Les progrès technologiques dans la transmission de l'information

Quelques conséquences pour les bibliothèques d'étude et de recherche

John F. Stirling

Bien que les bibliothèques d'étude et de recherche se soient dans le passé adaptées assez facilement aux nouveautés technologiques, elles doivent aujourd'hui faire face à des changements d'un type tout à fait différent. L'auteur se penche sur quelques-unes des tendances que l'on peut observer dans le monde de l'édition, dans celui des mémoires électroniques et dans la transmission de l'information. Il s'efforce d'évaluer l'impact probable qu'auront les nouvelles techniques sur les bibliothèques universitaires, considérant en particulier leur rôle en tant que centres de conservation, l'obligation qu'elles ont d'assurer la satisfaction des besoins des étudiants et leur fonction de centre d'information.

Although academic libraries have accommodated themselves fairly readily to technological innovation in the past, they now face changes of a different order. The author reviews some of the trends which are observable in the publishing world and in the electronic storage and transmission of information. He attempts to assess the likely impact new techniques will have on university libraries in relation to their archival role, their provision for undergraduates and their function as information centres.

Quand on aborde le problème des progrès actuels dans la transmission de l'information et de leurs conséquences pour les bibliothèques d'étude et de recherche, il faut d'emblée se poser une question : en quoi les nouvelles technologies sont-elles si différentes de celles d'autrefois ? Après tout, les bibliothèques ont, dans le passé, adopté les innovations technologiques et adapté sans trop de difficultés leurs habitudes et leurs services aux changements intervenus. La machine à écrire, le duplicateur Ronéo, les machines Multilith et Flexowriter, chacun de ces matériels, à son tour, a modifié la manière de reproduire les fiches des catalogues ; le photocopieur a révolutionné le prêt entre bibliothèques ; microfilm et microfiche ont permis à la fois d'acquérir rapidement des collections entières, rares ou épuisées, et de résoudre le problème de la place nécessaire à leur rangement. Toute cette évolution a été le résultat de technologies nouvelles à leur époque : mais alors en quoi les nouveaux matériels actuels sont-ils si différents ?

En premier lieu, il faut remarquer que dans tous les exemples cités ci-dessus, il s'agit de machines qui ont permis d'accomplir certaines tâches à un moindre coût, ou au moins d'améliorer des services déjà existants. Nous n'avons donc pas été contraints à une modification radicale de nos structures. Mais aujourd'hui, nous avons le pouvoir d'accomplir des tâches entièrement nouvelles et de contrôler leur exécution ; en quelques secondes, nous pouvons avoir accès à de vastes sources d'information et obtenir des données bibliographiques du monde entier. Tous nos anciens systèmes doivent être révisés à fond, sinon oubliés et rebâtis de fond en comble. En second lieu, on constate que le changement se fait de manière plus rapide que par le passé et que les innovations elles-même sont plus profondes. Il s'ensuit que si les bibliothèques et leur personnel veulent survivre, il leur faudra s'adapter davantage, être plus réceptif aux nouvelles idées et être prêt à les mettre en pratique.

Les problèmes de choix

Désormais, il y a interaction constante entre les nouvelles technologies et les structures et services des bibliothèques ; le problème majeur de leurs dirigeants est donc de sortir de l'ancien système et d'atteindre les buts et les objectifs qu'ils se sont fixés, en tenant compte des nouveaux moyens mis à leur disposition et de l'environnement. Le danger vient du fait que nous tentons toujours de superposer les nouvelles technologies aux anciennes structures. Comme l'a si bien écrit S.M. Malinconico : « Nous devons souvent résoudre des problèmes vieux de dix ans à l'aide de systèmes tout récents, aussi les bibliothécaires sont-ils obligés d'analyser attentivement leur environnement technologique pour déterminer quelles sont les limites réelles de ce qu'il est possible de faire et quelles sont celles qui ne sont qu'illusoires » 1.

