La formation aux nouveaux media. Quelques exemples de bibliothèques américaines

Geneviève Le Cacheux

Une formation des spécialistes des media se met peu à peu en place aux États-Unis afin de faciliter l'intégration de tous les nouveaux documents aux livres et aux imprimés dans les bibliothèques. Cette formation inscrite au programme de certains Instituts de formation de bibliothécaires de quelques universités dépend très étroitement de stages pratiques qui peuvent se dérouler dans des bibliothèques spécialisées publiques ou scolaires. Ces dernières, en appliquant les normes définies par l' « American Library Association » en 1975 ont su souvent mieux encore que les autres développer les médiathèques et une pédagogie active de cette formation

Media specialists education is organised in USA for integration of new media with books and serials in libraries. Programms of Institutes for librarians education in some universities include this media education. Practice in specialised public libraries and school libraries is an important part in this education. School libraries, using the American Library Association standards of 1975, realise a better development of new média libraries and education

Dans le cadre de son programme pour l'année 1978-1979, la Commission franco-américaine d'échanges universitaires et culturels a accordé à des conservateurs de bibliothèques une mission d'étude aux États-Unis sur des sujets de leur compétence et de leur spécialité.

Les rapports de trois d'entre eux, publiés ci-dessous, témoignent de l'intérêt qu'ils ont porté à leur recherche et de la satisfaction qu'ils ont éprouvée à rencontrer des collègues de la même discipline, ce temps privilégié d'étude et de rencontre leur ayant permis de développer des relations amicales et des échanges professionnels.

Les publications sur les nouveaux programmes de formation des bibliothécaires, aux États-Unis, sont souvent des études trop brèves pour être significatives. Elles ne donnent qu'un aperçu de ce que sont les enseignements, en particulier pour ces spécialistes des media, formés dans des instituts universitaires ou dans les écoles dont les diplômes permettent cette appellation et qui ont été reconnus par l'ALA (« American Library Association »).

Il faut d'ailleurs reconnaître que la partie la plus intéressante de la formation est celle qui est donnée en milieu actif, sous forme de stages d'assez longue durée. Ce sont donc les bibliothèques pilotes qu'il vaut mieux visiter, si on désire se faire une idée de la formation pratique.

D'autre part, le mode de recrutement, très personnalisé aux États-Unis, tient compte de l'expérience des candidats, non seulement dans les bibliothèques mais aussi dans les domaines les plus variés. Il faudrait pouvoir connaître quelle expérience extra-professionnelle a le plus de chance d'aboutir aux postes de responsabilité, dans les mediathèques, pour savoir quel profil est désormais celui dont l'image est la mieux perçue des administrateurs ou chefs de personnels chargés de recruter les « nouveaux bibliothécaires », ceux qui assureront la transformation des établissements dans les cinq à dix ans à venir. Pour cela, il faudrait suivre de très près, ces « foires aux échanges et mutations » que sont les campagnes de recrutement ouvertes en marge des congrès de l'ALA. Un bibliothécaire français, habitué au système administratif très structuré, aux diplômes acquis en début de carrière, et jamais remis en question, à la sécurité de l'emploi, peut difficilement imaginer ce que peut être l'orchestration d'une candidature à un poste élevé aux États-Unis.

La mobilité du personnel, toujours très importante aux États-Unis, a été accentuée par la récession économique depuis 1973, et aboutit à une sorte de crise du recrutement, perceptible, non seulement au cours d'un congrès de professionnels du livre, mais aussi pendant les visites des bibliothèques.

Étant donné l'ampleur du sujet, et pour limiter un exposé trop complexe, c'est la formation préparant à l'introduction de l'audio-visuel qui sera ici exposée, ainsi que la description de quelques bibliothèques pilotes qui sont devenues des terrains de stages privilégiés pour les futurs spécialistes des media.

Écoles de bibliothécaires

Trois écoles de bibliothécaires ou instituts universitaires ont été visités : Evanstone, Chicago ; Ann-Arbor, Michigan et Berkeley, Californie. Ce sont les programmes de deux d'entre eux concernant la formation à l'audio-visuel qui peuvent retenir l'attention, l'Institut de Berkeley n'ayant pas en effet de programme spécifique concernant les nouveaux media.

Le Collège des sciences de l'éducation d'Evanstone près de Chicago, Illinois, a ouvert il y a quelques années un atelier de formation à l'utilisation des media, dans un local aménagé par le personnel enseignant et par quelques techniciens.

