Les ouvrages documentaires pour la jeunesse
Les résultats des enquêtes, menées depuis 1961, sur les goûts et comportements de lecture des jeunes montrent la croissance des intérêts des enfants et des adolescents envers les ouvrages documentaires. L'étude présente un panorama d'ouvrages documentaires récemment publiés en France, sur les trois thèmes de la nature, des sciences et techniques, de l'histoire et des voyages, en fonction de l'âge du destinataire. Tout en proposant une méthode de critique des ouvrages documentaires pour la jeunesse, l'article répond aux questions sur les fonctions des documentaires imprimés
As the results of inquiries on the tastes and reading habits of the young show, since 1961, the interest of children and adolescents grows for non-fiction books. This study offers us a panorama of recently published documentary French books, on three themes : nature, sciences and techniques, history and travels, according to the age of the reader. It both proposes a critical method to evaluate the non-fiction literature for the young and answers the questions about the functions of this non-fiction printed matter
Lorsqu'il s'agit d'ouvrages destinés à la jeunesse, on a coutume de différencier les ouvrages de fiction (contes, romans, science-fiction) des ouvrages documentaires ; c'est-à-dire d'une part la catégorie 8 « Littérature » de la classification Dewey et d'autre part la presque totalité des neuf autres catégories Dewey. Nicolas Roubakine avait observé, dès le début du siècle, que les goûts des enfants s'orientaient soit vers la fiction, soit vers le réel, le documentaire, avec une attirance prépondérante pour l'une des deux tendances. Aujourd'hui, la plupart des bibliothèques pour enfants sont organisées sur ce type de différences.
On pourrait définir les publications documentaires comme celles qui sont susceptibles de fournir un apport informationnel, issu de la réalité et intégrable à des connaissances déjà acquises, en vue soit de former avec elles un savoir culturel, soit de susciter ou d'assouvir une curiosité de type scientifique. Les ouvrages documentaires supposent un découpage de la réalité, ne correspondant pas toujours à des disciplines d'enseignement scolaire ou professionnel. Il est souvent difficile de les distinguer des non-documentaires ou même de la fiction.
Refusant de suivre le schéma bibliologique classique (production, diffusion, consommation), l'observation du comportement des enfants envers les ouvrages documentaires écrits à leur intention nous conduira à examiner la production actuelle de documentaires pour la jeunesse, puis à nous interroger sur les critères de choix devant cette production foisonnante.
I - Interrogation du comportement des enfants envers les documentaires
Un rapide sondage effectué sur quelques enquêtes de lecture, réalisées auprès des jeunes depuis vingt ans, permet de répondre à la question : « Les enfants lisent-ils des documentaires ? ».
Au début des années 1961 et 1962, la revue Education et bibliothèques (1) publie diverses enquêtes sur la lecture en milieu scolaire. Les élèves manifestent peu d'intérêt pour les livres de loisirs documentaires, scientifiques et techniques.
En 1966, une enquête des Bibliothèques pour tous, parue dans Les Livres qu'ils aiment (2), effectuée auprès de 5 000 enfants de 9 à 14 ans, porte sur une sélection de trente livres de distraction, à l'exclusion des documentaires. Beaucoup d'études actuelles excluent les documentaires de leur matériel de recherche. Les auteurs d'enquêtes, qu'ils soient bibliothécaires ou enseignants, sont le plus souvent issus des disciplines littéraires et s'intéressent plus à la littérature et au roman qu'au documentaire. C'est à partir de 1967 qu'émerge l'intérêt pour le documentaire.
En 1971, Y. Guillouet, travaillant sur Les Lectures et les recherches documentaires personnelles et la scolarité chez les adolescents lycéens (3), remarque que les goûts littéraires prédominent, mais que les documentaires préférés traitent du bricolage, des jeux, des sports, des vacances et du tourisme, sujets qui correspondent à une évasion hors de la contrainte scolaire.
En 1972, Anne Marinet et Paulette Bernard observent que les garçons préfèrent les documentaires. Les filles choisissent plutôt des romans mais sont attirées par des documentaires sur les animaux. En 1972, Pierrette-France Maillard (4) enquête dans deux CM2 (cours moyen deuxième année) et un CM1 (cours moyen première année) d'une école où les enfants, issus de milieux favorisés, reconnaissent la supériorité des ouvrages documentaires, lorsqu'ils ont la possibilité d'en obtenir, alors qu'ils lisent habituellement des livres de fiction. Elle remarque aussi que l'enfant émet un jugement de valeur sur le contenu du livre, d'après sa présentation. Changeons de milieu. Dressant un bilan sur la lecture en centre d'apprentissage de 1954 à 1971, Odile Altmayer (5) constate en 1972 que si le nombre d'ouvrages empruntés par les apprentis du Centre de formation de la Régie Renault a plutôt diminué, il y a inversion des genres empruntés : les documentaires sont beaucoup plus nombreux que les romans.