Par conséquent, notre premier problème à court terme est celui du choix. Comment faire un tri parmi les nouvelles technologies et nous situer par rapport à elles ? En l'occurence, peu d'entre nous ont pu acquérir une formation technique suffisante, nous sommes donc très dépendants de l'avis des « experts » et de celui du « petit génie » de notre établissement. Voilà le danger, J. Hawgood le dit clairement : « Depuis dix ans, bien des échecs des systèmes d'information basés sur ordinateur proviemzent du décalage entre la formation des décideurs en général et celle des experts. Les uns ont manqué de fermeté pour contrôler l'enthousiasme des techniciens pour des systèmes « tout va bien, tout est parfait, c'est le dernier cri » ; les autres par contre, même s'ils sont prêts à le reconnaître maintenant, n'ont pas attaché assez d'importance aux facteurs psychologiques et sociaux, cause déterminante du succès ou de l'échec de leurs systèmes » 2.

Nous devons donc, si nous voulons tirer le meilleur parti des nouvelles technologies, nous résigner à suivre les stages de formation organisés à notre intention et à celle de notre personnel, et acquérir ainsi les connaissances nécessaires. Nous devons également nous assurer que les systèmes que nous installons peuvent fournir les informations en retour permettant de faire des corrections ou même, si nécessaire, des changements de cap complets.

Ceci est particulièrement important lorsque l'on considère la nature largement expérimentale de nombreux systèmes d'information, dits automatisés, mis couramment sur le marché. « Personne ne réalise vraiment quel sera leur impact sur les usagers et leur interaction avec les nouvelles techniques qui seront mises au point dans deux ou trois ans » 3.

L'évolution de la demande de l'usager

Cependant, dans nos bibliothèques, nous conservons encore l'initiative et pouvons, pour une large part, imposer à nos usagers nos choix et la façon dont sont organisés nos services. Par exemple, beaucoup d'entre nous ont opté pour l'automatisation des prêts et des catalogues. Nous l'avons fait après avoir pris l'avis de techniciens compétents, choisissant ce qui a paru globalement être la meilleure solution et persuadant ensuite nos différents conseils que cette innovation avait un sens positif au niveau fonctionnel et financier. Nous avons appris à nos lecteurs à utiliser les catalogues COM et avons lancé, çà et là, des expériences d'utilisation de systèmes en ligne.

Nous avons fait découvrir à nos lecteurs les possibilités des services d'information automatisés. Nous avons été les promoteurs de ces changements et notre principal problème a été de faire accepter ces nouvelles façons de faire à des enseignants non avertis, professeurs et assistants, tous gens sceptiques et ignorants de ces technologies, auxquels on demande tout bonnement de voter les crédits nécessaires. En conséquence, il nous a été possible, dans une large mesure, de rester maîtres du changement, et de contrôler son évolution au sein même de notre environnement.

Il est clair que cet heureux état de choses ne va pas durer très longtemps, au moment même où apparaît une nouvelle génération d'usagers et où des innovations, dans le domaine de l'édition, vont nous être imposées. Maintenant, on trouve souvent des micro-ordinateurs dans les écoles et les collèges ; des cours d'initiation à l'informatique sont proposés aux étudiants de premier cycle dans toutes disciplines, désormais familiarisés avec les matériels les plus divers. Les universitaires utilisent déjà pour leurs recherches les machines à traitement de textes et veulent avoir leur propre terminal d'accès aux services en ligne. Aussi, pouvons-nous nous attendre à voir évoluer la demande de lecteurs désormais mieux informés et bien plus avertis que ceux auxquels nous avions jusqu'à présent affaire.

Les changements dans le domaine de l'édition

Les changements dans le domaine de l'édition auront aussi certainement de grandes conséquences sur les bibliothèques, changements que nous ne pourrons d'ailleurs maîtriser que très peu ou pas du tout. Voici un exemple simple : la publication de résumés. En janvier 1981, la Commission des communautés européennes a annoncé la publication pour juin 1982 d'une nouvelle revue par l'éditeur Reidel : «European Environmental/ Science/Synopses » ; chaque numéro doit comprendre les résumés d'une dizaine de rapports d'étude et chaque résumé doit représenter environ le dixième du rapport original, imprimé en général en tout petits caractères.

Une note additionnelle de l'éditeur montre bien quelques-uns des problèmes pratiques que peut apporter ce nouveau type de publication. « Deux des intérêts majeurs de cette présentation sont les marges importantes qui laissent assez d'espace pour y prendre des notes au crayon et la présence d'un bon de commande pour permettre au lecteur d'obtenir les originaux qui l'intéressent particulièrement ». En clair, l'abonné ordinaire n'a guère été pris en considération, en fait on peut même penser qu'il a été volontairement ignoré, mais cet exemple n'est peut-être pas tout à fait typique.

