Choix de vedettes matières à l'intention des bibliothèques.

par Noë Richter

Martine Blanc-Montmayeur

Françoise Danset

Paris : Cercle de la librairie, 1984. 24 cm.
ISBN 2-7654-0318-X.

En publiant son Esquisse de l'évolution des systèmes de classification en 1967, Paule Salvan déplorait la pauvreté de l'apport des bibliothécaires français à la recherche sur les langages documentaires. L'aiguillon dés travaux documentologiques et plus encore, peut-être, celui de la nécessité semblent les avoir tirés de leur léthargie. Le mouvement a été imprimé il y a dix ans par la Bibliothèque publique d'information, qui a construit son catalogue de matières en utilisant le seul instrument en langue française existant alors, le Répertoire de vedettes-matières de l'Université Laval de Québec. La Bibliothèque nationale a suivi en 1980, et ces deux bibliothèques ont commencé à publier leurs propres listes d'autorité, l'une dès 1976, l'autre en 1982. Un service ministériel a été récemment chargé de coordonner les deux listes et d'élaborer une Liste encyclopédique française de vedettes-matières, dont les règles d'emploi ont fait l'objet d'un projet de norme (Z 47-200) diffusé en mars 1984.

Quel choix pour les bibliothèques ?

Les bibliothèques françaises se trouvent donc aujourd'hui devant un choix décisif. Vont-elles abandonner des usages enseignés et pratiqués avec plus ou moins de bonheur depuis une génération, clore leurs vieux fichiers et en construire de nouveaux avec les procédures de la nouvelle norme ? La réponse ne fait guère de doute pour les grandes bibliothèques d'étude et de recherche dont les services de catalogage et d'indexation seront informatisés tôt ou tard. Celles-là adopteront le lexique et la syntaxe de la Liste encyclopédique française, qui ne sont pas compatibles avec les procédures de la norme ancienne (Z 44-070). Mais que feront les petites et moyennes bibliothèques ? On peut présumer qu'elles demeureront fidèles aux pratiques artisanales et continueront à créer leurs vedettes-matières selon les procédures anciennes. Il sera difficile sans doute de les convaincre d'adopter une liste d'autorité nationale peu maniable, trop riche et trop lourde pour les besoins documentaires de leurs usagers, et une norme dont la syntaxe et l'écriture sont plus difficiles que celles de la norme de 1957 qui se modèle davantage sur le discours français.

C'est dans ce contexte institutionnel difficile que le Cercle de la librairie publie le Choix de vedettes matières de Martine Blanc-Montmayeur et de Françoise Danset. L'ouvrage s'inscrit dans la lignée de la vieille norme et rétablit bien à propos l'équilibre entre les deux systèmes d'indexation alphabétique entre lesquels se partagent les bibliothèques encyclopédiques françaises. Les auteurs nous en disent la genèse. Il a été conçu dans une situation précise : la construction du catalogue de matières de la bibliothèque de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Mais les auteurs ne se sont pas conformées à la pratique aléatoire ordinaire qui consiste à enregistrer les termes sélectionnés à mesure des entrées. Elles ont adopté une démarche synthétique en établissant à partir des dictionnaires une liste de descripteurs, dont elles ont testé la pertinence à l'aide du catalogue d'une grande bibliothèque encyclopédique, celle de l'Université de Nanterre.