En 1976, Myriam Caporal (6), dans son mémoire de maîtrise sur les choix des enfants de 8 à 14 ans à partir des statistiques du Biblio-club de Marly-le-Roi montre que :
1) le goût pour les documentaires se manifeste dès le plus jeune âge, la lecture des imagiers et des contes diminuant à mesure que les enfants grandissent, Les garçons préfèrent les documentaires à partir de 12 ans et les filles les romans. Vers 11 ans, garçons et filles lisent autant de romans les uns que les autres. Les tendances de lecture se stabilisent vers 12-13 ans.
2) les amateurs de documentaires préfèrent les ouvrages sur les animaux, les sciences appliquées et, chez les garçons, les transports. Le goût pour la nature persiste chez les filles.
3) en grandissant, les goûts pour les documentaires se spécifient et se personnalisent. Les garçons s'intéressent davantage à l'histoire, les filles aux biographies. C'est à partir de 10 ans que garçons et filles consultent une encyclopédie.
Ces quelques exemples démontrent la progression du goût pour les documentaires. La croissance de la demande a conduit à une véritable explosion de la production de documentaires pour enfants. Depuis 1978, le marché présente des ouvrages de qualité, comme le remarque La Revue des livres pour enfants (7) dans un des rares articles consacrés aux documentaires. Un coup d'œil sur les catalogues d'édition, une visite dans les bibliothèques pour enfants montrent que presque tous les éditeurs de littérature de jeunesse publient des documentaires. Enumérons quelques raisons de cette explosion :
1) L'amélioration des procédés de reproduction des illustrations permet la fabrication de magnifiques documentaires. Les livres scolaires sont devenus jolis ; pour plaire, les documentaires doivent être plus beaux encore.
2) Le développement des co-éditions permet de traduire et produire, à meilleur coût, des documentaires. En France, de nombreux documentaires - et souvent les meilleurs - sont importés.
3) La télévision présente des documentaires. Elle suscite un intérêt pour les voyages, l'exotisme, qui profite au livre documentaire. Certains livres sont tirés d'émissions documentaires. De plus en plus, les media appuient leurs émissions sur une bibliographie dont ils fournissent la référence.
4) Le développement des moyens de transport, leur facilité d'accès, le développement de l'apprentissage des langues entraînent un engouement pour les voyages et échanges de jeunes, qui ouvre des curiosités et suscite une production livresque adaptée.
5) La prolongation de la scolarité jusqu'à 16 ans a orienté de nombreux enfants vers l'enseignement professionnel qui provoque un intérêt pour le livre documentaire scientifique et technique. La pédagogie active se tourne vers la quête d'information et de documentation. Tout un ensemble y contribue : l'emploi de l'audio-visuel en classe, les centres de documentation et bibliothèques scolaires, l'enseignement davantage axé sur les disciplines scientifiques.
Il est probable que nous n'assistons qu'aux débuts de cette croissance de la production de documentaires. Regardons l'augmentation du chiffre d'affaires de l'édition d'encyclopédies, leur nombre et leur diversité. Le documentaire plus spécialisé suivra cette progression. Pourtant, malgré la croissance de l'intérêt pour le documentaire, malgré une production qui devient envahissante, les documentaires demeurent les mal-aimés des bibliothécaires et des chercheurs en littérature de jeunesse. Il y a l'heure du conte, l'animation-lecture autour d'un roman, le livre vivant, les fiches de lecture. Quand se généralisera l'heure du documentaire ? Si un thème documentaire est mis en vedette, une séance de cinéma le traite. Bien rares sont les bibliothécaires qui racontent un documentaire sur Napoléon ou la merveilleuse histoire du pétrole ou des civelles. Ouvrons les revues de critique littéraire enfantine : le Coffre à livres donne une sélection d'ouvrages où les documentaires ne sont même pas mentionnés. La Revue des livres pour enfants offre une sélection à part de documentaires. Nous voulons lire ! est une des rares revues spécialisées à les inclure dans sa sélection. Au niveau de la recherche, la situation est pire. Les rares cours sur la littérature de jeunesse omettent les documentaires. Thèses et mémoires portent sur les collections de romans pour enfants ou adolescents. Cependant un colloque international a eu lieu à l'Université de Strasbourg en 1978 sur le livre scientifique et technique pour la jeunesse. Il n'est pas étonnant que la bibliographie sur le documentaire soit si pauvre.
