Une coopération au service de la communauté

François Roux

La coopération entre les CDI et les autres bibliothèques peut prendre la forme d'expériences diverses. En effet, permettre l'accès à l'information fait partie des missions des documentalistes d'établissements scolaires, désormais considérés comme des pédagogues à part entière. Mais si le travail en réseau repose sur une reconnaissance mutuelle, celui-ci gagnerait en cohérence en s'inscrivant dans des accords régionaux officiels. Par ailleurs, la définition d'une politique documentaire nationale et la comparaison avec les autres pays d'Europe mettent en valeur la spécificité du dispositif CDI.

Cooperation between CDI and other libraries can take many experimental forms. Indeed, it is part of the mission of school documentalists allow access to information, in future fully regarded as teachers. But if network actions are based on mutual recognition, they would be more coherent if registered in official regional agreements. Besides, the definition of a national documentary policy and a comparison with other European countries bring out the specificity of the French CDI structure.

La loi du 2 mars 1982 (art. 59) donne compétence aux régions en matière culturelle, et implicitement pour les bibliothèques. La loi des 7 janvier et 22 juillet 1983 porte sur les transferts de compétences en matière d'enseignement - départements et régions pour les collèges et lycées -, donc pour les centres de documentation et d'information (ou CDI).

Nouvelles perspectives

Pour l'essentiel, les expériences de coopération entre CDI et bibliothèques municipales n'avaient pas attendu ces dispositifs pour être nombreuses et variées. Il est impossible d'en dresser ici un état tant il serait présomptueux, sans enquête approfondie, d'en cerner les tendances, d'en dégager les orientations avec le sérieux requis 1. Cependant, on peut retenir, de témoignages fragmentaires et d'une expérience partielle, qu'il existe bel et bien une coopération rampante, aux formes multiples, surprenante par son ampleur ou son caractère volatile, mais d'un pragmatisme marqué du bon sens et de la convergence d'intérêts des bibliothécaires et des documentalistes.

S'il est parfois question de réseau, au milieu d'un réel désarmant par sa complexité mais jamais paralysant pour la profession, cela tient peut-être plus, dans le secteur qui nous occupe, d'un imaginaire efficace mais sans prise en compte institutionnelle autre que ponctuelle.

Vers quoi est-il possible d'aller aujourd'hui ? Quelles évolutions peuvent être proposées pour cette coopération ?

A l'Education nationale, nous avons pris part depuis quelques années à une restructuration due à la décentralisation, à l'affirmation du métier de documentaliste dans l'enseignement du second degré, à l'émergence sociale de l'expression d'un droit à la documentation et à l'information, facteur de réussite scolaire. Dans un temps où le mode de fonctionnement de l'Etat donne des signes de dérégulation, la décentralisation a fait connaître ses effets tant pour la lecture publique que pour les CDI.

A l'engagement du ministère de l'Education nationale, de la jeunesse et des sports de doter d'un poste de documentaliste tout établissement du second degré qui ouvre ses portes 2, correspond l'attention des collectivités territoriales envers les demandes émises par les documentalistes dans le cadre des projets de rénovation ou de restructuration des lycées et collèges : les équipements se professionnalisent et l'implantation de centres multimédias prend une nouvelle dimension.

En 1989, la création du CAPES de documentation fortifie ce mouvement de façon décisive. Si ce concours ne règle pas tous les problèmes de la profession, du moins donne-t-il un cadre solide au métier dont la parité pédagogique avec les enseignants n'est plus contestable 3. Sans aucun doute il contribue à faciliter des relations constructives avec nos partenaires tandis que, tant du côté des enseignants que des parents, la demande pressante d'un « outil CDI performant » se fait jour et que les lycéens réclament des documentalistes, dans la rue!

Au-delà de l'actualité médiatique, on peut discerner, sans abus discursif, l'émergence d'un phénomène de société: l'accès à la documentation, son exploitation et sa restitution sont des éléments essentiels, implicitement et de plus en plus explicitement, pour la réussite des élèves dans leur scolarité. C'est tout le milieu de la documentation et des bibliothèques qui est concerné par cette exigence: maîtriser l'information et la documentation.

La rencontre entre bibliothécaires et documentalistes en devient plus évidente et s'effectuera sur une identification précise des rôles de chacun, des missions respectives, des stratégies convergentes 4 à mettre en œuvre pour y parvenir.

Les CDI sont des lieux de formation où sont mis en place des scénarios d'apprentissage, qui forment les futurs usagers des services de documentation des entreprises, les lecteurs des bibliothèques municipales, les étudiants des bibliothèques universitaires, les citoyens de demain. Cet apprentissage de l'autonomie et de la responsabilité sera réinvesti, dès la porte de l'établissement scolaire franchie, que l'élève ait quitté ou non son cursus scolaire, qu'il se trouve en formation continue, en recherche, etc.

Chacun perçoit l'intérêt bien partagé de contribuer à ce processus. La reconnaissance mutuelle des lieux de lecture - quels qu'en soient les supports - et des personnels, aussi bien par les professionnels eux-mêmes que par les administrations ou les élus dont ils dépendent, conduit à une coopération d'un type renouvelé.

