Le centre d'étude et de documentation sur l'image à la Bibliothèque municipale de Marseille

Jean-Claude Faur

Fondé fin 1979 dans le cadre de la Bibliothèque municipale classée de Marseille, le Centre d'étude et de documentation sur l'image (CEDOCI) se propose d'acquérir et d'exploiter toute information concernant la littérature graphique en France et à l'étranger. Les collections, qui comptent plus de 390 périodiques, ont permis, par leur dépouillement, la réalisation d'un catalogue sur fiches qui dépasse actuellement les 10 000 références et qui peut être interrogé par toute bibliothèque publique française ou étrangère, les documents eux-mêmes pouvant être sollicités par « prêt inter ». Une section consacrée à la photographie est en cours d'aménagement

Founded at the end of 1979, within the « Bibliothèque municipale de Marseille », The Center for study and documentation on the image aims at buying and exploiting any information concerning the graphic literature in France and abroad. The holdings which amount to more than 390 serial titles have been indexed and allow the realization of a card catalogue which counts more than 10 000 references and which can be consulted by any french or foreign public library ; the documents themselves may be borrowed by interlibrary loan. A photography department is now being set up

Créé en octobre 1979 comme section autonome en marge des services déjà existants de la Bibliothèque municipale classée de Marseille, dirigée par Michel Gernet, conservateur en chef, le Centre d'étude et de documentation sur l'image (CEDOCI) se propose de répondre à de nombreux besoins documentaires qui, sur le plan régional, émanent de manifestations de valeur internationale comme les Rencontres photographiques d'Arles ou le Colloque Éducation et bande dessinée de La Roque d'Anthéron, et qui, sur le plan national, n'étaient pas jusqu'ici complètement satisfaits.

Deux premières sections du CEDOCI commencent actuellement à prendre forme et à rendre les services qu'on peut en attendre : l'une consacrée à la littérature graphique ou bande dessinée, qui est la plus ancienne et la plus structurée : c'est sur celle-ci que nous mettrons l'accent ; l'autre consacrée à la photographie, plus récente, qui doit s'insérer dans un réseau documentaire déjà existant au plan régional et national, pour acquérir sa personnalité propre.

Les originalités du CEDOCI, quant à sa section Littérature graphique, sont nombreuses, du fait notamment qu'il s'agit du premier organisme du genre en France, et même en Europe si l'on met à part certaines expériences menées en Italie, en Espagne ou en Hollande. Comme tel, il doit faire face à un certain nombre de problèmes spécifiques, que nous aborderons, pour mener à bien une double tâche de conservation et de documentation qui, dans certains cas, se révèlent contradictoires.

On sait le discrédit lontemps entretenu autour de la presse pour les jeunes et surtout, bien entendu, autour des « illustrés » dont il est difficile, voire parfois impossible, de pouvoir consulter des collections complètes dès lors que les parutions remontent à plus d'une quinzaine ou d'une vingtaine d'années. De même, les suppléments dominicaux illustrés de grands quotidiens d'information comme La Dépêche ou Le Provençal, même lorsqu'ils ont fait l'objet d'un dépôt légal, ont rarement été conservés dans les bibliothèques publiques. Or les orientations actuelles de la recherche sont telles que de nouveaux besoins apparaissent dans le champ de la sociologie, de l'histoire des mentalités, de l'histoire contemporaine qui nécessitent l'existence de corpus cohérents.

L'une des tâches essentielles du CEDOCI a donc été - et continue d'être, bien entendu - la reconstitution de fonds complets de périodiques postérieurs à 1945 (dans un premier temps), puis antérieurs à la deuxième guerre mondiale. Mais deux obstacles principaux rendent cette reconstitution difficile : la relative rareté des documents et, partant, leur coût élevé. C'est en s'adressant à des libraires spécialisés dans l'illustré d'occasion ou à des collectionneurs privés désireux de se défaire de tout ou partie de leur collection que nous parvenons, peu à peu, à reconstituer des séries homogènes, ou même complètes, de journaux comme Spirou, Tintin, Vaillant pour les plus récents, comme Robinson, Hop-là, le Téméraire, Mickey, Cœurs Vaillants, ou l'Intrépide pour les plus anciens.

