Le livre et la lecture an Seine-Saint-Denis

Dominique Tabah

Le département de Seine-Saint-Denis considère son action dans le domaine du livre comme un des axes prioritaires du développement culturel. Il s'emploie à soutenir la création littéraire, et à élargir les publics. Deux initiatives originales sont à retenir : le Salon annuel du livre de jeunesse et l'invitation pour un an d'écrivains boursiers. Ce département refuse d'être hiérarchique et préfère confier des missions aux villes. Ces missions sont actuellement au nombre de trois : l'une, concernant le livre de jeunesse, a permis l'ouverture à Bobigny du Centre de documentation en Seine-Saint-Denis sur le livre de jeunesse ; la seconde s'intéresse à l'histoire locale contemporaine ; la troisième s'orienterait vers un fonds de littérature contemporaine.

The Department of Seine-Saint-Denis considers its actions for books as one of the priorities in the field of cultural development. They actively help and sustain literary creation and the widening range of its public. Two unusual initiatives must be stressed : the yearly " Books for the Young Show ", and the invitation of subsidized writers (for 1 year). This department challenges the hierarchical tradition, and chooses to commission the municipalities. There are currently 3 missions involved : one of them is about the Books for the Young, and has enabled the opening in Bobigny of Seine-Saint-Denis Documentation centre of books for the Young ; The 2nd one deals with local current history, and the 3rd one with a contemporary literature collection.

Les perspectives ouvertes par la décentralisation ont amené le département de la Seine-Saint-Denis à adopter une attitude dynamique et à assumer de nouvelles responsabilités en matière culturelle. Dans le domaine du livre, cette volonté s'est traduite par la recherche de formes d'interventions spécifiques. Ainsi, le conseil général du département a inauguré, en novembre 1989, le Centre de documentation en Seine-Saint-Denis sur le livre de jeunesse.

La politique du département

Les principes qui ont présidé à la politique du livre et de la lecture mise en place depuis 1985 sont de même nature que ceux qui animent, sur le plan culturel, la maison de la culture, les festivals de musique à Saint-Denis et les rencontres pour la danse à Bagnolet. Toutefois, le département considère son action dans le domaine du livre comme un des axes prioritaires du développement culturel.

Ces principes peuvent s'énoncer autour de deux axes essentiels : l'un concerne le soutien à la création littéraire, l'autre, l'élargissement des publics de manière à favoriser la rencontre entre les créateurs, les oeuvres et les lecteurs. Le problème posé est celui de la démocratisation culturelle et de l'accès au patrimoine culturel et scientifique, et à l'information. Le développement des bibliothèques ne peut qu'y contribuer.

Enfin, d'un point de vue méthodologique, le conseil général estime que ces actions doivent être conduites dans un esprit de coopération avec les villes du département, ce qui se traduit par une politique de convention favorisant l'émergence de projets communs. Cette forme de partenariat permet d'ancrer les initiatives dans le tissu local, de le pénétrer en profondeur et de recueillir les bénéfices d'une action culturelle véritablement concertée.

Les objectifs que s'est fixé le département sont assortis de moyens financiers conséquents. Deux initiatives majeures illustrent cette politique dont la première, le Salon du livre de jeunesse, coproduit par la ville de Montreuil et le département, est devenue, on peut l'affirmer aujourd'hui, un événement national autour du livre de jeunesse. Les ambitions que le Salon s'est fixé - promouvoir la création graphique et littéraire dans le livre pour enfants, permettre aux différents publics de rencontrer et de découvrir la richesse de cette édition - sont largement réalisées. Son originalité réside dans cette alchimie : être à la fois le rendez-vous de tous les professionnels du livre de jeunesse (bibliothécaires, enseignants, libraires, éditeurs, auteurs, illustrateurs), celui des familles et du jeune public, ainsi qu'un lieu de débats et de rencontres avec des colloques, expositions et journées d'étude dont la dimension culturelle est incontestable. Prix de la création, Prix de la nouvelle, édition de guides, productions audiovisuelles, jeux et concours pour les enfants témoignent de son dynamisme.

