Quand les mythes sont mités

Les neuf mythes de l'informatisation des bibliothèques

Kevin Hegarty

L'examen des « neuf mythes » de l'informatisation des bibliothèques permet à l'auteur d'analyser les objectifs et les modalités de l'informatisation. Il rappelle que l'informatisation, pour réussir, appelle une réorganisation des services et qu'elle permet de réaliser réellement des économies, des gains de productivité et une gestion plus rationnelle. L'auteur met en cause quelques idées reçues : catalogues en ligne, rôle des consultants, format MARC, systèmes clés en main. En conclusion, il insiste sur la nécessité pour les bibliothécaires de prendre en charge leur automatisation et de se former à l'informatique.

Through the study of the nine myths of library automation, the author can perceive the objects, the terms and conditions of automation. He points out the need for a restructuration of the services and the fact that automation induces some money saving and productivity improvement; automated libraries can also achieve a rationalization of their management. The author fights with some prevailing ideas : online catalogs, role of the consultants, MARC, turnkey systems. He finally insists on the need for librarians to undertake their automation and come to grips with the new technologies.

« Il y a quelque chose de « pourri au royaume de l'informatisation » ... Telle est la conclusion qui se dégage des propos décapants d'un vieux routier de l'automatisation. Outre-Atlantique, aurait-on parfois informatisé pour informatiser ? L'informatisation donnerait-elle lieu à de gigantesques fantasmes collectifs ? Il est permis de poser ces questions impies au vu des mythes allègrement mis en pièces par Kevin Hegarty.

Qu'on se rassure : ce n'est pas au pays de Descartes qu'il pourrait se passer des choses pareilles - ou, du moins, qu'on oserait en faire état. Au fond, tout n'est jamais qu'une question de vocabulaire même s'il n'y a qu'à Tacoma qu'on ose appeler chat un chat...

Des centaines de systèmes ont été implantés dans les bibliothèques au cours des dix dernières années ; cependant la littérature professionnelle, à l'exception de cinq ou six articles, est restée étrangement silencieuse sur les coûts comparatifs des systèmes automatisés, semi-automatisés ou manuels. Avant de prendre son poste, Don Sager, actuellement directeur de la bibliothèque publique de Milwaukee, a mené pendant toute une année une recherche sur l'informatisation des bibliothèques en tant que chercheur à l'OCLC. Certains de ses résultats sont fort intéressants.

Au cours du congrès de l'ALA (American Library Association) tenu à Denver pendant l'hiver 1982, Don Sager a organisé une série d'entretiens collectifs réunissant plus de 100 responsables de bibliothèques; cet échantillon représentait toutes les tailles de bibliothèques sur l'ensemble des Etats-Unis. Certains disposaient déjà d'un système de prêt automatisé, d'autres non, mais tous visiblement, s'étaient déjà intéressés à la question.

Bizarrement, aucun des responsables ayant déjà informatisé leur système de prêt ne déclara l'avoir fait dans le but de faire des économies ! Les autres n'attendaient pas de l'automatisation qu'elle puisse les aider sur ce chapitre. Ceci nous amène au premier mythe de l'informatisation, mythe que je souhaite démystifier.

Mythe n° 1

Informatisation <> économies

Ces mêmes directeurs de bibliothèques en attente d'automatisation étaient convaincus que celle-ci entraînerait un surcroît de dépenses et ils se demandaient à combien s'élèveraient ces coûts par rapport à leurs dépenses actuelles. Il faut se souvenir qu'à ce moment-là, janvier 1982, les bibliothèques étaient au creux de la récession économique la plus forte jamais enregistrée depuis les années 30, contraintes à des réductions d'horaires et de personnel, laissant stagner les fonds et se détériorer les bâtiments. Et pourtant, selon D. Sager, les responsables de bibliothèques s'embarquaient, en pleine période de pénurie, dans des dépenses accrues pour l'informatisation sans en espérer la moindre possibilité de faire des économies. D. Sager en tire la conclusion qu'il ne faut pas s'attendre à faire des économies lorsqu'on achète un système de prêt automatisé.

Je m'inscris en faux contre une telle opinion. Même si le souci de réaliser des économies n'était pas la principale préoccupation des responsables de la bibliothèque de Tacoma lorsqu'ils prirent la décision d'automatiser le prêt, cette mesure n'en a pas moins permis de réaliser des économies qui, en dollars 1977, s'élèvent en moyenne à 115 000 dollars par an.

Tacoma n'est qu'une exception ? Cela dépend. En janvier 1954, une assemblée distinguée, composée des directeurs de bibliothèques desservant des métropoles, a élaboré les Normes pour les bibliothèques publiques. Ces normes ont été largement suivies dans tout le territoire des Etats-Unis. Tacoma, dans la foulée, a appliqué ces normes aveuglément, recrutant fièvreusement et bouleversant la pyramide des emplois, tant et si bien qu'en 1975 on y comptait 35 bibliothécaires sur un effectif total de 95 personnes. Aujourd'hui nous en avons 22 ! L'application des normes débouchait finalement sur du personnel en surnombre et sur une diversification trop poussée, ce que ne justifient pas les charges de travail actuelles de la bibliothèque.

L'introduction d'un système de prêt automatisé ne signifie pas seulement l'informatisation des différentes fonctions et procédures de prêt. L'automatisation a une incidence certaine sur tous les services de la bibliothèque, prêt, référence et services techniques. C'est l'organisation de la bibliothèque dans son ensemble qui sera modifiée du fait de l'automatisation du prêt et tout le système de fonctionnement devra être redéfini de A à Z.

A Tacoma l'informatisation du système de prêt nous a permis de supprimer cinq postes : par la suite, avec la mise en place d'UNIFACE, un ensemble de logiciels de micro-informatique faisant l'interface entre le service bibliographique (WLN) et le système de contrôle des prêts (qui établit également cartes et bordereaux et gère la comptabilité), nous avons encore supprimé un poste. Les coûts d'entretien et de maintenance de notre système restent inférieurs au montant des économies que l'informatisation nous fait faire chaque année.

