Les systèmes de documentation automatisée dans les bibliothèques universitaires américaines

Jacques Reibel

L'utilisation des services de documentation bibliograhique en conversationnel dans les bibliothèques universitaires américaines date du début des années 70.

Ce service est maintenant bien intégré dans les bibliothèques. Celles-ci ont d'ailleurs pris toutes les mesures pour assurer la réussite d'un service que les utilisateurs trouvent de plus en plus indispensable.

I. « Reference department » et documentation automatisée

Le service de documentation automatisée est le plus souvent assuré par le « Reference Department » et parfois par les « Subjet Specialist » (bibliothécaire spécialisé dans un domaine). La traduction de « Reference Department » est impossible. En partie, ce service pourrait être comparé au service de renseignements qu'on trouve dans les bibliothèques françaises. Il faut cependant signaler que l'importance du « Reference Department » frappe l'utilisateur et le bibliothécaire français. Dans les bibliothèques universitaires, que nous avons visitées, le « Reference Department » regroupe tous les ouvrages de référence (environ 25 000 volumes) et emploie en général 6 à 8 bibliothécaires très qualifiés. Ils sont spécialisés dans cette tâche et portent un titre spécial «Reference Librarian ». Ces « Reference Department » ont pour unique mission de renseigner et d'orienter les utilisateurs vers les fichiers ou vers les bibliographies imprimées. S'ils ne se consacraient que très rarement à des recherches bibliographiques personnalisées, ces services ont depuis toujours réalisé des bibliographies spécialisées à l'usage des groupes d'étudiants ou de chercheurs.

Ce « Reference Department » était donc tout désigné pour offrir ce nouveau service de documentation automatisée. Par ailleurs, les bibliothécaires spécialisés dans un domaine « Subject specialist » étaient eux aussi préparés à remplir cette nouvelle fonction, puisqu'ils connaissent en détail les bibliographies spécialisées.

II. Organisation du service de documentation automatisée en conversationnel

Choix du personnel

En général, tous les bibliothécaires du « Reference Department » n'interrogent pas, même s'ils connaissent toutes les possibilités nouvelles offertes par l'interrogation en ligne.

Les personnes interrogeant ont été choisies en fonction de trois critères : la connaissance du domaine d'interrogation ; la capacité de réaliser un bon interview et d'établir une bonne communication avec l'utilisateur ; l'intérêt montré pour ces nouveaux services.

Nombre et localisation du ou des terminaux

En ce qui concerne le nombre et la localisation du ou des terminaux, la situation est très différente d'une université à l'autre. La taille du campus, le nombre des utilisateurs ainsi que l'importance des bibliothèques d'instituts * sont bien sûr des facteurs importants.

Dans un souci de promotion, le terminal est en général placé dans un endroit visible du public. Parfois, il est placé dans un bureau, ce qui facilite les discussions avec l'utilisateur sans déranger les autres lecteurs. La proximité des bibliographies facilite la formulation des questions.

Dans un souci d'efficacité et de rationalisation, les bibliothèques ont essayé de limiter le nombre de terminaux. Au Massachusett Institute of Technology (MIT), l'interrogation se faisait d'abord à six endroits différents ; maintenant, elle se fait à un seul endroit et donne de meilleurs résultats à un coût moindre. A Berkeley, il y a 3 terminaux à des endroits décentralisés, chacun étant spécialisé dans un domaine particulier (Médecine, Sciences exactes, Sciences sociales). L'utilisation d'un terminal mobile a aussi été retenue sur certains campus.

Serveurs utilisés

Les bibliothèques universitaires américaines ont pour la plupart des contrats avec les trois grands serveurs :
- Lockheed Information Service (LIS)
- System Development Corporation (SDC)
- Bibliographic Retrieval System (BRS)

Ils peuvent ainsi les mettre en concurrence sur les fichiers qui sont dupliqués et utiliser à bon escient les possibilités originales des différents logiciels.

Le serveur BRS est cependant très utilisé compte tenu de sa récente apparition sur le marché. Le serveur s'est fixé pour créneau la clientèle des bibliothèques universitaires et propose l'utilisation de ses fichiers sur la base d'une souscription annuelle.

Ses tarifs 1979 étaient :
Montant de la souscription annuelle en dollars - Nombre annuel d'heures de connexion
750 - 25
1500 - 60
2400 - 120
3800 - 240

A ces prix s'ajoutent :
1. Les frais de télécommunications.
2. Les droits d'utilisation demandés par les producteurs de bases de donnés
3. Les impressions en différé.

