PARINFO

Martine Poulain

Afin de contribuer au développement de la recherche en information, le ministère de la Recherche et de la Technologie a mis en place, en collaboration avec le ministère de l'Education nationale, un programme d'aide baptisé PARINFO, qui prend peu ou prou la suite du précédent programme PARUSI, lançé en 1984 par la DBMIST 1

Les objectifs

Un séminaire a donc réuni les principaux chercheurs et organismes susceptibles de prendre part à ce programme. PARINFO se donne pour objectifs :

- de favoriser le développement et la création d'équipes et de pôles de recherche interdisciplinaires ;

- d'assurer le soutien aux actions de formation à la recherche, particulièrement par le renforcement des DEA 2 en sciences de l'information et de la communication, des groupes de formation doctorale et des équipes d'accueil qui leur sont rattachés ;

- de soutenir les actions destinées à structurer le développement technologique en matière d'outils d'information ;

- d'encourager les diverses modalités de coopération internationale ;

- d'approfondir la réflexion sur l'évolution rapide de la collecte, du traitement et de la diffusion de l'information sous divers aspects techniques, économiques, sociaux,...

Le programme PARINFO est mis en place pour une durée de quatre ans. Il devrait être doté d'une enveloppe budgétaire d'environ 4MF pour les deux premières années, 1991-1992.

Le programme et les projets seront suivis et examinés par un comité de pilotage comprenant des représentants des différents ministères et directions concernés, dont Daniel Renoult pour la Sous-direction des bibliothèques à l'Education nationale. Un comité scientifique a également été mis en place. Il est présidé par Bernard Miège (président de l'université de Grenoble 3) et comprend une vingtaine d'experts français ou étrangers, ou de représentants d'organismes, tel Jacques Keriguy, directeur de l'ENSB 3, celle-ci devant prendre une part importante dans la réalisation de ce programme.

Ce programme part du constat de l'insuffisance des recherches dans le domaine de l'information. L'exposé introductif de Bernard Miège ira dans ce sens. On estime que :
- la recherche en information en France est faible et les équipes dispersées ;
- la recherche souffre des coupures qui perdurent entre les conceptions sectorielles et généralistes, entre les points de vue monodisciplinaires et transdisciplinaires, entre les approches théoriques et les considérations empiriques ;
- les efforts de recherche sont, quantitativement, sans rapport avec le poids économique du domaine et l'importance sociale des techniques mises en œuvre ;
- les décideurs et les professionnels, dans leur majorité, s'appuient peu sur les connaissances acquises et préfèrent recourir à consultance.

Le programme PARINFO représente donc des enjeux importants sur les plans professionnel, économique et industriel, scientifique, éducatif. Et Bernard Miège ajoutait d'emblée qu'un programme comme PARINFO devrait s'intéresser autant aux recherches techniques qu'à celles relevant des usages.

L'état de l'art en Grande-Bretagne

En Grande-Bretagne, s'il n'existe pas d'organisme fédérateur des recherches en sciences de l'information au niveau de l'Etat, c'est en fait le département Research and development de la British library qui assume ce rôle. en attribuant par exemple 44 % des subventions d'aide à la recherche; 32 % des subventions étant, elles, financées par 134 organismes différents. Selon Bertrand Lebel, rendant compte d'une étude de la société Link, les subventions allouées par le département Research and development de la British Library sont en diminution constante depuis le début des années 1980: autour de 1650 millions de livres en 1986-87 et de 1370 millions en 1989-90. Le choix du département est de soutenir un plus grand nombre de projets, mais avec des aides réduites.

Les évolutions récentes voient se développer les recherches de plus en plus axées sur la technologie, pour lesquelles les chercheurs ont tendance à se tourner vers les sociétés industrielles et commerciales ; on voit aussi se développer les projets multidisciplinaires où les sciences de l'information ont une part marginale.

Les financements de la recherche par la British library se répartiraient comme suit :
- 37 % pour les applications des nouvelles technologies,
- 18 % pour l'automatisation des bibliothèques,
- 15% sur l'économie de l'information,
- 10% sur l'éducation des utilisateurs,
- 8% pour des recherches spécifiques sur les bibliothèques publiques,
- 6% (seulement) pour la recherche fondamentale.

