Reference services in the 1980s

par Anne Curt
ed. by Bill Katz.
New York : The Haworth Press, 1982. - 188 p., 22 cm.
(The Reference librarian, ISSN 0276-3877; 1-2).
ISBN 0-866 56-110-2.

Le Service de référence des années 80, premier numéro du Reference librarian, pose des problèmes de fond sur les finalités des services de référence et sur le rôle du bibliothécaire. Basés sur le vécu des professionnels, très critiques, quelquefois même amers envers la profession, acerbes envers les institutions et la société, les articles de ce recueil sont le fruit de l'expérience, de l'analyse, de la réflexion de professionnels profondément engagés dans leur métier et qui n'hésitent pas dans certains cas à tous remettre en question parce qu'ils l'aiment profondément.

Pour mieux juger de l'intérêt de ce numéro, il paraît intéressant de rapporter certains de ses articles et d'en résumer le premier, au risque d'une analyse un peu longue. Nous allons essayer de les regrouper selon 3 thèmes : les jeunes, la demande de renseignement et les articles de réflexion sur le rôle du bibliothécaire. Les services de référence pour les jeunes font l'objet de nombreux articles. Par rapport au développement des services de référence spécialisés pour la recherche, de loin les mieux équipés, les services de référence pour jeunes font pauvre figure. Un bibliothécaire de collège se plaint que les élèves ne savent pas chercher par eux-mêmes, n'ont pas d'idées et sur ce bilan négatif de l'utilisation de la bibliothèque par les élèves, plaide contre l'utilisation des banques de données au collège. L'avenir des services de référence pour enfants et jeunes réclame en contrepoint un meilleur service. Le bibliothécaire doit aider l'enfant à définir ce qu'il cherche et à le trouver, que ce soit un document audiovisuel, un livre facile ou un roman un peu plus difficile. Seul l'enfant motivé accepte d'apprendre à chercher dans un ouvrage de référence ou un catalogue. Le fonds de référence n'a pas besoin d'être très étendu, mais l'enfant ou l'adolescent doivent avoir accès au fonds de référence des adultes, à l'information de la recherche documentaire informatisée et au prêt interbibliothèques (dont ils sont exclus pour le moment aux Etats-Unis).

Des Services d'information holistiques pour les adolescents commence par définir les principaux centres d'intérêt des adolescents. Ce sont la santé (tabac, alcool, santé mentale), la drogue, la sexualité et l'orientation professionnelle. Cette demande est analysée selon les individus afin de la satisfaire de façon adéquate par un choix de documents appropriés. Pour mieux y répondre, Bernie Lukenbill préconise la création de centres d'information spécialisés offrant toutes sortes de ressources sous toutes formes : imprimées, vidéo, audio, informatiques. Comme le bibliothécaire, l'adolescent pourrait avoir accès lui-même à ces sources d'information. Le stockage sur vidéodisque et l'utilisation de la télévision par câble ou satellite permettront que l'information soit disponible chez soi. Elaborée par des spécialistes, elle aura besoin du « réseau » pour se développer. Les bibliothécaires n'auront plus ainsi l'impression de se substituer aux parents mais sauront « tailler sur mesure » les informations qui conviennent, conscients de leur rôle récréatif, éducatif, social et même thérapeutique. Après cette vision prospective du service de référence pour jeunes, ce sont les articles concernant l'enseignement lui-même que nous rapportons ici.

L'art de conduire l'interview du lecteur en quête de renseignement ou l'art de gagner une bataille (à l'inverse de celle de Jutland qui fut perdue sur un malentendu de l'officier de renseignement et de Jackson, commandant les opérations de la flotte britannique) est minutieusement étudié par Jack B. King. Il n'oublie ni l'évaluation a posteriori de la satisfaction de la demande, ni la recherche documentaire informatisée. avenir des services de référence en tant que service individualisé rendu au lecteur. Peggy Sullivan analyse l'échec du renseignement lorsque la réponse est « nous n'avons rien » au lieu de « vous trouverez cela ailleurs » . Elle souligne l'importance des sources d'information et de réorientation des lecteurs en même temps que la nécessité de répondre même aux questions simples et pratiques du type « comment enlever une tache de cire sur une nappe », sources de désarroi chez nombre de bibliographes de valeur.