Un parti-pris de concision

Forte de 12 500 entrées et longue de 283 pages, la liste est précédée d'une substantielle introduction écrite dans une langue très simple, qui ne rebutera pas les débutants et plaira aux praticiens. Sa première partie expose très succintement les principes de l'indexation alphabétique selon la norme Z 44-070. La seconde montre l'application de ces principes à la sélection proposée. Scrupuleuses à l'extrême, les auteurs s'excusent des « libertés » qu'elles ont prises avec la norme et s'accusent même d'hérésie par rapport à la « pure orthodoxie du catalogage matière». On aimerait les rassurer. Ce n'est pas elles qui iront au bûcher. On y enverra plutôt la norme de 1957, coupable par son imprécision d'avoir laissé la bride sur le cou aux praticiens et d'avoir favorisé l'accumulation des divergences, des incohérences et des déviances dans les catalogues des bibliothèques françaises. Or un de leurs mérites, c'est d'avoir pris en compte les acquis de la réflexion de ceux qui ont écrit sur le sujet, et d'avoir corrigé les déficiences de la norme en explicitant les procédures. Mieux encore : en utilisant des termes techniques ignorés par la norme Z 44-070 mais qui se trouvent dans la série Z47 relative aux thésaurus et aux listes d'autorité, l'ouvrage est une contribution à l'assainissement du lexique professionnel. Tous ceux qu'affligent les créations verbales de théoriciens, d'enseignants et de praticiens qui se targuent d'appartenir aux métiers et aux sciences de l'information et de la communication, salueront ce recul du babélisme professionnel. On félicitera donc les auteurs d'user des termes « Descripteur » (qu'elles devraient mieux distinguer du « Mot-clé », p. VIII), et « Tête de vedette », que le projet de norme Z 47-200 a heureusement introduit dans la terminologie de l'indexation alphabétique. On sera, en revanche, beaucoup plus réservé sur le mot « Subdivision » que nos auteurs, visiblement influencées par la Liste encyclopédique française, donnent comme équivalent de « Sous-vedette ». Il faut laisser ce mot à la langue de l'indexation systématique. Il implique en effet un rapport d'inclusion et une subordination de type hiérarchique qui sont l'un et l'autre absents des sous-vedettes. Celles-ci sont bien subordonnées, au sens grammatical du mot, à la tête de vedette, mais elles n'ont pas avec elle la relation spécifique/générique qui est celle d'une subdivision par rapport à une division ou une classe principale. On relève encore l'utilisation du mot et de la pratique des « vedettes modèles » et des « subdivisions (sous-vedettes) de sujet communes » dont la Bibliothèque publique d'information et la Bibliothèque nationale font un usage constant et que la liste encyclopédique française propose de normaliser.

La liste elle-même est une suite alphabétique de 12 500 entrées, qui ne sont qu'une sélection de noms communs. Les auteurs en ont exclu les noms propres, les noms des animaux, des plantes, des corps chimiques et des médicaments, estimant à juste titre que ces termes très spécifiques n'étaient pas de nature à embarrasser un indexeur. Elles n'en ont conservé que quelques spécimens, pour l'exemple, et en particulier les deux noms géographiques France et Bretagne proposés comme vedettes modèles pour toutes les têtes de vedettes significatives d'une entité nationale ou régionale. Ce parti pris de concision et ce refus de diluer la matière documentaire sont des facteurs appréciables de maniabilité et d'efficacité. Les termes sélectionnés (descripteurs) sont imprimés en capitales grasses, les termes rejetés (non-descripteurs) en capitales maigres. Les seconds sont suivis d'un renvoi simple au descripteur retenu (Politesse voir Savoir-vivre), ou à une série ouverte de descripteurs laissés à l'initiative de l'indexeur (Bataille voir au nom des batailles et des guerres), ou encore de la formule « voir au domaine d'application », qui signifie que le terme rejeté n'est pas utilisable en tête de vedette mais peut l'être en sous-vedette (arbitrage, coagulation, compétition, luxation, raffinage, etc.). Les descripteurs retenus se présentent sous deux aspects. Les sujets dont les auteurs ont estimé qu'ils seront peu traités sont réduits à la seule tête de vedette. Les autres sont développés à l'aide d'une ou de deux sous-vedettes de sujet secondaire ou de point de vue. Les sous-vedettes sont décalées par rapport aux têtes de vedette et imprimées en minuscules. Les auteurs ont cherché, dans la mesure du possible, à uniformiser les sous-vedettes pour des notions comparables. Elles y sont parvenues en créant trois séries de sous-vedettes standardisées communes : catégories sociales - facteur économique, psychologique, social, religieux - thèmes. Cette réduction leur permet encore une économie d'écriture puisque le détail de ces trois séries est donné une fois pour toutes dans l'introduction.

De la complexité de l'indexation

En dépit de leur effort pour concentrer et uniformiser les procédures, les auteurs n'ont pas toujours maîtrisé la masse lexicale qu'elles ont réunie. On aurait mauvaise grâce à relever toutes les erreurs et les inconséquences qui déparent l'ouvrage. On est d'autant moins tenté de le faire que beaucoup d'entreelles paraissent relever davantage de la correction typographique que de la critique de fond. Elles sont bien gênantes toutefois lorsqu'elles portent sur le nombre grammatical, c'est-à-dire lorsque le pluriel est utilisé à la place du singulier. Ces négligences déconcerteront les indexeurs peu aguerris. Les auteurs auraient dû s'expliquer aussi sur l'alternance singulier/pluriel dans l'utilisation du mot Economie en sous-vedettes après les descripteurs Chaleur, Electricité, Energie. On fera la même remarque sur les sous-vedettes Expériences, Statistiques, Troubles. Il y a là une mise au point nécessaire. Les sens des mots ne paraissent pas toujours rigoureusement définis, et on relève quelques renvois d'équivalence entre des termes qui ne sont ni synonymes ni quasi-synonymes : de Municipalité vers Commune, de Lock-out vers Grève (alors que le terme Générique Conflit social figure dans la sélection). On corrigera « genre » par « nombre » à la troisième ligne de la page XIV, et on demandera si le problème de l'emploi des genres soulevé à la même page et à la page XXI est bien pertinent. Il paraît relever davantage de l'idéologie féministe que des langages documentaires. Il n'y a pas en effet en français un genre masculin, mais deux. L'un désigne les êtres animés de sexe mâle et l'autre est un masculin générique asexué, ou polyvalent si l'on préfère. Les instituteurs, les français et les conservateurs de bibliothèque sont à la fois mâles et femelles.

