Constances et variances
les publics de la Bibliothèque publique d'information : 1982-1989
Martine Poulain
ISBN 2-902706-28-6
« Oui sont donc nos lecteurs ? ». Les responsables des bibliothèques s'interrogent légitimement sur les différentes catégories d'usagers conduits à fréquenter « leur » établissement. Et, afin de cerner, au moins de façon grossière, le public qu'elles ont pour mission de servir, les bibliothèques utilisent habituellement les informations recueillies dans le cadre des formalités d'inscription, nécessaires pour l'emprunt de documents à domicile. Bien qu'insatisfaisante, notamment parce qu'elle ne prend pas en compte les personnes se limitant à la consultation sur place, cette méthode tient pourtant lieu, de manière générale, de « sociologie de la lecture » à l'échelle locale.
Dans une institution telle que la Bibliothèque publique d'information (BPI) du Centre Georges Pompidou à Paris, une semblable approche n'est pas envisageable, puisque l'accès aux collections et aux services proposés se fait, comme on sait, à la fois exclusivement sur place et sans la moindre démarche « administrative » préalable. L'utilisateur de la BPI demeure, de fait, anonyme. Fallait-il, pour autant, se résoudre à ne rien savoir de lui ? Il ne parassait guère concevable, en vérité, qu'on négligeât de partir à la rencontre d'un public dont l'importance n'a jamais cessé de croître. C'est à cette fin que furent entreprises, en 1978, 1981-1982 et, enfin, en 1989, trois enquêtes sociologiques.
Une relative surpopulation
Martine Poulain livre, dans Constances et variances, les résultats de la dernière en date de ces investigations. Le titre de l'ouvrage, les chiffres qu'il fournit et analyse, font référence aux précédentes enquêtes, et le lecteur est renvoyé, pour une approche plus détaillée, au volume intitulé Publics à l'œuvre, que l'auteur avait publié en 1986, à la Documentation française, avec Jean-François Barbier-Bouvet.
Les premières données de Constances et variances portent sur les usagers de la BPI, considérés d'un point de vue essentiellement quantitatif. Les chiffres permettent d'apprécier de façon rigoureuse le succès considérable de la bibliothèque (« chaque année, plus de quatre millions d'entrées »), que mesure empiriquement chaque utilisateur de ce célèbre équipement culturel, confronté qu'il se trouve aux difficultés provoquées par une relative surpopulation.
Il importe de souligner, comme le fait Martine Poulain, que les mesures de sécurités adoptées, visant à limiter le nombre de personnes simultanément présentes à l'intérieur de la bibliothèque, n'ont pas provoqué de baisse de fréquentation. « Il reste unique en France (et ailleurs ?) de voir des usagers accepter d'attendre, parfois jusqu'à une heure, pour venir consulter des documents ». L'auteur ne manque pas, naturellement, de s'interroger sur les motivations de cette foule patiente, disposée à surmonter les obstacles, ainsi que sur sa composition sociologique : sans doute n'est-il pas inintéressant, en effet, de se demander « qui peut attendre et qui ne peut pas ». En d'autres termes, « une mesure apparemment technique - l'établissement d'un seuil de saturation - peut donc avoir nombre de conséquences sociales ».
Les publics
Mais, plutôt que d'évoquer le public de la BPI de façon indifférenciée, ne convient-il pas plutôt de s'intéresser aux publics, dans toute leur diversité ? Le chapitre 2 s'attache ainsi aux différentes catégories d'usagers, les étudiants d'abord, de plus en plus nombreux (57,5 %), lesquels menacent de «vampiriser» l'établissement, puis certaines catégories sociales stables, sans oublier celles qui, par rapport aux précédentes enquêtes, sont en diminution (notamment les ouvriers et les chômeurs).
Bien des critères, autres que l'appartenance en quelque sorte statistique à telle ou telle catégorie, permettent d'affiner la connaissance que l'on peut avoir des utilisateurs. Citons la possession des diplômes (« la moitié du public de la bibliothèque fait ou a fait des études supérieures »), la fréquentation parallèle d'autres bibliothèques, l'origine géographique...
Très variées sont également les motivations des usagers, présentées dans le chapitre 3 : recherche d'un document précis, documentation sur un thème, mais aussi « travailler sur ses propres documents, passer du temps à la bibliothèque », ou encore la visiter comme une sorte de monument, singulier il est vrai. Plus uniforme, en revanche, semble être le rapport entretenu par les usagers avec les différents supports proposés, le livre demeurant « de très loin le support le plus consulté » (73,5 %) - pour des raisons, il faut le souligner, qui n'ont pas seulement trait aux goûts et besoins des personnes fréquentant la BPI - comme l'établit le chapitre 4, lequel rend également compte de la répartition des documents utilisés selon le critère des différentes disciplines.
Mesuré quantitativement, le succès considérable de la BPI peut-il être traduit en termes de satisfaction ? Globalement, lit-on au chapitre 5, «la satisfaction l'emporte chez les usagers », toutes catégories sociales confondues, à telle enseigne que «la BPI est dans l'ensemble plébiscitée par son public et particulièrement sur les principes qui ont guidé sa conception : l'encyclopédisme, le multimédia, le libre-accès aux documents ». Quant aux aspects négatifs mis en relief, ils apparaissent, pour l'essentiel, comme la contrepartie de l'augmentation régulière de la fréquentation : manque de place, bruit, propreté parfois douteuse, etc.
Un dernier chapitre prend en compte les utilisateurs de la salle d'Actualité de la BPI, tandis que des annexes présentent la méthodologie, ainsi que le questionnaire soumis aux usagers pour la collecte des données, ces informations finement analysées par Martine Poulain dans un ouvrage qui, assurément, arrive à point nommé, à l'heure où l'avenir même de la Bibliothèque publique d'information semble remis en cause par certaines voix.