Cet atelier, en permanente transformation, s'adapte peu à peu aux programmes d'enseignement définis par l'État de l'Illinois, et élabore une pédagogie de l'audio-visuel.

Cependant, au grand regret du directeur, ancien bibliothécaire du réseau de New York, il n'a pas été possible d'assurer une intégration de l'audio-visuel dans la bibliothèque d'application, pour des raisons de résistance au changement de la part des autres membres de la faculté. Il en résulte une distorsion entre l'expérimentation qui est très poussée dans le domaine de la formation pédagogique et l'utilisation d'une bibliothèque restée traditionnelle, qui n'a pas su s'adapter aux nouveaux media. L'atelier vidéo est très développé, et utilisé comme un des atouts pédagogiques, mais l'audio-visuel ne peut être utilisé dans le cadre de la formation personnelle dans une bibliothèque traditionnelle.

D'autre part, la bibliothèque publique de Chicago, toute proche, n'offre pas un véritable terrain expérimental dans ce domaine, malgré un réseau vaste et diversifié, mais beaucoup plus tourné vers l'animation que vers l'intégration de l'audio-visuel.

L'Institut des sciences de l'éducation de l'Université du Michigan, Ann Arbor, possède un département audio-visuel « Sight and Sound Center », largement utilisé par l'Institut de formation des bibliothécaires, habilité à délivrer un diplôme de « spécialiste des media ». Ce dernier confie également ses étudiants à un spécialiste de l'atelier vidéo, pour des sessions de quelques jours.

Une collection de 7 500 disques et de 1 400 bandes sonores et cassettes, est mise à la disposition des étudiants, dans certaines conditions. C'est presque toujours dans le cadre des programmes, et en complément des cours magistraux et des travaux pratiques qu'ils sont utilisés. Introduites en 1975, les vidéo-cassettes sont presque toutes des productions du corps enseignant de l'université du Michigan, ou des groupes de recherche.

Les appareils de lecture de disques, cassettes et vidéo-cassettes sont installés en batterie, ce qui fait ressembler la salle à un vaste laboratoire de langue et accentue l'apparence inhumaine de l'audio-visuel. Par contre, l'atelier vidéo ne reçoit que des petits groupes et fonctionne comme un service expérimental et de recherche.

Le programme destiné à la formation des spécialistes des media est celui du « Knapp School Library Manpower Project », de l'Association des bibliothécaires. Il s'adresse à des candidats ayant déjà obtenu la qualification d'enseignants. Mais il prévoit une série de « valeurs » spécifiques qui peuvent être préparées par des titulaires de valeurs bibliothéconomiques acquises antérieurement.

Ce programme comporte les matières suivantes obligatoires :
- l'organisation des media - les ouvrages de référence et les services - l'administration d'une mediathèque - les media pour enfants et adolescents - la création des media et la production - la formation sur le terrain - un mémoire de recherche.

De plus, les candidats doivent choisir une valeur dans chacune des matières suivantes :
- formation continue - éducation - relations humaines.

En assistant à quelques cours et travaux pratiques et après avoir vu des vidéo-cassettes réalisées par des étudiants, il était possible d'avoir une idée des méthodes utilisées et de constater une approche tout à fait comparable à celles que nous avons utilisées en France, dans le cadre de la formation continue. Cependant, la très grande quantité de littérature professionnelle et son très bon niveau facilitent l'enseignement aux États-Unis.

Le programme expérimental d'Ann Arbor souffre de ne pas disposer de locaux spécifiques. Les cours sont dispensés dans différents bâtiments du campus, et les ateliers audio-visuels sont dépendants des horaires de tel ou tel institut disposant du matériel et des techniciens. C'est pourquoi il est plus intéressant de connaître les bibliothèques largement ouvertes à l'audio-visuel et qui servent de terrain de stage.

Une bibliothèque spécialisée

La bibliothèque historique Bentley - « Bentley Historical Library » - de l'Université du Michigan, Ann Arbor, est située sur le nouveau campus. Elle fonctionne comme un institut de recherche historique et conserve des archives prestigieuses - enrichie régulièrement par des donations privées, une des dernières étant celle du Président Ford, ancien étudiant d'Ann Arbor, donation qui nécessitera la construction d'un nouveau bâtiment - elle est confrontée aux problèmes posés par un accroissement rapide des fonds, et l'apport des nouveaux media.