Là comme ailleurs, on sent une certaine tension entre les attentes des praticiens et les centres d'intérêt des chercheurs : d'où l'idée d'une fondation consacrée à la recherche en direction des bibliothèques publiques, qui coordonnerait plus résolument besoins des utilisateurs et résultats de la recherche, et qui serait aussi chargée de mieux valoriser ces derniers. On se demande d'autre part quel doit être le statut du département Research and development: ne devrait-il pas être détaché de la British library pour agir avec plus de souplesse ?

Aux Etats-Unis

Selon Marguerite Fisher (de Link Resources), le fait qu'il n'y ait pas, aux Etats-Unis de politique nationale en matière de recherche en sciences de l'information est positif : ainsi la recherche ne dépend pas des aléas des choix et des possibilités budgétaires.

Ceci dit, la situation semble assez mauvaise : des ressources globalement supérieures d'à peine 20 % à ce qu'elles étaient en 1968 ! Un nombre de chercheurs qui aurait seulement doublé.

Les grandes entreprises investissent dans la recherche appliquée: seuls quelques organismes, comme l'OCLC 4, investissent dans la recherche fondamentale.

Les plus gros financeurs sont les organismes scientifiques : la National library of medicine, la National science foundation, la DARPA (Defence advanced research project administration), la National institute of education, ou le Council on library resources. La National science foundation, par exemple, dépense environ 2400 millions de dollars annuels pour ses recherches appliquées, soit : 35,3 % sur la robotique, 25 % sur les systèmes de modélisation des connaissances, 20 % sur les bases de données et les systèmes experts, 10 % sur les technologies de l'information, 10 % sur l'interface homme-machine.

Les tendances récentes de ces recherches conduisent à développer les études cherchant à comprendre les manières dont les utilisateurs accèdent à l'information, ou les études concernant les nouvelles architectures des technologies, l'analyse du texte intégral ou les problèmes d'accès aux réseaux ou à l'information.

Au Japon

Selon Hélène Haon, de l'INIST 5, il existe peu de recherche fondamentale au Japon, qui notons-le au passage, utilise le même mot pour informatique et sciences de l'information. De nombreuses recherches sont faites dans les entreprises. En ce qui concerne les organismes publics, chacun décide, dans sa direction, des thèmes de recherche dans tel ou tel secteur.

Un conseil pour la science et la technologie est installé auprès du Premier Ministre. Une Agence des sciences et techniques a pour mission de mettre en œuvre le plan MIST visant à enrichir continuellement les banques de données, favoriser les échanges avec d'autres pays en traduisant systématiquement les banques en anglais, promouvoir la recherche.

Les différents ministères, de l'Industrie et du Commerce extérieur, de l'Economie, la Science et la Culture, par exemple, développent eux aussi des programmes de soutien aux banques de données et à tous les développements de la communication.

Mais l'essentiel se fait ailleurs, dans le secteur privé, chez Hitachi ou autre monstre industriel. Toutes ces grandes sociétés dépensent environ 10 % du produit de leurs ventes pour la recherche en sciences de l'information. On pense beaucoup en termes de prospective pour le XXIe siècle.

En France

Une étude a été confiée par la Sous-direction des bibliothèques universitaires à la société Bossard Consultants. Elle tente de faire le point sur l'état des choses dans le domaine de l'information en France.

Selon Sylvie Dalbin, auteur d'une autre approche, le premier handicap de la recherche en ce domaine est son manque de visibilité. Mal recensée dans les publications bibliographiques par exemple, elle est très difficile à cerner pour qui n'est pas du sérail, voire introuvable. A cela s'ajoutent des manques d'information sur les chercheurs eux-mêmes, dont l'identification reste difficile, sur les financements, ou sur les activités des uns ou des autres.

Un premier recensement donne 57 équipes de recherche en informatique, 23 équipes en informatique linguistique, 30 équipes en ergonomie ou psychologie, 17 équipes en économie, 10 laboratoires en droit par exemple.

