Il Lettore ostinato

libri, biblioteche, scuola, mass-media

par Alban Daumas

Antonio Faeti

Franco Frabboni

Florence : La Nuova italia, 1983. -146 p.; 21 cm.
ISBN 88-221-0076-X.

Malgré les atteintes incessantes dont il est l'objet, le livre trouve encore des millions de lecteurs. Des dizaines de milliers de titres sont édités dans une présentation variée, attractive et sont achetés partout parce que vendus en de multiples endroits, là où le public se presse. Les publics devrait-on dire car nous sommes loin désormais des lecteurs d'autrefois - érudits, chercheurs, étudiants, bourgeois cultivés : toutes les couches sociales sont atteintes, attirées irrésistiblement par ce qui reste et restera le meilleur moyen de communication, de connaissance, de transmission du savoir, l'imprimé.

Pourtant la survie du livre n'est pas définitivement acquise et ses admirateurs, il en reste beaucoup, pensent que pour lui aussi la meilleure défense c'est l'attaque. Alors comment faire ? Eh bien il faut retrouver les façons d'être et les lieux qui permettront une utilisation dynamique du livre, restitué à des bibliothèques efficaces et nombreuses. Des bibliothèques nouvelles qui imaginent et mettent en place une signalisation gaie et claire, des locaux vastes et tranquilles, un mobilier fonctionnel, des rayonnages où les collections seront toutes (ou presque) en libre accès; des bibliothèques qui multiplient les initiatives et les actions constructives vers leurs usagers, qu'ils soient potentiels ou réels. Des bibliothèques qui feront partie d'un réseau diffus, varié et évolutif, et qui seront assez nombreuses pour que chacun puisse s'y rendre facilement sans obstacles, sans contraintes avec au cœur l'envie de se distraire, l'envie d'apprendre, le besoin de savoir, la soif de la lecture. Pour des lecteurs obstinés, là où il faut, partout où il faut : les livres qu'il faut.

Pédagogie de la quarantaine

Pour en arriver là ce ne sera pas une mince affaire car en Italie (comme dans bien d'autres pays, il faut le dire sans honte) les bibliothèques sont depuis longtemps, selon une formule désormais à la mode, en retraite anticipée. Bien plus, elles sont aussi en quarantaine d'une part institutionnelle puisque les différentes politiques culturelles (au vrai presque toujours semblables) des gouvernements successifs, courtisent avant tout et presque exclusivement la consommation de masse et prennent en considération l'éphémère et le clinquant plutôt que la permanence et le sérieux, et d'autre part pédagogique puisque l'enseignement se fait sans et en dehors des bibliothèques !

Ainsi les bibliothèques sont exclues de la transmission culturelle et cet ostracisme, il faut le dire et le répéter, a plusieurs causes. C'est l'école qu'il faut accuser en premier : l'école telle qu'elle est organisée actuellement. Car à l'appareil culturel qu'elle propose et véhicule on peut faire de nombreux reproches : l'école perpétue une structure verticale et hiérarchique, fruit d'un centralisme bureaucratique d'état qui depuis toujours contrôle l'enseignement jusque dans les plus petites communes des provinces les plus reculées; l'école donne de la culture une vision autarcique, coupée de la réalité, une culture divisée, fractionnée car il y a de par la volonté politique des législateurs une séparation nette entre le temps passé à l'école par l'enfant et celui passé hors de l'école.

Pourtant tout le système actuel de formation scolaire passe par le livre mais il s'agit d'une sorte, (d'une catégorie) détestable de ce merveilleux moyen de connaissance, il s'agit du manuel. L'affreux, l'horrible manuel, monarque absolu de l'éducation officielle dont l'école est la sentinelle fidèle, véhicule et témoin en même temps de l'inactualité historique, de la pédanterie linguistique et de l'indigence scientifique. Il est l'expression d'un savoir au souffle court car il est fabriqué pour être vendu. N'oublions que son succès (en Italie) est véritablement décrété car il lui suffit d'être adopté par une commission ministérielle et recommandé au corps enseignant et aussitôt le voilà acheté de partout les yeux fermés. Peu importe le contenu, il est « le manuel officiel » celui que le maître a dit qu'il fallait avoir, celui qu'il faudra apprendre par cœur. Il est évident que la philosophie de la connaissance (quelle dérision) empaquetée dans le manuel est en contradiction parfaite avec la théorie de la culture dont la bibliothèque est le fondement et on comprend alors le déclin des bibliothèques dans les pays où l'enseignement est bien souvent encore basé sur les mêmes principes et les mêmes fausses idées culturelles que ceux qui avaient cours à la fin du XIXe siècle.

