Thésaurus iconographique
Système descriptif des représentations
François Garnier
Paris : Le Léopard d'or, 1984. -240 p.; 30 cm. - III./François Garnier et Véronique Labbé.
Br. : 150 F.
Le livre de François Garnier arrive très à propos comme une des pièces importantes d'un débat de méthode ouvert aujourd'hui à propos des bibliothèques et de leurs fonds d'images. Le thésaurus iconographique représente une oeuvre en soi tout à fait exceptionnelle dont nul, au sein de notre profession, ne peut esquiver la lecture. L'émergence multi-médias, surtout la nécessaire mise en valeur de fonds jusqu'ici laissés en jachère sont des raisons qui poussent impérativement tout bibliothécaire à s'intéresser au classement, à la diffusion et à l'accès aux images. Toutefois, nous ne pensons pas qu'il soit possible de traiter à statut égal d'une part le compte rendu de l'ouvrage lui-même, d'autre part l'exposé d'un débat plus large mais fondamental, issu des problèmes posés par l'automatisation. Nous avons donc volontairement subdivisé cet article en deux parties, totalement indépendantes l'une de l'autre.
Le thésaurus iconographique
Ce dernier ouvrage de François Garnier se démarque du reste de ses publications et se rattache plutôt à l'œuvre de recensement et de photographie systématique de l'ensemble des manuscrits médiévaux français qu'il entreprit il y a plus d'une vingtaine d'années (en commençant notamment par la Bibliothèque Sainte-Geneviève 1). On trouve ainsi à l'Institut de recherches et d'histoire des textes, à Orléans, une collection d'images médiévales tout à fait considérable, première étape déjà bien engagée de la constitution du Corpus des enluminures des bibliothèques publiques de France. Il y a vingt-cinq ans, François Garnier avait commencé à rassembler une documentation photographique destinée à l'édition d'une Bible 2 en 22 volumes où devaient être reproduites 4 000 scènes et figures. « L'ampleur du projet invitait à ne pas se limiter à la reproduction de chefs-d'œuvre connus de la peinture et de la sculpture. Une publication d'une telle importance méritait un renouvellement de l'illustration. Le choix [s'était porté] sur la période médiévale »... Notamment les manuscrits, « riches d'une profusion d'images qu'aucun inventaire [n'avait] jusqu'ici dénombrées 3 ».
On voit bien comment ce Thésaurus iconographique s'inscrit dans la logique d'un spécialiste, qui, confronté à un problème de recherche d'images, bute sur la pertinence des instruments qui lui sont offerts ou qui lui manquent, et poursuit sa carrière en forgeant lui-même les outils qu'il n'avait pas trouvés. Après Le Vitrail au XIIIe siècle, La Guerre au Moyen-âge, les Conceptions de la folie d'après l'iconographie médiévale, Le Langage de l'image au Moyen-âge 4, le Thésaurus iconographique, rompant avec la tradition de la publication en histoire de l'art qui présuppose un juste équilibre entre l'appareil de laboratoire et de muséographie et la défense littéraire d'une hypothèse, est la stricte publication d'un outil, « un système descriptif des représentations ». Ce système est le résultat d'un contrat d'études confié en 1976 à François Garnier par le ministère de la Culture, pour l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France et pour la Direction des musées de France. Il « sert à traiter une partie essentielle des informations nécessaires à la constitution des bases de données créées par ces services. Des systèmes descriptifs permettent de répondre en langage normalisé aux questions techniques, formelles, juridiques et historiques concernant la peinture, le dessin, la sculpture, l'architecture et les objets mobiliers. Le Thésaurus iconographique est destiné à l'analyse documentaire de toutes les représentations, quelles que soient la nature de leur support, la technique de leur exécution, leur qualité et leur finalité. Le terme représentation est pris dans un sens large. Il s'étend aux figurations les plus variées, anciennes et modernes, sans poser de frontière infranchissable entre le signifiant et le décoratif ». L'ouvrage doit permettre à l'analyste de coder le contenu d'une représentation et à l'utilisateur de trouver rapidement les documents pertinents quel que soit le niveau de sa recherche. Ce système est conçu pour gérer un très grand nombre d'informations et actuellement 42000 notices environ ont été saisies : elles ont servi aussi de test et ont permis l'élaboration définitive de l'ouvrage.
