Nécrologie

Madame Paul-Henri Michel, née Suzanne Bouchereaux (1901-1979)

Jacques Guignard

Il est permis de tenir pour exemplaire une carrière tout entière dominée par le dévouement, par l'amour de la recherche et si efficacement remplie. Née à Paris le 10 novembre 1901 elle fit ses études secondaires dans la capitale, au Lycée Victor-Hugo. Munie en 1931 de la licence ès-lettres (histoire-géographie), puis du diplôme technique de bibliothécaire, obtenu avec la mention bien en 1937, elle posa aussitôt sa candidature à la Bibliothèque Nationale et, à dater du 15 janvier 1938, y fut attachée comme auxiliaire et affectée au Catalogue collectif des périodiques des bibliothèques. Peu après la mobilisation d'août 1939, des raisons de santé l'amenèrent à se retirer à Arcachon. En février 1942, elle pouvait regagner la Bibliothèque Nationale et était affectée, cette fois au titre du chômage intellectuel, à la Réserve des Imprimés, où, d'abord sous la direction de Robert Brun, puis à mes côtés, elle déploya au catalogage des livres anciens des qualités d'ordre et de méthode comme des connaissances scientifiques et une conscience professionnelle qui firent bien vite mon admiration. Nommée bibliothécaire à titre temporaire (1er janvier 1943), elle fut pourtant mutée à la Bibliothèque Mazarine, mais dès le mois de décembre de cette année-là demanda à interrompre ses activités pour raison de santé, et se retira au Carmel d'Aire-sur-l'Adour, où des amies l'attendaient. Il eût fallu une constitution plus forte que la sienne pour mener cette dure existence ; et, si Suzanne Bouchereaux n'aimait guère évoquer l'expérience tentée à cette époque, on ne saurait la passer sous silence, quitte à paraître indiscret, tant elle demeure révélatrice à la fois de ses aspirations religieuses et de l'orientation de ses travaux futurs. Nommée bibliothécaire titulaire à la Bibliothèque Nationale, à compter du 1er janvier 1945, elle entra au mois de mars au Service de l'Inventaire général des livres imprimés et dès lors resta dans les cadres jusqu'au moment où elle prit sa retraite avec le titre de conservateur (novembre 1966).

Mais sa carrière avait changé de direction. Déjà, elle avait été chargée d'une brève mission de recherches et d'études dans les bibliothèques du Loir-et-Cher (1946), puis détachée pendant quelques mois au CNRS (1949). Ses tâches professionnelles, accomplies avec une conscience scrupuleuse, ne l'avaient pas empêchée d'écrire plusieurs articles, d'une solide information, consacrés à l'histoire de la spiritualité, à l'histoire du livre, ou les deux à la fois (Autour d'un Pange lingua, dans Ephemerides Carmeliticae, 1948. A propos d'une reliure de Jean-Casimir, roi de Pologne. Iconographie et culte de la Passion, dans De Gulden Passer, 1948. Un cantique spirituel de Jean de Saint-Samson dans Analecta Ordinis Carmelitarum, 1949, les Beaux livres parisiens de Gilles Corrozet, dans De Gulden Passer, 1950), voire de publier des textes importants (Laurent de la Résurrection, l'Expérience de la présence de Dieu, 1948. Directions pour la vie intérieure. Choix de textes de Jean de Saint-Samson, 1948 ; trad. espagnole, 1960). Ses missions de recherche et ses publications qualifiaient déjà Suzanne Bouchereaux pour mener à bien sa thèse de doctorat d'État, soutenue à Paris en 1950 avec la mention très honorable (La Réforme des Carmes en France, au XVIIe siècle et Jean de Saint-Samson, Paris, 1950. Ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales et politiques, prix Audiffred) et sa thèse complémentaire (Dominique de Saint-Albert. Sa vie, sa correspondance, Rome, 1950).

Ses travaux à la Bibliothèque Mazarine, comme les recherches pour sa thèse, avaient mis Suzanne Bouchereaux en relation avec notre collègue Paul-Henri Michel, dont tous ceux qui ont connu ce parfait humaniste savent quelles qualités de coeur et d'esprit étaient les siennes. Leur mariage, célébré en avril 1951, allait les associer dans leur commun amour de la recherche.

Deux ans plus tard - l'année même où sa nomination au grade d'officier dans l'ordre des Palmes académiques venait reconnaître ses mérites - Mme Michel obtenait une subvention du CNRS pour se rendre à Milan, Venise, Bologne et Rome, afin d'y mener des recherches pour l'établissement d'un Répertoire alphabétique des ouvrages en langue italienne imprimés au XVIIe siècle, entrepris avec son mari, et commenté dans un article signé de leurs deux noms, Le livre italien du Seicento, champ d'expérience d'une nouvelle formule bibliographique (Revue des Études italiennes, oct.-déc. 1959). Notre collègue devait poursuivre ces travaux, en qualité d'abord de boursière du CNRS, puis comme maître de recherches et, après le décès de P.-H. Michel, survenu en 1964, devint tout naturellement le chef de ce laboratoire, installé durant quelques années à la Bibliothèque Mazarine, avant d'être transféré dans des bureaux du CNRS, à Ivry. Elle y montra la même conscience, les mêmes qualités scientifiques qui l'avaient distinguée dès ses débuts, mais il lui fallut en outre faire preuve de qualités administratives, souvent même d'une volonté tenace, pour maintenir une entreprise à laquelle elle ne cessa de se dévouer, à titre bénévole, après sa mise à la retraite. Tant d'efforts finirent par avoir raison de ses forces, et elle dut aller se soigner à Perpignan. C'est là qu'elle s'éteignit, le 12 mars 1979. La nouvelle de son décès allait plonger dans la tristesse les anciens collègues et les collaboratrices d'une femme qui s'était toujours montrée aussi exigente pour elle-même qu'elle l'était vis-à-vis des autres, et chez qui chacun admirait, avec la droiture de son caractère, l'amour désintéressé de la recherche comme celui du travail bien fait.