L'école d'été (septembre 1986)

Catherine Giffard

« Les logiques sociales, économiques et politiques à l'œuvre dans les industries de l'information ». Tel était le thème du 4e cours de l'Ecole d'été de science de l'information, organisé par le ministère de l'Education nationale, sous la responsabilité de Bernard Miège, directeur du GRESEC à l'université de Grenoble 3 (Groupe de recherche sur les enjeux de la communication). Pour définir le domaine exploré, on peut dire qu'il occupe un espace délimité par deux axes perpendiculaires :
- sur l'axe horizontal, figureraient divers produits (presse, banques de données, télématique...), issus d'industries regroupées sous le nom d'industries de l'information ;
- sur l'axe vertical, figureraient les types de lecture, ou d'analyse utilisés pour décrire ces produits : analyse économique, sociologique, politique, culturelle, économique...

Les éléments de connaissance apportés se situent aux multiples croisements de chacun des points de ces deux axes. L'objectif poursuivi par le cours n'était donc pas la mise en lumière d'une loi générale, d'une explication globalisante du phénomène de l'information; la réflexion procédait plutôt par éclairage successif des points où se rencontrent l'une ou l'autre de ces analyses et l'un ou l'autre de ces médias, afin de mettre en évidence les différentes logiques qui sous-tendent chacun de ces secteurs.

Comment s'orienter à travers tous ces carrefours ? On peut suivre un fil d'Ariane : celui de l'approche économique. Elle a en effet été privilégiée par plusieurs des intervenants. Certes, les interventions venaient d'horizons différents et les analyses portaient sur des acceptions différentes du concept d'information. Toutefois, il est possible de les regrouper en trois strates distinctes, de la plus générale à la plus spécifique.

Logiques économiques de l'information

- Il s'agit tout d'abord, des théories de la société informationelle. Ainsi, Herbert Schiller, de l'Université de Californie à San Diego, a mis en lumière les enjeux politiques de l'industrialisation de l'information : l'âge de l'information se traduit en termes de dépendance économique et politique pour la majorité des Etats et de dépendance culturelle pour la majorité des individus.

Par ailleurs, les recherches menées par M.V. Porat aboutissent à une théorie macroéconomique distinguant, au sein des sociétés occidentales, un fort secteur informationnel, caractérisé en termes d'emplois et de flux marchands ou non marchands.

- Si l'analyse économique descend à un niveau plus spécifique et s'intéresse à l'information comme élément du marché, des théories de l'information apparaissent.

Chez les économistes classiques et néo-classiques, l'information est un des rouages du marché : elle permet à tous les agents économiques d'être parfaitement informés du contexte dans lequel s'inscrivent leurs décisions ; elle est disponible instantanément et gratuitement.

Pour les économistes marxistes, l'information se rattache aux forces productives : la science est une des forces productives ne coûtant rien au capital.

Progressivement, sont isolées les caractéristiques qui interdisent de faire de l'information un bien marchand comme les autres (K.J. Arrow, K.E. Boulding, J. Marschak) : lorsqu'on vend une information, on ne s'en sépare pas; les lois du marché sont impuissantes à déterminer la valeur d'une information, ou une quantité d'information...

- Autour des années 60, se font jour des théories sectorielles de l'information : il s'agit alors d'économie appliquée. C'est dans ce courant que s'inscrivent les recherches actuelles du GRESEC.

Dans un premier temps, une typologie des produits a été établie, en distinguant pour chacun les éléments constitutifs : matériels, réseaux, contenus informationnels.

En s'attachant au secteur des industries de programme, le GRESEC met en évidence des logiques de fonctionnement tout à fait hétérogènes : chaque type de produit obéit à une logique différente et l'on peut ainsi caractériser la logique de l'édition (ouvrages), la logique de flot (programmes radiodiffusés), la logique de la presse écrite... Parallèlement, l'étude de quelques médias est menée de façon plus approfondie : la presse écrite, les banques de données, la télématique...

Dans ces théories, qu'elles soient de type macro ou micro-économique, l'interrogation « que coûte l'information ? » est présente. Les théories macro-économiques posent le problème en termes de coût ou de rentabilité du secteur informationnel, par rapport au secteur productif; une analyse mathématique est proposée par J.-L. Peaucelle pour calculer la rentabilité d'un système d'information; enfin, au cours de l'une des tables rondes, il est rappelé que l'obligation de payer l'information n'est pas apparue avec les nouvelles technologies : nous payons déjà l'information, souvent sans le savoir, car cela est fait de manière indirecte; nous payons les journaux par la publicité (et non pas par le prix d'achat dérisoire), la radio et la télévision par la fiscalité (et la publicité), un service d'information comme SVP en prenant un abonnement de l'ordre de 20 000 F par an.

Place des médiateurs

En contrepoint de ces analyses, de type économique, d'autres modes d'approche étaient proposés. La réflexion a notamment porté sur la place réservée aux médiateurs dans les mutations en cours.

Les professions traditionnelles (bibliothécaires et documentalistes) se transforment : l'introduction des nouvelles technologies dans les bibliothèques et les centres de documentation permet de réduire l'importance des tâches techniques au bénéfice des tâches de service public; la formation que reçoivent les documentalistes s'ajuste mal avec les compétences que les entreprises exigent d'eux.

Dans la nébuleuse des intermédiaires, de nouveaux acteurs apparaissent : sociétés spécialisées dans l'interrogation des banques de données et le traitement de l'information, journalistes spécialisés en télématique...

A l'heure du bilan, on peut ajouter ceci :

Ecole d'été, certes, mais pas vacances; la réflexion a été intense, permettant à chacun d'enrichir sa pratique professionnelle d'un solide arrière-plan théorique et d'une mise à jour de ses connaissances techniques, mais également de suivre les perspectives qui s'ouvrent à l'heure actuelle. De plus, pour valoriser les enseignements dispensés, approfondir la réflexion entreprise et élargir le cercle des personnes concernées, un manuel est en cours de réalisation, destiné à un public de non spécialistes.

Au regard des objectifs à long terme de développement de la recherche en science de l'information, ce 4e cours représentait un pari : une équipe de recherches sur la communication (le GRESEC) tentait la transposition de ses analyses et de ses grilles de lecture sur un secteur connexe, l'information. Le pari a été tenu, permettant de poser des jalons dans un secteur où la recherche est encore très faible.