Je reviens au rapport de recherche (non publié) de D. Sager. Un des buts poursuivis lorsque les bibliothèques décidaient d'automatiser leur système de prêt était l'effet escompté sur les vols. Ceci pourrait s'énoncer comme suit :

Mythe n° 2

Automatisation = dissuasion

Là aussi la littérature professionnelle est curieusement muette. Il n'existe pas d'étude publiée précisant le taux de pertes enregistrées par une bibliothèque - documents prêtés qui ne reviennent pas - avant et après l'informatisation. Même les directeurs de bibliothèques interviewés par D. Sager n'avaient pas évalué leurs disparitions. Les estimations générales, qui situent le taux de perte dans la plupart des bibliothèques publiques entre 1 et 2 %, sont des estimations faites à la louche. Ce taux peut toutefois varier d'une bibliothèque à l'autre et, dans certains cas, de façon significative, en fonction de la politique des établissements.

Tout récemment, une bibliothèque du voisinage évaluait le pourcentage de ses disparitions à 10 % - un chiffré renversant. En 1975 la bibliothèque de Tacoma estimait que les disparitions représentaient 5% des prêts. Ce score est moins consternant que celui de notre voisin mais il est tout de même significatif. En 1983 le taux des disparitions était de 0.75 % et, pour 1984, nous tablons sur un taux de 0,50 %.

Que s'est-il passé ? Cette évolution est, pour une grande part, à porter au crédit du système automatisé gérant les prêts, dans la mesure où il nous a donné des informations pertinentes nous permettant de contrôler la gestion, nous disant exactement combien d'ouvrages prêtés ne revenaient pas, etc. Fort de ces informations, j'ai proposé au conseil municipal de rédiger un règlement plus rigoureux, stipulant que la détention illégale d'ouvrages appartenant à la bibliothèque serait considérée comme un délit passible d'amendes plus élevées. Généralement un arrêté est accepté - ou repoussé - en première ou en seconde lecture. Cet arrêté particulier n'est passé qu'à la quatrième lecture. Certains membres du conseil municipal s'inquiétaient à la perspective de voir incarcérer des enfants qui gardaient indûment les ouvrages de la bibliothèque. Pendant ce temps, les médias mettaient en épingle l'importance de nos disparitions et, au même moment, nous décrétâmes une période d'amnistie. Toute cette histoire eut le résultat escompté et nos disparitions diminuèrent - momentanément. Après un certain temps, tout redevint comme avant. En 1981 le conseil mit en place tout un système de récupération des ouvrages et le personnel se mit à faire la chasse aux lecteurs qui oubliaient systématiquement de rendre leurs livres : la vérification de l'identité et de la résidence des emprunteurs se fit de façon plus rigoureuse. Toutes ces mesures ont joué un rôle dans la diminution appréciable de nos disparitions.

Dura lex sed lex

La bibliothèque publique de Dallas faisait savoir récemment que le nombre d'ouvrages rendus en dehors des limites du prêt et que les amendes sur les retards étaient presque trois fois moins importants qu'en 1983. Que s'est-il passé ? La bibliothèque a convaincu le conseil municipal de modifier les tarifs des amendes imposées sur les ouvrages en retard et de les porter à 50 dollars par jour; ceci pour s'attaquer à l'arriéré des quelque 600 000 ouvrages manquants et des quelque 14 000 voleurs caractérisés. Sur la base de 10 dollars par ouvrage, en moyenne, ce « trou » de 6 millions est littéralement affolant.

Même dans la petite ville de Page, en Arizona, les difficultés de la bibliothèque ont amené le conseil municipal à prendre un arrêté imposant une amende de 300 dollars et 30 jours de prison à quiconque ignorerait délibéremment les réclamations d'ouvrages en retard. L'arrêté a été abrogé au printemps dernier, mais pas avant d'avoir eu l'effet escompté. Dans son numéro d'avril 1984, American Libraries relate le cas de la bibliothèque du comté de Cumberland à Fayette-ville (Caroline du nord). L'attorney du comté avait retenu des charges criminelles contre quinze emprunteurs délinquants et avait émis un mandat d'arrêt contre quinze autres. Les journaux locaux, Observer et Times, ont fait de gros titres à propos du juge de district qui a condamné une jeune fille de 17 ans à une amende de 50 dollars plus 35 dollars de frais de justice. Le délit pour lequel elle a plaidé coupable était de n'avoir pas rendu à la bibliothèque cinq ouvrages - valant en tout 57,78 dollars - sur les vitamines et la santé. Elle a restitué les livres pendant que sa mère payait l'amende. Une autre femme reconnue coupable du même délit - il s'agissait de douze ouvrages valant au total 137,38 dollars - a été traduite devant une cour criminelle. Elle risque une peine pouvant aller jusqu'à dix ans de prison.

Ce n'est pas une coïncidence si les trois bibliothèques citées en exemple ont toutes les trois automatisé leurs prêts. L'informatisation a fourni les éléments qui ont permis à chaque directeur de prendre des mesures de contrôle rigoureuses et de réduire les taux de non-retour. Un système informatisé en lui-même ne réduira pas l'importance des disparitions; il ne le permettra que s'il est épaulé par la ferme volonté d'un responsable et par l'application de mesures adéquates.

Les interviews menées par D. Sager ont également fait ressortir qu'il n'existait pas d'études analysant l'incidence de l'automatisation sur le budget des bibliothèques. En d'autres termes, ces entretiens n'ont pas permis de démontrer que l'automatisation permettait aux responsables de faire meilleur usage de leur budget d'acquisitions. Ce qui nous amène au mythe numéro 3.

Mythe n° 3

Budget : l'informatique, à quoi ça peut bien servir ?