III. Le coordinateur de la documentation en conversationnel

Sur tous les campus, un coordinateur est chargé de la documentation en conversationnel. Il a toujours lui-même une grande expérience dans l'utilisation de ce nouveau service.

Il assure le contact avec les serveurs et les producteurs de base de données. C'est lui qui est responsable de la formation des bibliothécaires et qui établit leur planning d'interrogation. Il supervise ces derniers et s'assure qu'ils sont au courant des dernières modifications des bases de données et des nouvelles techniques de recherche lors de réunions mensuelles. Au cours de ces rencontres, les discussions portent sur les problèmes qui se sont posés lors des recherches, que ce soient des problèmes de pannes, des difficultés avec les bases de données, des erreurs de formulation des questions, etc.

Le coordinateur est responsable des démonstrations et de la formation des utilisateurs. Il est chargé de la publicité, du marketing et de la promotion du service.

C'est lui aussi qui met au point les documents d'aides à la recherche et qui compile les statistiques et les rapports. Il fait la synthèse des évaluations des recherches faites par les chercheurs.

C'est lui qui gère les crédits ouverts pour la recherche documentaire en conversationnel. Ces crédits figurent souvent dans une ligne budgétaire particulière (c'est le cas à Berkeley et à l'University of California Los Angeles, UCLA).

IV. Utilisateur et bibliothécaire

Les heures de fonctionnement du service sont en général très larges. Les utilisateurs sont reçus sur rendez-vous souvent après avoir envoyé à l'avance un formulaire permettant d'analyser leurs besoins documentaires.

Certains collègues américains sont cependant contre la présence du chercheur pendant l'interrogation. Ce dernier constitue pour eux une gêne et provoque l'allongement inutile des temps d'interrogation.

Cependant, la plupart reconnaît comme bénéfique la présence du chercheur car, surtout dans les domaines très spécialisés, il peut seul en dernier ressort, juger de la pertinence des références obtenues.

Dans certaines bibliothèques (par exemple à la Bibliothèque de chimie de Urbana Champaign), on essaie de laisser l'utilisateur final se servir lui-même du terminal. Mais cette solution paraît à beaucoup de collègues américains très utopique, car on constate en effet un allongement important des sessions d'interrogation. En effet, seule une utilisation régulère permet une bonne connaissance du ou des logiciels d'interrogation et donc une utilisation efficace et rationnelle. De plus, les logiciels sont toujours en train d'évoluer et un utilisateur occasionnel perdrait beaucoup de temps à s'informer sur les nouvelles possibilités.

L'association d'un spécialiste en science de l'information connaissant à fond les problèmes de documentation (indexation et logiciels) et ayant une connaissance du domaine universitaire avec un chercheur spécialiste dans son domaine et ayant une information générale en documentation automatique, restera de nombreuses années encore le garant d'un service efficace.

La mise à la disposition de ce nouveau service a entraîné pour le « Reference Department » ou pour le « Subject Specialist » (bibliothécaire spécialisé) une augmentation considérable du volume de travail.

Nos collègues américains considèrent en général que le temps passé pour traiter une question est égal en moyenne à trois fois celui passé au terminal.

Un autre tiers est consacré à la préparation de la question et le dernier tiers est consacré avec le chercheur à l'évaluation des références trouvées.

D'après notre expérience, ces proportions ne sont pas les mêmes en France. Tout d'abord, les prix en France étant nettement plus élevés à cause du coût des télécommunications (cette situation change un peu avec Transpac et Euronet), nous avons tendance à passer le minimum de temps au terminal. Par ailleurs, nous y reviendrons plus longuement après, nos utilisateurs étant en moyenne moins bien formés au problème de documentation, nous passons beaucoup plus de temps à la présentation du système et à la formulation des questions.

Les bibliothécaires américains assistent aussi le chercheur dans la localisation des documents. Cette tâche leur est facilitée par les autres systèmes en conversationnel dont ils disposent :
- système de prêt automatisé permettant de localiser et d'emprunter tout document existant sur le campus ;
- systèmes Ohio College Library Center (OCLC), Research Library Network (RLIN), Washington Library Network (WLN) pour localiser et emprunter un document en dehors du campus 1.

V. Formation du personnel

Pour assurer la réussite de leur service de documentation automatisée, les bibliothèques universitaires américaines ont consacré un effort important à la formation du personnel.