Compte tenu de l'engouement récent pour les bandes dessinées et, plus généralement, pour la collection prise comme valeur-refuge, il s'avère cependant que le coût de ces pièces est relativement, voire excessivement élevé. Il n'est pas rare qu'un seul fascicule atteigne une valeur de l'ordre de 150 ou 200 francs, ce qui donne une idée du budget nécessaire pour acquérir une année d'hebdomadaire, et a fortiori sa collection complète... Néanmoins, dès lors que le CEDOCI aura atteint une certaine notoriété, il est probable qu'il verra affluer des dons croissants de collectionneurs privés soucieux de conserver à leur collection l'unité qu'ils lui auront patiemment donnée et de se prémunir également contre le vol spécialisé qui commence, plusieurs cas se sont produits, à les atteindre.

A l'opposé du périodique « ancien » (en la matière le fonds « ancien » remonte à la fin du XIXe siècle pour se prolonger jusqu'aux années 60) les « fanzines », minces publications d'amateurs à l'éphémère durée, posent des problèmes de collecte tout aussi épineux. Leur tirage (souvent inférieur au millier d'exemplaires), leur courte durée de publication, l'absence de dépôt légal, leur modicité même qui les font négliger des collectionneurs sont autant de caractéristiques qui les rendent à peu près introuvables, même lorsqu'ils sont récents. Leur valeur n'est pourtant pas négligeable, tant pour leur contenu souvent original, que pour les informations qu'ils contiennent ou les planches qu'ils publient. Le plus souvent, ces planches émanent de jeunes dessinateurs qui ne poursuivront pas dans la voie de la bande dessinée. Dans certains cas, elles préfigurent au contraire l'œuvre d'un professionnel appelé par la suite à une certaine notoriété : ainsi par exemple de Absolutely live, un petit trimestriel qui ne connut en 1975 que deux numéros et qui était entièrement réalisé par Serge Clerc, l'un des fleurons actuels des éditions « Humanoïdes associés », traduit jusqu'aux États-Unis... D'autres « fanzines » au contraire se singularisent par la qualité de leurs études sur la bande dessinée, comme Giff Wiff, fondé par Francis Lacassin et Alain Resnais, ou, plus près de nous, comme Phénix ou Bédésup, qui sont parfois à l'origine de travaux universitaires sur la bande dessinée.

Il ne faudrait pas négliger enfin, dans le champ d'acquisition du CEDOCI, les albums proprement dits, les ouvrages critiques sur la bande dessinée ou les thèses qui lui sont consacrées, les articles parus ici ou là dans la presse d'information générale, les catalogues et affiches d'exposition, les cartes postales, les séries de diapositives, les port-folios, qui constituent un appoint non négligeable dans la production des auteurs, même lorsque ceux-ci paraissent d'abord dans des périodiques. Par contre, ont été exclues du domaine d'acquisition les planches originales proprement dites - encore que le CEDOCI en possède à titre de pure information - qui concernent davantage semble-t-il la muséologie contemporaine, comme les acquisitions des Musées d'Angoulême ou de Grenoble en témoignent. Alors que les affiches, documents imprimés, peuvent être aisément rattachées au fonds documentaire.

La conservation de tous ces documents obéit aux normes traditionnelles des bibliothèques, tant pour l'archivage en cartons des brochures, que pour la reliure, voire la restauration des périodiques. Pour des raisons évidentes de commodité, d'espace, de protection, c'est un rangement par format qui a été adopté, utilisant les différents types de mobilier, y compris les meubles à plans. Mais en outre, s'agissant d'un papier de qualité souvent médiocre, il s'est révélé nécessaire d'installer, dans le local attribué au CEDOCI (environ 110 m2), un appareil humidificateur destiné à pallier l'excès de sécheresse qui, au début, compromettait la conservation des documents. En fait, les risques majeurs encourus par les documents restent, bien entendu, ceux inhérents à la communication.

Acquisition et conservation ne sont pas cependant les seules préoccupations du CEDOCI. Aussi riche soit-elle, la matière recueillie n'aurait pas de raison d'être sans une exploitation rationnelle du document, et cette tâche documentaire se révèle à l'usage tout aussi importante, et tout aussi astreignante, que celle des acquisitions proprement dites. Pour ce faire, le catalogage a été développé, selon les normes traditionnelles, à tous les documents possédés. Avec certaines particularités propres au fonds lui-même. C'est ainsi que pour les albums, il a paru indispensable de mettre en valeur les différents collaborateurs : scénariste et dessinateur bien sûr, mais également, s'il y a lieu, lettreur, coloriste, gagman, traducteur, préfacier, etc. De même, toujours pour les albums, il a paru plus exact de mentionner le nombre de planches (en noir ou en couleurs) que la pagination éditoriale.