Alors que les recherches de D. Sager vont dans le sens de la mythologie déjà établie, ma propre expérience d'automatisation est radicalement différente. Informatiser la gestion des prêts permet au responsable de la bibliothèque de répartir rationnellement les crédits d'acquisitions, tout cela en fonction du contenu et du nombre de comptes rendus de gestion prévus lors de l'informatisation. Notre système actuel comporte une série de rapports décrivant dans le détail l'évolution des différentes classes Dewey. Ces statistiques donnent le nombre exact de documents empruntés dans chacune d'elles; en même temps le système nous sort, comme il en a la possibilité, le nombre de documents (titres et exemplaires) existant dans chacune de ces divisions. Si vous souhaitez diriger réellement votre bibliothèque, si vous voulez être en mesure de jouer sur la répartition du moindre dollar, lorsque vous préparerez votre appel d'offres et que vous rédigerez le cahier des charges en vue de l'automatisation, ne manquez pas d'exiger la sortie d'états statistiques sur la gestion. Cette possibilité (ou impossibilité) devrait constituer un facteur de choix décisif parmi les différentes propositions qui vous seront faites.

Mythe n° 4

L'informatique n'économise pas de personnel...

Sager n'a trouvé aucun article paru depuis dix ans démontrant que les bibliothèques ayant automatisé leurs prêts pouvaient se passer de personnels supplémentaires si le volume des prêts augmentait. La chose est peut-être exacte en ce qui concerne la littérature publiée mais notre expérience va dans un tout autre sens. En 1982, les effectifs de la bibliothèque de Tacoma représentaient l'équivalent de 91,5 postes à temps plein et le total des prêts s'élevait à 1 375 000. L'année suivante on comptait 91 postes et 1 596 000 prêts; en 1984, en raison des restrictions budgétaires, nos effectifs ne représentent plus que 85 postes et le montant des prêts s'établit, par extrapolation, à 1 724 000.

Mythe n° 5

... et n'a aucun effet sur le rendement

En 1983 plusieurs membres des personnels technique et administratif de Tacoma ont séjourné longuement dans une bibliothèque publique d'importance appréciable à l'occasion de l'implantation d'UNIFACE, qui est un système d'interface. La comparaison que je me propose de faire ne suppose pas que tous les éléments soient comparables entre les deux établissements; néanmoins, compte tenu des différences, j'estime que cette comparaison reste valable. En 1983 la bibliothèque de Tacoma a dépensé une somme totale de 603 000 dollars pour acheter et pour traiter la totalité des documents entrés à la bibliothèque (y compris les périodiques). Neuf personnes travaillant à temps plein étaient affectées à cette tâche. Parallèlement ce grand établissement canadien dont je tairai le nom dépensait 925 000 dollars pour les acquisitions et le traitement; dans cette bibliothèque, ces tâches requéraient l'intervention de 56 personnes employées à temps plein...

Pourquoi une telle différence ? A cause de l'informatisation et de la volonté de reconnaître que celle-ci permet à une bibliothèque de réduire le coût des tâches techniques. Si les bibliothèques veulent sortir du dilemme « matière » (dépenses d'acquisitions)/« façon » (dépenses de personnel), elles devront s'attaquer à ce problème des coûts prohibitifs en personnel.

L'informatisation peut et doit permettre de réduire les coûts des tâches techniques et les économies qui en découlent doivent être redistribuées, soit directement en augmentant les budgets d'acquisition et de traitement des documents, soit indirectement en réaffectant le personnel disponible au service public. Je suis personnellement partisan de la première solution, qu'il s'agisse d'une bibliothèque publique ou d'une bibliothèque universitaire. Toutes les économies faites au niveau de la productivité peuvent être répercutées sur les services rendus et les améliorer.

Mythe n° 6

Le catalogue en ligne Il existe, je ne l'ai pas rencontré

Le catalogue en ligne existe. Dans toute l'Amérique du Nord s'organisent des séminaires, travaux divers, sessions préparatoires, réunions plénières, groupes d'études, tous célébrant à l'envi la gloire et les merveilles du catalogue en ligne. Très vraisemblablement, n'importe quel système de gestion des prêts comportant les clés d'accès normalisées -auteur, titre, sujet - pourra être considéré comme un catalogue en ligne, du moins tant qu'il ne sera utilisé que par le personnel de la bibliothèque. C'est une autre histoire si l'on parle de catalogue en ligne accessible au public. Présentant le marché des systèmes automatisés de bibliothèques en 1983, Joe Matthews notait que « 475 systèmes « clés en mains » avaient été installés de par le monde à la fin de 1983. Sur ceux implantés au cours de l'année, 51 % (un pourcentage équivalent à celui de l'année précédente) comportaient plus de 17 terminaux. Pourtant la majorité des systèmes installés sont de taille relativement réduite, les deux tiers comptant 16 terminaux ou moins; 34 % des systèmes en place comportent huit terminaux ou moins ».

J'ai souvenance de m'être bienégayé, il y a déjà plusieurs années, à la lecture de la communication présentée par une petite bibliothèque de collège au Texas; celle-ci commençait par déclarer qu'elle proposait le premier catalogue en ligne du monde universitaire. Je lus ensuite l'article en détail: la bibliothèque disposait en tout et pour tout de huit terminaux !

La plupart des systèmes de base pour la gestion du prêt n'ont jamais été conçus pour constituer des catalogues en ligne accessibles au public. Soit ils ne comportent pas d'entrées par sujet et, dans ce cas, ils ne correspondent pas à la définition d'un catalogue; soit ils n'ont pas la puissance nécessaire pour supporter le nombre de terminaux indispensables à l'utilisation du catalogue en ligne par le public. Même le soi-disant catalogue en ligne de notre bibliothèque texane vit la vocation de ses huit malheureux terminaux contestée par ... le vendeur; ce dernier fit savoir qu'il ne donnait aucune garantie d'entretien s'ils étaient utilisés commes tels.

