Écrits pour nuire
littérature enfantine et subversion
Marie-Claude Monchaux
ISBN 2-905-086-114
Critique à la manière de M. Cl. Monchaux d'un roman pour enfants de 8 à 13 ans : Les Chimères du manoir perdu.
Paris : Editions Sang de la terre, 1987.
Dans un manoir isolé par une ceinture radio-active, un couple vit avec au coeur le désespoir de n'avoir jamais eu d'enfant. Mais, un soir, un étonnant petit être viendra. Puis, d'autres. De fabuleuses créatures-enfants, mi-hommes, mi-bêtes, qui vont bouleverser leur existence, mais aussi détruire l'univers des autres afin de protéger leur propre existence. Un ouvrage qui se veut un conte, mais qui est essentiellement un ouvrage idéologique. Les leçons insérées dans l'histoire le mettent en évidence. Exemple : « ...c'est ce que cela devrait être pour les gens comme nous, la tête devrait toujours dominer le corps ; la pensée devrait avoir le dessus sur nos instincts » ou, plus loin « Ecoute, dit l'homme qui ouvrait l'un de ses chers volumes, tu te souviens de cela ?
- Ils reviendront ces Dieux que tu pleures toujours
Le temps va ramener l'ordre des anciens jours
La terre a tressailli d'un souffle prophétique... »
L'idéologie sera donc l'un des critères qui retiendront le plus l'attention de l'analyste 1. Le message agréé ? Contester et détruire la société capitaliste occidentale contemporaine, d'une manière ou d'une autre 2. « Lorsque la cité et ses technologies furent détruites, les humains abasourdis durent apprendre pour survivre à se passer de l'effrayante assistance qui s'était chargée jusque-là et depuis si lontemps, de subvenir à tous leurs besoins au détriment de leur pensée. Pour la plupart, ils retrouvèrent les chemins des grottes et des habitations troglodytes, ils réapprirent à faire du feu avec des pierres et des morceaux de bois, ils se transmirent l'art précieux de construire une roue, de tailler des arcs et des flèches, de fabriquer un lance-pierres, un boomerang, une tente de branchages, une case de pisé. De toutes façons, il faut bien se dire que le monde des hommes a certainement dû recommencer plusieurs fois à zéro ! Ce ne sont pas les brouillons qui manquent ! »
La pauvreté sur le plan littéraire ne semble pas gêner l'éditeur 3 : « Elle regardait les rideaux qui frémissaient dans le premier vent du printemps aux fenêtres ouvertes comme des voiles de mariées... La cheminée, le guéridon avec la pipe de l'homme et son pot à tabac et sa corbeille à ouvrage à elle, où l'on apercevait des corolles de fleurs, qu'elle brodait sur une nappe comme des crocus rosés sur un peu de neige. Elle regardait le chat paisible sur son vieux coussin rose, le gros chien dans la niche peinte comme une maisonnette... »
Toutes ces riches comparaisons dans la même page ! Au talent, l'éditeur préfère le message. Parfois cela confine au comique ; mais les enfants ont-ils le sens de ce comique-là, quand des livres accumulent frénétiquement pêle-mêle dans un fourre-tout insensé tous les thèmes qui sont la tarte à la crème des éducateurs branchés 4 ?
« Eve avait vingt ans. Elle était enceinte, nous l'avions inséminée artificiellement avec plusieurs ovules fécondés, des différentes natures chromosomiques. Il faut savoir que c'est une opération infiniment délicate. La plupart du temps, presque tous les ovules, sinon tous meurent dans les trompes de la femme avant d'avoir atteint l'utérus et c'est l'avortement spontané de l'expérience... » Il est rappelé ici que l'ouvrage en question est pour les 8-13 ans !
Mais surtout les enfants sont gentils car tout est présenté pour qu'on ne les juge pas responsables mais victimes, victimes des grands, toujours 5.
« Elle se jeta sur les deux hommes avec une violence de mythologie, une cruauté fabuleuse. Le sphinx, le terrible sphinx de Thèbes n'était pas plus effrayant que ne le fut à cet instant Sylphe, pour délivrer son frère le centaure Gondal, la création artificielle des hommes de science, du filet de ces mêmes hommes qui allaient l'emprisonner.