Les services en ligne

Depuis quelques années, les bibliothèques universitaires se sont mises à l'interrogation des banques de données bibliographiques automatisées et il est évident que celles-ci vont devenir de plus en plus nombreuses et absorber une part de plus en plus grande de nos crédits. Beaucoup coexistent naturellement avec une publication imprimée, et dans le cas des services de résumés, dépendent encore étroitement des revenus issus des publications. Selon Robert Maxwell 4, il paraît très improbable que les ressources provenant des interrogations automatisées permettent de couvrir le coût des recherches et l'entretien des services informatiques, à moins d'une augmentation considérable dans leur utilisation. Cependant, il semblerait, que dans ce cas les éditeurs aient toute liberté d'action pour faire pression sur les bibliothèques abonnées à leurs périodiques, en ajustant les différences de coûts entre les banques de données informatisées et les publications imprimées. Pour notre part, à l'Université d'Exeter, on va semble-t-il, vers une augmentation constante dans l'utilisation des bases de données informatisées qui, cependant, restent un complément à nos ressources bibliographiques conventionnelles. Le coût et la disponibilité sont ici des facteurs déterminants. A long terme, je pense que la balance penchera largement en faveur des banques de données informatisées.

En ce qui concerne les systèmes informatisés, nous devons être attentifs aux recherches sur l'intelligence artificielle et à l'apparition des « systèmes experts » 5. L'intelligence artificielle est définie comme l'étude de techniques permettant de programmer les ordinateurs pour des tâches qui, si elles étaient réalisées par des personnes, demanderaient une certaine intelligence, comme les échecs ou toute activité nécessitant réflexion. Ces dernières années, un certain nombre de systèmes semblables sont apparus, qui peuvent égaler et même supplanter les facultés de certains spécialistes dans des domaines précis. Le premier système expert a été le système appelé « DENDRAL », utilisé à présent couramment pour l'identification des composés organiques par leur spectre de masse. D'autres ont suivi, dans les domaines de la médecine et de la géologie et d'autres encore se développent dans diverses disciplines.

Ces progrès technologiques sont importants car il sera bientôt possible de les appliquer aux catalogues automatisés des bibliothèques, catalogues qui pourront être connectés en réseau ; ce qui facilitera beaucoup, pour le profane, le travail de recherche des informations bibliographiques. D'autre part, pour formuler des stratégies de recherche pour l'interrogation des bases de données, il y aura des potentialités plus grandes aussi bien pour le personnel des bibliothèques affecté à ce travail que (à plus long terme sans doute) pour un libre service des bases à l'usage des chercheurs. Un des anciens de mon équipe, Roy Davis, est actuellement en contact avec des membres du département informatique afin d'élaborer une approche commune de ces applications.

Le développement des services en texte intégral nous conduit à l'ère du libre service. Il en existe très peu pour le moment, mais je ne doute pas de les voir très bientôt se développer, particulièrement en sciences sociales. Ces systèmes sont le substitut direct du livre imprimé, et, ce qui a peut-être une grande importance pour nous, ils ne sont pas mis sur le marché pour les bibliothécaires mais sont destinés à l'usager individuel ; LEXIS, par exemple, est destiné aux juristes professionnels. Au sein de ma propre université, le département de droit, en grande partie sur ses propres crédits, mais aussi avec une participation modeste de la bibliothèque, s'est connecté à LEXIS l'automne dernier. Il a été convenu que le terminal serait installé à la bibliothèque de droit, mais le matériel est loué par les juristes qui sont aussi responsables de la maintenance et du règlement des factures. A noter, qu'à l'origine, les juristes désiraient garder le système pour leur seul usage personnel et ce ne fut pas sans difficulté que le bibliothécaire chargé de la section droit les persuada de le laisser lui aussi suivre un stage de formation approprié.

Remarquons encore que les développements technologiques qui permettent le stockage électronique, la récupération et la transmission des illustrations graphiques qui accompagnent le texte, tel le « vidéo patsearch » de Pergamon, élargiront la portée des systèmes en ligne de bases de données et les placeront dans une position plus favorable pour être compétitifs avec les formes traditionnelles de publication.