Les affirmations des vendeurs sur les performances de leurs catalogues en ligne me laissent sceptique pour plusieurs raisons :
- La plupart de ces systèmes n'ont pas été conçus au départ comme des catalogues en ligne; ce sont des systèmes de gestion des prêts, purement et simplement. Les autres systèmes ne comportent pas les entrées nécessaires pour pouvoir être qualifiés de catalogues.
- Comme ils n'ont été ni conçus ni vendus comme des catalogues en ligne pour le public, il est peu vraisemblable qu'ils soient assez puissants pour pouvoir faire face à la multiplication du nombre d'interrogations sans allongement des temps de réponse supportables.
- Je ne me sentirais pas tranquille si je devais avoir sur le même mini-ordinateur un catalogue en ligne cohabitant avec un système de gestion des prêts; ce mini-ordinateur devrait être infaillible ou avoir une grande marge de tolérance pour les erreurs. Il existe des systèmes sur minis qui prétendent au titre de catalogue en ligne - CLSI, ULISYS, GEAC, DRA, etc. A ma connaissance, aucun d'entre eux ne gère un nombre appréciable de terminaux.

Small is not beautiful

Il existe des systèmes basés sur une unité centrale gérant de nombreux terminaux. Mais nous entrons là dans des coûts qui excèdent largement les possibilités financières d'une bibliothèque moyenne universitaire, publique ou scolaire.

Hugh Atkinson, directeur de la bibliothèque de l'Université de l'Illinois, considère que « la complexité croissante des systèmes de télécommunications va développer l'utilisation des mini-ordinateurs en bibliothèque. L'argumentation des partisans du mini-ordinateur est séduisante, le mini-ordinateur semblant représenter un substitut, meilleur marché, aux systèmes lourds. Il est vrai que les progrès réalisés tant au niveau du stockage que du traitement ont été phénoménaux tout comme au niveau de la miniaturisation. A l'heure actuelle certains mini-ordinateurs sont plus performants que les configurations les plus lourdes il y a vingt ans ».

Voire, mais la difficulté tient à ce que les besoins reconnus et le nombre de données nécessaires ont fait des progrès encore plus rapides que ceux de la miniaturisation. On parle actuellement en billions de caractères en mémoire avec des temps de réponse quasi instantanés. Les mini-ordinateurs déterminent eux-mêmes les limites à leur utilisation dans la mesure où il devient plus coûteux de les chaîner en série que d'acheter une grosse unité. En fait, pour constituer une base de données d'importance raisonnable, certains mini-ordinateurs utiliseraient toute leur puissance uniquement pour composer des séries.

D'ores et déjà on envisage des systèmes qui ne se contenteraient pas de donner l'information contenue dans des catalogues, des états de collections ou des enregistrements des prêts, mais qui informeraient sur la page de titre, sur les index et sur la reliure de chaque ouvrage. À moins d'une percée technologique encore plus foudroyante, le mini-ordinateur ne me paraît pas appelé à remplacer les grosses configurations. Même si leurs coûts chutent, il faudra néanmoins rester très prudent quant à la possibilité de relier plusieurs minis de manière à permettre l'interrogation en ligne à partir de n'importe quel point du réseau.

A Tacoma on a déjà donné

La bibliothèque de Tacoma entre dans la catégorie des bibliothèques « moyennes à grandes » avec une base de données de 250000 titres, 600000 exemplaires et 65 000 inscrits. Notre système consiste en un Data Phase ALIS-I, Data General Eclipse S-250, avec une mémoire centrale de 3/4 de mégabyte, 38 terminaux en ligne et une mémoire sur disques de 900 mégabytes. Nous frôlons dangeureusement la saturation pour ce qui est d'ajouter quelques terminaux supplémentaires. Un catalogue en ligne accessible au public est au-delà de nos possibilités.

En 1977 un système de gestion des prêts a été acheté. Il s'agissait pour l'époque d'un système de pointe, tournant sur un des plus gros mini-ordinateurs disponibles sur le marché avec un nouveau logiciel complètement révolutionnaire. Depuis 1975 l'industrie de l'informatique a opéré une mutation fantastique; notre logiciel, qui a maintenant sept ans n'a plus rien de révolutionnaire et serait plutôt complètement dépassé. En outre notre système de connexion entre les terminaux des 7 annexes et le mini-ordinateur de la centrale, lui aussi un produit de la technique des années 77 (tant pour le logiciel que pour le matériel), est non seulement un système lent mais aussi un système qui devient de plus en plus onéreux à mesure que la dérèglementation provoque une escalade des coûts de location des lignes.

En ce moment nous avons le choix entre trois options (inexistantes en 1977) nous permettant d'accéder à un catalogue en ligne; elles sont disponibles auprès de notre fournisseur, Data Phase, et d'une demi-douzaine de sociétés faisant commerce de systèmes de gestion de bibliothèques et qui n'étaient pas encore créées en

1977. Les nouveaux matériels sur le marché sont des systèmes « nonstop », « infaillibles » (fail safe), « indulgents » (fault tolerant). Actuellement la moindre panne dans l'un des principaux composants de notre système bloque le fonctionnement de l'ensemble.

Les nouveaux minis sont un assemblage de plusieurs ordinateurs, si bien que si l'un d'eux tombe en panne les autres peuvent prendre le relais - tout comme dans la navette spatiale où ce concept de boucle redondante a été appliqué *. En 1983 le système informatique a été bloqué 152 heures pendant les heures d'ouverture de la bibliothèque de Tacoma à cause des défaillances du matériel. Impossible pour le public et pour le personnel de faire les réservations, de retrouver les exemplaires d'un ouvrage, de vérifier les sorties, etc. Sans la présence de notre catalogue, le service rendu aurait bien plus souffert. Cette interruption, même si elle ne représente que 4 % des heures d'ouverture de la bibliothèque, n'en est pas moins significative.

