Les juristes en Union soviétique

par François Haut

Jean-Guy Collignon

Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1977. - 555 p. ; 25 cm. - (Collection des travaux du service de recherches juridiques comparatives.) ISBN 2-222-02184-7 : 120 FF

L'ouvrage de Jean-Guy Collignon est impressionnant tant par le volume que par l'importance et la qualité des recherches qu'il a nécessitées.

L'auteur aborde successivement trois points : les enseignants et les chercheurs où il analyse ces deux fonctions essentielles quant à la formation des futurs juristes. Il étudie ensuite les professions judiciaires en abordant le statut des avocats et notaires, des juges et des procureurs. Enfin, il situe les juristes dans l'économie nationale à travers la situation des jurisconsultes et les problèmes d'arbitrage. Tous ces aspects sont toujours parfaitement documentés malgré les problèmes que pose souvent l'étude d'institutions soviétiques et replacés dans un cadre historique qui permet au lecteur de bien comprendre les tenants et aboutissants des diverses situations. C'est précisément pour l'avoir conduite en profondeur, écrit le doyen Vedel dans la préface de l'ouvrage que, au-delà de ce qu'il nous apprend de factuel et de concret sur son sujet, l'auteur nous ouvre d'intéressantes perspectives sur le tissu de la société soviétique et sur son évolution. Il nous montre comment, avec des hésitations et des lenteurs, le droit est passé du rang d'une simple commodité de l'action révolutionnaire à celui d'un instrument d'organisation sociale, puis à celui d'une valeur ayant une certaine autonomie, la place et le rôle des juristes subissant une transformation parallèle. Tout ceci n'est pas en soi contraire à la dialectique marxiste. Dans une vue exacte de celle-ci telle que Marx et peut-être surtout Engels l'ont formulée, les superstructures ne sont pas de purs reflets, comme le seraient les images qui, sur un écran, sont le produit neutre du film qui passe dans la cabine de l'opérateur. D'abord agie, la superstructure est à son tour agissante un peu comme si la scène projetée sur l'écran modifiait le comportement de l'opérateur. Mais dans ces rapports dialectiques de l'infrastructure et de la superstructure, celle-ci ne peut-elle finir par acquérir une véritable indépendance ? Même dans les limites d'une légalité « qualifiée » c'est-à-dire relativisée, en l'espèce la légalité « socialiste », il est difficile d'empêcher que la représentation sociale ne confère au droit une véritable transcendance. Dès que l'on pose, fût-ce sur des points particuliers et dans un cadre resserré la subordination de l'administrateur ou du gouvernant à une norme, on incite les individus à pressentir ou à imaginer que, globalement, le pouvoir et même la société - oui la société - sont sujets de droit. Illusion idéaliste ? peut-être. Mais les croyances sont des faits et des forces, et l'impact sur une partie de la société soviétique de notions telles que celle des droits de l'homme en est un témoignage.

La conscience scientifique de Jean-Guy Collignon a certes interdit des extrapolations et des anticipations. La conception d'un droit transcendant n'est pas celle de la majorité de la société soviétique, encore moins celle de ses dirigeants. Et personne ne peut dire si l'évolution favorable au droit et aux juristes continuera jusqu'à une telle conclusion. Celle-ci impliquerait en effet une transformation globale mettant en mouvement bien d'autres choses que le perfectionnement de la législation, le rôle de l'appareil judiciaire, les techniques de la procédure, le nombre des étudiants en droit et le prestige des carrières juridiques. Mais que l'on puisse se poser la question n'est pas le moindre mérite de ce livre qui a toutes les qualités de forme et de fond d'une recherche réussie.