L'institution des enfants : l'éducation en France

XVIe-XVIIIe siècles

par Jean Watelet

Jean de Viguerie

Calmann-Lévy, 1978. - 330 p. ; 22 cm. - Bibliogr. p. 315-330. - ISBN 2-7021-0282-4.

« Allez vous étonner que l'ancienne France ait été férue de pédagogie ! Elle l'a été plus que nous le sommes nous-mêmes. Avec la théologie et la politique, la pédagogie était le sujet favori des Français d'autrefois. Une grande carrière de philosophe ou d'essayiste n'était pas complète si elle ne comptait un traité d'éducation. » Ainsi l'auteur, professeur d'histoire moderne à l'université d'Angers, définit-il l'objet de cet ouvrage, en ajoutant : « S'il nous était donné de redevenir des écoliers, nous nous sentirions peut-être moins dépaysés dans les écoles de l'ancienne France que dans celles où étudient aujourd'hui nos enfants. »

Pendant les trois siècles de l'Ancien Régime, le nombre des enfants est de trois ou quatre par famille, la mortalité infantile causant un décès sur deux avant l'âge de vingt ans. Par suite des progrès de la médecine et de l'hygiène, la famille nombreuse n'entre qu'au XVIIIe siècle dans une société qui n'y est guère préparée, d'où l'engouement de cette époque pour la pédagogie. Si l'autorité des parents, du père surtout, est absolue, le devoir d'éducation est prescrit par les lois civiles aussi bien que par le concile de Trente, bien que le nombre des enfants abandonnés s'élève à 180 000 entre 1760 et 1789, probablement par suite de la pauvreté d'une partie de la population.

L'enseignement est avant tout du ressort de l'Église. « Depuis le concile de Trente, la Réforme catholique est une vaste entreprise d'enseignement. Elle est une école qui ne ferme jamais ses portes ». L'instruction religieuse est largement donnée, mais aussi l'étude des « Humanités », de même qu'un enseignement primaire beaucoup plus répandu qu'on ne l'a affirmé au XIXe siècle. Celui-ci est soit aux mains des Frères des Écoles chrétiennes -les Ignorantins - soit confié à des maîtres laïques, entretenus par les municipalités. Les collèges sont du ressort des ordres religieux, notamment des Jésuites et des Oratoriens. Lorsque, en 1764, les Jésuites sont chassés du royaume, la moitié des collèges dut être fermée, « la cause de l'Église en pâtit, et la formation de la jeunesse en souffrit ». L'instruction est aussi dispensée aux filles, grâce à 33 congrégations féminines, dont les plus réputées sont les Ursulines et les Dames de Saint-Maur. La Réforme protestante n'est pas moins soucieuse des écoles, et le premier soin des Réformateurs, à peine le culte est-il établi dans une ville, est d'y fonder une école, un collège ou une académie. L'instruction est largement subventionnée, par les villes, les États, l'Église, enfin par le roi lui-même, depuis que François Ier a créé le corps des « lecteurs royaux », destinés à enseigner les disciplines que l'université néglige : grec, hébreu, mathématiques. Au XVIIIe siècle, c'est la monarchie qui fonde ce que nous appelons aujourd'hui les « grandes écoles » : Ponts et Chaussées, Mines, École royale de dessin, École militaire.

Les frais de scolarité sont réduits ; l'école primaire est la plupart du temps gratuite, ou bien dispensée contre une somme modique, le « droit d'écolage ». Pour les élèves nécessiteux, les bourses sont largement accordées. Le 19 juillet 1781, le jeune Maximilien Robespierre « sur compte rendu par M. le Principal de ses talents éminents » reçoit une bourse de 600 livres pour le collège d'Arras.

Seuls sont coûteux les droits d'examen : 600 livres pour un doctorat en théologie, à Paris, en 1770.

Le résultat d'une telle « politique scolaire », pour employer un terme d'aujourd'hui, est brillant : dès 1660, 60 000 écoliers fréquentent les collèges. Rien qu'à Paris, en 1660, fonctionnent 300 « petites écoles ». Au moment de la Révolution, quatre Français sur dix signent leur contrat de mariage.

Cet enseignement vise avant tout à former un « honnête homme ». Ce n'est que dans les écoles spécialisées et dans les Universités que les élèves sont véritablement préparés à exercer un métier, celui de juriste entre autres, tous les cours étant sanotionnés par des examens et des diplômes. Les métiers de l'artisanat et du commerce, en revanche, relèvent de l'apprentissage.

Sous Louis XVI les universités sont contestées. On accuse les professeurs de délivrer les diplômes avec trop de libéralisme, voire contre argent. Depuis longtemps était apparue une nouvelle pédagogie. Cette révolution est passée inaperçue aux yeux des contemporains d'abord et des historiens ensuite. Pourtant l'histoire de l'éducation n'en a pas connu de plus profonde. A côté d'elle, les théories et les innovations pratiques des siècles suivants ne sont que peu de choses.