Toutes les écoles de bibliothécaires ont maintenant un programme très structuré d'enseignement de la documentation automatisée en conversationnel. Il est constitué de cours théoriques et de travaux pratiques avec plusieurs heures d'interrogation par étudiant. Tous les serveurs américains offrent d'ailleurs des prix réduits pour de telles utilisations ou offrent des fichiers particuliers à des tarifs très bas.

Les écoles de bibliothécaires offrent aussi des sessions de formation continue sur la documentation en ligne destinées à des bibliothécaires en activité et qui durent en général une semaine.

Par ailleurs, les serveurs américains organisent régulièrement dans différentes villes des sessions de formation et de perfectionnement sur leur logiciel et sur différents fichiers.

La National Library of Medicine (NLM) a même mis en ligne un sous-système d'enseignement programmé de MEDLINE.

Ces mêmes serveurs diffusent évidemment des bulletins d'information que nous connaissons bien et organisent des sessions de démonstrations et de perfectionnement lors des congrès des associations professionnelles.

De leur côté, les producteurs de fichiers assurent des sessions de formation sur leur base de données.

Toutes ces formations sont payantes et prises en charge par les établissements. En général ce sont 1 ou 2 personnes qui suivent ces sessions de formation (le plus souvent le coordinateur). Ce dernier est ensuite chargé de la formation des autres membres de la bibliothèque.

Par ailleurs, tous les grands serveurs américains ont un numéro de téléphone en libre appel qui est utilisé au moindre problème, que ce soit un problème de logiciel ou de stratégie de recherche. Plusieurs grands producteurs de bases de données ont eux aussi un numéro de téléphone en libre appel pour répondre à tout problème de stratégie ou de choix de descripteurs rencontré lors de l'interrogation de leur fichier. Une telle possibilité laisse rêveur les utilisateurs européens de bases de données.

On assiste aux États-Unis à l'émergence d'un nouveau type de bibliothécaire qui est un véritable professionnel spécialisé dans la fourniture des informations à l'aide des bases de données accessibles en conversationnel. Leur titre varie d'une université à l'autre : spécialiste en information, bibliothécaire chargé du service des bases de données ou encore consultant en recherche documentaire automatisée.

VI. Promotion et marketing du service

Les bibliothèques universitaires américaines baignent dans une société où la publicité joue un rôle primordial dans l'économie. C'est pour cela sans doute qu'elles ont consacré plus d'efforts qu'en France à la promotion du nouveau service offert.

Le rôle du coordinateur qui dispose d'une grande marge de manœuvre est très important. Malgré tout, les bibliothèques américaines ont eu à résoudre, elles aussi, le problème que nous rencontrons en France : comment passer d'une bibliothèque au rôle passif à une bibliothèque assurant un rôle actif et un service personnalisé.

Toutes les techniques du marketing ont été utilisées pour toucher les utilisateurs potentiels :
- publicité par téléphone,
- première question gratuite pour les personnes-clés,
- distribution de tracts et de brochures sur le nouveau service,
- annonces publicitaires dans les bulletins d'information de l'université,
- affiches vantant les avantages du nouveau service,
- articles dans les journaux,
- démontrations pour des groupes ou lors de congrès,
- présentation audiovisuelle.

Les collègues américains ont cependant reconnu que la meilleure publicité est celle qui se faisait de bouche à oreille par les utilisateurs. Pour assurer le succès de cette dernière, le secret est simple : offrir un service de haute qualité avec du personnel compétent et ayant le plus d'expérience possible.

La documentation automatisée en conversationnel étant un service très élaboré, la nécessité d'une meilleure formation des utilisateurs est indispensable.

Cette formation à la documentation est d'ailleurs assurée par la plupart des bibliothèques universitaires que nous avons visitées. Elle fait partie du cursus universitaire normal (les enseignants étant les bibliothécaires en étroite collaboration avec les universitaires). Ces sessions sont une occasion idéale pour faire connaître la documentation automatisée et habituer le chercheur à penser en termes de mots-clés spécifiques et vocabulaires contrôlés. Les chercheurs sont en général très intéressés par les systèmes de documentation automatisée et par le contenu des différentes bases de données.

Tarifs pratiqués

Le prix facturé aux utilisateurs varie beaucoup d'une bibliothèque à l'autre. La méthode la plus simple et la plus répandue est la facturation des coûts directs :
- les frais payés aux serveurs,
- les frais de télécommunications,
- les frais d'impression des références en différé.