Les publications à la demande

Le projet ADONIS 6 sera peut-être d'une plus grande importance pour les bibliothécaires. Il s'agit de la mise en mémoire d'articles de journaux ou revues sur vidéodisques, articles qui peuvent d'ailleurs être imprimés séparément à la demande dans le double but,

- « d'aider les bibliothèques par un service de livraison plus rapide, plus efficace que celui dont elles disposent actuellement, et

- de récupérer une partie de l'argent perdu à cause des photocopies » 7.

D'autres projets identiques sont à l'étude. Par exemple, l'Association de recherche des industries du papier, des cartons, de l'imprimerie et des emballages (PIRA), projette de fonder un Centre international de recherche de l'édition électronique dans le but d'aider les éditeurs à utiliser efficacement les médias électroniques. PIRA coopère aussi avec le Ministère de l'industrie du Royaume Uni et avec l'Association des Éditeurs, pour le projet Hermes destiné à créer un service de livraison de documents basé sur le télex et la transmission de documents en fac-similé. La Commission des communautés européennes veut également promouvoir un projet semblable ARTEMIS. Il est évident que de tels systèmes vont affecter à la fois le prêt interbibliothèque, la façon dont nous organisons nos services d'acquisitions et nos relations avec nos usagers. D'autres conséquences sont à prévoir sur le stockage des livres et sur le rôle de centres d'archives tenu par les bibliothèques de recherche. La technique de « la publication à la demande », ou la vente de ce que Maxwell appelle les « separates » s'adapte particulièrement bien aux périodiques, mais elle peut s'appliquer tout aussi bien, semble-t-il, aux monographies et il est tout à fait possible, à l'avenir, que les auteurs et les éditeurs mettent au point un conditionnement des ouvrages tel que certains chapitres ou sections puissent être achetés à part. Ceci illustre clairement les deux aspects fondamentaux de ce que Baron et Curnow ont appelé la révolution de l'information 8.

« La technologie permettra non seulement une liberté beaucoup plus importante dans la transmission des informations, mais encore elle donnera une possibilité de choix beaucoup plus étendue et c'est cet aspect qui va probablement déterminer la plus grande part des modifications de comportement du consommateur d'informations ». C'est dans cette optique que nous devrions peut-être envisager le rôle futur de la bibliothèque au sein de l'Université.

Les transformations des fonctions de la bibliothèque universitaire

Le rôle traditionnel de la bibliothèque universitaire a été de servir l'enseignement et la recherche dans l'établissement dont elle dépendait. Aussi a-t-elle a constitué des collections de documents pour la recherche et souscrit, dans des domaines spécialisés, des abonnements à des périodiques scientifiques, jusqu'à présent la seule façon de faire connaître la recherche en cours et les nouvelles découvertes. Elle a, en outre, mis des manuels et d'autres moyens pédagogiques sélectionnés à la disposition des étudiants. Or, comme nous le savons tous, depuis une vingtaine d'années, l'écart entre les besoins des universités en matière d'information et l'offre potentielle de leurs bibliothèques s'accentue sans arrêt. Depuis longtemps, il n'est plus possible de répondre localement à tous les besoins, sauf à ceux des étudiants. D'où la mise en place de dispositifs de coopération pour le partage des ressources et le recours presque général au prêt interbibliothèque. Les réseaux informatisés et la nouvelle génération des systèmes d'information en ligne tendent à maintenir ce statu quo ; autrement dit, la bibliothèque universitaire a conservé sa place au centre de la communauté universitaire et a continué à fonctionner à la fois comme centre de conservation et comme bureau d'information. Désormais, tout se passe comme si ces fonctions allaient être remplacées par la nouvelle génération des systèmes automatisés « tout feu, tout flamme » dont il est question plus haut. Essayons de situer quelques instants la manière dont notre rôle de centre de conservation risque d'être modifié à l'avenir.

Les fonctions de conservation

Nous pouvons nous rallier aux vues extrêmistes de F.W. Lancaster 9, qui prévoyait, il y a quatre ans, une société entièrement démunie de textes imprimés d'ici l'an 2000. Un point de vue similaire a été adopté récemment par F.H. Ayres 10. « Pendant des siècles, conservation, recherche, et présentation de l'information ont été synonymes de bibliothèque, de catalogue et de livre. La mise en place des nouvelles technologies, de quelque manière que ce soit, touchera ces trois domaines : la conservation de l'infôrmation exigera de moins en moins de place, sa recherche sera accélérée et deviendra plus qfficace, l'on abandonnera progressivement sa présentation sous forme de livre pour s'acheminer vers quelque chose de plus facile à conserver, d'accès plus commode, mais pas nécessairement plus facile à utiliser ».