Pour quelques dollars de plus

Comme les catalogues en ligne en sont encore à faire leurs premiers pas, il n'existe que très peu d'éléments disponibles sur leurs coûts. Dans son ouvrage, Public Access to Online Catalogues, Joe Matthews avance des coûts pour deux bibliothèques universitaires, l'une avec 40 terminaux mis à la disposition du public et 10 pour le personnel; la seconde avec un parc de 100 terminaux - 85 pour le public, 15 pour le personnel. Pour la première année les deux systèmes ont coûté respectivement 805 000 et 1 280 000 dollars.

L'exemple cité par J. Matthews ne semble pas prendre en compte un système de gestion des prêts. Ces évaluations font supposer que chaque bibliothèque a plus d'un mini-ordinateur à sa disposition. Les coûts doivent toutefois être estimés sur la base d'une durée de fonctionnement de sept ans. Dans cette hypothèse le système de 50 terminaux coûterait, tout au long de son cycle de vie, 1 346 000 dollars, soit une moyenne annuelle de 192 286 dollars, tandis que le second coûterait 1 970 000 dollars au total, soit 281 429 dollars par an.

Les trois hypothèses sur lesquelles, à Tacoma, nous travaillons, sont les suivantes :

Passer au modèle supérieur de la même gamme que celle que nous avons actuellement nous permettrait, moyennant 150 000 dollars, d'avoir un Data General MV-8 000 avec une mémoire de 3/4 de mégabyte et un logiciel ALIS II. Nous disposerions ainsi de 60 terminaux avec une possibilité de consultation, très limitée, offerte au public - pas plus de 25 terminaux. Par ailleurs il ne s'agirait pas d'un système infaillible - ce qui nous obligerait à garder notre catalogue actuel sur microfiche COM. Les coûts de fonctionnement courants s'élèveraient dans cette hypothèse à 30 000 dollars.

Un nouveau système de gestion lourd, de l'ordre de 500 000 dollars, entraînerait l'achat d'un des nombreux mini-ordinateurs actuellement disponibles et le choix d'un nouveau logiciel. Le choix dépendrait du fabricant (Data Phase, GEAC, CLSI, ULISYS). Nous pourrions ainsi, avec 90 terminaux, élargir les possibilités de consultation du public qui en aurait 60 à sa disposition. Les coûts de fonctionnement s'établiraient dans cette hypothèse entre 50 000 et 60 000 dollars par an.

La troisième hypothèse consiste à acheter un système infaillible, nonstop et tolérant, coûtant environ 1 000 000 de dollars, le système Tandem : 2 ou 3 unités de traitement, tout un réseau de communications, plus de 100 terminaux dont 60 à 65 réservés au public. Les coûts de fonctionnement s'éleveraient à 85 000 dollars par an. Il va sans dire que j'aurais beaucoup de mal à prendre une telle option, même en sachant que Tandem est un système de pointe et qu'il fournit le meilleur service pouvant exister à l'heure actuelle.

Mythe n° 7

On a toujours besoin d'un consultant

Qui est consultant ? Un consultant c'est quoi ? En fait la seule qualification véritable pour devenir un consultant est d'avoir un client qui accepte de payer pour recevoir des conseils. Selon Joseph Brady, président de l'Association des consultants en gestion, « n'importe quel individu sans emploi peut se lancer dans la profession de consultant s'il a dans sa poche 6,99 dollars pour acheter cent cartes de visite ». Les consultants jouent, dans le monde des affaires, le rôle des mages et des sorciers et ils n'hésitent pas à se vendre comme tels, menaçant la tribu à l'image de tout sorcier qui se respecte : « les pluies ne viendront pas si je n'exécute pas ma danse sacrée ! ». Hélas ! Quand le sorcier a terminé sa danse, c'est une sècheresse encore pire qu'auparavant qui s'abat sur la tribu. Selon les estimations les plus optimistes le milieu des affaires engloutit 3 milliards de dollars par an en frais de consultants. Le consultant et le psychanalyste ont beaucoup de points en commun : une fois qu'il les a sur les bras, le client ne peut plus s'en passer et en a pour toute son existence !

Loin de moi la pensée qu'il n'est jamais bon de prendre un consultant ! Il n'y a aucun mal à aller chercher à l'extérieur l'avis d'un expert et à le rémunérer. Nous avons bien recours à des avocats lorsque nous avons besoin d'assistance juridique, à des médecins pour la médecine du travail et à des architectes pour la construction. Toutefois, en matière d'informatisation de bibliothèques, il se pourrait bien que l'on paye des consultants pour faire ce qu'un responsable digne de ce nom aurait dû faire dès le départ. En réalité le travail du consultant consiste pour l'essentiel à informer les responsables de certaines choses qu'ils auraient trouvées tous seuls s'ils s'étaient donné la peine de les chercher. Il n'est cependant pas niable qu'un beau rapport, venant de l'extérieur, sur l'informatisation d'un établissement, contenant quelques recommandations à l'intérieur d'un bel emballage relié, étiqueté et coquettement facturé, aura beaucoup plus de poids auprès de l'administration de tutelle qu'une argumentation dans le style : « on va acheter le dernier système d informatisation de bibliothèques parce que mon personnel et moi-même nous en avons besoin et que c'est le meilleur ».

Consultation : ça gratouille ou ça chatouille ?

Il y a plusieurs années un consultant renommé recommanda l'acquisition d'un système de gestion pour les bibliothèques d'un Etat entier. Deux ans plus tard le bibliothécaire responsable arrivait à constater que ce système n'existait pas et n'existerait jamais. Que croyez-vous qu'il arriva ? J'eus la surprise de voir le bibliothécaire courir après le consultant pour le recruter à nouveau et lui faire faire une deuxième sélection...

J'ai eu tout le loisir, dans l'Etat de Washington, d'observer la malédiction qui frappait les bibliothèques qui s'informatisaient en ayant recours à un consultant. A une exception près les systèmes retenus n'étaient pas assez puissants et avaient des mémoires de capacité insuffisante. L'exception s'est avérée due à l'insistance d'un des membres du personnel qui avait exigé une plus grande capacité de mémoire-disque et une unité de traitement plus puissante.