L'intérêt que manifeste le conseil général pour la création littéraire l'a conduit en second lieu à procéder à une analyse de la situation du livre et de l'édition à l'échelle du département et au plan national. Convaincu du rôle que peuvent jouer les pouvoirs publics dans ce domaine, il s'est engagé pour sa part à y apporter son soutien en invitant pour la troisième année consécutive des écrivains en Seine-Saint-Denis. Ceux-ci bénéficient d'une bourse d'une année qui leur permet de se consacrer au travail d'écriture dans le plus grand respect de leur liberté de création.

Il s'agit d'un double pari : pari sur la création et pari sur la rencontre. « Nous voulons ainsi permettre à des romanciers et à des poètes de venir se confronter à des images, des paysages, des mots... dans le plus grand respect de leur liberté de création. En effet, avec chaque écrivain, il s'agit d'une véritable rencontre sur la base d'un projet personnel et d'interrogations, de préoccupations à partager. Nous sommes donc « en attente » de ces livres dont le travail de conception s'est effectué en Seine-Saint-Denis : leurs visions nous importent tout autant que les échos du réel quils proposent et les mondes imaginaires qu'ils font vivre. En un mot, la spécificité de la création littéraire nous est précieuse » 1 .

Six écrivains ont déjà été accueillis en Seine-Saint-Denis - François Bon, Didier Daeninckx, Bernard Noël, Abdell latif Laâbi, Dominique Grandmont, Alain Nadaud -, trois autres sont attendus en 90 - Pierre Michon, Nedim Gürsel et Maurice Kherroubi.

Cette démarche très particulière s'apparente au « compagnonnage ». Le département s'engage ensuite à promouvoir et à faire connaître l'oeuvre de l'écrivain 2 : il achète 1 000 exemplaires du livre et les diffuse, accompagnés d'une plaquette de présentation de l'auteur, auprès des bibliothèques, lycées et autres institutions du département. Nombre de manifestations sont organisées à l'occasion de sa sortie.

Les projets de coopération

Dès 1985 étaient organisées Les rencontres pour le livre et la lecture qui réunissaient bibliothécaires, écrivains, critiques, libraires, éditeurs, enseignants et universitaires. La réflexion qui suivit les propositions pour une politique départementale du livre et de la lecture fut alimentée par une enquête sur l'état des lieux et de nombreuses communications. Les premières conclusions de ces journées soulignèrent l'importance de développer des projets de coopération et de collaboration qui associeraient divers partenaires. Le conseil général devait y arrêter les grandes lignes de sa doctrine en la matière et la création d'un poste départemental de chargé de mission au livre, confié à Henriette Zoughebi, entourée d'une équipe, devait favoriser les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de cette politique.

La réalité de la Seine-Saint-Denis est la suivante : département à majorité communiste caractérisé par une population composée majoritairement d'ouvriers et d'employés avec un fort taux d'immigrés ; population jeune- 30 % de moins de 25 ans ; forte urbanisation. Sur les 40 communes, 38 sont dotées d'une bibliothèque et, à côté de celles-ci, bien d'autres institutions s'intéressent au livre et au développement de la lecture : école normale, université de Saint-Denis et de Villetaneuse, établissements scolaires, centres de documentation et d'information, structures d'accueil de la petite enfance, structures de loisirs, comités d'entreprises, etc.

Si la décentralisation incitait les départements à créer des bibliothèques centrales de prêt, la formule était peu appropriée au département de la Seine-Saint-Denis. Il s'agissait donc, en matière de coopération, de trouver des structures mieux adaptées à ses caractéristiques. Notons d'ailleurs que, parmi les premières mesures adoptées par le conseil général, en 1985, le montant de la subvention aux communes s'élevait à 15 % des coûts de construction et d'aménagement de bibliothèques (mobilier et matériel)... Rares semblent être les départements qui s'orientent vers un financement complémentaire aussi important pour la réalisation de nouveaux équipements.