Les problèmes d'accroissement sont résolus par le traitement des documents sur microfiches et microfilms. Une cabine de lecture des nouveaux media films, cassettes vidéo, etc. permet d'utiliser les archives audio-visuelles des grandes chaînes nationales CBS et NBC et des chaînes locales. Les futurs bibliothécaires, et surtout ceux qui se destinent aux bibliothèques historiques y font des stages pratiques.

Quelques bibliothèques publiques

La plupart des bibliothèques publiques visitées pendant l'été 1978 avaient intégré les documents audio-visuels avec beaucoup de précaution. Tandis que les microfiches semblaient partout d'usage courant, les discothèques n'en étaient qu'à leur balbutiement et les diapositives pratiquement inexistantes.

Par contre, beaucoup de bibliothèques publiques utilisent largement, pour leurs animations et aussi quelquefois pour le prêt à domicile, des collections de films 16 mm ou 8 mm. Le département des films est souvent situé dans une bibliothèque centrale, et son catalogue est largement diffusé dans tout le réseau, et peut être acquis par le public.

Parmi les bibliothèques publiques visitées, qu'elles soient immenses, comme celles de Chicago ou de Boston, ou plus modestes, telles celle de Mill Valley et celle de Corte Madera en Californie, Denver dans le Colorado tient une place tout à fait spéciale, car elle a complètement intégré les nouveaux media. Pas de ségrégation des media, pas de hiérarchie visible dans les niveaux de documentation.

Le public, assez nombreux, en cette fin de matinée du mois d'août est occupé à toutes sortes d'activités : choix de livres de distraction, consultation d'encyclopédies, demandes de renseignements divers, demandes de prêt au fonds régional, visionnement de bandes vidéo, recherche dans le catalogue sur microfilms de documents officiels, ou de brevets d'invention, etc. Il suffit de passer d'un secteur à l'autre pour trouver une documentation plus ou moins poussée. On devine la vocation scientifique de la ville en traversant le département des sciences et techniques où des magnétoscopes voisinent avec des collections de livres, des périodiques sur microfiches, un terminal d'ordinateur.

Des bibliothécaires nombreux se tiennent à la disposition des usagers, ils pourront intervenir sur des questions très spécialisées car ils ont une qualification supérieure à celle rencontrée habituellement dans les bibliothèques publiques. Ceci n'empêche pas la fréquentation de lecteurs venus pour d'autres motifs, comme cette jeune mère qui lit en prenant des notes, tandis que son bébé dort profondément dans son couffin posé sur la table.

Quelques personnes parcourent des magazines. Des enfants préparent le concours des lecteurs de l'été.

Un programme de formation continue, basé sur une utilisation intensive multimedia - disques, cassettes, vidéo-cassettes - est à la disposition de tous ceux qui désirent participer à ce programme avec l'aide du personnel. La bibliothèque régionale sur l'Ouest américain travaille en liaison avec le musée d'ethnographie tout proche. Une collection sur les pollutions urbaines est gérée par une association privée.

Centre d'un réseau de 22 bibliothèques, la centrale de Denver correspond par téléphone et télex avec les bibliothèques de l'État du Colorado.

Les bibliothèques publiques du réseau de New York ont très tôt introduit les documents audio-visuels - d'abord les films de court métrage, puis les disques, utilisés surtout dans le cadre des animations, puis pour le prêt à domicile, enfin les cassettes-vidéo introduites depuis quelques années, en marge du département des films, et largement diffusées au public dans les salles de lecture du département films et dans les bibliothèques de quartier depuis l'été 1978. Mais cette diffusion peut encore être assimilée à une « animation programmée » puisque les choix sont ceux des bibliothécaires et non du public. Ces programmes n'ayant pas toujours un public !

Les bibliothécaires en cours de formation s'informent à la Bibliothèque Donnell, au Centre de Manhattan et organisent des animations dans les bibliothèques de quartier du Bronx, d'East Manhattan ou de Staten Island, en puisant largement dans les colléctions du département films et vidéo.

Il ne semblait pas, en 1978, que l'audio-visuel à New York ait été utilisé pour la documentation.

Bibliothèques scolaires

C'est sans doute dans les bibliothèques scolaires que la formation des futurs spécialistes des media est le plus poussée.

Quelques établissements ont bénéficié de l'aide fédérale, massivement accordée, après 1965, pour permettre à la pédagogie de s'appuyer sur de nouveaux supports, mieux adaptés au monde contemporain.

Les normes : Media Programs ; District and School dont la section des bibliothécaires scolaires de l'ALA a donné une édition révisée en 1975, ont été appliquées dans quelques établissements scolaires de pointe, qui ont ainsi démontré qu'elles étaient, non seulement réalisables, mais aussi bénéfiques à l'enseignement tout entier, et à ses résultats.