Tout au long des sept dernières années j'ai suivi de près et j'ai sévèrement critiqué les « prestations » de presque tous les consultants. Leur incapacité à évaluer les volumes de stockage nécessaires a invariablement conduit les bibliothèques à acheter des configurations insuffisantes si bien qu'en moins de deux ans tous les systèmes étaient parvenus à saturation.

Caveat emptor: cet adage s'applique moins aux fabricants qu'aux consultants. Peut-être est-il nécessaire de créer un organisme d'habilitation, délivrant licences et attestations, qui nous protègera, nous autres bibliothécaires, de ces charlatans déguisés en consultants.

Le corps des consultants devrait pouvoir reconnaître ses responsabilités, voire, le cas échéant, sa culpabilité, tant pour les erreurs faites au niveau du choix que pour les difficultés de gestion qui en ont découlé. Ils ont le devoir impératif de conseiller le client en modérant ses attentes à l'égard de l'informatisation; ils ont aussi l'obligation toute particulière de mettre le client en garde contre les dangers inhérents à l'achat de produits d'avant-garde. La fonction des consultants est d'équilibrer les rapports fabricants/bibliothécaires et d'organiser les contrats de manière à minimiser les risques encourus par les bibliothèques en faisant ce type de transaction.

Là où est le drame, c'est que nos collègues, pour Dieu sait quelle raison - orgueil ou vanité - ne répondent pas honnêtement aux enquêtes sur les services rendus par les consultants. Peut-être craignent-ils que la mise à nu des déficiences du consultant ne soit la mise à nu des déficiences du bibliothécaire... Les enquêtes sur les performances des différents systèmes informatiques donnent lieu à des phénomènes du même genre.

Si vous avez vraiment le sentiment que vous ne pouvez pas vous passer des « services » d'un consultant, choisissez-le de la même façon que vous avez choisi votre système automatisé : cahier des charges, appels d'offres, examen des réponses, descriptif des prestations, contrat - contrat d'exécution de préférence. Insistez sur les limites financières, assignez des objectifs mesurables, assurez-vous que le consultant ne sera pas rémunéré en fonction des heures de travail déclarées mais au vu des prestations effectives. Si vous n'êtes pas satisfait de ses services, bloquez le paiement jusqu'à ce que votre consultant vous ait donné satisfaction.

Mythe n° 8

La basilique Saint-Marc

Au royaume des bibliothèques, le boeuf Apis est connu et révéré sous le nom de MARC. A l'origine, MARC était un format d'échange, utilisé pour l'enregistrement des données bibliographiques sur bandes magnétiques. Il y a vingt ans, alors qu'on travaillait à sa mise au point, quelques visionnaires eurent l'audace de contrer l'équipe chargée de l'élaboration de MARC, prétendant qu'au lieu de se limiter à la transposition informatique de la fiche de catalogage, il fallait saisir le taureau par les cornes - utiliser toutes les ressources de l'informatique et réviser de fond en comble les principes du catalogage. Ces illuminés furent réduits au silence et ce fut la fiche de catalogue qui fut informatisée.

Une étude sur les catalogues en ligne et sur leur public a été récemment menée pour le compte du « Council on Library Resources »; elle a permis d'établir que la demande du public porte, pour l'essentiel, sur la recherche-matières et que, contrairement à la mythologie populaire, cette démarche de recherche est beaucoup plus fréquente qu'on ne s'y attendait. En outre les limites inhérentes au catalogues apparaissent frustrantes pour l'usager ; au fur et à mesure que ce dernier se fera plus exigeant, s'appropriant le maniement de systèmes en ligne, l'interrogation de catalogues en ligne le laissera de plus en plus insatisfait.

Les difficultés de l'interrogationmatières des catalogues en ligne ne tiennent pas tant aux catalogues eux-mêmes qu'à la base de données utilisée. L'enregistrement MARC ne propose pas d'accès-matières satisfaisants pour les documents auxquels il est censé donner accès; or, si le problème tient à la base de données elle-même, il n'est pas de solution technologique susceptible d'améliorer la situation. Si les données ne se trouvent pas dans la base, il est impossible d'aller les chercher... Les prouesses de la recherche par équations booléennes s'avèrent vaines lorsque le nombre moyen d'entrées par enregistrement est de 1,7; quand vous utilisez l'opérateur de recherche « et » vous excluez automatiquement tous les ouvrages auxquels on n'a attribué qu'une seule vedette-matière. Par ailleurs la recherche par équations booléennes déclenche un remue-ménage insensé chez l'ordinateur, littéralement « bouffé » par une base de données mal indexée. Voilà la triste et tragique histoire des banques de données sur format MARC ou des catalogues en ligne réalisés à partir d'une base en MARC...

ForMARC de café

Je suis tout à fait conscient de la nécessité d'un format standard et j'admets volontiers que MARC en tient lieu; j'admets aussi que nous devrons toujours passer par un format standard jusqu'à ce que nous ayons trouvé quelque chose de mieux. MARC n'est pas un format convivial pour le grand public; il peut l'être pour les catalogueurs mais, pour le grand public, et en particulier celui des bibliothèques publiques et des bibliothèques scolaires, il représente certainement ce qu'il est convenu d'appeler un format rébarbatif. Les catalogueurs sont littéralement coiffés de leur MARC bien-aimé, de ses étiquettes, de ses champs et de ses sous-champs, au point qu'on pourrait parler de « MARCotique » pour définir leur état d'esprit.

Comme je ne souhaite pas m'embourber dans des zones « MAR(E)Cageuses », je résumerai mon propos comme suit: grosso modo, et mis à part le cas des bibliothèques de recherche briquées dans le moindre détail, il n'y a guère avantage à pouvoir consulter en ligne le détail des différents enregistrements avec tous les champs, leurs étiquettes et leurs sous-champs. Je crois que cette attitude a pour origine la tradition - ou l'inertie - du format MARC, tradition en place bien avant l'apparition des catalogues en ligne. Elle provient d'encore plus loin, des promesses, aussi généreuses que mensongères, que certains vendeurs de systèmes automatisés ont faites aux bibliothécaires, prétendant sans avoir réfléchi qu'ils pouvaient incorporer intégralement ce format à des systèmes de gestion en ligne.