Un moment elle fut le grand sphinx ressuscité. Elle attaqua des griffes et des dents, sa queue et ses ailes fouettaient l'air avec un bruit de vent qui ronfle en tempête, elle hurlait, elle déchiqueta avec une force d'airain les vêtements à l'épreuve des radiations dangereuses, et les chairs, et longtemps après, quand elle eut retrouvé son souffle, et son calme, et qu'elle eut léché ses plaies, quand Gondal et elle se furent longuement baignés et lavés dans la mer proche... ils cessèrent de trembler comme s'ils avaient froid.
- Qu'en ferons-nous ? dit Gondal tout bas sans la regarder.
- Il faut les jeter à la mer, dit Sylphe. Elle fit rouler les cadavres des deux savants, de marche en marche, du bout de sa patte. Ils s'abimèrent à jamais, avec leur secret, dans les flots que le soleil commençait de teinter de rose... Ils rirent tous les deux, amicaux, redevenus des enfants insouciants et gais qui jouaient dans les ruines ». Et déjà les mots excusent. Ils vont excuser tout le long, accablant au passage la société de consommation responsable 6... « Maintenant, ils prennent de pauvres petites filles de vingt ans et ils leur implantent des bébés-monstres dans le ventre pour voir... pour jouer! on dit toujours la science quand c'est pour jouer !... »
En fin de compte, nous avons là une littérature qui constitue une énorme, une convaincante incitation à la malfaisance 7. Cela suffit à certains enfants pour se dire qu'en effet nous vivons dans un monde insupportable d'oppression en Occident, cet Occident pourri dont on leur donne honte, dont on leur dit qu'il est un ramassis d'individus dégénérés à commencer par leur père 8. On leur dit dans les livres que le monde est mauvais et que les hommes ne sont pas bons. Mais en même temps qu'on le leur dit, on s'attache à démontrer que certains hommes ne sont pas bons, d'autres si, en raison de l'endroit politique ou social où ils se trouvent, et seulement en raison de cela 9. Si vous avez un enfant d'âge scolaire qui fréquente une bibliothèque municipale ou privée, ou à son école, allez, je vous en prie, voir dans sa chambre quel est le dernier roman qu'il a emprunté à cette bibliothèque, celui qu'on lui a remis quand il a demandé une « histoire ». Et si vous trouvez Les Chimères du manoir perdu, eh bien maintenant vous saurez ce qu'il y a dedans et connaissant le poison ce sera à vous de jouer... Comment ? en surveillant de très près ses lectures. Ne résiliez pas son abonnement à la bibliothèque mais accompagnez-le, renseignez-vous, parlez avec la responsable du département enfantin de cette bibliothèque. Demandez à voir les revues par lesquelles elle se renseigne, les fiches de chaque livre. Ensuite, eh bien lisez vous-même vaillamment le livre 10.
Précisons tout de suite que le roman ici analysé Les Chimères du manoir perdu n'est autre que le dernier ouvrage écrit par Madame Marie-Claude Monchaux pour la jeunesse et que toutes les phrases critiques ont été extraites de son livre Ecrits pour nuire : littérature et subversion. Seuls quelques mots de liaison ont été rajoutés pour la lisibilité de l'ensemble.
Que le lecteur nous pardonne pour ce petit jeu qui n'est pas gratuit mais simplement destiné à démontrer que le type de traitement critique employé par Madame Monchaux vis-à-vis des ouvrages de jeunesse peut s'appliquer à n'importe quel écrit, pour faire passer n'importe quel message, selon sa propre idéologie. Il est destiné également à montrer le ton d'une étude dite critique de la littérature enfantine, dont le projet est de prouver que « Dans la majorité des maisons d'éditions françaises contemporaines pour l'enfance et la jeunesse, un certain nombre de livres, attrayants... sont des ouvrages corrompus. Ils étalent une véritable pourriture morale... Des auteurs, des illustrateurs, des éditeurs pour enfants, partant de là des instituteurs, des professeurs, des bibliothécaires spécialisés dans la littérature enfantine et des critiques, analystes des ouvrages incriminés sont les véhicules de ces livres... Tout se passe comme si ces auteurs, ces responsables, ces éditeurs poursuivaient le but d'attiser la lutte, voire la haine des classes... » Les auteurs incriminés sont : Burningham, Golding, Grimaud, Härtling, Koechlin, Meynier, Pelot, Pinguilly, Poslaniec, Rosentiehl, Tournier, etc.
