Le métier d'auteur

comment vivent-ils ?

par Annie Béthery

Michèle Vessillier-Ressi

préf. de Didier Decoin ; postf. de Henri Bartoli et Jean Malthyssens. -Dunod, 1982. - xvi-399 p. - (Interferences/ Communications.)
ISBN 204-0154809.

Un des grands mérites de cet ouvrage, qui en compte bien d'autres, est celui d'exister : il s'agit en effet de la première tentative d'approche globale du métier d'auteur, quel que soit le monde d'expression utilisé : livre, théâtre dramatique et lyrique, cinéma, radio et télévision. Cette étude économique (docteur ès sciences économiques, l'auteur est chercheur au Centre national de la recherche scientifique) s'appuie sur des données d'ordre juridique, sociologique et culturel, mais aussi sur l'expérience personnelle de Mme Vessillier-Ressi, elle-même auteur de romans et de chansons.

Auteur, un métier ? Non pas sous l'Ancien Régime, car « le métier d'auteur naît véritablement avec le financement interne, l'oeuvre devenant elle-même source de revenus » ; jusqu'à la Révolution de 1789, c'est de leur fortune personnelle, de leur second métier ou de la protection d'un mécène que les auteurs tirent leur subsistance. Un des premiers à s'insurger contre cette situation, qui profite aux utilisateurs des oeuvres - libraires, comédiens, etc. - est Beaumarchais, homme de plume et homme d'affaires, à l'origine de l'association qui deviendra en 1837 la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. La Société des gens de lettres en 1836, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique en 1850 sont, elles aussi, créées en ce XIXe siècle qui, surtout dans sa seconde partie, est le « siècle d'or » du théâtre, de la littérature et du concert, grâce à la montée économique et sociale de la bourgeoisie, à l'augmentation de la demande culturelle, et au progrès technique.

Et l'époque actuelle ? Mme Vessillier-Ressi souligne ce paradoxe : avec l'apparition du cinéma et des moyens audiovisuels, les secteurs de création se sont élargis ; avec l'augmentation du temps de loisirs, la demande s'est multipliée ; et pourtant, les véritables créateurs, qu'il s'agisse de littérature, de théâtre et surtout de musique sont menacés et, sans l'aide de l'État, bon nombre d'entre eux devraient renoncer à leur art. L'industrialisation des différents médias entraînant un souci de rentabilité immédiate et la mise en circulation de produits culturels standardisés répondant à la demande du plus grand nombre, est en effet bien périlleuse pour les créateurs et l'écart se creuse entre ceux-ci et le public.

Mais ces auteurs, qui sont-ils ? S'appuyant sur le Who's Who (1 500 personnes retenues) et sur un questionnaire rempli par 857 auteurs, Mme Vessillier-Ressi dresse une typologie dont les conclusions ne surprendront guère : l'auteur moyen est un citadin de sexe masculin, titulaire de diplômes ; il a une carrière brève et tardive ; il cumule plusieurs moyens d'expression : romancier-scénariste, auteur de télévision et de cinéma, compositeur-parolier, etc. Enfin, il exerce un second métier, bien nécessaire car ses revenus sont faibles et irréguliers : 100 à 200, dans le domaine du livre, toucheraient des droits annuels supérieurs à 100 000 francs.

L'élaboration d'un statut, qui semble pourtant nécessaire, ne fait toutefois pas l'unanimité auprès des personnes interrogées. Dans ce statut, deux conceptions de l'auteur doivent être prises en compte : celle de l'auteur « propriétaire » et celle de l'auteur « salarié ».

Un examen détaillé de la loi de 1957 sur la propriété littéraire et artistique, du nouveau régime de la protection sociale (réforme de 1977), des modalités d'imposition, des caractéristiques des différentes sociétés d'auteurs conduit Mme Vessillier-Ressi à constater l'extrême diversité des situations d'aujourd'hui. Une constante, pourtant : la dépendance qui, quels que soient le lieu, l'époque, le système politique, semble s'attacher à la condition du créateur. Comment améliorer cette situation, dans la France d'aujourd'hui où l'innovation est menacée ? Mme Vessillier-Ressi penche pour une politique de transferts professionnels où les produits culturels rentables financeraient la création de qualité, où, en particulier, une taxe sur l'industrie « électro-culturelle » permettrait l'aide à l'innovation.

Écrit dans un style très vivant et parfois passionné, cet ouvrage est d'une lecture très intéressante et stimulante par les précisions qu'il apporte - malgré le défaut ou les difficultés d'interprétation des statistiques dans ce domaine -, par les questions qu'il pose et les solutions qu'il propose.