Cinq remarques sur MARC :
- Charger les données d'un enregistrement MARC sur bande entraîne inévitablement une perte d'information, à moins que l'on n'ait stocké sur disque la totalité du texte des enregistrements;
- la structure linéaire de l'enregistrement MARC ne correspond pas à la structure d'une base de données indexée consultable en ligne;
- il est inutile de charger une grande partie des informations contenues dans les enregistrements MARC;
- il est possible de combiner des étiquettes et des sous-champs;
- il faut expliciter les étiquettes et les codes des sous-champs pour le public.

La création d'étiquettes MARC à partir d'un système en ligne ne signifie rien de plus que le reformatage en étiquettes et en sous-champs, en créant ainsi directement un nouvel enregistrement pouvant être mis sur bande. Les enregistrements ainsi créés seront nécessairement plus simples (vos étiquettes et vos sous-champs) que ceux entrés dans le système, mais les deux formats peuvent rester totalement compatibles, si bien qu'on dispose d'une bande lisible par n'importe quel autre système à base de MARC. Encore une fois, le choix des étiquettes et des sous-champs qui pourront être combinés ou abandonnés doit être déterminé par le catalogage et par l'utilisation du public; ce choix peut être le fait d'une bibliothèque particulière agissant de manière autonome à l'intérieur d'un réseau.

Mythe n° 9

Clés en mains ou tout en kit ?

La plupart des systèmes automatisés existant sur le marché sont annoncés et affichés comme des systèmes « clés en mains ». Cette expression provient du scénario mis au point par les vendeurs d'automobiles : vous achetez votre nouvelle voiture, vous prenez le manuel de conduite, le vendeur vous donne quelques indications, vous sautez dedans et vous démarrez ! A mesure que les bibliothèques sont de plus en plus nombreuses à s'automatiser, elles commencent à grincer des dents devant les épisodes du feuilleton.

Dans l'Etat de Washington, quatre établissements ont acheté un système automatisé à peu près au même moment il y a trois ans de cela. Les systèmes retenus ne sont pas encore prêts pour passer le test de l'acceptation définitive. Cet épisode n'a rien à voir avec les défauts ou avantages de tel ou tel système, mais montre bien que l'achat d'un système automatisé, quel qu'il soit, signifie des responsabilités accrues et des charges de maintenance qui dépassent celles du simple entretien.

Dans ma propre bibliothèque, ce sont deux personnes à temps plein qui s'occupent attentivement du système informatique, indépendamment de tout logiciel ou de tout matériel. Cette évaluation ne tient pas compte du temps considérable passé par le responsable de l'informatisation sur le système. Bien entendu ces dispositions ont réduit l'ampleur des économies faites par la bibliothèque à la faveur de son automatisation. Il vous faudra tenir compte de l'affectation de personnel au fonctionnement de votre système informatique - le nombre de postes nécessaires dépendra des dimensions du système et de sa complexité.

Peut-être y a-t-il lieu de rappeler un mythe corollaire découlant des propos que je viens de tenir : « vous n'avez pas besoin de vous y connaître en informatique pour utiliser notre système automatisé de manière efficace ». En 1977, lorsque la bibliothèque publique de Tacoma s'est munie d'un système automatisé, personne, à l'exception de quelques membres du personnel administratif, n'avait la moindre notion d'informatique. En 1982, un seul membre de l'effectif en place en 1977 avait passé un diplôme d'expert en informatique. L'année suivante, la bibliothèque recevait une subvention spéciale pour mettre en place un programme de formation à l'informatique. L'objectif ostensiblement affiché était de donner au grand public des ouvrages d'informatique. La subvention arrive actuellement à expiration: tous les membres du personnel auront suivi le programme de formation.

En janvier 1984 nous avons installé un micro-ordinateur Corona avec deux lecteurs de disques et une imprimante dans un des bureaux. Au départ l'ordinateur trônait solitaire, sous les regards craintifs et occasionnels d'un personnel vaguement inquiet. Par la suite il a fallu établir des calendriers d'utilisation et, le plus souvent, on est obligé de faire la queue. Tout cela ne serait jamais arrivé sans ce programme de formation à l'informatique.

Bibli-octet-caires

En avril 1983 paraissait le rapport de la « National Commission on Excellence in Education », A Nation at Risk; The Imperative for Educational Reform, qui analyse le problème de l'éducation en ces termes : « La recherche de solutions au problème de l'éducation dans notre pays passe aussi par le développement de la formation continue. Reconstruire notre système d'éducation représente une tâche gigantesque quil convient de bien analyser et de réaliser avec soin. Bien qu'il y ait chaque année 1,5 million de personnes sortant de l'école pour entrer dans la vie active, les adultes qui sont actuellement en activité représenteront encore 75 % de la main d'oeuvre en l'an 2 000 ».

Les personnels de bibliothèque doivent impérativement se mettre à l'informatique. Il ne suffit pas de leur donner des notions de base sur les services qu'ils peuvent attendre de l'informatique. Ils doivent aussi acquérir un minimum de compétence et d'autonomie en la matière. Cela ne se fera que par l'expérimentation directe sur le clavier. Le secteur privé continuera à nous proposer des solutions pour un certain nombre de nos problèmes d'automatisation; les autres problèmes devront être résolus par nous-mêmes.

