EURIM 2 : une conférence européenne sur l'application de la recherche dans les services d'information et les bibliothèques

Jean-Yves Roux

La deuxième conférence EURIM (European Conference on Research into Management of Information) s'est tenue du 23 au 25 mars 1976 à Amsterdam. Il s'agissait de définir les principaux axes de développement de la recherche dans le domaine de la documentation et des bibliothèques, et de mesurer l'efficacité de la recherche en documentation

A l'initiative de l'ASLIB et en collaboration avec plusieurs organismes européens, la deuxième conférence EURIM (European Conference on Research into Management of Information) s'est tenue du 23 mars au 25 mars 1976 à Amsterdam Pendant trois jours plus de 300 délégués de nombreux pays d'Europe occidentale. représentant soit des organismes publics, soit des entreprises privées d'importance très variable ont tenté de définir ce qu'étaient à leurs yeux les principaux axes de développement de la recherche dans le domaine de la documentation et des bibliothèques. Une entreprise aussi ambitieuse ne pouvait qu'attirer l'intérêt de nombreux spécialistes, mais le programme exigeait un déroulement à deux niveaux, d'où l'existence pendant ces trois jours de séances plénières et de discussions en groupes plus restreints dans des domaines spécifiques dont les conclusions furent développées lors de la session de clôture.

La réunion d'ouverture permit d'apprécier l'exposé du Pr Vickery sur « l'influence et les espoirs de la recherche dans le domaine de l'information ». Après un rappel très sommaire des éléments de la chaîne documentaire, de la difficulté de joindre pour le chercheur le document, de la grande variété de ce dernier, des divers niveaux de connaissances que pouvaient en obtenir les usagers, M. Vickery montra la difficulté qu'il y a à apprécier les incidences de la recherche sur un domaine aussi fluctuant. Les résultats des travaux qui peuvent y être conduits sont souvent très ponctuels et par voie de conséquence les chercheurs en documentation sont assez rares. La documentation exclut la généralisation des procédures et le résultat obtenu ne peut être transféré tel quel sur d'autres systèmes que celui qui a servi de base à l'étude.

La recherche opérationnelle apporte parfois il est vrai une solution partielle à ces problèmes, mais il est certain que la modernisation en un point de la chaîne documentaire est souvent plus dangereuse qu'utile; c'est le cas par exemple d'une meilleure localisation du document primaire si celui-ci par ailleurs ne subit pas une analyse adéquate. En outre, l'impact tant financier que psychologique peut parfois être négatif et scléroser par là même tout développement ultérieur. Le rôle de la recherche en documentation est donc très problématique.

Quelle méthodologie doit-on alors adopter dans ce domaine :
- ne serait-il pas préférable de tenir mieux compte des désirs des usagers ?
- ne pourrait-on pas plutôt que d'améliorer de façon marginale les systèmes existants, rechercher l'innovation en créant des systèmes originaux?
- ne pourrait-on prolonger la recherche et la valoriser en essayant d'obtenir l'analyse critique des résultats de celle-ci ?

L'application pratique des résultats doit être conçue comme une synthèse modulaire de plusieurs expériences, sinon aucune expérimentation ponctuelle ne pourra être généralisée dans ses résultats.

Un tour d'horizon sur la recherche appliquée entreprise par des unités de recherche permanente dans divers pays d'Europe occidentale fut ensuite présenté par plusieurs orateurs. M. John Martyn, responsable du secteur de recherche et de développement à l'ASLIB fit un exposé sur les objectifs de l'organisme qu'il représente. Spécialisé depuis 17 ans dans les projets de recherche appliquée, ce service qui s'est développé à partir de la « British Library » bénéficie pour son fonctionnement de deux types de fonds. Les uns lui sont octroyés dans le but d'effectuer une recherche définie, ponctuelle, devant aboutir à des prescriptions très pratiques, les autres lui permettent d'engager des travaux dans des domaines nouveaux et sont destinés à obtenir des indications sur ce que pourrait être leur développement ultérieur.

Depuis plusieurs années une section de consultation à titre onéreux aboutit à des résultats immédiatement utilisables pour le demandeur. M. Martyn, en conclusion souligna l'importance que présente la diffusion des résultats, seule façon à l'évidence de les rendre utiles et utilisés par les spécialistes en documentation.

T. M. Aitchison du service de recherche de l'INSPEC rappela le développement pris par son groupe depuis 10 ans à partir de travaux financés par l'État dans le secteur de la documentation en électronique. Son exposé souligna essentiellement l'étude qui a été conduite sur les services rendus par le Centre de documentation et d'information utilisé par plus de 600 chercheurs représentant des organismes de toute nature travaillant dans l'électronique. Il précisa en particulier les résultats d'enquêtes préférentielles qui dénotent que le résumé d'article accompagné du titre satisfait actuellement 70 % des usagers et que 80 % d'entre eux préfèrent bénéficier de cette information sur fiche. Les index sont par contre diversement appréciés.