Ce système vise à l'universalité, ce qui induit trois exigences :
a) traiter toutes les formes d'expression figurée : on doit pouvoir décrire aussi bien les peintures de Lascaux que les miniatures médiévales, les tableaux, les estampes, les vitraux, les programmes architecturaux, les images de publicité, l'imagerie populaire, bref toute représentation figurée ;
b) prendre en compte les différents contenus des représentations et
c) conserver les notions acquises afin de ne pas négliger les recherches antérieures.
C'est donc d'abord un instrument de travail qui vise à être pratique et léger. A la différence d'Iconclass system 5, on ne souhaite pas ici l'identification totale de l'image, l"explicitation complète de son contenu et, c'est un point important noté par l'auteur (qui collabora à la conception du vidéodisque de la Bibliothèque Sainte-Geneviève). « l'analyse verbale n'épuise pas le contenu de la représentation. Le rôle du système est de faciliter l'accès au document et non de dispenser de sa consultation ». Il s'agit d'un moyen d'orientation au sein de masses considérables d'images.
Structure du thésaurus
Il se compose de 4 rubriques, la première servant à traduire le contenu essentiel de la représentation, les trois autres précisant les sujets particuliers de la représentation, sa source écrite, sa datation.
La première rubrique ou « Description de la représentation » est fortement hiérarchisée en classes et constitue le corps même du thésaurus. Cette structure guide l'analyste et lui permet de cheminer jusqu'au descripteur qui répond le mieux à sa lecture de l'image ou à l'objet de sa recherche. « Cette structure essentielle au système permet de jouer avec la syntaxe pour multiplier nuances et précisions, au codage comme à l'interrogation ». Bonne idée de l'auteur, 456 images, toutes analysées et constituant autant d'exercices ou de références, forment une utile somme de travaux pratiques destinés au lecteur. Regrettons simplement que des contraintes d'imprimerie aient fait privilégier la gravure au trait, médiévale ou Renaissance. Il aurait été souhaitable de pouvoir confronter davantage l'universalité du système à des images modernes ou contemporaines.
Les descripteurs
On trouve ainsi seulement 3200 descripteurs dans les « listes fermées » des thèmes qui représentent la « trame même de la vie : les besoins du corps ou de l'esprit, les facultés, la bienveillance et l'agressivité, les activités de création et de divertissement ». Au contraire, « les circonstances de temps, de lieu et de personnes, introduisent dans les représentations des variables particulières et le nombre de ces sujets est illimité »; François Garnier a ingénieusement établi à cette charnière même un statut second dans la description de la représentation, permettant ainsi à la première classe de descripteurs (les thèmes), d'être en nombre limité, et renvoyant les seconds (les sujets), par nature illimités, occasionnels et particuliers, à une liste ouverte : ainsi des sujets géographiques, bibliques, mythologiques ou historiques. Toutefois le contrôle d'un organisme de gestion est prévu. Chaque descripteur n'a qu'une signification et se comprend par rapport à sa situation hiérarchique. La hiérarchisation du système est d'ailleurs très forte et voulue par François Garnier qui la considère comme une nécessité du langage documentaire. Ce choix implique de la part de l'utilisateur, à notre avis, une connaissance approfondie du contexte de description.
Mais est-il nécessaire et obligatoire de connaître le contexte d'une image du seul point de vue de l'historien de l'art pour y accéder ? Autrement dit à quel type d'outil avons-nous affaire et pour quel service ? Un outil destiné aux seuls historiens d'art ? Mais alors que se passe-t-il pour les autres utilisateurs des fonds d'images ? Cela signifierait-il aussi que tout le patrimoine conservé dans nos musées et bibliothèques ne peut et ne doit intéresser en priorité qu'une certaine catégorie d'utilisateurs ? Il y a là un réel danger qui consisterait à recréer grâce à l'informatique une situation qu'on ne cesse pourtant de déplorer : réserver le patrimoine à une élite.
Utilisation du thésaurus
François Garnier précise à ce sujet que l'analyste doit fonctionner dans le cadre d'une certaine culture et avoir des notions spécialisées. Dans ce contexte, on peut se demander combien de temps sera nécessaire à l'analyse du patrimoine français par des gens compétents. A notre avis, beaucoup de problèmes surgiront du côté des analystes, du contrôle de leur codage, de leur rapidité, du volume des analyses produites et de leur cohérence. Un exemple nous a paru tout à fait frappant que nous reproduisons ci-dessous :
Ces deux images 6, extraites du Thésaurus (p. 154 n° 369 et p. 156 n° 375) comportent toutes les deux une porte de même importance et ne sont pas plus chargées en descripteurs l'une que l'autre. Pourquoi ce mot-clé figure-t-il dans l'une et pas dans l'autre ? D'autre part on ne voit pas très bien en quoi la diversité des significations justifie ce choix. Mais est-ce bien un choix ? Toute la difficulté de la tâche d'analyse est là.