Institutionnaliser l'ouverture

L'espace éducatif ne se définit plus par ses murs ou ses grilles. La volonté d'ouverture s'impose aujourd'hui par l'étendue du champ des connaissances offert à l'élève en dehors de son temps de classe. Au sein de l'établissement, le CDI propose des pistes qui mènent ailleurs. Un ailleurs de proximité par souci, certes, de réalisme mais aussi d'efficacité.

C'est la première approche de la coopération. Il s'agit presque de voisinage. Documentalistes et bibliothécaires travaillent dans les mêmes contextes, avec des publics dont les caractéristiques sociologiques, socio-économiques sont identiques. La coopération repose d'abord sur l'idée de territoire et de localité. La bibliothèque municipale entre dans ce champ, tout comme la BCD (bibliothèque centre de documentation) de l'école primaire, le service de documentation de la Chambre de commerce ou la bibliothèque du comité d'entreprise proche. La continuité doit être assurée, non en envoyant des cohortes d'élèves sans maîtrise méthodologique, mais en préparant ces démarches et en mettant en place entre les divers lieux des relais d'information efficaces, d'une part pour permettre la localisation de la documentation, mais surtout son exploitation et sa restitution, grâce à une recherche clairement finalisée.

La question, si l'on imagine le document localisé par l'élève et mis à sa disposition par télécopie comme le propose un réseau au centre de Stockholm, la vraie question reste alors le « pour quoi faire » et « comment faire », « dans quel but » et « quelle est la pertinence » dans la recherche documentaire ?

Il faut ainsi oublier le discours misérabiliste longtemps tenu sur les « moyens » de l'Education nationale: « Nos centres n'en ont sans doute pas assez », « Des efforts ont été faits ». Ils le seront encore si la communauté éducative, enseignants surtout, parents aussi, marque sa volonté, son consensus pour faire fonctionner honorablement le CDI dans le cadre d'un projet défini. La coopération, dans cet esprit, sera un stimulant, car on ne peut guère coopérer sans une eurythmie qui accepte les disparités d'échelle mais non les contradictions qui mènent à l'assistance aux plus démunis !

Continuité, proximité, coopération finalisée : l'établissement de catalogues collectifs 5 prend alors son sens entre bibliothèque municipale et CDI si l'on ne perd pas de vue que cette fonction technique s'insère dans le travail d'un centre à visée pédagogique. Etape précédant celle des acquisitions partagées, de la mise à disposition d'ouvrages pré-équipés, de l'harmonisation des technologies (communication, et pourquoi pas un jour informatisation ?) de la circulation des produits des nouvelles technologies (CD-ROM, vidéodisques, vidéos par exemple).

D'autres actions peuvent s'orienter sur une participation commune, coordonnée à des actions nationales : les Salons du livre ont fleuri, la Fureur de lire doit pouvoir entraîner les mêmes forces dans cette dynamique où il n'est plus question seulement de faire mais également de faire savoir, de faire connaître le centre de documentation et la bibliothèque comme complémentaires. C'est souvent le moment choisi pour annoncer les actions programmées sur l'année :
- animations : un auteur invité à la bibliothèque consacre l'après-midi à un entretien avec une classe préalablement sensibilisée ; un cycle de cinéma scientifique organisé dans l'établissement permet d'exploiter les ressources documentaires des BM ;
- visites, découvertes thématiques des lieux de lecture ;
- concours communs à l'occasion d'un événement local ou de célébrations nationales ;
- catalogues à thèmes à partir des fonds du « réseau » ;
- catalogues des périodes disponibles dans les lieux de coopération ;
- nouvelles acquisitions, etc.

Pour mettre en pratique de tels projets, concertations et méthodes deviennent nécessaires. Un protocole s'avère rapidement utile pour connaître les personnels en présence : si les documentalistes ont un statut unique (ou presque) 6, non hiérarchisé, ils sont aussi, dans la plupart des cas, seuls responsables du centre qu'ils gèrent. On imagine les réelles difficultés de fonctionnement qui peuvent surgir.

Un protocole, une convention de coopération, la création d'une association permettent d'officialiser une situation qui exigera des aménagements d'emplois du temps répétés si l'on veut coopérer de façon suivie 7 au-delà d'actions ponctuelles. C'est ce cadre qui, à terme, autorisera les acquisitions partagées. On dépassera ainsi les « pratiques confraternelles » très courantes 8 pour favoriser un dialogue institutionnel, ne serait-ce que sur les moyens à dégager pour de telles actions, si on envisage la multiplicité des partenaires : communes, sivom 9 (district), département, région, rectorat...

