Retour à la lecture. Lutte contre l'illettrisme

Guide pour la formation

par Dominique Tabah

Bernard Gillardin

Claudie Tabet

Paris : Editions Retz, 1988

Le rapport sur l'illettrisme et les différentes enquêtes sur les faibles lecteurs ont alerté la nation sur ses responsabilités dans ce domaine. Le Groupe permanent de lutte contre l'illettrisme (GPLI), chargé par le Gouvernement de mettre en œuvre une politique et des mesures de lutte contre l'illettrisme, appelait les différents acteurs sociaux, institutions publiques et associations, à se mobiliser afin de développer des formes d'action concertée dans quatre secteurs : l'action sociale, l'éducation, l'emploi. la culture.

Responsabilité des bibliothèques

Les bibliothèques se sont senties interpellées par cette question à plusieurs titres. D'abord au regard des populations des collectivités qu'elles avaient pour vocation de desservir, sachant qu'une frange d'entre elles était naturellement exclue de la fréquentation de leur établissement. Tant les élus que les bibliothécaires souhaitent ouvrir largement la bibliothèque à l'ensemble de la collectivité. Et, si les causes de l'exclusion sont d'abord d'ordre social et politique, il n'en reste pas moins vrai que toute démarche qui favorise la fréquentation de la bibliothèque par ces publics s'inscrit dans la mission de démocratisation de la lecture qui leur est confiée.

Les bibliothèques se sont également senties concernées à propos du rôle qu'elles jouent comme lieu ressource pour la formation des adultes, rôle qui les conduit à réfléchir à la constitution de fonds et à l'offre de services répondant à ce besoin. Et c'est souvent sur ce terrain qu'elles ont été sollicitées par des organismes de formation et de remise à niveau en matière de lecture. Enfin, c'est l'image de la bibliothèque auprès de ces faibles lecteurs qui est mise en jeu : celle d'une institution culturelle qui ne leur est pas destinée.

Actions inter-établissement

C'est dans ce contexte que nombre de bibliothèques se sont engagées sur le terrain de l'illettrisme en s'appuyant sur le partenariat avec d'autres institutions ou associations pour mener des actions communes : accueil dans le cadre de stages de qualification pour les jeunes ou de remise à niveau, collaborations avec les bureaux de l'ANPE, les permanences sociales, etc. Ces actions, souvent expérimentales, étaient l'occasion de mieux connaître ce public, de cerner leurs besoins, et d'élaborer les formes d'intervention adaptées. Riches d'enseignement, elles ont permis, d'une part de réfléchir plus largement aux stratégies qu'une bibliothèque devait développer dans son programme de travail pour gagner ces faibles lecteurs, et d'autre part de conclure à l'irremplaçable collaboration avec des partenaires locaux pour atteindre ces objectifs. L'intérêt que les bibliothécaires ont manifesté à l'égard de ce problème s'est traduit par l'organisation de stages sur l'illettrisme, par des demandes d'intervention auprès des collègues expérimentés, par la publication d'articles dans des revues professionnelles, et surtout par le désir d'acquérir les compétences nécessaires.

Le livre de Claudie Tabet et Bernard Gillardin en est une des contributions les plus originales : à ce titre, il ne manquera pas d'intéresser les bibliothécaires, d'autant plus qu'il allie un travail de diagnostic sur la situation réelle des illettrés à travers une série de portraits types, à une approche des mécanismes de la lecture et à une description des pratiques de réentraînement à la lecture. Au lieu d'être un manuel qui donnerait des recettes, son objectif est « d'inciter les personnes responsabilisées dans la lutte contre l'illettrisme à multiplier les échanges, à questionner les besoins et les réponses proposées. En résumé, de prolonger une formation parfois très succincte pour un certain nombre d'entre elles ».

Propositions

C'est un des premiers ouvrages qui insiste si fortement sur le rôle des bibliothèques dans les dispositifs de lutte contre l'illettrisme et montre la complémentarité qui doit se jouer entre les formateurs et les bibliothécaires. Après une analyse des mécanismes complexes qui interviennent chez un sujet en échec de lecture, les auteurs proposent une stratégie du projet qui valorise le désir de réapprendre. L'ouvrage présente alors la méthodologie à l'œuvre, les formes de collaboration à travers les portraits de faibles lecteurs, ainsi que les résultats de ces actions sous forme d'évolution des pratiques de lecture. Les auteurs privilégient une démarche qui réenclenche un processus de lecture au lieu de renforcer les apprentissages ; qui change la relation au savoir en partant de l'itinéraire individuel du sujet, qui valorise ses acquis et fait émerger un projet. La place de la bibliothèque dans ce processus leur paraît essentielle, d'abord par l'offre de lecture qu'elle représente, mais aussi comme lieu où l'on reprend contact avec la diversité des écrits, où l'on se « resocialise ». On mesure à quel point l'accueil dans la bibliothèque, la compétence des professionnels pour permettre la rencontre avec ces écrits sont déterminants. « Que proposer ? » demandent souvent les bibliothécaires. La réponse des auteurs est claire : livres accessibles certes, mais pas de politique de « bas niveau de langue » ou de livres passerelles. Les centres d'intérêt, les lectures des stagiaires sont éloquents sur ce point.

Enfin, et pour donner une approche globale, l'intérêt de l'ouvrage est de présenter une démarche inter-institutionnelle au sens le plus large, où chaque professionnel joue son rôle, déploie ses compétences : les bibliothécaires ne sont pas appelés à la rescousse dans un dispositif qui serait hors de leur champ professionnel. C'est l'offre de lecture publique qui est interpellée dans sa mission originale, celle de proposer au plus grand nombre des lectures éclectiques sur tous les supports.