matières encyclopédique et alphabétique unifié est adopté par de très nombreuses bibliothèques, qu'elles aient choisi de travailler en réseau avec OCLC, BN-OPALE, SIBIL, ou tout autre système... La BPI appliquait ce mode d'indexation il y a 15 ans déjà. La Bibliothèque nationale l'a suivie dès le début des années 80, talonnée bientôt par la DBMIST puis par la Sous-direction des bibliothèques au ministère de l'Education nationale. Ces administrations de tutelle des bibliothèques choisiront RAMEAU comme langage d'élection des bibliothèques universitaires et spécialisées et comme langage d'indexation (sinon d'interrogation) du futur Pancatalogue. Les CDI resteraient-ils à l'écart de ces réseaux, et l'organisation documentaire ne formerait-elle pas un tout ?

On regrette que ne soit pas mentionnée la mise à jour régulière de la Dewey aux Etats-Unis pour le monde anglo-saxon (vingtième édition complète en 1989, version abrégée en 1990) et l'abandon progressif de la CDU au profit de la Dewey pour ces raisons de mises à jour. La maintenance et l'évolution d'une classification décimale en accord avec le changement des mentalités et des vocabulaires représente un investissement en temps et en coût. Seules les associations professionnelles, représentatives au niveau national comme international, peuvent s'accorder pour mener à bien ces tâches. La classification décimale Dewey représente aujourd'hui ce consensus au plan international, suivie par la classification alphanumérique de la Bibliothèque du Congrès.

Pour conclure, Noë Richter évoque la bataille entre « décimalistes » et partisans des « Centres d'intérêt » qui proclament que « le livre doit être classé à l'endroit où le lecteur s'attend à le trouver ». Il assure, néanmoins, que praticiens dans les bibliothèques et sociologues de la lecture s'accordent à dire qu'« il n'y a pas de bonne classification, ni de bon classement « en soi »... Les regroupements par centres d'intérêt sont parfaitement compatibles avec la pratique de la notation décimale », et ne valent, cependant, « que pour un lectorat déterminé » à un moment donné. On reste rêveur à l'évocation de cette querelle bibliothéconomique qu'il serait facile de régler par une signalisation claire, de préférence réalisée par des professionnels de la communication et renouvelée de façon régulière. Une image symbolique peut représenter un centre d'intérêt ou un indice de classement s'ils ont la même signification. Cette symbolisation de la signalisation des fonds doit être comprise par tous, aussi bien par des lecteurs que par des non-lecteurs, par des personnes cultivées ou non. Nos bibliothèques utilisent-elles suffisamment l'image, le son, les moyens de communication autres que l'écrit... pour sortir de leurs labyrinthes secrets et s'expliquer clairement ? Peut-être est-ce là le fond du problème !

L'évocation de cette dispute étonne en ce qu'elle n'apporte rien de positif à ce petit manuel au demeurant pratique, raisonnable et remarquable en ce qu'il enseigne l'indexation documentaire encyclopédique selon une méthodologie bien structurée et selon des règles clairement énoncées.