C'est aussi cette démarche du protocole qui donnera l'image précise du territoire de la collaboration. Comment définir un secteur quand la géographie ne se montre guère pertinente, quand les délimitations administratives ne correspondent pas à des réalités concrètes, lorsque l'appartenance au réseau local est plus le fait des professionnels des bibliothèques et des centres de documentation que des volontés politiques ou publiques ? Ce maillage et ce partenariat ne peuvent se satisfaire d'approximation s'il s'agit de définir de nouveaux espaces pour la documentation et les bibliothèques.

Développer une politique nationale

Dépasser l'empirisme, structurer les initiatives locales, s'appuyer sur des volontés réelles de coopération, stimuler l'innovation en ce domaine demandent quelques engagements.

L'appel créé par la création d'un cursus universitaire de documentation sans finalité professionnelle - option Documentation en licence et maîtrise de Sciences de l'information et de la documentation 10 - nécessite une réflexion commune interprofessionnelle sur l'ensemble des dispositifs qui, s'ils n'ont pas les mêmes objectifs, présentent des modules de formation très proches pour les champs d'étude qu'ils recouvrent. Une réflexion s'impose pour autoriser à court terme des interventions dans des créneaux communs et y garantir des formations de qualité. La coopération évoquée doit y contribuer.

La définition de schémas directeurs régionaux fait défaut dans le domaine des bibliothèques et de la documentation. Il faut y remédier. C'est un enjeu central dans la stratégie des acteurs du livre, de la culture, de l'information et de la documentation. Qui coordonnera quelle politique ? Peut-on parler d'une économie générale des réseaux ? Quelle architecture privilégier ? Quelle pertinence définir pour la coopération Education/Culture dans la perspective d'une fonction publique renouvelée ? La question ne se pose plus en termes de strates successives plus ou moins agencées qui permettraient de passer des BCD aux bibliothèques universitaires par les CDI et les bibliothèques municipales, mais plutôt, si l'on admet l'idée de ce suivi, de cette progression, ainsi : comment ce secteur de la fonction publique peut-il désormais occuper sa place dans la culture informationnelle de cette fin de siècle ?

Favoriser les pratiques, c'est aussi théoriser les enjeux et engager une responsabilité publique. Les structures régionales de coopération n'avaient pas à l'origine la vocation de s'intéresser au type de coopération abordé ici, et elles l'ont peu prise en considération. Il est sans doute temps à présent de trouver des chemins communs alors que la dimension essentiellement formative de la profession ne laisse indifférents ni les collectivités, ni le Conseil supérieur des bibliothèques, ni les acteurs socio-économiques.

De même, comparé aux dispositifs internationaux représentés à l'IFLA (International federation of library associations and institutions), le système CDI, marqué par son originalité, ne manque pas de pertinence dans un milieu éducatif où le maître mot semble être la rénovation. La coopération bibliothèques-CDI trouverait ainsi son sens en rendant cohérent le développement souhaité d'une politique documentaire nationale.

Les perspectives européennes que nous souhaitons découvrir pendant le prochain congrès de mai 1991 11 réuni à l'initiative de l'Association ne manqueront pas d'éclairer d'un point de vue plus large les formes que cette nouvelle coopération peut prendre.

Février 1991

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Décentralisation, convention et CDI

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Le CLEMI, une éducation aux médias

  1. (retour)↑  On pourra citer les cas d'Istres, de Loudéac, Lyon, Paris, Besançon, du Val-d'Oise, Elbeuf, ou Creil. Il s'agit d'exemples d'animations-lecture, de Salons du livre scientifique, d'acquisitions partagées ou d'ouverture du CDI en zone rurale. Sous réserve d'inventaire. Il y a là une véritable mission à créer pour rendre compte et dégager des orientations.
  2. (retour)↑  Cf. Loi d'orientation, juillet 1989, ou mieux, le discours de Lionel Jospin, in Actes du Premier congrès des documentalistes de CDI, Strasbourg, Nathan, 1990.
  3. (retour)↑  Cf. article de Françoise Chapron.
  4. (retour)↑  Cf. Annexe : Propositions pour une convention (FADBEN,1986).
  5. (retour)↑  Sans entrer dans les questions d'informatisation, on songera au dépouillement de périodiques qui parait être une première étape stimulante pour tous, même si, dans un premier temps, l'on se contente de catalogues papier
  6. (retour)↑  La variété des « statuts » des documentalistes couvre un champ plus restreint que ceux des professeurs, la majorité étant encore adjoints d'enseignement, et prochainement certifiés.
  7. (retour)↑  Coopération que l'on peut intégrer à des journées de formation.
  8. (retour)↑  Pour un réseau des bibliothèques et de la documentation, juin 1990 : texte de la commission Etablissements et réseaux, préparation au Congrès de l'ABF, Dunkerque, sept. 1990.
  9. (retour)↑  Syndicat intercommunal à vocation multiple.
  10. (retour)↑  Option Documentation en licence et maîtrise en Sciences de l'information et de la documentation, Arrêté du 28 août 1990.
  11. (retour)↑  Communication, documentation, information dans l'enseignement secondaire en Europe : pratiques et enjeux, 2e Congrès des documentalistes, les 24, 25 et 26 mai 1991, au Futuroscope de Poitiers.