II - Présentation de la production de documentaires
Deux types de difficultés se présentent : les frontières et la classification des documentaires.
1) La question des limites se pose souvent. Par exemple pour les biographies. Le Citoyen Bonaparte : la jeunesse de Napoléon (Cl. Manceron ; Folio-Junior/Plein Vent) est-il une biographie romancée ou un documentaire ? La collection « Une famille de... du Moyen âge à nos jours » (Hachette INF) est-elle du documentaire, même si elle est bâtie sur la fiction ? Les Naufragés de Douarnenez (Y. Mauffret ; Éd. Amitié, Bibl. de l'Amitié) est un roman. Il peut être lu comme un documentaire sur les gens de la mer au XIXe siècle, au temps de la misère. L'Amérique, nous voilà ! (G.P.) met en scène un capitaine de vaisseau fictif et est un documentaire sur la Guerre d'indépendance américaine. De nombreux romans classiques peuvent, à l'heure actuelle, être lus comme des documentaires. Il y a une toile de fond documentaire importante dans le roman populiste du XIXe siècle, de George Sand à Hector Malot, comme dans les romans de la Comtesse de Ségur ou dans Le Petit lord Fauntleroy, y compris dans leurs illustrations. Beaucoup de collections mettent en scène un enfant fictif et un thème : les animaux, les voyages, un temps d'histoire. Dans la collection « L'enfant et l'univers », qu'est-ce qui l'emporte, le récit fictionnel ou les photos extraites d'un film documentaire ?
Les documentaires se différencieraient-ils de la fiction par leur présentation ? Les enfants ne s'y trompent jamais. Les critiques, les prières d'insérer disent « aussi passionnant qu'un roman ». Comme si seul le roman pouvait être passionnant ou était le critère de la passion ! Finalement ne serait-ce pas l'usage qui crée le documentaire ?
2) La classification des documentaires ne se heurte pas seulement à leur foisonnement.
- Un premier essai de classification synthétique peut s'appuyer sur l'usage du documentaire :
. Les documents de lecture. Par exemple, chez Gamma, la collection « J'apprends tout sur... » Les Insectes, ou chez Hachette, « Je découvre... » Les Bateaux, Le Cinéma.
. Les documentaires de consultation. Par exemple, la collection « Guides-Explo » chez Hachette.
- Un deuxième essai peut mettre l'accent sur la fonction.
. Les documentaires correspondant à une discipline scolaire ou la prolongeant. Par exemple, J'étais enfant à Thèbes aux éditions du Sorbier.
. Les documentaires extra-scolaires s'appuyant sur des métiers. Par exemple, chez Gamma, Une Plate-forme de forage, dans la collection « Au téléobjectif », ou bien, chez Flanunarion-Chat perché, La Vie d'un marin au temps des grands voiliers ou La Vie d'un cow-boy dans l'Ouest américain, dans l'admirable collection « L'histoire vécue ».
. Les guides de loisirs et les livres d'activités.
On ne peut pas classer les documentaires par auteur. Souvent il n'y en a pas. L'illustrateur ou le photographe sont quelquefois plus importants que l'auteur. Haroun Tazieff est devenu un auteur de documentaires à cause de ses exploits et non l'inverse. Dans la plupart des sélections, l'âge du destinataire sert généralement de critère de classification.
- Le choix de trois thèmes documentaires assez fournis permettra de présenter quelques collections parmi les plus importantes par leur volume ou leurs qualités. Mais les collections encyclopédiques chevauchent plusieurs thèmes.
Premier thème : la nature
La mode de l'écologie a encore renforcé ce thème. Pour les petits de 3 à 7 ans, le documentaire reste à la frontière de l'album et de l'imagier. La collection « J'en sais des choses » chez Hatier désire provoquer le dialogue entre enfant et adulte. A la ferme donne une idée fausse des travaux des champs, présentés comme un pique-nique, tandis que les cerises mûrissent en même temps que les pommes ! Chez Casterman, la collection « Petit Tom activités » présente une bonne leçon de choses avec Petit Tom fait un herbier, mais les dessins de fleurs ne ressemblent pas à la réalité. Chez Gautier-Languereau, « Premiers livres, je les lis tout seul » est une collection agréable. La collection « Ami-Ami » chez Hatier présente d'excellentes photos d'animaux, avec des conseils de soins.
