Le grand atlas des littératures

par Anne-Marie Filiole
éd. par Gilles Quinsat ; collab. Bernard Cerquighini...
Paris : Encyclopaedia universalis, 1990. - 436 p. ; 37 cm. ISBN 2-85229-930-5

Impossible de nier l'immédiate fascination qu'exerce ce somptueux mélange de discours et d'iconographie. Le tout premier désir est de se jeter très primitivement dans cette sensualité, glissant d'un texte à l'autre, d'un dégradé de couleur à l'empâtement obscur d'une calligraphie, ébloui par l'écho d'amour répercuté de page en page par les civilisations du monde.

Concert polyphonique

Inutile de chercher le fil d'un parcours alphabétique ou chronologique. Comme le titre l'annonce, Grand atlas, il s'agit d'un espace panoramique ouvert sur six ensembles thématiques - « Les formes littéraires », « Littératures de la voix », « Espaces de l'écrit », « Figures de l'écrivain », « Lectures et publics », « Commerces de la littérature » - qui se divisent et subdivisent à l'infini du temps, de l'espace, d'innombrables facettes thématiques... Vaste croisement de tous les points de vue, vers mille perspectives, pour toutes les investigations. Composé de 400 pages rythmées de deux en deux par un nouvel article, ce livre est un concert polyphonique : 130 voix tracent leur différence autour de Gilles Quinsat, littérature, histoire, sémiologie, linguistique, sociologie, paléographie, archivistique... Autant de spécialistes - tels Pierre-Marc de Biasi, Henri Meschonic, Henri Mitterand et tous les autres..., qui contribuent scientifiquement à l'émergence du fait littéraire dans sa multiplicité symbolique et matérielle.

Langue, style, métrique, rhétorique..., la littérature tradition ou rupture varie selon l'époque et le lieu, la croyance philosophique ou religieuse, le contexte culturel ou le creuset social. Des figures se lèvent : scribe, orateur, clerc, écrivain, chroniqueur, acteur, poète, lecteur, éditeur, critique, libraire, bibliothécaire... Des espaces se dessinent : forum antique, cour médiévale, théatre, cabinet de lecture, cénacle, académie, bibliothèque, école, laboratoire de poésie sonore... Des commerces s'installent, diffusion, transmission et voyage... Des consciences émergent, collectives ou individuelles, des langages, communautaires ou intimes... Toutes les formes d'écriture et d'oralité s'imbriquent et se complètent dans leur inépuisable diversité. Si ce traitement kaléidoscopique entraîne d'inévitables et nombreux recoupements, la densité des textes et leur variété accroissent la curiosité du lecteur qui glane à tous les éclairages, «ajoutant l'esprit des autres au sien ».

Des traces d'oiseaux

Quelques textes peuvent paraître élitistes - langage et contenu d'initiés -, mais la plupart sont écrits pour tous et représentent une synthèse claire, originale, parfaitement documentée. Certains, très inspirés, font entendre la voix comme un accord sonore lié au rythme du cosmos, « pulsation même de la vie », voir les premiers écrits comme des traces d'oiseaux dans le ciel, jaillies de sa contemplation, et le corps de l'acteur sur scène comme un signe hiéroglyphique, rappelant ainsi que l'expression humaine dans son ensemble, et dès l'origine, se mêle aux mythes de la création du monde.

Oral écrit, lecteur auteur, antique moderne... Tous les composants sont complémentaires et se répondent ici parfaitement. L'image et le texte aussi s'interpénètrent dans une même dynamique, au niveau de l'étude sans doute, mais de la mise en page elle-même, preuve immédiatement tangible du discours tenu, en une symbiose judicieusement cohérente et raffinée, comme l'ont fait de tout temps les écritures graphiques, les manuscrits enluminés, l'emblême... avec l'idée, peut-être, qu'avaient déjà les Egyptiens « de parvenir à capter l'essence du réel» en gravant leurs messages.

Aboutissement des recherches sur la littérature mondiale, ce livre, fragments et totalité, est un pur produit de son époque: un univers culturel disposé en réseau, un texte « en morceaux » relié à tous les textes offrant sans hiérarchie une hyperlecture d'exploration, de circulation, de feuilletage, qui rompt avec la linéarité typographique classique. La bibliographie et le glossaire-index qui le complètent à la fin parfont sa précision documentaire: l'une, parce qu'elle présente une excellente sélection par chapitre, l'autre, parce qu'il clarifie certains mots tout en les resituant par des renvois aux textes, aux illustrations, aux légendes.

Si son imposant format ne le rend guère maniable, il ajoute encore à l'impression générale de « somme », de monde ouvert sous les yeux, à la jouissance ineffable et suprême qui saisit à embrasser d'un regard cette aventure millénaire en marche.