Renseignement et littérature de fiction traite de la demande des lecteurs qui cherchent une oeuvre bien définie relative à tel héros mais dont ils ne connaissent ni l'auteur ni le ou les titres. Un thésaurus est donné en exemple pour résoudre ce problème de lecture publique. Robin K. Mills, bibliothécaire et professeur associé de droit tente de démystifier la demande de renseignement d'ordre juridique qui terrifie tant de bibliothécaires. Après l'analyse de la demande, il assure que tout bibliothécaire, même de lecture publique, doit répondre à cette demande dans tous les cas en se référant à des manuels ou périodiques pratiques, encyclopédies spécialisées pour une préinformation sur le sujet. Il préconise la collecte des ressources alentour par le bibliothécaire lui-même afin d'aider ensuite le lecteur à choisir un avocat ou le diriger vers une consultation gratuite ou un centre de renseignement spécialisé.

L'analyse de la demande pour une recherche documentaire informatisée et le meilleur moyen de mener à bien la recherche ne sont pas laissés de côté. Certains articles analysent les moyens de constituer un fonds de référence grâce aux analyses des instruments bibliographiques que l'on trouve dans la presse professionnelle aux Etats-Unis... ou celles qui n'y figurent pas et que les bibliothécaires devraient avoir à cœur de recenser eux-mêmes sous forme d'analyse ou de banques de données; « REFSEARCH » est donnée en exemple.

Les articles de réflexion sur la profession sont peut être les plus intéressants. Ils posent des questions dérangeantes et cependant essentielles. Le bibliothécaire de référence aujourd'hui « nouveau maître du modem et du binaire, manipulateur de l'ordinateur, qui trouve pour son client ce que ce dernier cherche » sera-t-il encore de quelque utilité lorsque l'individu pourra effectuer ses propres recherches chez lui ou dans son bureau, dans les 10 ans à venir ?

Dans son article : Statut du bibliothécaire de référence : ou en attendant la révolution, James Rettig assure que la féminisation de la profession lui confère une image stéréotypée dévalorisante. Pour illustrer combien l'homme a du mal à échapper à son propre stéréotype d'homme fort, puissant, de gagnant, ne pouvant exprimer des émotions, il analyse les 2 films : Kramer contre Kramer et Des gens comme les autres (Ordinary people). Deux hommes y affichent leur amour pour leur enfant respectif au risque de perdre leur « statut d'homme ». Le mouvement de libération des femmes n'a pas libéré l'homme. C'est un mouvement de libération des hommes où, conjointement avec les femmes, il serait possible de définir de nouveaux rôles, qui résoudrait ce problème. L'homme n'aurait plus honte d'être bibliothécaire ou infirmier. Il conclut en disant que le statut accordé au bibliothécaire est inhérent à la nature de notre société : « Il est peu vraisemblable qu'il soit revalorisé, à moins que je ne me trompe ». Bibliothèques pour les utilisateurs nous raconte combien les années 60 furent de grandes années pour les acquisitions. Les 10 années suivantes appartiennent au spécialiste de l'information et au catalogage en réseau de type OCLC. Les années 80 pourraient être celles du bibliothécaire de référence si nous réalisions que les bibliothèques sont faites pour les utilisateurs et non pour le bibliothécaire. Récemment, les services techniques ont été invités à participer au service public et ont fini chacun par réformer leur propre service (adéquation de l'indexation avec la demande du lecteur, révision du schéma de disponibilité des acquisitions...). La complication des normes de catalogage ajoutée à celle de l'informatique rendent le catalogue impraticable. L'informatisation et son indexation en vocabulaire libre avec les mots du titre ne simplifient pas les choses et les bibliothèques n'achètent plus les index sous prétexte qu'ils sont accessibles en ligne. Les références sont alors invérifiables et ne peuvent, la plupart du temps, être utilisées qu'à titre onéreux. Il vaut mieux que le bibliothécaire favorise l'élaboration d'index de .type moins important, mais plus utilisables, qu'il contrôle le catalogage et les autres moyens de référence en tant que médiateur entre le public et la bibliothèque. Il doit être en service public et non dans un bureau. Les bibliothèques sont pour les usagers, pas pour les catalogueurs ni les ordinateurs, ni même pour « l'utilisateur potentiel ». Elles sont pour ceux qui viennent y chercher l'information et que l'on doit servir de façon satisfaisante. Et pour clore le choix de ces articles avant d'aborder Les Services de référence des années 80, en voici un de Joseph P. Natoli qui s'intitule Vers un futur existentiel. « Actuellement l'académie traditionnelle agit comme si apprendre n'avait rien à voir avec les étudiants, et les étudiants eux-mêmes agissent comme si apprendre n'avait rien à voir avec eux ». Les structures académiques sont générées par l'élitisme et l'ignorance, renforcés par des relations hiérarchiques et des examens obligatoires pour que le niveau intellectuel de l'étudiant ne puisse dépasser celui de l'enfant.