Deux bibliothèques scolaires vont être décrites à titre d'exemples, car elles ont adopté des pédagogies différentes, qui donnent, semble-t-il, de bons résultats.

«Gallimore, District d'Ann Arbor», Michigan (Plymouth Canton) :

Cette école primaire a aménagé une bibliothèque centrale dans une ancienne salle de classe. Elle a adopté la libre circulation des élèves, contrôlée grâce à un laissez-passer que l'enfant porte au cou. Les bibliothécaires assurent une ouverture continue pendant tout le temps scolaire, et permettent ainsi aux enfants de fréquenter la bibliothèque pour leur information, ou leur documentation mais aussi pour leur détente. Les groupes de niveau - la moitié de l'effectif d'une classe, soit 16 à 20 enfants -reçoivent une formation à la documentation pendant des séances d'une demi-heure, chaque semaine. Ils sont alors initiés à l'utilisation de tous les media : livres, périodiques, cassettes, disques, films, grâce à des activités pratiques qui prennent souvent l'aspect de jeux de groupes, ou d'ateliers pratiques.

Le matériel audio-visuel et les documents, gérés par le personnel de la bibliothèque peuvent être prêtés dans les classes. Outre la collection permanente, ouvrages de fonds et œuvres classiques, le bibliothécaire peut avoir accès aux collections regroupées au « dépôt » du district. C'est le cas pour les films de court métrage, la plupart des cassettes et films fixes. C'est aussi à la bibliothèque centrale du district que sont élaborées les bibliographies multimedia sollicitées par les enseignants. Les moyens en personnel et les documents audio-visuels coûteux y sont regroupés et mis à la disposition des écoles, par rotation. Le supervisor, responsable du district, doit donc savoir travailler en équipe avec les bibliothécaires, les enseignants et les représentants de parents. C'est lui qui est responsable des stagiaires-bibliothécaires qui lui sont confiés et qui organise leur travail.

Groupe scolaire expérimental, « Max School Miller Neighbourhood », Michigan (Plymouth Canton) :

Le « Media Center », est, dans cet établissement, le pivot de l'éducation. Cette pédagogie nouvelle est traduite directement dans l'architecture. Le groupe scolaire est devenu une grande mediathèque consacrée essentiellement à l'enseignement.

La salle de classe traditionnelle a complètement disparu, seuls subsistent des angles, ou coins, à peine cloisonnés pour le travail des groupes de niveau, ou le travail en équipe sur un thème. Le grand hall central rappelle un peu la bibliothèque du Centre Georges Pompidou, et l'intégration de tous les media y est entièrement réalisée : une zone pour le cinéma, des tables de visionnement de vidéo-cassettes et de films fixes, un atelier vidéo pour la création, un autre pour les productions graphiques, des salles d'expression dramatique, un laboratoire de photographie, sont insérés parmi les rayonnages de livres. Cette école n'est jamais complètement fermée, même pendant les congés d'été - le district a conçu là une utilisation continue de l'établissement en assurant une rotation des élèves, des enseignants et des bibliothécaires en période normale de formation ou en recyclage et en stages pratiques. C'est à la fois un établissement d'enseignement pour les enfants, les maîtres et les bibliothécaires, et une bibliothèque d'application.

Les collectivités locales ont pris le relais de l'aide fédérale abandonnée en partie depuis la crise économique, et ont su doter ce type d'établissements de moyens suffisants pour une pédagogie, qui paraît plus coûteuse dans un premier temps, car elle nécessite plus de personnel, mais sans doute plus efficace et plus rentable, à long terme.

Les centres de formation visités, les bibliothèques publiques et scolaires offraient un large éventail d'œuvres multimedia - la formation à l'utilisation de ces documents, si elle semblait parfaitement organisée dans les bibliothèques pilotes scolaires, n'était pas, en 1978, prise en compte dans les programmes de formation des bibliothécaires. Seuls les programmes expérimentaux supervisés par l'ALA, prévoyaient une préparation des futurs spécialistes des media ; ceux-ci, encore en très petit nombre dans la plupart des bibliothèques publiques visitées, ne voyaient pas leur qualification reconnue au même titre que leurs collègues des salles de référence, ou les catalographes, par exemple.

En 1978, la situation de l'audio-visuel dans les bibliothèques américaines était inégalement répartie, et la formation à l'utilisation de ces documents encore à ses débuts.