Dans une seconde partie T. M. Aitchison soulève le problème, repris ultérieurement dans de nombreuses interventions, du choix entre l'indexation libre ou le langage contrôlé. Aucune réponse globale ne semble pouvoir être proposée à cette occasion : seule une étude cas par cas peut être envisagée et permettre le choix. La pression psychologique incite bien évidemment les recherches à s'intéresser chaque jour un peu plus aux langages naturels.

Le Dr Werner Kunz du « Studiengruppe für Systemforschung » d'Heidelberg présenta quelques objectifs fondamentaux de ce groupe d'étude subventionné par l'État fédéral. C'est en particulier l'étude et la mise en place de systèmes d'information sous forme de centres commutateurs entre des réseaux ayant des affinités de recherche voisines : ainsi a-t-on organisé un système permettant d'atteindre l'ensemble de l'information concernant l'environnement (UNPLISS).

L'étude des relations entre le chercheur et le responsable de la documentation scientifique constitue un autre thème de recherche. Quelle information possède le chercheur et laquelle souhaite-t-il précisément ? N'y a-t-il pas des raisonnements types dans la transmission des connaissances ? M. Kunz indiqua que des recherches sont également engagées quant à l'usage des brevets.

Mme Wolff-Terroine présenta en un exposé concis et suivi avec attention les objectifs assignés au Bureau national de l'information scientifique et technique et les actions engagées par cet organisme depuis sa création.

Les premières activités directes menées par le BNIST ont eu pour but d'effectuer un inventaire des équipes et des recherches en cours ainsi que leur financement. Parmi les 200 programmes engagés il est apparu qu'assez peu étaient orientés spécifiquement vers les sciences de l'information. Ensuite il a fallu définir les priorités à retenir et l'une d'entre elles portant sur le multilinguisme des bases de données est déjà bien engagée puisqu'un macrothesaurus sera prochainement mis à disposition des usagers européens.

Cette présentation fit apparaître toute l'originalité de l'organisation de la recherche scientifique française toujours très structurée par rapport aux initiatives d'autres pays occidentaux. Il convient cependant de regretter comme le souligne en conclusion Mme Wolff-Terroine qu'elle ne recouvre actuellement aucune équipe de recherche permanente en sciences de l'information.

L'action coordonnée conduite par nos homologues scandinaves dans la réalisation d'un système automatisé d'information et de documentation (projet SCANNET) se situe peut-être à mi-chemin des travaux présentés en début de session et des activités du BNIST en France.

La communauté nordique (Danemark, Norvège, Suède) présente suffisamment de cohésion pour avoir décidé de confier à un organisme unique de planification et d'incitation (NORDFORSK) la mise en place, en étroite collaboration avec les PTT des trois pays, d'un réseau multinational. Il comprend actuellement 4 nœuds et une centaine de terminaux reliés à chacun d'eux, capables d'interroger des bases de données scientifiques ou médicales (actuellement : MEDLINE et une base concernant la Spectrographie de masse et la Cristallographie).

Les perspectives de développement évoquées par B. Grönlund, avec beaucoup de dynamisme, envisagent la collaboration avec les autres réseaux européens en cours d'implantation tels EURONET ainsi que l'utilisation d'autres bases d'information comme LIBRIS.

La seconde session a été ouverte par deux exposés préliminaires qui ont permis d'examiner le fonctionnement et la gestion des services d'information ou des bibliothèques en tant qu'ensemble intégré.

Elle devait se poursuivre par les travaux de trois commissions.

La première présidée par M. Cremer s'était fixé comme objectif la bibliométrie c'est-à-dire les méthodes d'évaluation scientifique susceptibles d'aider le professionnel dans la constitution ou l'évolution la plus efficace d'un fonds documentaire.

Successivement, l'analyse des citations utilisées comme indicateur de choix, la rationalisation des abonnements selon un modèle mathématique et une tentative de formulation simple des paramètres d'un domaine scientifique à l'aide de termes et de diagrammes ont été présentés.

La seconde commission a permis de mettre en évidence toutes les difficultés que rencontrent les documentalistes et bibliothécaires à évaluer l'efficacité réelle des fonds mis à disposition des chercheurs par rapport au coût économique qu'ils mpliquent.

Manifestement les informations sont rares et une méthodologie d'étude mériterait d'être définie.

Par contre les exposés du troisième groupe de discussion portant sur le développement en coopération de systèmes ou réseaux de catalogage et d'indexation entre les Bibliothèques de Grande-Bretagne, appuyés sur des pôles régionaux, ainsi que l'examen des difficultés rencontrées dans la mise en place d'activités coordonnées à ce niveau devraient intéresser à proche terme les bibliothécaires français très sensibilisés à ces questions.

M. Cleverdon devait ouvrir la seconde journée consacrée à l'enregistrement et à la recherche de l'information par un rappel historique des travaux poursuivis dans ce domaine depuis la fin de la guerre. L. N. Rolling quant à lui devait souligner que la mise en place d'un réseau européen (EURONET) prévue pour 1977 était en bonne voie, puisque trois types d'accords contractuels concernant les liaisons (CEPT), les bases de données (EURONET) et les réseaux informatiques (ESRO, CYCLADES) vont être signés par les pays de la Communauté en 1976-1977.

