Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français

par Michel Dreyfus
publ. sous la dir. de Jean Maitron. - Éd. ouvrières, 1964-1981. - 15 vol. parus ; 23 cm

C'est d'une entreprise monumentale dont nous rendons compte ici en présentant le « Maitron », cet équivalent pour l'histoire contemporaine française depuis la grande Révolution du « Larousse » ou du « Robert ». Dès maintenant le « Maitron » est indispensable à toute personne, toute institution, concernées par l'étude des faits politiques et sociaux de notre pays depuis près de deux siècles. L'on y trouve, bien sûr, des biographies de militants connus (Babeuf, Blanqui, Proudhon, Jaurès, etc.) et de bien d'autres mais aussi le portrait des « obscurs et des sans grades » qui ont également contribué à ce que se fasse l'histoire et sans qui rien n'aurait été possible. Socialistes de toutes tendances, syndicalistes, coopérateurs, anarchistes, communistes à partir de 1920, sans oublier les Français membres de la Première internationale exilés en Suisse, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, aucun d'entre eux n'est oublié, aucun ne manque à l'appel.

Quelques chiffres, tout d'abord, donneront une idée de l'immensité de l'entreprise. Depuis 1964 1, quinze volumes de biographies, répartis en trois séries, ont été publiés ; une première série de trois volumes regroupant quelque douze mille notices biographiques couvre une période qui va de la Révolution française à la fondation de la Première internationale en 1864. Une seconde concernant la Première internationale et la Commune présente environ treize mille biographies en six volumes. Une troisième série allant des lendemains de la Commune jusqu'à la Première guerre mondiale recense plus de douze mille biographies en six volumes également. Tels sont déjà les fruits des efforts de Jean Maitron qui a su rassembler une équipe pour mener à bien ce travail collectif conçu et entrepris dès 1958...

Mais, il importe de le dire dès maintenant, une nouvelle série de volumes dont la préparation est déjà fort avancée est appelée à couvrir l'époque de l'entre-deux guerres. Là encore, quelques chiffres ne sont pas inutiles : vingt volumes sont prévus et apporteront quelque soixante mille biographies aux quarante mille déjà existantes...

D'une conception identique aux séries précédentes, les volumes fourniront des données précieuses sur des centaines, des milliers de militants de chacun des départements français. Il s'agit en effet d'un dictionnaire français - et non parisien - du mouvement ouvrier. Dans un pays centralisé comme l'est la France depuis des siècles, il peut sembler - bien à tort - que l'essentiel de l'histoire de France se soit fait à Paris. Le Dictionnaire évite une telle erreur et, à travers tout un réseau de correspondants, département par département, qui a permis des recherches approfondies dans toute la France, présente une foule de militants qui à un moment ou à un autre jouèrent un rôle au niveau local et départemental. Le Dictionnaire ne se contente pas de repérer les « grands » du mouvement ouvrier mais aussi les simples militants dont le nom est tombé dans l'oubli ou connu seulement de quelques spécialistes. La recherche concernant ces militants a été menée avec le même soin en province qu'à Paris et dans la région parisienne.

Une autre qualité du Dictionnaire est sa pluralité. Bien que difficile à réaliser, elle était indispensable à ce genre d'entreprise. Voulant rendre compte de l'histoire si complexe parfois d'un mouvement ouvrier qui a connu souvent divisions et scissions, le « Maitron » a su tenir compte de cette donnée fondamentale ; il a su appréhender cette pluralité, cette diversité sans privilégier tel ou tel courant. Là encore, la tâche n'était pas facile et le travail collectif réalisé sous la direction de Jean Maitron est le garant d'une telle pluralité, essentielle pour retracer convenablement les portraits des militants, si divers parfois, qui ont constitué le mouvement ouvrier français depuis ses origines.