Ceci bien sûr est une généralisation, et, comme toute généralisation, n'est pas entièrement juste. On pense à de nombreux domaines où le livre imprimé subsistera. Ceux d'entre nous qui possèdent des collections de livres rares les conserveront ; même si le marché des livres rares s'amoindrit, nous assisterons peut-être à une résurgence de maisons d'édition chargées de satisfaire la faim des bibliophiles acharnés. De plus, dans de nombreux domaines, les bibliothèques universitaires souhaiteront toujours acquérir rétrospectivement des ouvrages. Dans les matières comme la musique, la littérature (le théâtre, la poésie, le roman), en théologie et pour la philosophie, où le choix spécifique des mots utilisés dans les textes est souvent d'une importance cruciale, il est difficile d'envisager la disparition totale de formes de reproduction écrite. De même, il paraît peu probable que la révolution technologique affecte dans l'immédiat l'édition dans les pays du tiers monde, de telle sorte que les bibliothèques qui possèdent d'importantes collections de documents africains, hispano-américains ou orientaux seront obligées de prévoir l'acquisition et le stockage de publications de type conventionnel pendant de longues années.

En sciences humaines, par conséquent, on peut prévoir que la bibliothèque universitaire est appelée à survivre comme centre de conservation, de manière restreinte toutefois. Je ne pense pas qu'il en ira nécessairement de même en ce qui concerne les sciences exactes ou les sciences sociales. Le besoin, dans ces domaines, de données factuelles et constamment mises à jour est des plus importants, et c'est dans ces domaines que les services d'information en ligne rendront les plus grands services. Actuellement, le plus gros de nos dépenses, dans les sciences exactes et techniques, va aux périodiques et revues d'analyses. Le jour approche sans doute où les résumés imprimés disparaîtront complètement et où des « institutions » aussi coûteuses et aussi encombrantes que le Gmelin ou le Beilstein ne seront accessibles aux chimistes qu'en ligne.

Le système ADONIS de fourniture d'articles exclusivement à la demande, va soulever des problèmes et obliger les bibliothèques à faire des choix. A l'avenir aurons-nous besoin de nous abonner à des périodiques complets ? Traiterons-nous les demandes de périodiques comme nous traitons les demandes de prêt interbibliothèque, pour satisfaire une série de besoins différents ? Sera-t-il, à l'avenir, moins onéreux pour les enseignants d'acheter leur propre exemplaire d'un article et de la garder par-devers eux, quitte à se passer complètement de la bibliothèque ? Ou bien sera-t-il plus rentable pour nous d'acquérir des articles essentiels, de les stocker et de les mettre à la disposition des usagers, un peu comme nous le faisons à présent ? Les pressions du marché vont déterminer, dans une large mesure, les choix que nous ferons, mais il y aura aussi des décisions de principe à prendre.

D'autre part, l'évolution rapide de la technologie du vidéodisque permettra aux bibliothèques d'augmenter considérablement leur capacité de stockage électronique et ceci à un coût relativement bas. Selon M. Ayres, « d'ici une décennie, on peut s'attendre à ce que les vidéodisques soient en mesure de stocker jusqu'à un demi-million de pages in quarto et que cette information puisse être transmise rapidement et à bon marché par ligne téléphonique » 11. S'il dit vrai, nous aurons alors la possibilité de conserver des bibliothèques entières sous une forme très compacte. Mais, étant donné l'accès rapide et bon marché par ligne téléphonique aux informations stockées, sera-t-il vraiment souhaitable de conserver les informations sur place ? Une fois de plus, le coût et la facilité d'utilisation (c'est-à-dire la périodicité de l'utilisation) seront les facteurs déterminants. Si les éditeurs nous font des propositions alléchantes de vidéodisques contenant des informations pré-conditionnées, avec possibilité de les stocker sur place plutôt que de payer des redevances pour la consultation en ligne, nous nous laisserons sûrement tenter. Dans ce cas, il y a une comparaison possible avec les coûts d'utilisation de certains réseaux et les systèmes indépendants utilisés pour la gestion des bibliothèques. Les deux choses ne s'excluent pas nécessairement mais peuvent plutôt se compléter utilement. On pense, par exemple, à certains ouvrages de référence peu consultés et qui pourraient être mis à la disposition de l'usager, en ligne, à partir d'un emplacement éloigné, alors que d'autres ouvrages demandent à être gardés à portée de la main, accessibles à un grand nombre d'utilisateurs, mais également sur support électronique.

