Livres de collection et reliures

par Jean-Marie Arnoult

Jacques Saffroy

Patrice Courtois

Hachette, 1979. - 224 p. ; 19 cm. - (Le Manuel de l'amateur.) Bibliogr. p. 125-138

Voici un manuel qui vient combler une lacune. En effet, les traités de ce genre sont rares en France et les amateurs de beaux et bons livres se réjouiront de cette parution. Il faut donc féliciter les deux auteurs d'avoir courageusement abordé ce domaine de la bibliophilie pour l'expliquer aux nouveaux adeptes et pour essayer de conseiller utilement les anciens.

Ce petit volume est divisé en trois parties : histoire et description des matériaux (supports, illustration, reliure) ; les acquisitions et leur entretien ; enfin des annexes : bibliographie, lexique et renseignements pratiques. Tout cela dans un nombre de pages réduit et dans un petit format. C'est une gageure tenue avec une belle assurance. Il est évident que tout ne pouvait être dit et qu'une sélection des informations a présidé à la mise en œuvre définitive : c'est donc une esquisse subjective qui nous est proposée.

La fluctuation désormais régulière des métaux, l'incertitude de l'immobilier, l'esthétisme aussi, contribuent à assurer de beaux jours à la bibliophilie. Mais encore faut-il être bibliophile. Amour du livre, des livres, contenants et contenus, lié au désir de faire de bons placements tout en aiguisant acuité littéraire et bibliographique ; acquisition progressive du flair indispensable pour déterminer le livre qui correspond à ses goûts et pour composer sa bibliothèque, ce micro-univers de l'égoïsme sanctifié ; retour à l'écologie intellectuelle grâce au toucher des vrais beaux livres d'antan, de ceux comme on n'en fait plus : telle est la bibliophilie. Celle qui apparaît à travers ce petit traité.

Le parti-pris manifeste d'enserrer l'amour du livre dans le passé n'est pas criticable ; c'est une proposition liminaire qui en vaut une autre. Et dans ce domaine, les auteurs font preuve de réalisme, de pragmatisme et de finesse. Les conseils sur l'achat des livres, l'incitation à la méfiance, les renseignements pratiques sur la conservation, le rangement, le souci de respecter l'aspect original du livre (on a apprécié le conseil formel de ne jamais relier les livres brochés mais de les mettre en boîte) : tout cela devait être dit.

Fort précieux aussi les conseils destinés à alerter l'acheteur sur les fraudes éventuelles, les maquillages malhonnêtes. La mise en garde, plusieurs fois répétée, contre la multiplication du recours à l'offset pour remplacer des feuillets manquants révèle la nouveauté du procédé que n'utilisaient pas les amateurs des siècles passés et qui contribue à obérer la bibliophilie contemporaine.

On appréciera de même l'éloge du libraire - et du jeune libraire, c'est de bonne guerre - qui est l'ami avant d'être le pourvoyeur. La profession apparaît dynamique tout en s'attachant à préserver un type de relations humaines qui fait sa fierté à juste titre.

Tel qu'il se présente, ce petit traité devrait intéresser les amateurs. Mais, à dire vrai, on se demande lesquels. Les ignorants de la valeur du livre bibliophilique ? Ils en apprendront trop peu. Un non-initié aura bien des difficultés à lire entre les lignes, perdu dans une image pointilliste de la bibliophilie. Les bibliophiles ? Ils en savent trop et ils ne manqueront pas de relever des erreurs regrettables. Certaines sont des coquilles : le filigrane n'apparut-il qu'au XVIIIe siècle ? Des incertitudes, des approximations dans l'histoire du livre, dans la bibliographie, ne satisferont certainement pas les bibliophiles dont les auteurs se plaisent à souligner l'érudition et l'exigence en la matière. Ils prendront plaisir à relever ces menues erreurs, de même qu'ils apprécieront les pages 155 à 158, cartonnées. Mais avec une certaine indulgence peut-être, car ils auront aimé la sympathie qui émane de cet ouvrage ainsi que la passion et le souci de convaincre qui animent les auteurs.

Mais se reconnaîtront-ils dans le portrait qu'on fait d'eux ? Peut-on limiter la bibliophilie à la satisfaction des besoins de nouveaux riches qui cherchent avant tout des placements spéculatifs qui allient un amour superficiel du livre, garant d'un degré d'instruction et d'un niveau social, à une certaine sécurité financière ?

Comme l'objet d'ethnographie, naguère méprisé, qu'on traque aujourd'hui avec avidité pour y puiser une symbolique matricielle souvent inconsciente, cette bibliophilie cherche dans le livre une sorte de purification spirituelle, antidote à l'évolution contestable de l'édition contemporaine, pour retrouver une source qu'on veut croire fraîche. Certes, le livre a toujours été objet de collection, passif par nature. Mais les vrais bibliophiles sont ceux qui ont su et qui savent encore percevoir l'aspect dynamique de leur bibliothèque, et parmi les plus grands d'entre eux, ne rencontre-t-on pas ceux qui, en priorité, achètent les livres de leur époque? Le bibliophile sait discerner le bon grain de l'ivraie dans la production de son temps ; il ne se contente pas de remettre ses pas dans les traces de ses prédécesseurs et la « faible ancienneté » (sic) d'un document n'est pas pour lui un critère nécessairement anti-bibliophilique.

On le voit, ce petit livre suscitera à côté de l'approbation pour ses conseils judicieux, une irritation qui engendre la déception. On appréciera les anecdotes de salles de ventes, l'humour, les saines remarques, le lexique de l'argot du métier, les renseignements pratiques sur les bibliothèques, d'autres encore. On regrettera la légèreté de certains propos, la réduction presque totale du livre à un objet vénal. On regrettera enfin la conception archaïsante de la bibliophilie limitée à son aspect spectaculaire, celle où seul le livre « ancien » a valeur de collection. Mais elle a son marché, sa clientèle : ce petit livre lui suffira.