Il s'agit donc d'une véritable encyclopédie qui, à son terme recouvrira l'histoire de France de 1789 à 1940. Son caractère collectif, non partisan, ne veut pas dire qu'elle ne soit pas engagée : militants et chercheurs universitaires (les deux termes ne s'excluent pas) ont participé à l'entreprise. Mais il s'agit avant tout d'une œuvre scientifique où la recherche historique a été menée avec rigueur selon les règles du « métier ». Quelques exemples, pris parmi d'autres, en témoignent : les biographies de militants qui, en 1871, participèrent à la Commune ont été réalisées à partir du dépouillement des 12 000 dossiers de la série BB 24 des Archives de France et des séries « contumaces » déposées au fort de Vincennes. Bien souvent, la biographie de militants actifs durant l'entre-deux guerres n'a pu être établie qu'à partir d'entretiens accordés par certains d'entre eux (et aussi leurs proches ou leurs descendants) aux auteurs du Dictionnaire, qu'il s'agisse de syndicalistes comme René Belin ou André Bergeron, ou de communistes comme Jean Bruhat, tous témoignant sur leur activité avant 1940. Il va sans dire que tous les témoignages ont fait l'objet de vérifications serrées. Bien souvent aussi les auteurs ont été des dénicheurs d'archives : citons par exemple le cas des « papiers » du socialiste Jean Zyromski exploités par Claude Pennètier, co-directeur de la 4e série en cours de parution, papiers d'où il a tiré maintes données biographiques inédites. Tous les délégués à tous les congrès nationaux (syndicaux, socialistes, communistes) sont présents dans les volumes et tout a été mis en œuvre pour que l'utilisateur du Dictionnaire puisse aisément trouver le renseignement recherché. Aucun nom, aucune donnée n'ont été avancés sans qu'ils soient étayés par l'indication de la ou des sources où les renseignements fournis ont été puisés. Les ressources de la Bibliothèque nationale, des Archives nationales et départementales, des Archives de la Préfecture de police ont été d'un grand secours. La liaison avec les Instituts de recherche et les bibliothèques spécialisées (Musée social, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, Institut français d'histoire sociale) a été constante.

Cette présentation du Dictionnaire serait incomplète si elle passait sous silence l'existence de séries étrangères regroupées sous le titre de Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international. Toujours grâce à l'activité de Jean Maitron qui a trouvé le temps de mettre sur pied des équipes étrangères, des résultats remarquables ont déjà été obtenus. Sous sa direction et celle du regretté Georges Haupt, une nouvelle série de dictionnaires biographiques a commencé en 1971 avec un volume sur l'Autriche. Ont suivi en 1978 et 1979, toujours avec la collaboration de Georges Haupt trois autres volumes : deux sur le Japon et un sur la Grande-Bretagne. Un deuxième volume sur ce même pays, deux sur la Chine et deux sur le Maghreb sont sur le point de voir le jour ; d'autres encore sont en préparation.

Quoique pour des raisons diverses, le Dictionnaire est appelé à toucher un très large public. La chose va de soi en ce qui concerne les spécialistes d'histoire sociale pour lequel il représente un « usuel », un outil de travail indispensable. Il en va de même pour des étudiants moins avancés, intéressés non seulement par l'histoire contemporaine mais plus largement par l'ensemble des faits sociaux et du mouvement des idées. Que l'on songe aux divers courants de pensée qui ont agité la France tout au long du XIXe siècle, pendant la Révolution de 1848 ou sous la Commune ; que l'on songe également à l'engagement politique des « intellectuels », si important en France depuis la fin du siècle et l'affaire Dreyfus, engagement qui trouva ensuite une dimension nouvelle avec l'existence de la Révolution russe, les nécessités de la lutte anti-fasciste dans les années trente. L'activité, parfois oubliée maintenant, de nombreux compagnons de route du mouvement ouvrier, pour la plupart intellectuels eux aussi, ressurgit ainsi du passé. Intéressant au premier chef pour les historiens, le Dictionnaire l'est également pour tous ceux qui se sentent concernés par l'évolution de la France depuis deux siècles.

Enfin, le Dictionnaire devrait également contribuer à un approfondissement et une progression spectaculaires de l'histoire sociale, départementale et locale. Nous avons relevé le fait qu'il s'agissait d'un dictionnaire français et non seulement parisien du mouvement ouvrier. Des index de militants par départements et par localités permettront des recherches locales et départementales dans l'ensemble des biographies et une identification rapide des militants locaux et départementaux. Cette véritable encyclopédie pourra donc être utilisée de façons très diverses et c'est pourquoi l'on ne saurait trop insister pour que le Dictionnaire figure dans de nombreuses bibliothèques, non seulement spécialisées, non seulement universitaires mais aussi de lecture publique. Il pourra ainsi contribuer à une meilleure connaissance de l'histoire et de la vie locales, fournir des renseignements, une iconographie et des sources irremplaçables à de nombreuses expositions consacrées à l'histoire d'un département ou d'une agglomération. Il s'agit donc d'un « investissement »  2 des plus précieux pour ces divers types de bibliothèques.

  1. (retour)↑  Des comptes rendus des premiers volumes ont déjà été publiés dans le Bulletin des Bibliothèques de France (cf. BBF nov. 1964, n° 2055, déc. 1965, n° 2388 ; janv. 1968, n° 212). Toutefois, étant donné l'ampleur de ce travail, il nous a semblé bon d'en faire le point.
  2. (retour)↑  Diverses formules économiques d'achat, une souscription à l'occasion du lancement de la 4e série, une formule de vente à tempérament sont exposées dans une brochure que l'on peut obtenir aux Éditions ouvrières (12, avenue Soeur-Rosalie, 75621 Paris Cedex 13).