Nous ne tourmenterons pas nos auteurs pour ces peccadilles. Il est préférable d'attirer leur attention sur quelques contradictions internes qui touchent au fond des problèmes de l'indexation. Elles ont fort bien dit, et elles ont eu raison de rectifier la vieille norme sur ce point, que la barre oblique n'était pas un séparateur assimilable à la virgule, mais que son utilisation créait un « nouveau concept » (p. XXIX). Pourquoi alors avoir imprimé ces nouveaux concepts en minuscules et les avoir maintenus dans la liste des sous-vedettes ? Famille/enfant et Enfant/ famille étant des descripteurs rigoureusement équivalents, on constate par ailleurs qu'ils ont deux écritures et deux places différentes sous leurs entrées respectives. On en dira autant des descripteurs complexes formés d'un substantif et d'un adjectif. Nous ne pouvons pas suivre les auteurs lorsqu'elles nous disent (p. XXVII) que Littérature courtoise est une sous-vedette du mot Littérature, puisqu'elles nous ont elles-mêmes expliqué (p. XV) que les sous-vedettes étaient introduites par une virgule. Il y a ici confusion entre langage alphabétique et langage systématique. Littérature courtoise est un descripteur plus spécifique que Littérature, mais un descripteur à part entière qui devait être imprimé en capitales grasses, comme l'ont été Baroque, Rococo, Réalisme qui n'ont pas été considérés comme des sous-vedettes de Art.

Martine Blanc-Montmayeur et Françoise Danset ont fort bien expliqué (p. XII) que la finesse de l'indexation devait être fonction de l'importance de la documentation réunie sur un sujet. Elles reviennent en p. XX sur le problème, dérapent, et l'amalgament avec le problème de la pertinence c'est-à-dire celui de l'adaptation des descripteurs au profil et au langage de l'usager. Elles débouchent alors sur une proposition qui est en contradiction formelle avec les principes qu'elles ont elles-mêmes posés. Illustrant leur propos par deux exemples hétérogènes (une synonymie et une relation spécifique/générique), elles laissent à l'indexeur le choix « entre deux niveaux de vocabulaire qui correspondent à deux niveaux d'indexation plus ou moins approfondie». Il fallait soit généraliser la procédure en introduisant systématiquement tous les synomymes existant dans le langage savant et le langage courant, mais en prenant bien soin de distinguer ces deux langages par un artifice graphique, soit rester fidèle à l'objectif défini au début de l'ouvrage : « servir de référence aux bibliothèques publiques : bibliothèques municipales, bibliothèques départementales, bibliothèques de comités d'entreprises et d'associations, et aux centres de documentation non spécialisés, principalement aux centres de documentations scolaires CDI et BCD ». Les rédactrices n'ont pas su tenir la barre. Elles ont oscillé entre deux niveaux intellectuels. Elles auraient dû s'interdire d'introduire l'expression savante lorsqu'une notion pouvait être signifiée par un terme usuel, comme elles l'ont fait pour Mitose, Sériciculture... et pour tous les mots que l'on ne trouve pas dans leur choix. Ceci n'aurait en rien appauvri le langage documentaire qu'elles ont élaboré puisque les termes rejetés pouvaient figurer en non-descripteurs.

Ces réserves faites, on accueillera avec faveur un outil qui manquait aux formateurs et aux praticiens. Les premiers y trouveront les illustrations nécessaires à l'enseignement d'une matière que nos étudiants assimilent avec peine. Les seconds y découvriront des solutions rapides à beaucoup des problèmes qu'ils rencontrent quotidiennement. Il faudrait maintenant que les uns et les autres s'approprient le travail de Martine Blanc-Montmayeur et de Françoise Danset, qu'ils le testent, qu'ils le rectifient, et qu'ils établissent avec les auteurs un dialogue collégial qui aidera celles-ci à en corriger les imperfections. Le consensus qui soutiendra alors le Choix de vedettes matières à l'intention des bibliothèques en fera un instrument de référence indiscutable pour les bibliothèques de culture et les services documentaires à l'usage du grand public.