Par ailleurs, un certain nombre de revues d'études ont fait l'objet d'un dépouillement détaillé, article par article, au nom de l'auteur, avec les vedettes-matières nécessaires : c'est le cas des revues comme Phénix, Giff Wilf, Bédésup, déjà citées, mais également Hop, le Collectionneur de bandes dessinées, il Fumetto, etc. et ce dépouillement sera étendu par la suite à la totalité des revues d'étude sur la bande dessinée. Travail énorme, certes, mais que justifie l'existence même du Centre de documentation et qui permet d'obtenir instantanément des bibliographies étoffées sur tout auteur comme sur tout sujet traité en bande dessinée. Il est certain néanmoins que ce travail ne peut être que de longue haleine, et qu'il nécessite un personnel spécialisé, dont le CEDOCI manque encore, compte tenu des difficultés propres à toutes les littératures populaires, telles la multiplication des pseudonymes par exemple, ou l'absence de thésaurus en la matière.

Quoi qu'il en soit, le CEDOCI dispose actuellement d'un catalogue sur fiches qui compte environ 12 000 notices et qui peut, dès à présent, apporter une information immédiate de qualité, comme a pu le vérifier, par exemple, le Centre de recherches en didactique du français de l'Université de Grenoble et comme en témoignent déjà de nombreux chercheurs.

Par ailleurs, le CEDOCI s'efforce de remplir certaines lacunes quant à l'historique des quelque 390 périodiques qu'il possède, en suscitant des vocations bibliographiques auprès des chercheurs, l'Université ayant trop tendance à privilégier les sujets généraux d'étude sur la bande dessinée, au détriment de sa matière bibliographique proprement dite. C'est ainsi que des notices très complètes ont pu être publiées récemment sur deux périodiques français : Garth, paru en 1949, et le célèbre Téméraire, paru en 1943-1944. D'autres nomenclatures bibliographiques sont en cours, notamment pour Robin des Bois, périodique des éditions CHOT à Lyon. De telles études, qui participent à l'histoire de la bande dessinée en France, ne peuvent être menées à bien, on s'en doute, qu'à partir de collections complètes de périodiques, et c'est l'une des meilleures justifications du CEDOCI.

Reste à aborder le problème de la communication de ces documents. Une certaine prudence est de règle en la matière, compte tenu de l'intérêt croissant du public pour la bande dessinée. S'agissant de collections épuisées, rares, parfois précieuses, et souvent fragiles, il était impossible d'admettre le principe d'une consultation directe des lecteurs sur les rayons. De même, la consultation des documents est strictement limitée aux chercheurs réellement motivés. Par contre, l'accès aux documents par l'intermédiaire du prêt interbibliothèque est relativement libéralisé du fait des garanties offertes par ce mode de prêt : envois en recommandé, qualification professionnelle des manipulateurs, encore que certains retours dans des emballages sommaires révèlent que la négligence fait « souffrir » considérablement les documents de grand format.

Ce mode de communication a permis, pour la saison 1980/81, environ 130 prêts à l'extérieur à un grand nombre de bibliothèques, principalement municipales (Bourges, Avignon, Riom, Bayonne) ou universitaires (Sorbonne) et l'achèvement ou la mise en chantier de nombreuses thèses universitaires sur des thèmes aussi variés que l'utilisation de la bande dessinée dans l'éducation physique et sportive, l'image de la personne âgée dans la bande dessinée ou les rapports entre lectures scolaires et livres pour enfants. La plupart des bibliothèques qui ont fait appel au CEDOCI ont été sollicitées en ce sens par les usagers eux-mêmes ou bien l'ont fait directement, sensibilisées par l'envoi d'une affiche dessinée spécialement pour le CEDOCI par le rédacteur en chef de la revue Tintin, Christian Goux. De nombreuses demandes - de toutes sortes d'ailleurs - émanent désormais régulièrement aussi de particuliers, de documentalistes de lycée, de libraires désireux d'une précision pour servir leurs clients, de collectionneurs enfin qui proposent leurs occasions. Depuis peu, ces demandes proviennent même de l'étranger, preuve que l'audience du CEDOCI s'étend maintenant au-delà des frontières.