Pour les 7-8 ans, la collection « Mon ami » chez Flammarion - Mon ami le phoque - plaît. « Le roman des bêtes » aux Albums du Père Castor, demeure une des meilleures collections. Cig la cigogne, publié en 1978, est un chef-d'œuvre, comparable aux premiers volumes parus en 1935. C'est un album très riche que l'adulte doit lire plusieurs fois avant d'en épuiser le contenu. L'enfant s'identifie à l'animal présenté. On peut seulement reprocher à ces ouvrages de parler des animaux avec trop de projection anthropomorphique. Les volumes importés du Danemark chez Vuibert dans « Arche 2000 » Les hôtes de la cheminée, Fouines mes amies, etc., attirent par leur présentation : une ravissante couverture, un bon texte accompagnant un dossier scientifique qui permet une lecture par des enfants plus âgés. Un procédé classique du documentaire est de mettre en scène un enfant qui raconte ou à qui l'on raconte. Citons chez Nathan, la collection « Des enfants et des animaux » avec, par exemple, Vincent et les animaux de Caniargue.
Pour les 8-11 ans, L'.École des loisirs a publié de plaisants volumes au format carré : L'Année des arbres, L'Année au jardin, etc. Les Deux Coqs d'Or, avec la collection « Pleins feux » sur Les Fourmis, La Vie sous les mers intéressent, malgré une présentation un peu trop scolaire. Citons, chez Flammarion, les collections « Voir et savoir », « Reportage » : Ours et panda. Chez Hachette, une profusion de collections se concurrencent les unes les autres et il en paraît toujours d'autres. Dans « La vie secrète des bêtes », les illustrations de C. Brenders apportent leur charme. « J'observe » ou « La nouvelle encyclopédie » sont à retenir. De même chez Gamma, les collections « J'apprends tout sur... » ou « Carrefour des connaissances ». Rappelons chez Hatier, les admirables « Ce que dit la nature ».
Pour 12 ans et plus, on retiendra les petits fascicules « Thèmes Vuibert » : L'Etang, les albums BT (Bibliothèque de travail de la CEL (Coopérative de l'enseignement laïc)), tel que Le Monde envahissant des champignons, et, chez Nathan, la collection « Un grand livre question réponse ». Importés de Suisse et d'Italie, les volumes de « Les animaux et leurs comportements », chez Hachette, réjouissent l'œil et tiennent compte des découvertes les plus récentes. Les Animaux et leur langage est le plus fantastique. Dans la collection « Des livres pour notre temps », chez Hachette, signalons Les Animaux des gouffres et des cavernes. De nombreux guides de la nature sont autant de documentaires ainsi que les ouvrages d'activités et de loisirs qui en découlent.
Deuxième thème : les sciences et techniques
Ce thème, le moins représenté dans l'édition française actuelle (8), passionne les enfants. Il est un moyen pour conduire les plus réfractaires à la lecture. C'est souvent à partir de ses intérêts pour la nature ou les animaux que l'enfant accède progressivement aux ouvrages scientifiques au sens large du terme. Les techniques qui font partie de sa vie quotidienne ne l'impressionnent nullement, mais son goût pour le démontage et la manipulation des objets provoque un intérêt pour les appareils et les technologies actuelles ou à la vulgarisation future proche.
Pour les 7-11 ans, on retiendra chez Hachette, la collection « Je découvre », Les Métiers, Les Bateaux, Les Navires, chez Gamma, la « Bibliothèque visuelle gamma », Le Microscope, Les Chevaux ou les « pionniers du progrès » avec Les Débuts de l'industrie. Chez Flammarion, « Sur le vif » allie les arts et les techniques dans L'Équitation et l'école espagnole de Vienne, les communications et leurs techniques dans Voyage en péniche ou Voyage en ballon. « Je découvre, j'aime » des Deux coqs d'or s'intéresse à tous les sports de plein air. Chez Garnier « Garnier découvertes » reprend avec succès des sujets déjà traités : Le Monde sous marin, Le Système solaire, L'Homme et la lune. GP-Le Pélican offre des développements sur les moteurs dans « Le monde passionnant de » L'Aacto, L'Aviation. A partir de réalisations scolaires et grâce à un texte élaboré dans des classes, plusieurs fascicules de BTJ (Bibliothèque de travail junior) mettent à la portée des enfants des notions scientifiques importantes (9). Dans la collection « Questions-réponses » chez Nathan, La Matière et l'énergie, L'Énergie et ses secrets répondent à des curiosités presque quotidiennes.