Le lecteur pris au piège

Le deuxième accusé dans le procès que l'on pourrait faire aux ennemis du livre et des bibliothèques c'est l'industrie culturelle, progressivement, insidieusement mise en place par un système économique où les plus riches et les plus puissants dominent sans réserve. Les objectifs de cette industrie culturelle sont clairs : il faut qu'elle ait des consommateurs boulimiques mais non actifs ni inventifs. Nous connaissons tous les médias pseudo-culturels imposés de nos jours à l'usager ordinaire, à l'homme quelconque (l'uomo qualunque). Celui-ci devient le prisonnier de séquences préfabriquées dont d'autres que lui décident quand, où, avec qui et comment il doit les utiliser. Avec comme résultat une passivité profonde qui fait de lui un objet de capture idéologique facile, un spectateur impotent sans cœur et sans cervelle. Un homme (mais est-ce encore un homme ?) prêt à dire toujours oui aux offres du marché, à l'information parcellisée, aux modèles stéréotypés, à une logique culturelle qui va vers l'unicité au lieu de prôner le pluralisme. L'impérialisme des loisirs de masse faiblement combattu par la politique des gouvernants écrase l'émergence d'une demande culturelle qui voudrait parcourir les chemins alternatifs proposés par le livre. Rien de surprenant donc si en Italie les bibliothèques en général sont dans un triste état. De ce point de vue, ce pays qui au siècle de la Renaissance comptait tant de villes riches et commerçantes, tant d'artistes, tant d'imprimeurs et de librairies, est devenu une contrée pauvre, du Tiers Monde comme l'on dit encore.

Bibliothèques contrepoisons ?

Dans leurs attaques contre le système culturel existant dans leur pays, les deux auteurs n'y vont pas de main morte. Pour redresser une situation détestable et retrouver un niveau décent ils mettent en avant essentiellement deux moyens : le développement harmonieux, planifié d'un réseau ramifié des bibliothèques, la promotion du livre et de la lecture dans tout le système éducatif proposé aux enfants et aux étudiants comme dans l'offre culturelle orientée vers les adultes. Seules les bibliothèques, si elles sont suffisamment nombreuses et développées, peuvent servir de contrepoison à la pseudo-culture quasi obligatoire des médias dits audio-visuels. Elles sont le seul moyen pour se désintoxiquer idéologiquement face aux structures narratives et péniblement itératives des bandes dessinées et des séries télévisées. Dans cette perspective les bibliothèques deviennent des institutions permettant la formation (l'auto-formation même peut-on dire) de leurs usagers à l'égal et en même temps que les pinacothèques, les laboratoires et les musées.

Tout ceci pose le problème des bibliothécaires et de leur formation. C'est une chose bien connue en Italie (comme dans d'autres pays) on demande beaucoup au bibliothécaire gestionnaire d'une petite ou d'une moyenne bibliothèque. Peu formé, ayant parfois un statut précaire et souvent un emploi à temps partiel, il doit pourtant être à la fois un animateur culturel, un catalogueur, un magasinier, un technicien audio-visuel et bien d'autres choses encore. Ces professionnels arlequins ne doivent plus exister; le métier de bibliothécaire et celui d'animateur culturel sont deux choses bien différentes qui réclament une attitude et un professionalisme spécifiques. La formation des bibliothécaires est toute à revoir, à réorganiser : s'il n'existe pas une profession fortement organisée, définie, reconnue dans son rôle primordial et unique, il y a alors dépérissement et dégradation des bibliothèques, patrimoine collectif du pays, précieuses et fertiles ressources pour la culture populaire, pour l'information démocratique de tous. Pas de bibliographie malheureusement dans ce petit livre mais des références en bas de page où des auteurs français sont assez souvent cités.