Le livre français sous l'Ancien Régime

par Denis Pallier

Henri-Jean Martin

Paris : Promodis, 1987. - 303 p. ; 24 cm. - (Collection Histoire du livre)
ISBN 2-903181-57-8: 215 F

Depuis quelques décennies les travaux concernant le livre français se sont multipliés : monographies, thèses, articles ont constitué un savoir considérable, à partir duquel a pu être publié de 1982 à 1986 un remarquable ouvrage d'ensemble, l'Histoire de l'édition française. « Enfant tard venue de la rencontre de l'Université et des bibliothèques », l'histoire du livre est devenue un territoire des historiens.

L'initiative de Promodis d'ouvrir une collection dédiée à l'histoire du livre par un recueil des principaux articles d'Henri-Jean Martin est, dans ce contexte, particulièrement heureuse. En effet, on trouve à la fois dans Le Livre français sous l'Ancien Régime des textes de référence complémentaires des grands ouvrages d'Henri-Jean Martin et, à travers les travaux du pionnier et chef de file de la discipline, les principales lignes d'évolution de l'histoire du livre en France.

L'ouvrage regroupe quinze études : articles et contributions à des colloques et des ouvrages collectifs, accompagnés d'une introduction par l'auteur - peut-être trop courte et discrète - et d'une bibliographie de ses travaux (p.261-263). Les textes s'échelonnent de 1952 à 1986. Il convient de souligner que l'article le plus ancien « Quelques aspects de l'édition parisienne au XVIIe siècle », fut publié dans les Annales, avec un commentaire de Lucien Febvre (p. 271), enjoignant aux historiens de la littérature de s'intéresser à l'objet qui portait les textes, et aux historiens des sociétés d'être attentifs à cette marchandise culturelle, afin d'intégrer l'histoire du livre à l'histoire générale. Le premier programme de cette intégration devait être l'Apparition du livre de L. Febvre et H.-J. Martin, publiée en 1958.

Ces études, une moitié de celles qu'a écrites H.-J. Martin, constituent un choix de nature à illustrer les thèmes majeurs qui se sont succédé et complétés dans l'histoire du livre depuis trente ans. Elles sont réparties en cinq chapitres. Le premier regroupe des articles consacrés à l'apparition du livre et à l'apparition de l'histoire du livre, science d'amateurs, de bibliographes et de bibliothécaires, acteurs de la sauvegarde du patrimoine écrit, plus tardivement soutenus et relayés par la recherche officielle en France qu'en Allemagne ou en Grande-Bretagne.

Dans les deux chapitres suivants revivent les thèmes dominants des années 1950-1970: reconstituer les conditions de la production et du commerce du livre, ainsi que les modes d'action des pouvoirs sur le monde du livre, l'organisation de la censure et ses effets. Par là l'histoire du livre a rapidement constitué une province animée de l'histoire sociale et économique. En se développant, l'histoire du livre est devenue aussi celle des bibliothèques d'un temps et d'un lieu, traduisant les infléchissements culturels et l'histoire des publics du livre (4e chapitre). Composante de l'histoire des mentalités, l'histoire du livre a montré que les différenciations sociales peuvent être pensées également en écarts culturels. Enfin, avec le thème des derniers articles, l'auteur arrive à la définition d'une histoire globale. En complément de l'histoire des conditions et des techniques de production, l'accent est mis sur l'histoire des objets produits - dans leur évolution interne - et l'histoire des lectures, terrains où nombre d'enquêtes restent à mener.

Deux types d'études sont en fait rassemblés. On trouvera, d'une part, des articles qui traduisent la contribution d'H.-J. Martin au défrichement de grands secteurs. Plusieurs textes rappellent donc les longues recherches qu'il a menées sur le XVIIe siècle français, des travaux consacrés aux libraires parisiens (Cramoisy, Guillaume Desprez, libraire de Pascal et de Port-Royal, les libraires des bénédictins), à l'étude exemplaire sur les lecteurs grenoblois au milieu du XVIIe siècle d'après les registres du libraire Nicolas, en passant par l'analyse de la politique de Richelieu vis-à-vis du monde du livre. Mais H.-J. Martin a eu d'autres centres d'intérêt : l'apparition du livre à Lyon, la librairie française à la fin du XVIIIe siècle.

Dans ce recueil sont offerts, d'autre part, les articles de synthèse et de proposition à travers lesquels H.-J. Martin a orienté nombre de travaux. Citons la remarquable étude de 1975 sur « Culture écrite et culture orale. Culture savante et culture populaire », l'appel à une histoire de la lecture en 1982, l'examen du problème des tirages et de la mesure des succès littéraires en 1983.

Les deux textes inédits donnés en introduction et en conclusion de l'ouvrage constituent pour leur part l'histoire provisoire de la discipline. Sous-tendus par les préoccupations constantes de l'auteur : l'importance de la fréquentation matérielle du livre, la mise en texte et le rôle de l'image, la nécessité de défricher les sources du XIXe et du XXe siècle..., ils méritent une lecture particulièrement attentive.