Pour les 12 ans et plus, L'Espace en « Garnier color », les collections « B T » puis « B T 2 », les thèmes Vuibert, les collections du Palais de la découverte débordent largement les intérêts scolaires. Centurion-jeunesse, La Farandole produisent des ouvrages sur les énergies. « En savoir plus », chez Hachette, dans la série « Sciences et techniques d'aujourd'hui » conjugue les énergies à tous les temps avec Les Énergies renouvelables. La collection « Fenêtre ouverte sur la science », d'Études vivantes, a publié un ouvrage sur Les Métaux et mérite d'être suivie. La Terre, ses merveilles, ses secrets, importé par Garnier fait rejaillir l'intérêt que portent les jeunes à la tectonique des plaques. La faible production nationale en ouvrages scientifiques pour la jeunesse conduit à poser le problème de l'adaptation et de la traduction des ouvrages étrangers. D'autant plus que le vocabulaire technique anglais, devenu international, ne trouve aucun répondant dans l'enseignement linguistique français. Malgré ses qualités, un ouvrage comme Les Ordinateurs, au Pélican, ne présente pas une traduction satisfaisante. L'Informagique, chez Belin, initie à l'informatique par la bande dessinée. De toute façon, les dessins, les schémas et leurs légendes revêtent encore davantage d'importance dans les sciences et techniques.
L'accès des jeunes aux ouvrages scientifiques suit la progression scolaire. Au-dessus de 13-14 ans, le documentaire scientifique est commun aux jeunes et aux adultes. Par exemple, le Guide explo de l'astronomie, chez Hachette, donne aux adolescents une initiation susceptible de provoquer des vocations scientifiques et aux adultes une information. La collection « Les métiers » chez Hachette, peut préciser une vocation pour Les Métiers de la nature, Les Métiers de la documentation. L'histoire des sciences intéresse les jeunes, à condition qu'elle soit décrite comme l'histoire des inventions et de leurs perfectionnements et que les processus heuristiques soient replacés dans leur contexte et pas seulement dans un discours biographique.
Troisième thème : l'histoire et les voyages
Pour les 7-10 ans, quelques grandes collections se détachent. Chez Flammarion, « Les enfants de la terre » avec Santu de Corse ; chez Nathan, « Les enfants du monde » avec La Petite Péruvienne. « L'enfant et l'univers » chez GP présente des albums inégaux dont le meilleur semble être Stella et les oiseaux du marais. « Sélection Nathan » publie les albums italiens de Cesarini et Ventura : Les Voyages de Marco Polo, de Cook, de Livingstone, au pôle nord, aux illustrations fraîches et expressives. « Mille chemins » chez Études vivantes fait revivre les provinces : Normandie, Alpes, tandis que Le Sorbier, avec « Gens d'ici et d'ailleurs » présente des modes de vie lointains : En suivant le troupeau de rennes.
Pour 11-12 ans, « La vie privée des hommes » chez Hachette, dominée par Pierre Miquel, présente des albums au rythme trépidant : Au temps des grandes découvertes, et, en 1980, une Vie privée des hommes à Pompéi, importée d'Angleterre, tandis que « L'histoire vécue » chez Flammarion, donne une autre tonalité : La Vie d'une dame de la cour sous Louis XIV. La « Bibliothèque du livre d'or » aux Deux Coqs d'Or, a accueilli les ouvrages de D. Macaulay : Naissance d'une cathédrale, d'une pyramide, etc. Nathan et la collection « Les grands horizons », la collection « Comment vivaient » Les Anciens Chinois, Les Incas, et de très nombreux guides viennent compléter ce panorama succinct. Citons encore « Le tour du monde » de Gamma avec La Grèce, Le Canada, un pays et son peuple.
Il n'existe pas de sujet que le documentaire n'ait abordé, de la sexualité au livre religieux qui trouve actuellement un renouveau. Il était plusieurs « foi » chez Ramsay, La Bible en BD au Bosquet/Le sarment, Mahomet prophète de l'Islam au Centurion Jeunesse en témoignent. Alors qu'il existe une demande, un besoin d'identification au héros pas forcément fictif, bien peu de biographies sont publiées. Les ouvrages sur l'art sont peu nombreux, malgré les efforts de Duculot avec « La peinture buissonnière» : La Tour de Babel de Brueghel, La Tentation de St Antoine de Jérôme Bosch, et ceux de Nathan « Les grands maîtres » avec Léonard de Vinci et son époque ou Beethoven et son époque. Les ouvrages sur les métiers ne sont pas assez nombreux et donnent une conception trop idyllique de tous les métiers.
Évoquons les encyclopédies pour enfants. Les éditeurs abusent souvent du terme. Hachette, Larousse, Les Deux Coqs d'Or, en éditent. Superficielles, elles procurent une lecture agréable et deviennent trop imprécises lorsqu'elle doivent assumer le rôle d'un ouvrage de référence. L'acquéreur paie très cher un savoir souvent dérisoire où le remplissage est roi. Le danger du savoir morcelé demeure. Un Petit Larousse suffit jusqu'en classe de 4e ou 3e et l'encyclopédie pour adultes prend alors le relais.