Il faut ajouter que le CEDOCI sert également de champ d'expérience pour les documentalistes-stagiaires qui, à l'issue de leur formation, doivent acquérir une courte expérience en milieu professionnel. Jusqu'à présent deux étudiantes ont été accueillies pour des stages de six semaines, l'une venant de l'Institut universitaire de technologie de Dijon, l'autre de l'Institut universitaire de technologie de Toulouse, qui chacune ont fait bénéficier le service de leur propre pratique documentaire.

D'autre part, le CEDOCI participe, en la personne du conservateur chargé de sa direction, à de multiples entreprises concernant l'étude de la bande dessinée, et notamment au Groupe aixois de recherche sur l'image (GARI), animé à l'Université de Provence par Jean Arrouye, directeur du Département Arts plastiques, qui a pu mener à bien une recherche pluridisciplinaire sur l'univers du dessinateur Tardi, recherche qui doit faire l'objet d'une prochaine publication. Mais des rapports sont également entretenus avec des groupes analogues, notamment à l'Université Paul-Valéry de Montpellier ou à l'Université de Grenoble. Par ailleurs, le CEDOCI a participé à un colloque des bibliothécaires flamands sur la bande dessinée à Turnhout (Belgique) en 1979 et proposé une sélection de 155 albums pour une bibliothèque de base dans Livres de France de janvier 1981.

Enfin, le CEDOCI, de par la nature de ses fonds, participe activement à l'animation générale de la Bibliothèque municipale de Marseille. Il a réalisé en 1980 une exposition originale sur le thème : « Marseille et la bande dessinée », qui a mis en valeur l'image traditionnelle de la cité à travers la bande dessinée francophone, enrichie d'un entretien inédit avec Paul Winkler, président-directeur-général d'Opera Mundi, ancien directeur du Journal de Mickey à Marseille sous l'Occupation. Cette exposition a fait l'objet d'un catalogue disponible sur demande. Des animations ont également été proposées au grand public sur les plantes d'appartement à travers la série flamande des « Marjolein » publiée dans le quotidien De Standaard ; et plus récemment autour de l'œuvre peinte de Jean Ache, créateur « d'Arabelle la sirène » pour France Soir ; ainsi qu'un panorama d'affiches originales de films peplum prêtées par le collectionneur belge Michel Eloy.

Mais le CEDOCI, en prêtant à la demande des sélections de bandes dessinées anciennes (revues et albums), a participé également durant la saison 1980/81 à de multiples manifestations ou expositions organisées en France par diverses bibliothèques municipales à Bezons, Angoulême, Villeneuve-Saint-Georges, Seynod ou Bron... Une autre manière de mettre ses fonds en valeur et de faire connaître son existence.

C'est dire l'originalité du CEDOCI et le rôle croissant qu'il est amené à jouer non seulement au niveau de la recherche sur la littérature graphique, mais également au niveau des manifestations consacrées à ce genre populaire dans tout l'hexagone.

Aujourd'hui, alors que le fonds continue à se constituer, deux handicaps pourraient freiner le fonctionnement du Centre, encore que ces obstacles puissent être levés dans les mois à venir. D'une part, comme service d'un vaste établissement qui doit faire face à de multiples priorités, notamment en matière de lecture publique urbaine, il ne peut prétendre à tout le budget qui lui serait indispensable compte tenu du coût élevé des documents à acquérir, ce budget étant par ailleurs d'origine exclusivement municipale. Mais surtout, les besoins pressants en personnel qui affligent l'ensemble de l'établissement ne permettent pas d'espérer une attribution de personnel propre au CEDOCI qui, jusqu'ici, fonctionne avec un employé et un conservateur chargés par ailleurs d'autres activités au sein de la Bibliothèque. Compte tenu de l'importance des tâches d'acquisition, de catalogage, de dépouillement et de mise en valeur du fonds documentaire, ce handicap reste majeur pour le développement harmonieux et rapide d'une expérience qui, à notre connaissance, reste unique en France.