La médiathèque de La Villette, un an avant la comète...

François Reiner

Éléments sur les activités des bibliothèques dans le domaine des sciences et techniques : stages de formation permanente ; comités de lecture autour de l'édition de vulgarisation scientifique pour adultes ou pour enfants et adolescents ; mise au point sur la future médiathèque de La Villette et sur son espace-enfants ; mini banque de données sur les sciences et techniques.

Some details about activities in libraries, especially in the science and technique field; reading committees about edition of scientific popularization for adults or children and teenagers; the future mediacenter of La Villette and its special space for children : the state of the art ; a mini database on science and techniques.

BBF. Quelles sont les grandes lignes d'orientation de la future médiathèque de La Villette ?

François Reiner. Dans les 12 200 m2 qu'elle occupera au sein de la Cité des sciences, des techniques et des industries, la médiathèque aura deux missions. Elle proposera à un large public - adultes et enfants - un vaste ensemble documentaire sur les sciences, les techniques et les industries. Lorsque le rythme de croisière sera atteint, les fonds comprendront 300 000 volumes, 5 000 collections de périodiques, 20 000 audiovisuels et 1 000 didacticiels ; il s'agira donc de collections multimédias importantes, dont la partie imprimée pourra être empruntée. A côté de cela, la médiathèque-chercheurs donnera accès, sur place ou à distance, à l'information et à la documentation spécialisées dans les champs suivants : histoire des sciences et des techniques, vulgarisation didactique et muséologie des sciences, des techniques et des industries.

Les deux publics

BBF. Il peut paraître curieux de commencer un entretien sur une médiathèque qui n'est pas ouverte en s'interrogeant sur son public, mais ce public est l'enjeu des énormes moyens mis en oeuvre. Alors, que sera-t-il ?

FR. Effectivement, toute l'organisation de la médiathèque est conçue autour de ce que nous pouvons anticiper dans ce domaine et, comme les autres éléments constituant la Cité des sciences, des techniques et de l'industrie, la médiathèque a fait réaliser ses enquêtes de préfiguration. La première vague a apporté un certain nombre d'éléments qu'une seconde vague -actuellement en cours - va devoir préciser, Ce qui se dessine, ce n'est pas un public, mais des publics, parmi lesquels se dégagent deux groupes dominants, aux attentes très contrastées. D'un côté, le public attendu, les gens ayant déjà une culture et des activités scientifiques et techniques (ingénieurs, techniciens, enseignants, étudiants, etc.) qui allient donc une familiarité avec les contenus diffusés par La Villette à une certaine maîtrise des outils documentaires. Ce groupe exprime une très forte intention d'utiliser la médiathèque avec des objectifs précis liés en partie à leur activité professionnelle ou à leurs études. Très polarisés sur les technologies de pointe, ils attendent de la médiathèque non seulement qu'elle leur fournisse des documents, mais qu'elle mette en oeuvre dans son fonctionnement toutes les ressources de ces technologies nouvelles pour offrir un service rapide et efficace. Le fait que la médiathèque prête leur convient particulièrement, car ils n'auront pas beaucoup de temps disponible.

L'autre groupe dominant sera composé de ceux que je serais tenté d'appeler les « visiteurs du dimanche », même si on peut les attendre aussi d'autres jours de la semaine. Ce sont des gens qui viendront ici attirés par l'ensemble des activités du Parc, par l'image technologique, « moderne » de La Villette, mais sans avoir de demande particulière à satisfaire si ce n'est le désir, mêlé d'une certaine crainte, d'essayer d'« y comprendre un peu quelque chose »; cette motivation aux contours très vagues, sera très fragile et ne résistera pas aux premières difficultés d'accès : c'est donc un public qu'il faudra à la fois séduire et rassurer pour avoir quelque chance de le fidéliser.

On le voit, il s'agit d'attentes assez contradictoires; ce qui attire les uns - la sophistication technologique - risque d'effrayer et de repousser les autres. La conséquence que nous avons tirée de l'identification de ces deux publics, c'est la nécessité d'organiser « deux vitesses » à tous les niveaux du fonctionnement de la médiathèque : consultation du catalogue, aménagement de l'espace et circulation, signalétique, contenu des collections, etc. Il faut à la fois permettre au public averti et pressé une utilisation autonome et rapide des ressources et accompagner le public « naïf » dans sa découverte quel que soit son angle d'attaque. Pour ajouter à la difficulté, il faut songer que ce que je viens de décrire doit être nuancé : entre ces deux catégories dominantes, il y a bien sûr toutes les situations intermédiaires imaginables. Il est crucial pour nous de réaliser un ensemble ouvert à tous les modes d'approches.