Pierre Dano, lui, s'est livré à un certain nombre d'entretiens avec des chercheurs du domaine. Il estime que les sciences de l'information n'ont pas de véritable identité. Les chercheurs ne forment pas une communauté solidaire, animée d'une reconnaissance mutuelle ; chacun se positionne par rapport à sa discipline de base et non par rapport aux sciences de l'information dans leur ensemble. Il n'existe pas de référentiels communs sur les contours des sciences de l'information, sur les concepts, pas de projet fédérateur ou porteur. Le champ d'investigation est multidimensionnel et multiforme, sans structure vertébrale commune ; le positionnement problématique des sciences de l'information entre sciences de l'ingénieur et sciences sociales rend plus difficile encore l'émergence de tels projets fédérateurs. Si la reconnaissance officielle de la discipline est matérialisée par l'existence de la 71e section, qui regroupe 250 chercheurs et maîtres de conférence, la reconnaissance institutionnelle de la discipline elle-même est insuffisante. Le nombre d'étudiants en thèse reste, lui aussi, insuffisant.

Jean-François Têtu reviendra lui aussi sur cette « présomption d'illégitimité » du domaine. Mais il souligne certaines avancées, sources de nouveaux problèmes. Les enseignants sont plus nombreux : on ne comptait que 100 enseignants en sciences de l'information en 1982. Ils sont aujourd'hui 421. Cette augmentation est très sensible après 1987, conséquence notamment de l'impulsion donnée par le programme PARUSI. Mais si l'on compare cette croissance à l'augmentation globale des emplois dans le même temps à l'université, on constate qu'elle a juste autorisé un maintien à niveau des recrutements en sciences de l'information.

Qui dit enseignement et recherche dit aussi propositions de troisièmes cycles. Ceux-ci seraient au nombre de 16 en France (auxquels il faudra peut-être ajouter quelques nouveaux, douze demandes d'habilitation ayant été déposées à la Direction de la recherche et des études doctorales au ministère de l'Education).

Croissance aussi dans le nombre d'étudiants des différents cycles : environ un quart d'étudiants supplémentaires en premier cycle comme en DEA. Plus de 45 % d'inscrits supplémentaires en thèse, toujours entre le début et la fin des années 1980. Près de 1 000 thèses ont été inscrites dans cette discipline, dont les plus gros fournisseurs sont les universités de Paris I, II, III, Bordeaux ou Grenoble : ces cinq universités ont fourni 70% des thèses recensées. Preuve supplémentaire, pour Jean-François Têtu, que ce sont les pôles forts qui structurent la recherche, et non pas la dissémination des formations.

Mais la discipline reste très minoritaire dans l'université en nombre de formations, thèses, etc.

Le secteur semble tiraillé entre deux pôles : les applications professionnelles à court terme ou la haute spécialisation, notamment en linguistique.

Si l'on veut voir développer ce secteur, un soutien du ministère de la Recherche est indispensable, estime Jean-François Têtu.

L'information dans la société

Quelle est l'évolution actuelle de l'importance et de la place de l'information dans la société française contemporaine ? C'est cette difficile évaluation qu'a tenté de préciser Jacques Bourgain. Il a souligné la diversité des origines des besoins en information, qui croissent généralement avec la taille de l'entreprise. Ces dernières années ont vu la simple collecte être transformée en véritable management de l'information, et l'arrivée de nouveaux acteurs. La documentation est plus complexe, et les serveurs peuvent aujourd'hui « manipuler l'information ».

En France, le coût de l'information est trop élevé. Les serveurs français ont mis sur le marché des produits à un prix supérieur aux prix internationaux. Mais, dans le même temps, l'idée que l'information a un coût est mal acceptée, refus qui a en partie été accréditée par les aides de l'Etat aux services.

Jacques Bourgain a relevé un certain nombre d'obstacles à l'utilisation plus intensive des bases de données. Ces obstacles peuvent être linguistiques (notre ignorance des langues étrangères n'est plus à prouver), ergonomiques (la France paye encore le retard qu'elle avait pris sur le développement de l'informatique), juridiques (les textes de lois régissant le droit d'auteur sont en hiatus de plus en plus fort avec les possibilités informatiques).