Mais de plus en plus de bibliothèques vont au-delà en essayant de récupérer d'autres frais. Ces charges additionnelles peuvent comprendre :
- l'achat ou la location du terminal et du modem,
- le contrat de maintenance du terminal et du modem,
- les fournitures diverses
- les frais de port.

Elles sont en général d'un montant forfaitaire suivant la catégorie de l'utilisateur. Elles peuvent aussi être ajoutées en augmentant le prix de la minute de connexion.

Certaines bibliothèques vont encore plus loin en facturant le temps passé par le bibliothécaire au terminal ou encore le temps total passé à préparer la question, à la traiter et à l'exploiter. Ces tarifs plus élevés sont en général pratiqués vis-à-vis des utilisateurs extérieurs à l'université.

Très souvent, il y a un prix forfaitaire pour les recherches inférieures à dix minutes.

Par ailleurs, de plus en plus de bibliothèques offrent le choix entre un tarif pour les recherches standards et un tarif pour les recherches plus spécialisées.

Par exemple, Stanford a réparti les bases de données en cinq catégories et une recherche standard coûte entre 13 et 36$avec un maximum de vingt-cinq citations. En contrepartie, les recherches spéciales sont facturées à la minute et au nombre de références en différé. De plus, il s'y ajoute une charge fixe de deux dollars.

De même, à l'Unversité de Pennsylvanie, les utilisateurs peuvent choisir entre une recherche standard à prix fixe et une recherche spéciale. Les recherches standards sont facturées pour une somme forfaitaire incluant cinquante citations en différé. Les utilisateurs peuvent choisir jusqu'à dix descripteurs. Pour chaque terme supplémentaire, on facture vingt-cinq « cents » et dix « cents » pour chaque référence supplémentaire. L'utilisateur n'assiste pas aux recherches standards. Pour les recherches spéciales qui se font en présence du client, la facturation se fait à la minute et au nombre de références en différé.

A la bibliothèque de l'Université de Californie à Berkeley, le prix d'une recherche est fixé sur une moyenne de vingt minutes de connexion. Le coût d'une recherche standard va de quinze à soixante dollars suivant la base de données avec en plus le prix des impressions en différé. Pour les utilisateurs extérieurs s'ajoute un forfait de vingt dollars pour couvrir les charges additionnelles.

Pour les étudiants (« Graduate » en général et « Undergraduate » parfois), certaines universités dont UCLA, pratiquent un tarif inférieur aux coûts directs. Ce sont les universités ou les bibliothèques universitaires qui se substituent partiellement à l'utilisateur dans le but d'encourager l'utilisation de la documentation en conversationnel.

VII. Influence sur les autres services

De façon générale, l'utilisation des sytèmes de documentation a entraîné une plus grande utilisation des fonds des bibliothèques. Ceci s'est traduit dans le nombre de photocopies réalisées et dans l'augmentation des prêts. Les demandes de prêt inter-bibliothèques se sont, elles aussi, accrues.

Dans beaucoup d'établissements, la politique d'acquisition a été modifiée pour combler les lacunes apparues lors des recherches de documents signalés au cours des interrogations en conversationnel. Des nouveaux abonnements de périodiques ont dû être souscrits et certains établissements ont été obligés d'acheter sur microfilm les rapports du gouvernement américain (exploités par le National Technical Information Service (NTIS)).

L'impact de la documentation automatisée sur les bibliothèques universitaires américaines est considérable.

Permettant d'assurer enfin un service personnalisé à un grand nombre d'utilisateurs, elle concrétise le rêve de tout bibliothécaire devenu un véritable professionnel de l'information.

La rapidité avec laquelle l'utilisateur peut obtenir des références constitue un défi pour les autres services de la bibliothèque.

Ce défi est relevé par le recours aux autres services en conversationnel que sont les grands catalogues collectifs en ligne (OCLC, RLIN, WLN), les systèmes de prêt automatisé avec leur catalogue local.

  1. (retour)↑  Sur la plupart des campus américains, les différentes bibliothèques constituent un système. La gestion et le personnel dépendent de 1' « University Librarian ». Le problème de la duplication des tâches et des collections est donc beaucoup moins aigu qu'en France. De plus, des moyens informatiques locaux permettent souvent d'accéder par terminaux au catalogue collectif de l'ensemble des documents existant sur le campus. Le prêt peut bien sûr se faire directement sur ces terminaux (voir la partie de mon rapport sur les systèmes automatisés de prêt et leurs catalogues en ligne).
  2. (retour)↑  Ces deux possibilités sont décrites dans une autre partie de mon rapport qui peut être consulté au Service des bibliothèques.