Vingt-six ans après, l'accès au document

Martine Darrobers

1962-1988. La bibliothéconomie universitaire fait sa mutation tous les quarts de siècle. Un comité des sages a fonctionné pendant une année pour élaborer un ensemble de Recommandations adressées à l'ensemble des établissements documentaires universitaires, jusque-là soumis aux Tables de la Loi que constituaient les Instructions de juin 1962 *.

Recommandations et non plus instructions, car le maître mot est désormais celui de l'adaptation et de la souplesse. Plutôt que d'organiser en détail l'agencement et la gestion des différentes sections de bibliothèque, les Recommandations conseillent, incitent, proposent. Bref, il y est davantage question de principes que de règlements : un vent de libéralisme et de déréglementation a soufflé sur la bibliothéconomie française.

Mais il ne s'agit pas simplement d'une concession aux nouvelles formes d'intervention dans l'administration et la bibliothéconomie. Les Recommandations apparaissent guidées par le souci de prolonger les Instructions dans leur principe premier, l'accès au document et sa présentation au lecteur. C'est dire que, si le stockage en magasin n'est pas abandonné, on parle essentiellement de libre accès et de classement, ces problèmes étant abordés sous un angle bien précis, celui de la simplification.

Pourquoi faire compliqué...

Simplifier l'accès aux rayons. Maintenant qu'il est démontré que le lecteur se perd dans une cote dès que celle-ci comporte plus de trois chiffres, les systèmes trop complexes sont condamnés dans la mesure où leurs classements à plusieurs niveaux restent opaques. Ils le sont aussi dès lors que leur multiplicité rigidifie les modalités de stockage, le transfert d'un livre d'un service à l'autre (d'un magasin à une salle en libre accès) s'avérant une opération lourde, impliquant une nouvelle indexation à reporter sur de multiples fiches. Ils le sont enfin dans la mesure où leur expansion est restée limitée. Toutes ces raisons condamnent la vénérable CDU, la classification décimale universelle, mal tenue à jour, assez peu utilisée et difficile à simplifier. Plus exactement, la CDU simplifiée sur la base de trois chiffres n'est guère autre chose que la classification Dewey, à laquelle renvoient les recommandations qui ouvrent également sur les autres systèmes de classement dominant à travers le monde, celui de la LC (Bibliothèque du Congrès) et celui de la NLM (National Library of medicine). Conséquences, un seul et unique système de classement pour l'ensemble des collections d'un établissement, leur localisation dans un service ou un autre pouvant s'afficher par un moyen simple (pastille de couleur ou autre) ; un classement synthétique (les recommandations insistent sur la nécessité de ne pas pousser trop loin les subdivisions de l'une ou l'autre classification), dans la mesure où le classement a pour objet de regrouper tous les documents correspondant à l'attente des chercheurs dans un champ documentaire donné.

Tout pour le lecteur

Sur la lancée de leur révolution tranquille, les Recommandations « décommandent » le catalogue systématique CDU qui était proposé en même temps que les classiques catalogues par auteurs et par sujets, prônent la description bibliographique allégée dans la mesure où les bibliothèques continueront à faire un catalogage original, Quant à la présentation des documents par niveaux qui fut un des fondements de la programmation architecturale au cours des années soixante, « elle n'apparaît pas du tout comme un problème de fond, mais plutôt comme une question d'opportunité qu'il est préférable de régler par des méthodes très empiriques ». On ne saurait mieux dire que chaque établissement est laissé libre de faire les choses à sa guise. Enfin, si les bibliothèques sont invitées à redécouvrir leur dimension patrimoniale, à respecter l'intégrité et l'originalité de fonds à valeur patrimoniale, elles ne doivent pas oublier que l'élimination fait partie du circuit normal des documents qui ne présentent plus d'intérêt pour le lecteur.

Alors que la circulaire s'exprime en termes très généraux, la question de la cotation est traitée de façon méticuleuse et on y insiste longuement sur la nécessité de clarifier la distinction entre gestion comptable qui impose la tenue de registres d'entrée inventaires et gestion technique, liée à la cotation. Cette dernière, combinant indice systématique et ordre d'entrée des ouvrages, doit permettre de regrouper non seulement les ouvrages sur un sujet, mais aussi les ouvrages récents : ce pied de nez à la cotation traditionnelle qui associait indice et ordre alphabétique auteurs a pour but de satisfaire aux besoins d'un public avide de connaître les nouveautés dans un domaine précis.

Désormais l'accent est mis sur « la satisfaction effective du lecteur (...). Le traitement de la documentation ne doit pas être une fin en soi et doit être proportionné aux besoins réels, ne serait-ce que pour laisser au personnel de la bibliothèque le temps nécessaire à un dialogue véritable avec les lecteurs ». De ce fait, la bibliothéconomie des recommandations affiche un certain parallélisme avec les préoccupations de la lecture publique, auxquelles - ce n'est pas un hasard - la circulaire fait plusieurs fois allusion.

Dernière touche à cette new wave bibliothéconomique, la référence aux instruments collectifs, catalogues en réseau et réservoirs bibliographiques qui devront permettre la récupération de notices - moins un coup de chapeau à la modernité qu'une esquisse en filigrane de la bibliothéconomie des prochaines années. Rendez-vous dans un quart de siècle pour en juger.