BBF. Un catalogue à deux vitesses ?

FR. Oui. L'utilisation du catalogue multimédias mettra en jeu les rapports de chacun avec l'informatique ; il ne sera accessible qu'en ligne à partir des quelque cent terminaux dispersés un peu partout à l'intérieur de la médiathèque et nous prévoyons également un accès à distance par minitel offrant la possibilité de réserver des documents. Nous avons besoin d'un logiciel d'interrogation qui permette un accès direct pour les gens maîtrisant les procédures classiques de recherche documentaire automatisée, en même temps qu'une progression accompagnée pour les néophytes. Nous avons beaucoup insisté sur la définition de cette ergonomie à double face dans le cahier des charges, sur lequel deux sociétés de service sont en train de travailler à l'heure actuelle. Dans ces systèmes, le plus difficile est de faire simple pour les utilisateurs. Jusqu'à présent cela ne semble pas avoir été la préoccupation majeure des réalisateurs de logiciels vidéotex, car la simplification et la transparence de l'interrogation entraînent une complication proportionnelle de la cuisine interne du logiciel, mais il est vraiment très important pour nous de réussir un système qui « tienne la main » du novice, qui décompose la procédure de recherche en choix successifs et, autre point important qui puisse fournir une réponse quels que soient les termes dans lesquels s'exprime la question; il faut que le système accepte les synonymies, sans rien dire, c'est-à-dire d'une façon qui reste transparente à l'utilisateur. Encore une fois, ce n'est pas simple, car il y a le risque d'un bruit considérable, d'une part, et il faut que parallèlement l'utilisateur habitué échappe à ce guidage qui lui ferait inutilement perdre du temps. Par là, nous allons innover - et donc essuyer les plâtres -puisqu'il n'existe pas de logiciel de ce genre dans les bibliothèques françaises.

Bourbaki aussi

BBF. Quels principes ont guidé votre politique d'acquisition pour le secteur grand public ?

FR. Le principe de base est l'accessibilité du contenu à des non spécialistes. Et ce que nous avons vite constaté, c'est que le secteur audiovisuel est plus fourni en documents de vulgarisation que le secteur imprimé.

BBF. Mais cela va poser des problèmes, car des études récentes ont montré que les forts utilisateurs de la documentation audio-visuelle étaient aussi de grands usagers de l'imprimé, tandis que la réciproque ne jouait pas.

FR. Effectivement, mais quoi qu'il en soit, force est de constater que les films de vulgarisation sont, en proportion, plus nombreux que les livres. Bien sûr, on observe des variations selon les disciplines. Et pour ce qui est des usages, notre réponse sera de ne négliger - ni privilégier - aucun itinéraire : on pourra aller de l'imprimé à l'audiovisuel comme de l'audiovisuel à l'imprimé, ou tout aussi librement se cantonner dans un type de document. Donc, pour en revenir à nos critères de choix, nous avons éliminé les ouvrages tels que thèses, rapports de recherches, actes de colloques, parce qu'ils ne sont vraiment destinés et accessibles qu'aux spécialistes de la discipline qu'ils traitent. Nous avons un autre principe de départ : nous ne souhaitons pas servir de bibliothèque universitaire aux nombreux étudiants qui ne manqueront pas de venir, - non que nous souhaitions écarter ce public, mais la médiathèque n'est pas conçue pour remplir cet office : il n'est pas question que nous achetions les manuels des premiers cycles universitaires en multiples exemplaires. Cela dit, il y a des biais introduits par ce que l'édition offre réellement dans tel ou tel domaine. Par exemple, la vulgarisation en médecine est très pauvre - on pourrait même dire inexistante -, les « livres de médecine », ce sont des souvenirs ou des réflexions sur la vie écrits par des grands patrons. Nous avons donc dû nous retourner vers les manuels de formation aux professions paramédicales et vers certains cours des premières années de médecine.

Il y a également des livres qu'on achète, non parce qu'ils seront vraiment utilisables par les publics de la médiathèque, mais pour les avoir. Je m'explique : nous pensons qu'il est important d'avoir, de pouvoir montrer, des monuments célèbres sinon réellement connus. C'est ainsi qu'en mathématique, par exemple nous avons acquis la collection Bourbaki car ce groupe de mathématiciens est connu, au moins de nom, hors du cercle des spécialistes, même si leurs ouvrages sont très difficiles. Nous voulons être en mesure de satisfaire la curiosité qui pourra s'exprimer à leur endroit. C'est un peu la même intention qui nous a conduits à acquérir certaines grandes bibliographies spécialisées, pour le secteur grand public: pouvoir montrer un exemple des grands instruments de travail de la recherche scientifique. Nous sommes intégrés à un musée qui tentera de donner des éléments sur les méthodes de la recherche scientifique, il nous semble important que la médiathèque puisse, en écho, présenter les Chemical abstracts par exemple, qui sont vraiment un instrument quotidien pour les chimistes. Il est vrai aussi que ces bibliographies - très chères - serviront à la formation et au travail de l'ensemble du personnel du Musée.