III - La critique des ouvrages documentaires
Toute critique est subjective et les techniques d'analyse relèvent d'une pragmatique. Il paraît indispensable de lire entièrement l'ouvrage documentaire et de parcourir la fiche publicitaire qui l'accompagne. Quand l'enfant aperçoit un documentaire dans la bibliothèque ou s'il le reçoit en cadeau, quand l'ouvrage arrive sur la table de travail du critique, c'est d'abord la présentation qui leur donnera envie d'ouvrir, puis de lire le volume et pas seulement de regarder les images. La critique du contenu, qui est liée à l'aspect matériel, sera abordée ensuite. Le critique se soumet à un questionnaire pour rédiger son compte rendu.
A. - Les éléments matériels.
. La couverture : le choix des couleurs, la finesse du dessin, la résistance du papier, du brochage donnent souvent une indication sur le soin avec lequel l'ouvrage a été édité. La collection « Les animaux et leur comportement » chez Hachette est un exemple de couverture réussie.
. Le format est-il conforme au but de l'ouvrage ? Par exemple, on doit pouvoir emporter un guide en promenade.
. La page de garde présente quelquefois de très belles photos. Certaines pages de garde sont utilisées pour la table des matières. Dans la collection « Les voyages de... » chez Nathan, la carte que reproduit la page de garde est hélas ! muette.
. La page de titre porte-t-elle un titre conforme à celui de la couverture ? Le désaccord déroute les enfants.
. Le verso de la page de titre indique-t-il une publicité comme dans la collection « L'enfant et l'univers » chez GP ?
. La mise en pages est-elle trop scolaire ? Le chapitre sur double page est un procédé qu'utilisent la plupart des documentaires destinés aux enfants de moins de 12 ans. Comment est disposé le texte ?
. Les illustrations sont-elles claires, esthétiques, originales ? Il y a une réutilisation incroyable de la même iconographie. La collection « Les animaux et leur comportement » fournit des clichés jamais vus jusqu'ici. La nature du papier joue sur la qualité des illustrations. Sur papier glacé, les photos brillent ; sur papier mat, les photos de la nature sont plus proches de la réalité, comme dans l'ouvrage La Vie du lac d'origine tchèque à La Farandole.
- Les dessins sont-ils artistiques, de facture actuelle, démodée, rétro ? Quelles sont les techniques employées : la plume, le trait, l'aquarelle, etc. ? Certains dessins que les adultes trouvent laids plaisent aux enfants parce qu'ils s'apparentent au style de leurs magazines.
- Les mêmes questions se posent à propos des couleurs des illustrations.
- Les schémas, leur clarté, leur lisibilité sont indispensables.
- Les cartes sont-elles explicites ? Si l'on donne la carte d'une région, se trouve-t-elle replacée en encart dans le continent auquel appartient la région, comme dans « L'enfant et l'univers » ?
- Les tableaux, en particulier les tableaux synoptiques, sont-ils de compréhension facile ? Leur schématisme peut nuire au texte comme dans Il était plusieurs « foi » chez Ramsay.
. La lisibilité : le texte sur fond de couleur marron est-il lisible ? La typographie trop compacte ou trop blanche ? Le texte est-il parsemé de majuscules inutiles comme dans L'Année des arbres de L'École des loisirs ?
. L'existence ou l'absence regrettable d'un appareil critique est à remarquer.
- L'index est-il exact ? Les chiffres en italiques qui renvoient aux illustrations se différencient-ils nettement des chiffres en caractères gras qui renvoient aux matières ?
- Le glossaire est-il suffisant ?
- La bibliographie est-elle accessible ?
- Les adresses sont-elles complètes ?
. Le plan de l'ouvrage est-il mis en valeur dès la table des matières ? La construction du plan doit fournir des chroniques congruentes.
. Le trajet du livre : est-ce une édition importée, une coédition ? nationale ou internationale ? L'Histoire des chrétiens, coédition internationale a fait l'objet d'un important démarchage et de publicité.
. La date d'édition. Est-ce la première ? Tel ouvrage a été traduit en 1981, mais le copyright donne la date de sa conception. Est-ce une réédition dans une autre collection ou chez un autre éditeur ?
Cette liste n'est pas exhaustive.
