Préfaces

par Philippe Hoch
dir. publ. Pierre Fredet ; réd. Hélène Monsacré. - n° 1 (1987, mars/avril)
Paris: Cercle de la librairie : Ed. professionnelles du livre, 1987. - 30 cm. Bimest.

Investigation préliminaire et phase centrale, à la fois, de tout travail intellectuel de quelque envergure, la recherche bibliographique n'est-elle point, à l'image de l'activité scientifique elle-même, morcelée, cloisonnée, prisonnière, en somme, du cadre disciplinaire qui la circonscrit ? Les publications périodiques spécialisées rendent compte de manière plus ou moins étendue et complète de la production propre au domaine de compétence, souvent étroit, couvert par chacune d'entre elles. Quant aux revues dites de culture générale. lorsqu'elles comprennent une partie bibliographique, cette dernière est habituellement fort restreinte. De la sorte, l'étudiant avancé, le chercheur confronté à plusieurs disciplines et, plus généralement, le public soucieux d'ouverture d'esprit, se plaisant à cheminer à travers des paysages intellectuels diversifiés, moins désireux de labourer son sillon avec opiniâtreté que d'embrasser du regard le vaste horizon, se trouvent quelque peu dépourvus. Entre l'exhaustivité vers laquelle tendent les spécialistes et la sélectivité extrême à laquelle sont contraints les périodiques généraux, un moyen terme devait assurément pouvoir être trouvé et une place disponible occupée, à côté du Bulletin critique du livre français - qui vient de fêter son cinq centième numéro -, dont la vocation internationale est cependant spécifique.

Voyage organisé

Proposer tous les deux mois un recensement bibliographique national pour l'ensemble des sciences humaines et sociales, telle est l'ambition de Préfaces, que son directeur de publication. Pierre Fredet, a voulu placer sous le patronage philosophique et poétique de Platon, dont l'attelage ailé mis en scène dans le Phèdre est appelé à nous conduire à travers le monde des idées. La nouvelle revue se veut ainsi à la fois « une carte et un guide », auxiliaires dont le voyageur en partance pour la Science ne saurait raisonnablement se passer... Cevade mecum du lecteur cultivé offre essentiellement. selon son éditorialiste. « un recensement complet et une analyse de l'essentiel des livres dans les différents domaines de la réflexion et de la recherche. » Tel est bien, en effet, l'intérêt de Préfaces: combiner, d'une part, le recensement signalétique très large, sinon véritablement exhaustif, dont bénéficient déjà les abonnés de Livres-Hebdo ou de Livres de France, et dont profitera désormais un public plus large, et d'autre part, une bibliographie sélective analytique due à « une équipe d'universitaires et de chercheurs. »

Si l'information bibliographique apparaît ainsi comme la carte maîtresse de la revue, son contenu est toutefois plus diversifié. Entre les comptes rendus qui ouvrent le fascicule et les notices signalétiques sur lesquelles il se clôt, viennent s'intercaler un dossier substantiel, ainsi que deux autres rubriques : « Archéobibliographie », évocation de maîtres livres ayant profondément marqué la vie intellectuelle et « L'instrument de recherche », carte d'identité et mode d'emploi d'une bibliographie ou de quelque autre ouvrage de référence.

Le périple initiatique auquel invite Préfaces débute donc par l'« Actualité des livres ». Les analyses de parutions récentes sont présentées dans le cadre d'un classement systématique, comportant dix rubriques : philosophie, épistémologie ; sciences, histoire des sciences ; psychologie, psychanalyse : langage et science des textes, histoire littéraire ; sociologie, anthropologie, ethrtologie ; sciences économiques ; sciences politiques et juridiques ; géographie, sciences de la terre ; histoire, histoire des religions ; histoire de l'art, archéologie. La longueur relativement réduite des comptes rendus (en moyenne une colonne) permet d'en offrir un nombre suffisamment élevé pour représenter honnêtement les dernières parutions françaises. Au fil d'une cinquantaine de pages sur deux colonnes, c'est une bonne centaine d'analyses qui se succèdent. Les documents analysés ont été choisis pour l'intérêt particulier qu'ils présentaient ; c'est pourquoi les notices ne sont guère critiques, même si, çà et là, apparaît quelque prudente réserve. Les comptes rendus ont, par ailleurs, le mérite de renvoyer fréquemment, en guise de conclusion, à d'autres ouvrages se rapportant au même sujet. Notons enfin que les responsables de Préfaces ont pris le parti de l'anonymat des recensions.

Il n'était point, sans doute, pour Préfaces, dont le propos est d'inviter à lire, de choix plus opportun que le thème de la lecture elle-même, proposé dans le premier dossier de la revue. Des contributions fort différentes, originales pour la plupart, mais d'un intérêt cependant un peu inégal, ont été réunies par Joël Roman, soucieux de proposer une pluralité d'approches, non traditionnelles autant que faire se pouvait (d'où, peut-être, une légère impression de décousu). Et, de fait, la lecture est envisagée du point de vue de l'histoire de la culture, de la psychanalyse, de la théorie littéraire, voire de la biologie, pour ne citer que quelques-unes des perspectives ouvertes.