En résumé : comme la SCONUL l'avait effectivement prédit il y a quelques années, il y aura divergence entre la littérature des idées et la littérature des faits, entre les dispositions que nous devons prendre pour les sciences humaines et celles qui s'imposent pour les sciences exactes. Les bibliothèques universitaires auront toujours leur rôle de conservation, mais ce rôle ira en se réduisant et nos besoins en magasins seront plus modestes. Les bibliothécaires des universités (et les conseils compétents) seront appelés à décider de la ventilation de leurs crédits entre les documents à acheter et à stocker pour une utilisation sur place et les services « importés » à la demande depuis l'extérieur. Ce choix nous posera un problème majeur de gestion dans les dix à quinze années à venir, au fur et à mesure que l'on assistera à un glissement vers la seconde tendance.

Répondre aux besoins des étudiants

Jusqu'ici, j'ai surtout parlé des besoins des enseignants et chercheurs universitaires. Quel sera, à l'avenir, notre rôle vis-à-vis des étudiants ? Cela dépendra en grande partie de l'impact des nouvelles technologies sur les méthodes d'enseignement et du degré jusqu'auquel on doit mâcher le travail des étudiants. Une variante du système ADONIS, surtout si elle devait s'appliquer aux manuels, permettrait aux étudiants d'obtenir leurs cours sous forme de « packages » contenant quelques chapitres tirés de livres et des articles imprimés, des vidéocassettes, des microfiches, etc. Si cette solution était adoptée, les bibliothèques continueraient à fournir un service de prêt de courte durée, sous la forme actuelle. Alors, les collections concernant les étudiants ressembleraient plutôt aux « ateliers » centrés sur un programme donné ou aux centres de documentation si chers actuellement aux lycées et collèges. On peut penser également aux méthodes pédagogiques adoptées par la « Open University » 12. Par conséquent, les bibliothèques universitaires conserveront, très probablement, leur rôle de centres d'étude pour les étudiants et continueront vraisemblablement à prêter des ouvrages que l'étudiant utilisera dans et hors de la bibliothèque.

La bibliothèque centre d'information

Il faut encore parler d'un autre aspect de notre travail. Qu'en est-il de notre rôle comme centre d'information à l'intérieur de l'Université ? De quelle manière sera-t-il affecté par les nouvelles technologies ?

Le premier fait, que nous devons accepter sans ambages, est celui-ci : l'information, qui peut être aisément transmise par ligne téléphonique ou qui peut être obtenue sous forme de sortie d'imprimante par le même canal, est aussi accessible, grâce aux terminaux, dans n'importe quel département de l'Université. Les demandeurs d'information ne sont donc pas nécessairement obligés de passer par la bibliothèque universitaire pour obtenir ce qu'ils cherchent. Dans ma propre université, à l'heure actuelle, la plupart des recherches en ligne sont faites par la bibliothèque, mais ceci ne sera pas toujours le cas : le Centre des services pédagogiques possède sa propre banque de données qui est accessible à tous les départements ; le directeur des services informatisés à récemment attiré l'attention sur le fait qu'il peut donner accès, par son propre réseau, à toute une gamme de services en ligne ; le département des études juridiques s'est branché sur le système LEXIS. La prolifération des systèmes qui, à la manière de LEXIS, fournissent du texte intégral, ainsi que l'évolution des systèmes experts, - le tout visant à satisfaire directement l'usager, -inciteront certains demandeurs à se passer complètement de la bibliothèque. On pourrait objecter que ceci n'est qu'un reflet de l'état actuel des choses. Mais dans le passé, nous n'avons pas toujours réussi à empêcher les départements des facultés à créer leur propre bibliothèque, pas plus que nous ne faisons des recherches d'articles dans des ouvrages tels que Law Reports ou Chemical Abstracts pour des lecteurs individuels ; non, nous nous contentons de mettre ces ouvrages à la disposition de l'usager pour qu'il y cherche lui-même sa référence. Cependant, la situation n'est pas toujours aussi simple. Même lorsque les ouvrages ou résumés sont stockés dans les bibliothèques de département, c'est nous-mêmes qui les commandons en général, qui les classons (c'est le cas de la bibliothèque de droit dont j'ai parlé) et qui fournissons le personnel qui surveillera leur utilisation. Dans ce cas, il y a un lien tangible et évident avec la bibliothèque centrale. Avec une décentralisation éventuelle des services en ligne, ce lien disparaîtra.