B. - Le contenu du livre demande un examen encore plus soigneux.
. Le sujet et sa place dans la production contemporaine : est-ce encore un livre sur les oiseaux ou enfin une biographie de Sofia Kovaleskaïa ? Quelle est sa place dans l'actualité ? C'est l'année des handicapés ou du livre ; c'est le centenaire de l'école laïque. Un nouvel ouvrage sur les dinosaures correspond-il à une découverte préhistorique récente ou à une distribution d'animaux préhistoriques en plastique dans les paquets de nouilles ? Le sujet est-il à la mode, vulgarisé par les media ou va-t-il devenir à la mode ?
. La correspondance entre le titre et le contenu. Par exemple, l'Atlas pour la jeunesse est en réalité un ouvrage de géographie générale.
. Le rapport entre l'aspect et le contenu peut montrer un abord de vulgarisation et receler un très bon contenu. Avec Pierre, Pic et Martine, je visite Paris chez Hachette donne plus que ne le promet son aspect extérieur. L'inverse se rencontre aussi.
. L'ouvrage est-il à sa place dans la collection où il se trouve ? Le directeur de la collection est-il connu ?
. Le rapport entre la présentation et le contenu est-il équivalent ? Par exemple, Le Monde des animaux dans « Carrefour des connaissances » chez Gamma, fournit un texte pour 10-14 ans, présenté pour 8-10 ans.
. L'auteur ou les auteurs. Est-ce un spécialiste ? un historien comme Pierre Miquel ou Régine Pernoud. Est-ce un journaliste qui décide d'écrire un livre sur la préhistoire ? Est-ce quelqu'un de connu pour ses activités ? Par exemple, Mon livre de cuisine par Ginette Mathiot ou Mon livre de photographie par J.P. Lartigue. A-t-il été vulgarisé par les media ? Est-il très connu ? A-t-il beaucoup écrit ou est-ce son premier livre ? Est-ce un auteur ancien ? Par exemple Le Voyage de Linné chez Centurion-Jeunesse.
Les mêmes questions se posent à propos des auteurs secondaires. Qui est le traducteur ? Le livre est-il traduit, adapté ou récrit ? L'illustrateur est-il célèbre ou est-ce un jeune talent ? Qui est le préfacier ? Il y a tant de préfaces de complaisance ! Un livre religieux a-t-il ou non l'imprimatur ?
. Le rapport entre les illustrations et le texte revêt une grande importance. Les illustrations sont-elles bien placées ? Ne coupent-elles pas le texte ? Sont-elles trop ou pas assez nombreuses en fonction du sujet ? Si c'est un sujet sur l'art par exemple, les illustrations donnent-elles l'impression d'avoir été choisies en fonction du texte ou l'inverse ? Fournissent-elles des informations redondantes avec le texte ou complémentaires comme dans Santu de Corse chez le Père Castor ? La liaison entre la carte et le texte n'est pas toujours réalisée. Par exemple, dans Les Voyages de Livingstone, le texte parle du fleuve Congo et sur la carte, le fleuve s'appelle le Zaïre. Un enfant peut-il deviner que c'est le même fleuve ?
. Le texte lui-même. Le vocabulaire, la phrase conviennent-ils à l'âge du destinataire ? Le style mérite aussi une remarque. Est-ce un français classique comme dans les albums du Père Castor ou bien doit-on déplorer du charabia ou des fautes de français ? Dis-moi Denis, ça veut dire quoi tous ces mots est pourtant un documentaire de l'excellent Pomme d'Api. Hachette intitule une collection « Les dicos de dis pourquoi ? » ! Un glossaire doit réunir et expliquer les jargons de métier ou les mots étrangers intraduisibles. Le franglais sévit-il ? Les traductions ne doivent pas être perceptibles. Il y a des humours déplacés dans certains ouvrages sur la préhistoire.
. Quel est l'apport informationnel ? Il y a des ouvrages qui sont du remplissage. Qu'apprend cette page ? L'exactitude de l'information peut être vérifiée dans un dictionnaire spécialisé. Les dates, les biographies sont-elles justes ? Le texte et le dossier final peuvent se contredire.
. De nombreux documentaires présentent des activités manuelles, la collection « Ce que dit la nature » par exemple. Ces travaux sont-ils réalisables, avec ou sans l'aide de l'adulte, par un enfant d'âge correspondant au texte du livre ?
. L'information peut présenter des lacunes ou des retards, sur l'astronautique par exemple, ou ne pas évoquer l'état du problème en France, ou omettre de parler des conséquences d'un métier sur la vie familiale et sociale. Au contraire, on peut souligner l'originalité de l'information sur un sujet aussi classique que Le Monde envahissant des champignons dans « Les grands albums BT » du CEL.