Selon Alain Minc, 50 % de la population travaillera dans le secteur informatique d'ici l'an 2000. Hors, malgré les efforts de l'Observatoire du marché de l'information à Luxembourg, il semble qu'on reste incapable de faire des analyses prévisionnelles et prospectives en ce domaine.

Les questions, en termes politiques et sociaux, sont pourtant d'importance : le coût de l'information peut-il en restreindre l'accès, voire être une forme de censure ? Ces diversifications dans les modes d'accès à l'information vont-elles modifier les rapports aux savoirs, et plus encore les partages entre savoir et pouvoir.

Les recherches à développer

Les discussions et la synthèse de Bernard Miège ont cherché à préciser les axes de recherche à développer. La technique ne doit plus jouer un rôle moteur ou largement prédominant. Les lacunes à combler doivent favoriser les recherches dans les secteurs de l'économie, de la gestion, du droit ou de la sociologie. Ces quatre approches sont indispensables.

Une approche économique inclut des études beaucoup plus détaillées sur les différents marchés, mais aussi l'analyse des stratégies des acteurs, celle de la place de l'économie publique, ou encore du coût de l'information pour l'entreprise. Bref, des études qui relèvent à la fois de la macro et de la micro-économie, allant des monographies cernant la place de l'information dans telle ou telle société privée à l'analyse de l'évolution des politiques publiques. Ou encore, de l'analyse des modes de gestion de l'information dans les entreprises à celle de l'évolution des professions chargées de les mettre en œuvre.

Les études sociologiques doivent aussi être considérablement être développées. L'unanimité des intervenants appelait à un renversement des problématiques. La tendance a trop longtemps été de penser l'accès à l'information en termes de compétence technique. Il est nécessaire maintenant de retourner la proposition et de favoriser les recherches centrées sur l'analyse de la demande et la compréhension des logiques et des modes de faire des usagers. On a cité à plusieurs reprises dans les débats les études de la BPI 6 sur l'accès des usagers aux catalogues en ligne. Elles montrent à quel point les logiques des publics peuvent être différentes de celles des concepteurs de systèmes. Il est donc impératif, si on veut penser l'accès à l'information en termes de partage social, de mieux connaître les modèles cognitifs mis en oeuvre, les processus de modélisation des connaissances et les modes d'appropriation de la technique. Il faut aussi, plaidait Jacques Perriault, penser ces problèmes en termes de formation et développer les recherches cherchant à mieux connaître les modes informels de l'auto-formation.

Etudier et évaluer l'innovation reste nécessaire. En termes de mutations et de performances. Quelles sont les performances tout à la fois de l'information elle-même et d'un service qui y aurait un recours croissant ? Comment ces nouveaux produits prennent-ils place dans l'entreprise et en modifient-ils les modes de travail ou les processus de décision ?

Enfin, les recherches sur le droit de l'information sont plus qu'urgentes. Dans ce paysage totalement bouleversé, la législation paraît particulièrement archaïque et l'on frise en permanence le non-droit. Il est temps que les études se fassent plus nombreuses, et que les travaux des chercheurs soient mieux vulgarisés.

Les enjeux

Vaste tâche donc pour qui voudrait proposer des recherches sur ces différents thèmes. D'autant plus qu'elles mettent en œuvre des disciplines diverses, souvent hétérogènes, ce qui n'est pas sans renforcer la question de la pertinence même de l'expresssion « sciences de l'information ». Celles-ci, se demandait aussi Bernard Miège, existent-elles comme sciences ? Ou ces différentes études, faites ou à faire, relèvent-elles, qui de l'économie, qui de l'informatique, qui de l'analyse des politiques publiques, qui de l'ergonomie, etc. ?

On remarquera l'aspect positif de la tendance actuelle : si les dites sciences de l'information veulent acquérir la reconnaissance intellectuelle et statutaire qu'elles réclament, elles doivent produire plus de travaux, dont la préoccupation serait moins techniciste. On sait les lacunes d'une fascination technologique qui serait coupée d'un questionnement social. On voit alors tout l'intérêt qu'il y aurait à renforcer des équipes et à développer des études qui soient réellement interdisciplinaires.