En résumé, pour utiliser le thésaurus, François Garnier propose une déontologie de lecture de l'image qui s'applique aux données sensorielles, aux connaissances de l'analyste et aux informations extérieures à la représentation (contexte de l'image). Il s'interroge sur le degré de finesse de l'analyse documentaire qui est évidemment un des problèmes majeurs posés par l'utilisation de tels systèmes : une image vaut-elle mille mots ? Ainsi la richesse du contenu de la représentation, la lisibilité des éléments représentés, leur situation, la rareté de la représentation (l'analyste notera ici la présence de lunettes au XIVe siècle et les ignorera au XXe siècle), la date de la représentation, le domaine artistique auquel elle appartient sont les principaux facteurs à prendre en compte. Il s'interroge ensuite sur le processus descriptif; il remarque ainsi qu'aucune grille d'analyse ne s'impose comme une nécessité mais que l'analyste doit bien choisir ses descripteurs après s'être posé une série de questions :
Quelle est la signification principale de l'image ? Comment est-elle exprimée ? Quels sont les personnages ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Connaît-on leurs noms ? Quels éléments concourent à l'expression de la signification principale ? Quelles sont les relations importantes, signifiantes et signifiées ? Quel est le lieu ? Peut-on l'identifier géographiquement ? Convient-il de le décrire ? La compréhension de l'image nécessite-t-elle une référence à un contexte historique ? Pose-t-elle des problèmes de datation ?
Le Thésaurus ne se voulant qu'un outil à l'intérieur de l'outil informatique, la référence à un système précis est ici donnée : il s'agit du logiciel MISTRAL développé par la compagnie Bull (dont la diffusion industrielle reste encore aujourd'hui très attachée à l'hexagone : on pourrait s'interroger alors, mais ce serait un autre débat, sur la portabilité du système et de là sur tous les problèmes de réseaux).
Un débat de méthode
Les remarques qui suivent, que nous énoncerons et développerons peut-être abruptement, n'enlèvent rien à une oeuvre remarquable, unique en France et de portée internationale (il faut remarquer que 4 à 5 index de ce type sont opérationnels dans le monde) 7. C'est donc plus à l'occasion de la publication de cet ouvrage qu'en critique à ce même Thésaurus que j'aimerais ouvrir un débat. Cette même controverse amorcée à Pise puis explicitement exprimée à Genève 8 a vu s'affronter deux philosophies techniques, portant à la fois sur l'utilisation des nouvelles technologies (notamment le vidéodisque) et sur le partage des tâches de catalogage et d'analyse. Ce débat semblait assez souvent recouvrir quelque chose de plus profond. paraissant opposer historien d'art et bibliothécaire; plus simplement, le bibliothécaire d'image serait-il au service du seul historien d'art ? Au dernier colloque organisé par la section des bibliothèques d'art de l'IFLA 8, Denis Bruckmann, conservateur au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale et Michel Melot, Directeur de la Bibliothèque publique d'information, nous ont ramenés au métier de bibliothécaire. Car il y a tout de même une ambiguïté dans la présentation matérielle de l'ouvrage de François Garnier. Dans l'historique, l'outil nous est présenté comme destiné aux musées mais tous les exemples analysés sont tirés d'ouvrages conservés dans nos bibliothèques. Car il y aurait, à ce propos, toute une réalité à examiner et qu'on ne peut escamoter avant même de songer à utiliser un thésaurus de ce type. D'abord, nous ne traitons pas seulement des estampes dans nos bibliothèques mais aussi de l'imagerie technique, scientifique et médicale, de l'iconographie de presse ou de publicité : et surtout l'explosion multi-médias nous oblige à prendre en compte la nécessité de la conservation, de l'analyse et de la diffusion de gros volumes d'images. Quant aux fonds anciens, le pourcentage d'images aujourd'hui effectivement accessibles est très faible par rapport aux volumes. Surtout, les nouvelles technologies permettant de traiter l'imagerie scientifique peuvent être utilisées efficacement à leur endroit. Les chiffres sont édifiants : 15 millions d'images au cabinet des Estampes, 200000 images à la BPI, 100000 images à la Bibliothèque Sainte-Geneviève... Une cinémathèque comme Gaumont, c'est 50 000 heures de projection, 15 millions d'images à l'agence photographique Sygma; la Médiathèque du musée de la Villette proposera 10 000 programmes d'image animée à l'ouverture et 5000 dossiers de diapositives. Le satellite SPOT qui sera mis en service en 1986 comme satellite français d'observation terrestre fournira 2 000 images par jour. Les volumes d'imagerie médicale sont considérables (200 000 à l'Institut Pasteur, 200 000 à la Salpêtrière...)