Missions

En aucune manière le département ne souhaite jouer un rôle hiérarchique, voire administratif, susceptible de peser sur l'autonomie des communes. Sa démarche est plutôt de confier à des villes, par voie conventionnelle, des missions d'intérêt départemental prises en charge par les bibliothèques en fonction de la qualité des équipes, des actions déjà menées dans ce domaine, de leurs expériences ou de la spécificité et de la richesse de leur fonds.

Ces missions portent actuellement sur trois domaines : la première, concernant le livre de jeunesse, a permis l'ouverture à Bobigny du Centre de documentation en Seine-Saint-Denis sur le livre de jeunesse ; la seconde s'intéresse à l'histoire contemporaine et à l'histoire du mouvement ouvrier, plus particulièrement axée sur l'histoire locale et le département ; la dernière, enfin, encore à l'étude, s'orienterait vers un fonds de littérature contemporaine et pourrait être associée à une maison des écrivains.

Si elles prennent des formes différentes (centre de documentation, mise en valeur du patrimoine, création littéraire), toutes ces missions ont pour objectif de constituer des fonds de référence, de mener des actions de promotion, de créer des lieux de débats et de rencontres ainsi que d'assurer une fonction de coopération sur le plan financier, le département prenant à sa charge l'ensemble des frais de fonctionnement de ces structures.

Mai littéraire et réseau

Prévue en mai, une « semaine de la littérature » a pour ambition de promouvoir la littérature et d'inciter à la découverte de textes contemporains. Conçue selon ce même schéma qui associe villes et bibliothèques intéressées par le projet, elle s'adresse à différents publics du département et de la région : usagers des bibliothèques, lycéens, public « cultivé » intéressé par la littérature, étudiants, enseignants des collèges et des lycées. Avec l'aide des conseillers littéraires, des manifestations se dérouleront dans différentes villes du département, accueillant spectacles et expositions, et faisant intervenir de très nombreux écrivains français et étrangers. Un événement central conclura l'initiative.

Enfin le département a commandé une étude sur les bibliothèques du département portant à la fois sur l'état des lieux et des services d'un point de vue quantitatif et qualitatif. Cette étude pourrait permettre aux élus de mieux cerner leurs besoins en matière d'équipement et de nouveaux services à créer ainsi que d'évaluer la « rentabilité sociale » de l'établissement présent et futur.

L'idée d'un réseau départemental de bibliothèques et d'un plan de développement de ce réseau pourrait être soumise à la réflexion des élus. Elle contribuerait à définir plus précisément les attentes en matière de coopération et les champs dans lesquels celle-ci pourrait s'exercer (fonds, actions culturelles, nouvelles technologies, formation). Elle pourrait déboucher sur la création d'une « cellule conseil » à l'échelon du département chargée d'étudier les problèmes de programmation d'équipement : développement de réseaux, étude de nouveaux services, évaluation des coûts, choix techniques, etc. Si le département subventionne la construction, il pourrait également concourir à une aide logistique bien différente des agences privées de programmation. Depuis la décentralisation, les villes qui construisent des bibliothèques manifestent le besoin d'être conseillées par des spécialistes compétents. Il semble que ni la Direction du livre et de la lecture ni la Direction régionale de l'action culturelle n'ont maintenant les moyens d'assurer ce rôle.

Cette politique démontre les capacités que peut avoir un département à promouvoir et à assurer une coopération efficace entre les bibliothèques et avec d'autres institutions, à créer des services nouveaux et utiles. Une telle entreprise se fera au profit de publics plus nombreux et plus diversifiés qui en retireront les bénéfices de meilleurs services.

février 1990

Illustration
Livres au trésor

  1. (retour)↑  Georges VALBON, président du conseil général de la Seine-Saint-Denis.
  2. (retour)↑  Ouvrage écrit pendant la résidence de l'écrivain en Seine-Saint-Denis, et publié chez son éditeur, non par le département.