Le délai nécessaire pour passer de la découverte en laboratoire d'un procédé à la commercialisation d'une technique ou d'un produit s'est réduit, passant de sept à cinq ans. Malheureusement l'application des nouvelles technologies à l'informatisation des bibliothèques continue pour une large part à dépendre du secteur privé, lequel répugne souvent à investir prématurément dans des technologies de pointe car il a déjà beaucoup investi dans des systèmes plus anciens. Ce phénomène se produit fréquemment, tant pour les logiciels que pour les matériels. Au bout du compte, c'est l'informatisation des bibliothèques qui en pâtit. Toutefois, à mesure que nous nous donnerons la culture et la compétence informatiques qui nous font défaut, nous serons à même de faire pression sur les vendeurs et de les amener à améliorer leurs prestations et à offrir des services de pointe. Ceci ne pourra se faire que par la formation de nos personnels qui devront être formés et reformés sans cesse.

L'informatisation des bibliothèques n'est pas une fin en soi. C'est un instrument qui peut servir à améliorer l'efficacité et la productivité des bibliothèques. Nous vivons une époque où les ressources se réduisent et où s'accroissent les responsabilités. Pour les bibliothèques publiques les perspectives des années 80 s'ouvrent sur l'austérité budgétaire. En période de croissance économique faible ou nulle, en période de réduction des dépenses publiques, un service public facultatif, utilisé par un pourcentage relativement limité de la population, paraît tout désigné pour connaître des budgets rigoureux et des responsabilités accrues. Nous ne pouvons plus continuer à nous mettre la tête dans le sable, en nous abritant derrière les autres mythes que nous avons forgés, tels notre rôle éducatif, l'aide aux défavorisés, l'intégration des immigrants. Le caractère social et humanitaire de notre action ne nous autorise pas à ignorer les considérations de productivité et d'efficacité.

Les bibliothèques publiques ont, en général, été lentes à adopter et à intégrer les innovations technologiques. Cette tendance s'est manifestée avec éclat au début du siècle, la machine à écrire ayant eu longtemps à attendre avant d'être admise et utilisée. Elle s'est également manifestée au cours des deux dernières décennies, lorsque les bibliothèques en général et les bibliothèques publiques en particulier balancèrent longtemps avant d'apprécier les avantages offerts par l'informatique pour améliorer les services rendus et le fonctionnement interne, Jusqu'en 1978, sur les 31 bibliothèques publiques les plus importantes des États-Unis, plus de la moitié (16) ne proposaient pas de services de référence en ligne et ne prévoyaient pas de le faire.

Au delà de ces mythes Votre ticket devient valable

Mon but, en décortiquant ces neuf mythes, était de démontrer qu'il ne fallait pas prendre pour argent comptant tout le folklore de l'automatisation, que les bibliothécaires devraient plutôt se montrer exigeants et obliger l'informatique à se plier à leurs besoins. En d'autres termes les bibliothécaires devraient prendre en charge leur propre automatisation. Les remarques qui suivent résument mon point de vue sur le bien fondé de chacun des mythes démystifiés.

- Les systèmes informatiques, à condition d'avoir été bien choisis et bien implantés, permettront de faire des économies.

- Les systèmes informatiques n'empêcheront pas, par eux-mêmes, les vols de se multiplier; ils fourniront en revanche les informations et le suivi indispensables à la gestion, permettant ainsi à la bibliothèque de prendre les dispositions politiques et pratiques nécessaires; si ces dernières sont appliquées de manière rigoureuse et maintenues en vigueur, non seulement vous verrez le niveau des vols s'abaisser mais le volume des prêts augmentera.

- L'informatisation permettra à la bibliothèque de gérer un accroissement important du nombre de prêts sans qu'il soit besoin de personnel supplémentaire.

- L'informatisation permettra à la bibliothèque de faire un meilleur usage de ses crédits d'acquisition car il lui sera possible à la fois de prévoir les demandes et de les satisfaire.

- Au fur et à mesure que les bibliothèques disposeront de crédits d'acquisition plus conséquents, l'informatisation leur permettra d'accroître leur rendement sans disposer de postes supplémentaires.

- Méfiez vous des vendeurs qui vous racontent que leur système peut permettre la mise en place de catalogues en ligne consultables par le public. Renseignez vous, allez discuter avec les pionniers du catalogue en ligne avant de décider si vous voulez devenir leurs descendants.

- Il n'est pas indispensable de passer par un consultant pour sélectionner un système. Avis aux décideurs: vous êtes en droit d'attendre de vos administrateurs la compétence nécessaire pour équiper votre bibliothèque d'un système adapté et performant. Si vous devez passer par un consultant, prenez les précautions nécessaires pour avoir un résultat à la fin.

- Le format MARC a maintenant une longue histoire derrière lui. Toutefois, il s'agit d'un standard inadéquat pour les catalogues en ligne. Agissez pour un remaniement de cette norme.

- Mettez vous bien en tête que les systèmes automatisés ne sont pas des systèmes « clés en mains » et qu'il est vital, pour leur survie, que les bibliothèques aient un personnel formé à l'informatique. Même si le fonctionnement de votre bibliothèque n'est pas encore automatisé, vous devriez vous mettre dès maintenant à l'informatique.

Les années 80 marqueront dans l'histoire de l'automatisation des bibliothèques une série de problèmes permanents et de défis. Le déferlement et la multiplication d'innovations technologiques - micro-ordinateurs, banques de données, ordinateurs personnels, réseaux câblés, vidéodisques, vidéocassettes, etc. - offriront aux bibliothèques à la fois des occasions et des défis. Prenez espoir mais, par dessus tout, prenez en charge l'informatisation de votre bibliothèque.

  1. (retour)↑  L'article dont nous publions la traduction est paru dans Library Journal, vol. 110, no 16, octobre 1985 publ. par R.R. Bowker, cop. 1985 by Xerox corporation, sous le titre de «Myths of Library Automation ».
  2. (retour)↑  L'article dont nous publions la traduction est paru dans Library Journal, vol. 110, no 16, octobre 1985 publ. par R.R. Bowker, cop. 1985 by Xerox corporation, sous le titre de «Myths of Library Automation ».
  3. (retour)↑  Rappelons que l'article a été publié en 1985. La navette spatiale aurait-elle constitué le 10e mythe de l'informatisation? [NDLR]