Cependant, il existe deux facteurs, me semble-t-il, qui ont tendance à s'opposer à la décentralisation. Le premier, c'est tout simplement le coût d'exploitation des services en ligne. Même si ces coûts devaient baisser à l'avenir, si chaque département devait en faire à sa tête, la multiplication des frais de location, d'abonnement et d'entretien du matériel entrainerait un gaspillage évident des ressources universitaires. Il faudrait y ajouter également le coût du temps utilisé par les enseignants. Comme l'a dit Charles Lamb : « Qui lit peu souvent, lit lentement », et un universitaire, même lorsqu'il se sert d'un système ayant un rapport direct avec sa spécialité, est peut-être amené à « lire » moins souvent et avec moins de sûreté qu'un responsable de services informatisés qui fait des recherches 24 h sur 24. D'autre part, et c'est là le deuxième facteur qui pourrait s'opposer à une décentralisation excessive des interrogations automatisées, les demandes d'information ne porteront pas toujours sur le même domaine de spécialisation. Tant que les spécialistes voudront avoir accès directement aux banques de données qu'ils utilisent de façon habituelle, pas de problème ; mais ils auront besoin d'aide lorsqu'ils aborderont des domaines moins familiers. Tous ces éléments devraient renforcer le rôle de la bibliothèque universitaire comme organisme central de coordination des services d'information.

Pourtant, avant de retomber dans l'autosatisfaction, je pense que nous devrions pousser ce raisonnement un peu plus loin. Tout comme la bibliothèque universitaire peut servir de centre d'information et de coordination des ressources à l'intérieur de la communauté universitaire, de même, les réseaux d'ordinateurs existants peuvent fonctionner en tant que centres d'information au niveau régional et national. Il s'ensuit qu'à l'avenir, les bibliothèques ne seront peut-être pas obligées d'aider personnellement chaque utilisateur des systèmes en ligne. Au chimiste ou à l'économiste assis devant son terminal d'ordinateur, à Exeter, il importe peu que le spécialiste auquel il est en train de parler par ligne téléphonique soit situé à la bibliothèque universitaire à 200 mètres de là, ou à Bristol à 120 kilomètres, ou à Londres. L'avènement du jumelage téléphone/téléviseur rendrait cette exploitation encore plus attirante. Tout comme la South West academic libraries cooperative automation project [SWALCAP], la Birmingham libraries cooperative mechanization project [BLCMP] et d'autres partagent désormais leurs ressources bibliographiques, rien ne s'oppose, me semble t-il, à ce qu'elles ne finissent par coopérer par la mise en commun de personnels affectés aux services d'information en ligne. A l'avenir, il pourrait y avoir aussi pour les bibliothèques universitaires des possibilités de coopérer de la même manière avec le réseau de bibliothèques publiques voisines.

Les futurs besoins en personnel

Tous les progrès dont j'ai parlé plus haut ont des implications évidentes en ce qui concerne le personnel des bibliothèques. Si nous voulons éviter la situation actuelle de Fleet Street ou de British Leyland 13, nous sommes obligés d'envisager une réduction globale des effectifs. Nous aurons besoin de moins de personnel pour le catalogage ou le travail de bureaux ; il y aura moins de travaux de reliure et le nombre de titres publiés diminuera, entrainant une réduction inévitable des besoins en personnel dans ces services.

Si, comme le prévoit Maxwell 14, la photocopie est remplacée par un service d'articles à la demande et si les services en texte intégral se répandent, le volume des prêts interbibliothèque diminuera et nous pourrons nous contenter de services plus réduits. Bien que l'état anarchique des systèmes d'information en ligne nous oblige à court terme à garder un volant assez important de conservateurs « conseillers des lecteurs », à la longue, avec l'avènement de systèmes plus sophistiqués, nous aurons besoin de moins de personnel ayant une spécialisation universitaire. Par contre, il est probable que nous aurons besoin de plus de techniciens pour l'entretien du matériel, même s'il y a une possibilité de mise en commun de ce personnel avec, par exemple, le centre informatique de l'Université. Il se peut également que des possibilités de transfert horizontal se présentent entre la bibliothèque ou le centre d'information, et le centre d'informatique, puisqu'une grande partie de tâches accomplies dans les deux centres seront interchangeables. Néanmoins, comme je l'ai déjà indiqué, nous serons obligés de prévoir des stages de recyclage à mesure que les emplois de type ancien seront remplacés par des emplois d'avenir.