BBF. Vous allez, semble-t-il, constituer vos collections en deux temps ?

FR. Oui, les collections disponibles à l'ouverture seront doublées quand la médiathèque aura atteint son rythme de croisière, après un laps de temps difficile à prévoir actuellement. Ce qui est sûr, c'est que nous avons d'ores et déjà fixé un plafond pour chaque catégorie de documents. Il ne s'agit pas d'accumuler indéfiniment des collections ; une fois ce seuil atteint, le nouveau chassera l'ancien.

En fait, c'est tout à fait positif pour nous de savoir que nous disposerons, pour acquérir la seconde moitié de nos collections, de l'évaluation de la première moitié à l'épreuve de publics réels. Cela rend possible tous les réajustements : développer des secteurs trop faibles, racheter des exemplaires plus nombreux de titres très demandés - et nous réorienter en fonction de nouveaux centres d'intérêt, car tout cela évoluera dans le temps.

BBF. Dès le début, le public qui arrivera à la médiathèque sera confronté à un ensemble de documents très vaste, pris dans une organisation qui pourra lui sembler complexe. Quelles mesures prévoyez-vous pour faciliter l'accès aux documents ?

FR. Il aura le catalogue dont je vous ai parlé tout à l'heure, mais cela n'est pas suffisant ! La première chose à dire, c'est que l'accès libre sera généralisé. Nous avons particulièrement réfléchi aux modalités de consultation des documents audiovisuels; pour recréer des conditions comparables à celles de l'accès direct aux imprimés, il faut supprimer ce qui peut constituer un double frein pour une partie du public, des manipulations complexes d'appareils qu'on connaît mal ou, au contraire, la médiation obligée du personnel chargé de mettre en route le matériel. Le parti que nous avons pris, c'est de transférer tous les documents audiovisuels sur un support unique - le vidéodisque - et de confier les manipulations à un intermédiaire « neutre », le robot-serveur. Nous espérons que cette présentation de la documentation audiovisuelle, qui aura toutes les apparences d'un outil familier, la télévision, rassurera les « visiteurs du dimanche », tout en contentant l'autre public, dans la mesure où elle sera servie par des technologies de pointe (vidéodisque et robotique).

Circulez, il y a tout à voir

BBF. Et les imprimés ? Est-ce que leur masse ne risque pas de dérouter ceux qui arrivent sans but précis ?

FR. Si, bien sûr. Nous partons de l'idée que le principal point d'ancrage des curiosités du public est l'actualité, c'est-à-dire ce dont on parle dans les médias; nous allons nous organiser en conséquence et jouer de tous les moyens pour mettre en avant les ressources de la médiathèque sur ces thèmes d'actualité - expositions légères, table de nouveautés, programmation de vidéos, etc. Ainsi, nous nous préparons à célébrer dignement le passage de la comète de Halley ! Une logique que nous avons bien l'intention de mettre en œuvre, justement à l'intention de ce public à motivation fragile, c'est celle du supermarché : faire circuler le plus possible les gens entre les rayons pour favoriser 1'« emprunt d'impulsion », pour qu'ils trouvent ce qu'ils ne savaient pas en entrant pouvoir les intéresser. Encore une fois, il s'agit de les tenter et de les séduire... Cela supposerait une évolution permanente de la disposition, car les intérêts potentiels se déplacent, mais l'architecture rigidifie toujours et il n'est pas envisageable, ni souhaitable, de changer le classement tout le temps. Néanmoins, nous nous efforcerons de susciter un cheminement à travers les trois niveaux de la médiathèque publique, sans pour autant retarder ceux qui savent précisément où ils vont.

BBF. Comment concilier itinéraires de découverte et orientation précise dans l'espace ?

FR. Il y a une chose qu'il ne faut absolument pas rater, c'est la signalétique. Elle sera fondamentale pour que toutes les ressources de la médiathèque aient des chances d'être « vues ». Nous voulons favoriser la transparence des différents ensembles, donc éviter le cloisonnement autant que nous le permettent les locaux sur plusieurs niveaux qui nous sont alloués. Une illustration de ce principe est donnée par la médiathèque enfants que nous avons voulue un service totalement intégré à l'ensemble : on pourra passer de l'une à l'autre, qu'on soit un adulte ou un enfant. Décloisonnement donc et diversification des modes de présentation, utilisation des couleurs, de la lumière, des éléments du mobilier, tout cela devrait favoriser un bon repérage des services de la médiathèque.

