Pitié pour Babel

un essai sur les langues

par Pierre Barkan

Michel Bruguière

F. Nathan, 1978. -128 p. ; 23 cm. - (Langues en question.)

Un ouvrage écrit avec beaucoup d'intelligence qui balaie bon nombre de vieux poncifs trop répandus parmi nos compatriotes, et même de par le monde. Une vision lucide, et surtout actuelle, du problème des langues sur notre globe.

Trop longtemps la France s'est imaginée que sa langue était nantie de toutes les qualités (euphonie, clarté, richesse). Mais si elle a conservé un certain prestige dans le domaine littéraire - et, dans d'autres, entretenu malgré tout par une coûteuse propagande à l'étranger -, depuis longtemps déjà, elle n'est plus la seule langue diplomatique et dans d'autres domaines elle a dû céder le pas à l'anglais...

Est-ce à dire que l'anglais va la supplanter totalement pour devenir « la » langue universelle ? Certes, si l'on excepte le chinois - la langue qui a le plus grand nombre absolu de locuteurs, mais peu idoine à être propagée par la difficulté de sa prononciation et de son écriture - l'anglais vient en tête. Cette langue, à la fois analytique et synthétique, s'est imposée par sa relative facilité grammaticale et le fait qu'elle est la langue des affaires, des sciences et des sports. Mais si elle est, pour l'instant, la plus répandue, elle n'est pas pour autant universelle : ne l'apprennent que ceux qui en ont besoin. L'auteur a raison d'affirmer « qu'il n'y aura jamais de langue universelle. Il n'y a que des langues plus ou moins bien adaptées aux réalités de leur temps ». Sans doute peut-on imposer une langue par la force militaire (le cas des conquêtes coloniales), la persuasion religieuse (les missionnaires, qu'ils soient catholiques, protestants, juifs ou musulmans), l'enseignement obligatoire, etc. De telles conditions ne peuvent jamais durer. La conjoncture économique change et la contrainte physique ou spirituelle finit par se relâcher, redonnant vigueur aux langues brimées. D'autres prennent alors la relève, ou du moins prennent de l'importance. C'est par exemple le cas de l'arabe, de l'espagnol, du portugais, du hindi. Au bout d'un certain temps, une langue ancienne a besoin de se réadapter pour vivre et survivre, et peut-être pas seulement à l'aide de néologismes.

Ce qui demeure certain, c'est que pour faire apprendre et respecter un idiome, il faut commencer par apprendre et par respecter les langues des autres...

Il y a encore de beaux jours pour les interprètes et les polyglottes !