Lecteurs et textes

Les Pratiques de la lecture, d'abord, sont abordées au cours d'un entretien avec Roger Chartier. Interrogé particulièrement sur le thème du livre concurrencé, l'historien tente d'analyser la nature du bouleversement provoqué dans la culture par l'irruption de la télématique. Il pourrait bien s'agir, estime-t-il, d'une transformation aussi fondamentale que celle que représenta le passage du volumen au codex. « Il est possible que nous soyons au seuil d'une mutation qui affecterait la technologie intellectuelle du rapport au texte : la télématique nous conduira à avoir une autre idée du texte que celle qui a été définie par le livre. »

Du futur proche, nous sommes renvoyés à des âges fort reculés, grâce à un article assez étonnant pour le profane, de Jesper Svenbro, relatif à la lecture en Grèce ancienne. Le propos tenu par le chercheur helléniste relève moins de la philologie classique que de la psychanalyse, ou encore de ce qu'il nomme la « microsociologie de la communication écrite » et vaut au lecteur des considérations inattendues sur « le modèle pédérastique du rapport scripteur/lecteur» ou encore un clin d'œii à Zazie dans le métro. Christian Jacob, pour sa part, s'efforce de mettre en évidence la spécificité et les problèmes de la lecture érudite, celle à laquelle se livrent professionnellement et de manière permanente les chercheurs en sciences humaines : activité qui revêt, à l'occasion, les apparences d'un combat singulier : « Le chercheur ne se satisfait pas du sens immédiat et apparent, de l'illusion qui impose le familier et masque l'altérité profonde. Le texte lui résiste et, au delà de la compréhension littérale, suggère une profondeur obscure à déchiffrer. La lecture lente, inlassablement recommencée, veut percer le sens caché, trouver la clé. »

Tel est aussi le projet de Joël Cornette, dans le champ d'investigation qui lui est propre, l'histoire : faire parler le texte, le vivifier. La contribution de la philosophie à l'étude du thème est apportée par Paul Ricœur, interrogé à propos de travaux récents sur le sujet, celle de la psychanalyse par Michel Soubbotnik, qui s'efforce de faire la part du lisible et de l'illisible, tandis que Claude Habib esquisse un historique des théories de la lecture, du structuralisme jusqu'aux recherches les plus récentes. Enfin, Martin Hirsch propose, par une métaphore vive - pour employer le vocabulaire de Ricœur - de considérer la génétique comme une lecture. Le dossier est complété par une utile bibliographie commentée et illustré par deux textes, l'un de Walter Benjamin, l'autre d'Emile Faguet qui, sous le titre de l'« Art de lire ». propose un éloge délicieusement intempestif de la lenteur, en ces temps où les vertus supposées de la lecture rapide sont si fortement proclamées.

Combinant l'information bibliographique et les études de fond, la rubrique « Archéobibliographie » accueille l'examen d'ouvrages anciens déjà qui, en leur temps, ont été reconnus comme décisifs et dont l'influence, fût-ce discrètement, voire secrètement, n'a jamais cessé de s'exercer, de génération en génération. Ainsi pour Ch. Jacob, « l'archéobibliographie pourrait être, dans cette revue vouée à l'actualité du livre,comme un lieu de mémoire retraçant certains moments de cette histoire récente où le destin des textes se confond avec les progrès de la pensée ». Les Fonctions psychologiques et les œuvres, d'Ignace Meyerson, est la première de ces œuvres fondatrices évoquées dans Préfaces. Dans le même esprit. « L'instrument de recherche » souhaite présenter, dans les différents domaines, les ouvrages de référence les plus importants, qui ne sont cependant pas toujours les mieux connus, tels le Social science citation index (Robert Tartarin).

Si Préfaces débute par une bibliographie sélective et analytique, le fascicule prend fin avec « Deux mois de parutions », signalement aussi complet que possible des nouveautés. Les notices proviennent de la base bibliographique du Cercle de la librairie et ont déjà été publiées par ailleurs dans « Les livres de la semaine », partie bibliographique de Livres-Hebdo. Deux index, auteurs et sujets, complètent le classement en onze rubriques et facilitent la recherche.

Préfaces ne retient pas seulement l'attention par la qualité d'ensemble de son contenu, mais aussi par sa présentation, d'une sobriété toute classique, attique voudrait-on dire, puisque d'emblée le patronage platonicien a été invoqué par les éditeurs eux-mêmes. Il n'y a, au fil des pages, aucune recherche d'effets de maquette, sans que l'on tombe, toutefois, dans l'austérité. Le texte, réparti sur deux colonnes et entouré de notes marginales n'est souvent rehaussé que de bandeaux, de culs-de-lampe ou de vignettes. Quelques photographies ou reproductions de gravures en pleine page viennent cependant, de temps à autre, rompre le rythme et retenir l'œil. La part des annonces publicitaires, enfin, reste limitée (environ vingt-cinq pages sur un total de cent quatre-vingt-dix) et concentrée au début et à la fin du fascicule, nuisant aussi peu que possible à sa qualité de bel objet.