Les petits Français illustrés 1860-1940

par Anne-Marie Filiole

Claude-Anne Parmegiani

Paris, Cercle de la librairie, 1989. - 304 p. ; 24 cm. - (Collection Bibliothèques)
ISBN 2-7654-0430-5

Quatre-vingts ans d'image dans le livre d'enfance et de jeunesse. Histoire d'un âge d'or où la figure enfantine douée d'originale vie finit par émerger d'une série de stéréotypes inertes allant de l'adulte en raccourci à l'angelot précieux... Vision panoramique d'une société en marche qui, à travers les chocs de son histoire. ses mouvements artistiques, l'évolution de son système éducatif et de ses mentalités, a permis les métamorphoses successives.

L'image dans son contexte

Au lieu de suivre le récit linéaire du devenir de l'image en lignes et en couleurs, nous entrons donc dans une fresque historico-socio-culturelle éclairée de temps forts - guerres, expansion coloniale... -, successivement enrichie par l'apport de la photographie, du cinéma, de la publicité ou de la mode..., transformée par les sciences humaines comme la psychanalyse, où l'école classique débouche peu à peu sur une pédagogie active et la peinture est en perpétuel renouvellement : vérisme, symbolisme, surréalisme, cubisme, constructivisme...

Nous assistons à la naissance de l'édition enfantine avec l'émergence de puissantes maisons comme Hachette. Mame ou Hetzel, à l'apparition de l'écrivain et de l'illustrateur pour enfants, à la démocratisation de la culture littéraire, à la prise de conscience, par les femmes, des nouveaux enjeux de la lecture, à la libération de l'album des éternelles contraintes scolaires et didactiques...

Sur ce fonds événementiel, des figures d'illustrateurs comme Bertall, Castelli, Froment, Job, Boutet de Monvel, Hellé, Rabier, Lorioux, Samivel ou Vildrac ponctuent le devenir de l'enfance imagée qui sort progressivement d'une représentation académique et neutre vers un tracé plus librement expressif. Dans cette revue de l'image, deux personnages phares : Froëlich et Brunhoff. Froëlich qui, le premier, fit surgir l'enfant réel et spontané grâce à la tendresse qu'il éprouvait pour son modèle de fille, « Mademoiselle Lili » dans les livres : Brunhoff qui. avec Babar, révolutionne l'album pour en faire un tout, fonds et forme confondus, langage total d'une page où discours textuel et discours figuré participent d'un même élan visuel dans une dialectique infinie de rondeur cursive et bonhomme libératrice d'imaginaire. La page, le livre. tous les éléments de support racontent dans un espace ouvert à plusieurs entrées, lieu narratif des métamorphoses.

Image-concept

L'illustration du texte faite image autonome et sens figuré. Dans les albums de Nathalie Parrain, c'est un langage formel, une représentation des objets qui joue en apesanteur avec les lettres, vides et pleins sur un écran plastique frontal : la page signifiante. Une investigation conceptuelle du réel. Enfin le livre total dans ses lignes et dans ses lettres, dans sa mise en page, son format, sa couverture... Et l'enfant-roi brisant la gangue où l'enfermait une production répondant davantage aux goûts des adultes et d'une époque qu'à sa spécificité.

De tant d'émotion passionnée embrassant les fulgurances et les atermoiements de toute une époque pour bâtir la genèse d'une image chargée d'histoire. de cette volonté d'expliquer très précisément l'origine et la diversité des talents, naît un texte très instruit mais aussi très complexe, avec une tendance à l'émiettement. Pour illustrer plus justement le propos, on aurait souhaité une ligne de force avec plus d'images, un discours plus près de l'image, peut-être moins de discours. Mais ce pari de faire ainsi surgir l'illustration enfantine était très périlleux et renvoyait forcément à un discours multiple chargé de rappels historiques et artistiques nombreux, d'évocations parfois longues, d'inévitables retours. Comme un récit à plusieurs voix les entrecroise pour chercher à mettre une vérité en lumière...

Intellectuellement très intéressant, fourmillant de facettes éclairantes, ce texte écrit beaucoup sur et autour de l'image aux dépens d'une élaboration plus essentiellement plastique. Il est vrai que la page de titre nous mettait en garde avec trois précisions : l'illustration pour enfants en France de 1860 à 1940, les modes de représentations, les grand§ illustrateurs, les formes éditoriales. Vaste programme, qui aurait mérité plusieurs livres !