Parallèlement, une petite enquête menée tant en France qu'aux Etats-Unis auprès d'analystes d'images semble montrer qu'une personne entraînée à utiliser un thésaurus peut traiter environ 80 à 100 images par jour dans les meilleurs des cas. Le ministère de la Culture donne pour ses années-test 1 500 bordereaux par an et par personne 9. Or les grosses agences de presse parisiennes produisent chacune 5000 images par jour et les traitent avec un personnel d'archive ne dépassant pas 7 à 8 personnes. Ce traitement se fait par lots et de façon tout à fait efficace, la survie économique de ces agences en dépend. Tous ces chiffres parlent d'eux-mêmes. La réalité est là : des fonds d'images considérables, non traités, dispersés, touchant des domaines extrêmement variés et, à l'opposé, un travail d'analyse qui demande des compétences et des délais tout aussi considérables (sans omettre bien entendu le problème des budgets). Or la politique de conservation des images mise en œuvre par une collectivité ne se justifie que si ladite collectivité bénéficie en retour d'un accès efficace à ces images. La question serait donc maintenant de savoir où se trouvent les priorités et quels objectifs on peut se donner. Si nous reprenons l'exemple des catalogues de livres dans nos bibliothèques, on s'aperçoit qu'il n'a jamais été question d'analyser systématiquement les ouvrages avant de les mettre à la disposition du public. Ainsi, les catalogues « auteurs » ont toujours précédé les catalogues « matières ». C'est un problème d'efficacité. Que souhaitons-nous ? Fournir dans X années (20 ans peut-être) des bases de données textuelles sur les images que nous conservons, ou donner à voir ces mêmes images aux utilisateurs ?
La réponse, paradoxalement, c'est François Garnier qui nous la donne. En réalisant sa grande campagne photographique des manuscrits, il a ouvert la voie à ce que nous offrent aujourd'hui les nouvelles technologies du vidéodisque et du disque optique numérique : la possibilité d'accéder aux images et non à un discours sur l'image.
Nous renvoyons ici à l'ouvrage qu'Henri Hudrisier consacra, il y a deux ans aux banques d'images : l'lconothèque 10. En effet n'avons-nous pas tout à gagner en procédant de façon modulaire ? Photographier me semble être la priorité absolue. D'abord pour des raisons de conservation bien évidentes, ensuite pour une question de rapidité. Si on analyse 100 images par jour, on peut aisément en photographier 7 à 800. La société Image Premastering arrive même à la Bibliothèque du Congrès (Washington) à un rythme de 2000 images par jour (tous documents confondus : plaques de verre, affiches, photographies papier, estampes, etc...). Elle n'utilise pas un personnel considérable (un photographe et des étudiants pour manipuler les collections). Parallèlement. grâce à un micro-ordinateur on peut aisément inventorier sommairement ces mêmes fonds. On obtient ainsi, en première étape (vidéodisque interfacé au micro-ordinateur) un outil documentaire efficace, à savoir un inventaire du fonds avec les images en ligne. Cet outil est efficace à deux niveaux : il permet, d'une part de donner à voir d'énormes quantités d'images; d'autre part, multiplié, il devient poste de travail pour l'analyste. Je ne crois pas personnellement qu'il soit scandaleux de proposer dans un premier temps au public des images non analysées (plutôt que de lui demander d'attendre). Un vidéodisque se feuillette facilement; bien sûr pour regarder confortablement 54 000 images le lecteur passera 2 ou 3 demi-journées devant son écran. Je n'aurai pas la cruauté de préciser combien de journées seraient nécessaires pour demander, dans nos bibliothèques la communication de ces 54 000 documents.
Rappelons-le, ce n'est donc pas le Thésaurus iconographique que nous mettons ici en cause mais la priorité qui pourrait lui être donnée dans la méthodologie d'accès aux images qui se met en place aujourd'hui.