. L'usage du livre. Est-il excellent mais peu utilisable dans le contexte français comme l'ouvrage suédois traduit (mais pas adapté) chez Bias Découverte de la nature ?
. L'idéologie véhiculée. Un engagement politique paraît normal dans un ouvrage d'histoire (« La vie privée des hommes » chez Hachette, par exemple), à condition qu'il ne soit pas outrancier. Mais on peut aussi saluer l'objectivité de La Vie d'un chevalier au temps des croisades dans « L'histoire vécue » chez Flammarion, Chat Perché.
Techniques, recettes, souci d'objectivité n'empêchent pas la personnalité du critique de percer à travers les analyses. Parmi les critiques actuels, certains sont préoccupés par la morale, pour la dénoncer ou la renforcer ; chez d'autres, le souci didactique est premier.
IV - Les fonctions du documentaire pour la jeunesse
Bibliothécaires, mères de famille demandent à quoi servent les documentaires. Guy Berger considère le documentaire comme une forme de savoir. Énumérons quelques-unes de ses fonctions.
1) Le documentaire apprend à utiliser le livre et son appareil critique.
2) Il apprend ce que l'école n'enseigne pas et cela hors de toute contrainte didactique.
3) Tout documentaire renvoie à d'autres connaissances. Il introduit à un savoir, à un réseau de connaissances.
4) Le documentaire suscite questions et curiosités. Savoir ou apprendre, c'est d'abord savoir qu'on ne sait rien. Mais on ne pose de questions qu'à partir d'un savoir. On ne perçoit que ce que l'on connaît.
5) Le documentaire apprend à maîtriser l'information. Les enfants qui ont le plus besoin de documentaires sont ceux que l'école n'intéresse pas.
6) Le documentaire est un médiateur entre parents et enfants. Beaucoup plus que la lecture romanesque, il permet un échange entre les générations. Mais cet échange culturel ne peut avoir lieu que sur les bases d'un échange affectif.
A partir d'une expérience vécue, faisons fonctionner un documentaire. Le choix s'est porté sur Cig la cigogne de A. Tellier avec des illustrations de R. Turc, publié par les Albums du Père Castor chez Flammarion. C'est le type même du documentaire, intarissable source de curiosités et de questions. On y trouve la qualité de texte et d'illustration, la concordance exacte entre la phrase et l'image, une langue française pure. Une petite fille de 6 ans et demie ne voulait pas lire. Installée sur les genoux de l'adulte, attirée par les images, l'adulte et la petite fille lisaient à tour de rôle une phrase chacun. C'est là l'étape du lien affectif tissé entre l'enfant, le livre et la personne qui lui apprend à lire.
Il s'agit de la migration des cigognes. Les migrations et les étapes successives des différentes troupes de cigognes sont assez difficiles à comprendre pour un enfant de 6-7 ans. Les cigognes se rendent du Lac Tchad en Alsace et traversent différentes contrées décrites par le texte et l'image. Les enfants de plusieurs nationalités les accueillent en différentes langues et dialectes. Des mots nouveaux et étrangers apparaissent - rémiges, oued, guardians - qui méritent un commentaire. Sur l'image apparaissent des types d'habitat différents, des huttes, des maisons à toits plats aux toits pointus alsaciens. Il suffit d'expliquer pourquoi. Une carte est fournie ; il faut la replacer sur la mappemonde, apprendre à transposer d'un espace à un autre.
Par les images, tout un voyage culturel se réalise à partir des costumes, des postures, des modes de portage, des cultures agricoles. On peut décrire l'Alsace, parler des centres de sauvetage des cigognes ou raconter Marrakech. Un plan stylisé de Marrakech permet de reconnaître la Koutoubia et la place Djemaa El Fna. Que fait-on dans une mosquée ? Pourquoi voit-on des vergers quand les cigognes traversent l'Andalousie ? Une cigogne - qui n'est pas Cig - va mourir sur un fil électrique. On peut broder sur les dangers du courant électrique. L'affectivité est renforcée par l'identification de l'enfant à l'animal qu'il reconnaît au fil des pages. L'oiseau Cig est différencié des autres cigognes par une plume blanche dans ses rémiges noires. Des oisillons vont naître dans un nid construit avec toutes sortes de matériaux y compris une écharpe d'écolier. On peut raconter les transformations dans l'œuf où éclot le cigogneau.
D'après cet exemple et bien d'autres, on peut soutenir que le documentaire trouve son usage et son utilité aussi bien, sinon mieux, à la maison qu'en classe. Jean Foucambert suggère que les documentaires seraient mieux appropriés que la fiction pour les débuts de l'apprentissage de la lecture.