L'importance accordée depuis vingt ans à la flexibilité au niveau de la conception architecturale des bibliothèques a été salutaire puisque nous devrons prendre des dispositions afin de recevoir le nouveau matériel informatique qui sera utilisé dans toutes nos bibliothèques. Nous aurons besoin de moins de rayonnages traditionnels ; il nous faudra toutes les prises de courant que nous pourrons installer et beaucoup de prises reliant terminaux à écran ou micro-ordinateurs à des systèmes d'ordinateurs internes comme à des lignes téléphoniques extérieures. Ceux d'entre-nous qui travaillent dans des bâtiments modulaires seront bien placés pour s'adapter aux changements à venir.

Enfin, je pense que les associations professionnelles telles que la SCONUL, L'Aslib et la Library association, tout comme les écoles des bibliothécaires, auront un rôle important à jouer dans l'apport aux bibliothècaires des connaissances nécessaires concernant les nouvelles technologies et les nouvelles méthodes de transfert de l'information. Car nous ne pourrons planifier notre stratégie de survie que si nous sommes bien formés et bien informés.

  1. (retour)↑  Stirling (John F.). - Technological developments in information transfer : some implications for academic libraries. - In : Journal of librarianship, n° 14, 4 octobre 1982.
    L'article ci-dessus est une version remaniée d'une communication présentée à la SCONUL [Standing conference of national and university libraries], qui s'est tenue à l'université d'East Anglia en avril 1982.
    Traduction et adaptation ont été faites par Alban Daumas, conservateur en chef de la bibliothèque universitaire de Nice, avec la collaboration de la rédaction du Bulletin des bibliothèques de France.
  2. (retour)↑  Stirling (John F.). - Technological developments in information transfer : some implications for academic libraries. - In : Journal of librarianship, n° 14, 4 octobre 1982.
    L'article ci-dessus est une version remaniée d'une communication présentée à la SCONUL [Standing conference of national and university libraries], qui s'est tenue à l'université d'East Anglia en avril 1982.
    Traduction et adaptation ont été faites par Alban Daumas, conservateur en chef de la bibliothèque universitaire de Nice, avec la collaboration de la rédaction du Bulletin des bibliothèques de France.
  3. (retour)↑  S.M. MALINCONICO, « Mass storage technology and file organization ». In : Journal of library automation, 13, 6 juin 1980.
  4. (retour)↑  J. HAWGOOD, 1981, « Information technology in universities », Unpublished paper submitted to the Committee of Vice-Chancellors and principals, 18 juin 1981, chapitre « The Confidence gap ».
  5. (retour)↑  J. HAWGOOD, op. cit.
  6. (retour)↑  R. MAXWELL, « Data retrieval systems and international publishing ». In : ASLIB proceedings, n° 34, 1er janvier 1982.
  7. (retour)↑  Les renseignements concernant l'intelligence artificielle et les systèmes experts ont été communiqués à J. Stirling par M. Roy Davies.
  8. (retour)↑  ADONIS = Article delivery over network information system.
  9. (retour)↑  R. MAXWELL, op. cit.
  10. (retour)↑  I. BARRON, et R. CURNOW, The Future with mici-oelectronics, Pinter, Nichols, 1979.
  11. (retour)↑  F.W. LANCASTER, « Whither libraries ? or, Wither libraries », in : College and research libraries, n° 39, 5 septembre 1978.
  12. (retour)↑  F.H. AYRES, « The British Library and the university library - a view from a beleaguered ivory tower » in : Journal of documentation, n° 37, 4 décembre 1981.
  13. (retour)↑  AYRES, op. cit.
  14. (retour)↑  Enseignement donné par la BBC très développé en Grande Bretagne.
  15. (retour)↑  Ces entreprises avaient du personnel en excédent. Elles ont été « dégraissées ».
  16. (retour)↑  R. MAXWELL, op. cit.