Quelques commentaires

Alban Daumas-Flocia

Devant la rapidité des progrès techniques, des choix vont s'imposer. Quelques éléments sont à souligner et appellent le débat : peut-on envisager une reconversion de l'ensemble des bibliothécaires ou au contraire aura-t-on besoin de spécialistes de l'information ?. Quel sera le statut de l'information ?. Aux critères de rapidité s'ajouteront les critères de coût. Malgré les différences de situation entre les 2 pays, les perspectives posées par J.F. Stirling concernent autant les bibliothécaires français que les britanniques.

Technical improvements oblige libraries to take choices. Are all librarians destined to adopt a completely brand-new professional line ? Or, shall we need more a highly specialized staff in information ? What will the situation of information be ? In spite of differences between the two countries, the prospects described by J.F. Stirling apply as much to French librarians as British.

Il faut remercier J.F. Stirling d'avoir écrit cet article qui a, outre le mérite d'attirer l'attention sur les nombreux et importants problèmes qui vont assaillir les bibliothécaires et les bibliothèques aujourd'hui et demain, l'avantage d'être non conformiste et de renverser quelques idoles.

Cependant, que l'auteur veuille bien nous pardonner les réflexions critiques qui vont suivre et les petites remarques que l'on peut faire au fil des lignes.

En premier lieu, une idée vient à l'esprit : les progrès techniques s'imposeront à nous de gré ou de force et les choix que nous devons faire ne sont plus du genre :« pouvons-nous accepter l'automatisation de tel ou tel service », ou « décidons-nous de conserver les documents comme nous le faisions hier ? », mais se situeront à un niveau plus concret : « quel genre de matériel est le plus adéquat, quel système est le plus performant... ». Aussi est-il permis de ne pas être d'accord lorsque nous lisons que quelques pages suffiront à donner à tous les bibliothécaires les connaissances nécessaires pour comprendre les possibilités et les inconvénients des nouveautés qui envahissent le marché. Mieux vaut, semble-t-il, s'adresser à un spécialiste qui sera le « chef du projet » ou à un bureau officiel ou privé qui suit ces questions. Car il est impossible de nos jours, sauf à être très spécialisé, de se tenir au courant de tout ce qui se fait dans tel ou tel domaine des techniques de l'information. D'autre part, les choix que nous serons conduits à faire ne doivent plus être des actes isolés : nous ne pouvons désormais décider d'une politique, c'est-à-dire agir dans certaines directions, que dans le cadre d'un réseau qui englobe les ensembles locaux, régionaux, nationaux (sinon internationaux) de l'information.

En second lieu, il faut comprendre que les renseignements donnés dans le corps de son article, par J.F. Stirling, concernant les changements qui interviennent chaque jour dans le domaine de l'édition, les systèmes d'interrogation en ligne, les publications à la demande, sont significatifs et lourds de conséquences. Que deviendront alors les bibliothèques universitaires et quelles seront leurs fonctions ? Il semble probable que la séparation fonction de conservation/fonction comme centre d'information ne sera plus aussi nette qu'aujourd'hui. Ceci, parce que dans les futurs multiples qui nous guettent, toutes les fonctions d'information seront fortement imbriquées les unes dans les autres. La création matérielle de l'information étant quasi instantanée et sa diffusion aussi rapide, c'est alors son identification, son repérage qui sera l'action la plus difficile. Pourtant, il existera toujours une hiérarchie dans le niveau des connaissances transmises. C'est peut-être là le point crucial où les spécialistes de l'information (comment les dénommer ? en tout cas sûrement plus bibliothécaires ou conservateurs) seront indispensables. En effet, quel que soit le domaine couvert, les besoins des différents utilisateurs sont et demeureront extrêmement variables. Il restera donc toujours à procéder à l'analyse des besoins exprimés ou latents du point de vue du type, du niveau de l'information recherchée. Remarquons d'autre part que la distinction actuelle information primaire, secondaire, tertiaire ne sera plus valable dans quelques années et que le critère de la qualité de fraîcheur de l'information sera primordial. L'utilisateur, mis en garde par le spécialiste de l'information, devra penser aussi au coût de l'information qu'il souhaite, et étudier le rapport coût/qualité/bénéfice réel de l'opération documentaire projetée. J.F. Stirling en dit quelques mots, mais il faut le répéter : le prix de l'information sera de plus en plus lourd. On disait autrefois « ce qui est rare est cher », formule trop rapide car c'est ce qui est rare et indispensable ou a une valeur symbolique élevée qui est cher. Dans notre cas, il faut s'attendre à un résultat en apparence inverse : l'information étant abondante, surabondante même (d'où la nécessité de tris, d'une sélection), elle sera de plus en plus coûteuse, car elle sera aussi de plus en plus indispensable, tout en ayant une valeur symbolique en diminution, mais en gardant une valeur subjective forte pour le chercheur.

En troisième lieu, il faut lire avec une grande attention les quelques lignes où J.F. Stirling parle de l'intelligence artificielle et des systèmes experts. Les conséquences de l'existence de tels systèmes, quand ils sont construits pour la recherche de l'information, sont très importantes : au lieu des tâtonnements et de la quête actuelle interviendra automatiquement une stratégie soigneusement élaborée, puis une tactique se mettra d'elle-même en place, s'adaptant aux difficultés particulières des questions posées.

On voit, par ces quelques réflexions, que l'article de notre collègue anglais donne beaucoup à penser. Plus prosaïquement, on peut noter des phrases telles que celles-ci : « depuis longtemps, il n'est plus possible de répondre à l'échelle locale à tous les besoins sauf à ceux des étudiants » (bienheureux étudiants anglais !), « la bibliothèque universitaire a conservé sa place au centre de la communauté universitaire » (heureuses bibliothèques universitaires anglaises !), et de surcroît« même lorsque les ouvrages sont stockés dans les bibliothèques de département, c'est nous qui en général les commandons, qui les classons et qui fournissons le personnel qui surveillera leur utilisation » (!) et remarquer qu'il n'en est pas partout de même en France.

Beaucoup d'autres points de cet article sont aussi intéressants et parfois discutables : .l'idée que les systèmes intégrés que nous installons peuvent et doivent donner suffisamment d'informations « en retour » pour « changer de cap » si nécessaire ; le fait que les bases de données absorberont une part de plus en plus grande des crédits (des bibliothèques universitaires anglaises) ce qui signifie que les usagers ne paient pas le prix réel de l'information qu'ils reçoivent ; l'opinion que des changements très décisifs vont affecter le prêt interbibliothèque; les services des acquisitions, celui des périodiques ; l'affirmation d'une divergence future entre la littérature des idées et celle des faits... ; et enfin l'annonce de bouleversements dans les besoins en personnel de nos établissements : moins de conservateurs, de sous-bibliothécaires, de magasiniers et plus de techniciens...

Voilà de quoi réfléchir pendant quelque temps !