L'enseignement est synonyme d'apprentissage. Le temps est en relation avec l'acquisition de la connaissance. Le diplôme devient l'instrument qui oblige l'étudiant à accepter toute cette structure. Les professeurs ont le monopole de la connaissance. Le bibliothécaire universitaire est profondément affecté par cette structure. Il favorise l'apprentissage, abandonnant ainsi son rôle de médiateur entre le livre et son public, son rôle de chercheur intellectuel. Rendre aux études une dimension humaine, selon nos propres lumières en tant que bibliothécaire spécialisé, n'est ni une question d'innovation technique, ni de révolution : c'est une question d'analyse et de perception renouvelée pour créer une nouvelle réalité. Aider chaque individu à vivre un présent existentiel le guidera vers un futur existentiel.

Dans Les Services de référence des années 80, Anita R. Schiller analyse ce qui a changé depuis les années 65 dans les missions d'éducation et d'information des bibliothèques de toutes catégories. Elle souligne les sentiments d'infériorité et de culpabilité qui envahissent le public en quête de renseignement. Elle cite à ce sujet des articles parus dans le New-York times et autres journaux en 1980 où on peut lire ce conseil avant d'aborder le bibliothécaire du Service de référence : « Attention, ne faites pas perdre de temps à cet expert en lui posant des questions idiotes que vous pouvez résoudre vous-même... réservez-lui celles qui sont vraiment importantes ». Elle souligne qu'outre l'accès pour tous à l'information, l'éducation du public n'a pas toujours consisté en une meilleure compréhension des ressources de la bibliothèque mais a servi de moyen de contrôle social. L'éducation du public passe par son éducation bibliographique depuis les années 70, avec entre autres, la création d'une section d'éducation bibliographique en 1977 au sein de l'ALA.

Parallèlement, l'information en ligne est devenue un produit commercial. De grosses sociétés comme IBM rehaussent leur image de marque en soulignant que leurs banques sont accessibles à la « Bibliothèque publique ». Avec bien sûr la large participation des bibliothèques universitaires, ce fut, en effet, le premier accès du public à ces systèmes d'information, accès ponctué de nombreux débats de la profession sur « faut-il délivrer l'information au public à titre gratuit ou onéreux ? ». Les bibliothèques remplissaient néanmoins leur rôle d'information au sein de la société américaine. L'avenir de ces systèmes soulève de nombreux problèmes. Le droit à la connaissance ne sera-t-il pas dans l'avenir réduit ? Les médias ne seront-ils disponibles qu'aux gens les plus aisés et à l'industrie ? D'autre part, le droit à l'anonymat sera-t-il sauvegardé dans le choix et l'utilisation des matériels ? Enfin, une politique de qualité des données des systèmes de référence en ligne va-t-elle se développer dans les années à venir ?

La dernière question et non la moindre est celle que soulève l'orientation des nouveaux services d'information et de recherche informatisée de l'Université vers le renseignement du monde industriel et des affaires. Moyen de rentabilisation en période de crise et de diminution des crédits, ne va-t-il pas desservir et miner l'information même du public de la bibliothèque par un conflit d'intérêts publics et privés ? Que le public se sente concerné par cette génération de l'information et qu'il ait accès à l'information où qu'elle soit stockée ou accessible, voilà les objectifs cruciaux des bibliothécaires et de tous ceux qui défendent le droit à l'information aujourd'hui et pour l'avenir.

Ce rapport un peu long du premier numéro d'une revue professionnelle américaine ne peut laisser indifférents les bibliothécaires que nous sommes. C'est avec un esprit critique mais aussi en nous laissant aller au plaisir de lire ces récits débordants de passion pour l'exercice d'un métier qui est le nôtre que nous pouvons approfondir l'étude d'un service peu développé en France.