Ecrits pour nuire : un ouvrage dont la caractéristique principale est... l'absence. Un titre qui ne paraît incitatif que pour quelques masochistes en mal de lecture, une illustration qui rappelle fâcheusement certaines images des années 40, un logo qui n'est autre que celui de l'UNI * : tout est réuni pour que le lecteur sache dès la première page de couverture qu'il ne s'agit pas d'une véritable étude scientifique sur la littérature enfantine et que la subjectivité des propos sera de rigueur. L'étude du contenu de ce livre ne démentira pas cette présentation. Comment le caractériser ? S'agit-il d'un ouvrage de synthèse permettant de faire le point sur le rapport actuel de la littérature de jeunesse et de notre société ? Il n'en est rien. Une simple compilation d'extraits de livres de littérature enfantine - évidemment isolés de leur contexte -qui s'ajoutent en rafale les uns aux autres, rend la lecture particulièrement frustrante et ennuyeuse et ne démontre rien. La preuve : en utilisant la même méthode, nous pouvons faire critiquer par Marie-Claude Monchaux, avec ses propres termes. les romans dont elle est l'auteur.
Il s'agit donc peut-être d'une analyse ? Cela supposerait que les ouvrages cités et critiqués dans Ecrits pour nuire le soient selon un certain nombre de critères : leur rapport à la réalité, à l'imaginaire, à la sensibilité, à l'humour, la beauté de leur style, leur lisibilité en fonction de l'expérience enfantine, etc.
La réalité ? Pour Madame Monchaux, une seule thèse est défendable : la réalité doit être édulcorée car elle n'est pas supportable par l'enfant. L'imaginaire ? La lecture des Chimères du manoir perdu nous montre la technique préconisée : on propose à l'enfant un monde imaginaire de substitution qui l'enferme dans un espace bien clos, un espace-bulle dont il ne peut plus s'évader. La beauté du style ? Il n'existe dans l'ouvrage aucune analyse stylistique, aucune référence à la littérature, excepté peut-être quelques affirmations péremptoires sans argumentaire, je cite : « la bande dessinée n'est pas un genre littéraire »...
Quant à l'expérience du lecteur... Marie-Claude Monchaux aborde le processus d'identification du lecteur au héros mais c'est pour le confondre immédiatement dans un savant amalgame avec le concept d'incitation. Le raisonnement est simple, pour ne pas dire simpliste : le héros d'une histoire se drogue, il est sympathique, le lecteur l'aimera et par conséquent se droguera ! C'est une méconnaissance totale du phénomène de distanciation qui se produit dans l'acte de lecture. Tout se passe comme si pour Marie-Claude Monchaux, le processus d'identification était réducteur de liberté alors qu'il permet au contraire à l'enfant de se comprendre, de comprendre le monde qui l'entoure, de créer son propre espace et par conséquent de construire sa liberté. Quant à la catharsis, elle n'est pas évoquée dans Ecrits pour nuire.
Le seul critère retenu de façon permanente dans l'étude des extraits de livres cités est le critère idéologique, c'est-à-dire celui qui entraîne forcément la disparition d'un esprit critique objectif. L'auteur l'utilise pour dénoncer l'incitation par les livres de jeunesse à un certain nombre de perversités sociales : le vol, la drogue, le sexe, la destruction de la famille et de société, le suicide souvent confondu avec la mort involontaire puisque Burningham, Dumas ou Déon sont là cloués au pilori. (Par contre, le racisme, la torture, l'inégalité sociale, la violence des armes, le manque de liberté ne semblent pas poser de problèmes puisqu'ils ne font l'objet d'aucun chapitre).
Comment pourrait-on qualifier d'analyse critique une étude qui ne porte que des jugements moraux sur une littérature ?Ecrits pour nuire :
- n'est pas une étude scientifique sérieuse (nous n'en voulons pour preuve que la note de la page 123 qui se réfère à des statistiques de...1970) ;
- n'est pas un ouvrage de synthèse qui fait progresser notre réflexion ;
- n'est pas. une véritable analyse d'oeuvres.
Il reste un pamphlet épidermique et sans intérêt mais porté par un courant actuel qui ne semble pas savoir qu'un enfant est avant tout ce qu'il est et non pas ce qu'on voudrait qu'il soit, et qui paraît avoir oublié que l'éducation c'est l'apprentissage du bonheur, bonheur collectif certes mais aussi bonheur individuel.
D'ailleurs, encore une absence dans Ecrits pour nuire: l'expression « plaisir de la lecture »...