BBF. Comment apparaîtra la médiathèque-recherche dans cet ensemble ?

FR. Elle sera séparée du reste à beaucoup de points de vue : une politique d'acquisition différente, une fonction de conservation que n'a pas le reste de la médiathèque, des limitations de l'accès libre, etc. Cependant, elle- n'est pas destinée à un public particulier, mais à un type de demandes particulières : on ne l'ouvrira pas qu'aux « chercheurs en carte », mais à tous ceux qui auront besoin de documents spécialisés dans les domaines que nous couvrirons. C'est pourquoi l'existence des collections de la médiathèque-recherche sera visible dans le catalogue général. Chaque fois que des documents spécialisés répondront au sujet demandé, cela sera signalé et l'affichage des références pourra être obtenu ; ainsi le signalement des ressources spécialisées ne sera pas confondu avec celui des collections de vulgarisation, mais il sera accessible.

BBF. Revenons à la médiathèque publique; quel classement avez-vous adopté pour les documents en accès libre ?

FR. Nous avons renoncé à utiliser les classifications encyclopédiques, CDU, Dewey ou LC, parce qu'elles dispersent trop les sujets dans le cas d'un fonds spécialisé. Nous avons donc fait un classement maison tout à fait modeste, qui ménage des carrefours sur des thèmes interdisciplinaires, comme la nature par exemple. Dans un autre ordre d'idées, nous avons eu le souci de ne pas choisir un mode d'approche unique de telle ou telle catégorie de documents. C'est ainsi que les livrets accompagnant les séries de diapositives se trouveront aussi bien au milieu des ouvrages qu'à proximité des points de consultation de la documentation audiovisuelle.

La médiathèque et les autres

BBF. Et en ce qui concerne les activités d'animation, comment allez-vous vous définir par rapport au reste de La Villette ?

FR. Les liens avec le Musée sont clairs, la médiathèque en fait partie et participera, pour ce qui est de son ressort, aux animations générales. Les visiteurs du musée seront invités par des appels du genre « pour en savoir plus » à aller emprunter à la médiathèque des documents sur les thèmes des expositions. Nous essaierons aussi d'apporter notre contribution aux autres activités du Parc. Il est bien clair aussi que nous tenons à notre spécificité et que nous ne développerons aucune des activités qui existent déjà ailleurs dans le Parc. Ainsi, la médiathèque proposera la consultation d'une collection importante de didacticiels, mais pas la possibilité de réaliser des programmes, car il y aura des clubs-micro à La Villette; en revanche, elle pourra fournir de la documentation à ces clubs. Nous voulons éviter toute redondance, nous sommes avant tout un lieu de diffusion.

BBF. Votre implantation favorise-t-elle les liens avec le quartier et les villes de banlieue limitrophes ?

FR. C'est un problème qui nous dépasse et qui est, de plus, susceptible d'évolution. Le Parc, qui est vraiment très proche à vol d'oiseau des communes d'Aubervilliers et de Pantin, n'est en fait accessible que par les transports en commun; il faut franchir la Porte d'Aubervilliers ou la Porte de Pantin, une voie ferrée, le périphérique, etc. Si le projet d'accès piéton par les berges du canal de l'Ourcq n'est pas réalisé, on continuera à ne pouvoir y arriver que par le bus ou le métro, ce qui suppose une motivation autre que celle de la promenade de voisinage.

Il est sûr que La Villette changera, et change déjà, la vie du quartier, mais dans quelles proportions les habitants fréquenteront-ils des équipements comme la médiathèque ? C'est difficile à dire.

BBF. A quand l'ouverture ?

FR. Elle est prévue en mars 1986. Nous pourrons alors soumettre la médiathèque à l'épreuve du public, - en vraie grandeur cette fois; ce qui nous donnera pour l'avenir des indications plus précises que les « maquettes » que nous allons tester - la consultation de didacticiels à la bibliothèque de Sèvres en janvier prochain, par exemple. Mais, encore une fois, nous n'attendons pas un public, mais des publics avec des approches et des attentes très diversifiées. C'est pourquoi nous préparons un lieu ouvert qui n'imposera pas une démarche unique à un « bon » lecteur, mais dans lequel, au contraire, chacun pourra faire son miel.