L'effort des membres de cette dernière doit porter actuellement sur : I. La coordination des bases existant de façon à limiter autant que possible l'apparition de nouvelles bases nationales ; 2. La normalisation des traitements et des formats d'échange ; 3. L'élaboration accélérée de thesaurus multilingues ; 4. Le développement des recherches sur les langages d'indexation.

C'est ce dernier point qui devait être largement évoqué dans le premier groupe de discussion et bien qu'aucune conclusion nette ne puisse être formulée on doit constater une évolution certaine vers les langages naturels.

V. Horsnell nous montra cependant l'intérêt que présente parfois l'utilisation d'un lexique intermédiaire.

Le métalangage SATIN 1 déjà bien connu des auditeurs français constitue une tentative de substitution d'un système relationnel objectif au langage ordinaire. L'un de ses créateurs E. Chouraqui développa la théorie selon laquelle l'évolution du langage ordinaire au langage documentaire doit aboutir à la constitution de métalangages de ce type.

Deux spécialistes allemands (G. Beling et Gwersing) ont cherché une base de compatibilité entre plus de 500 langages documentaires utilisés en Allemagne n'ayant pas les mêmes objectifs et étant exploités sur les réseaux les plus variés!

Cette initiative ambitieuse qui pré-supposait la recherche de règles communes, l'élaboration d'une trame type et l'étude des possibilités d'interconnexion s'est heurtée à des problèmes financiers considérables.

Le codage automatique des réactions chimiques proposé par M. Osinga est de type topologique. L'atome est représenté par un nombre qui tient compte de ses possibilités relationnelles. Là encore l'application n'en a été testée que dans des cas simples.

Le responsable du centre de documentation PHILIPS, le Dr V. Stibic évoque les possibilités économiques du langage documentaire automatique et souligne que ce dernier est mal adapté aux besoins pragmatiques du secteur privé qui est appelé à consulter des documents d'une grande variété (rapports internes, brevets, etc.). Pour la recherche industrielle le langage documentaire manuel est donc encore beaucoup plus rentable.

La discussion menée par M. W. Cleverdon pose alors la question déjà évoquée du choix entre le langage dit naturel (c'est-à-dire sans indexation ni lexique) et les langages contrôlés.

Il en ressort que :
- Le langage documentaire vraiment naturel n'existe pas.
- Le vocabulaire contrôlé sera plus efficace dans les domaines très spécialisés desservant un petit nombre d'utilisateurs.
- Le vocabulaire libre est, en conversationnel et pour des bases de données importantes, le plus agréable à manier.

La quatrième session devait aborder un problème qui concerne l'ensemble du monde documentaire : les recherches sur les utilisateurs et les applications qui ont pu déjà en être dérivées.

D'après M. Klintøe le plus difficile est actuellement de connaître les motivations qui peuvent être celles de nos futurs usagers, autrement dit de ceux qui ne fréquentent encore aucun organisme documentaire bien plus que celles de nos utilisateurs actuels, déjà cernées par plusieurs centaines d'enquêtes depuis 10 ans.

J.-P. de Loof de la société BERTIN, met en évidence les nombreuses barrières psychologiques que rencontre le chercheur dans l'entreprise lorsqu'il est amené à reprendre sa formation, à se recycler. Son attitude à la fois craintive et agressive à l'égard des structures documentaires qui ne lui sont pas familières. Rares en effet, sont les entreprises qui peuvent offrir un terrain d'accueil favorable en toutes circonstances à cette redécouverte de l'information qui ne dépasse jamais cependant le niveau ingénieur : la maîtrise et les ouvriers sont presque toujours privés de toute source d'information.

La multiplicité des sources documentaires, leur redondance fréquente, leur non-circulation au-delà d'un certain niveau hiérarchique conduisent J.-P. de Loof à constater d'une part que les circuits privilégiés à développer par ordre d'urgence sont l'information écrite, les contacts humains irremplaçables et les réunions de travail par petits groupes de 6 ou 7 individus, d'autre part que les difficultés perceptibles à court terme se situeront d'une part au niveau de l'interface usager/documentation qu'il faudra absolument revoir, et d'autre part dans la sophistication des systèmes actuellement en cours de mise en route.

Il ne faut pas créer de nouveaux obstacles sur la voie de l'information de façon que l'usager demeure en toutes circonstances maître de son problème.

Les groupes de discussion qui succédèrent à ces deux exposés :
- Interface usager/système.
- Obstacles à l'utilisation de l'information
n'ont fait qu'exalter l'importance du facteur humain sans pouvoir définir clairement les modalités d'intervention. Là encore le psychologue n'est pas à la veille d'être suppléé par la machine et ceci est très réconfortant pour beaucoup de professionnels.

La séance de clôture permit d'examiner en premier lieu les résultats de l'enquête lancée auprès des participants quant à l'efficacité de la recherche en documentation.

Disons qu'elle est apparue essentielle à 80 % d'entre eux (15 % seulement de bibliothécaires y avaient répondu pour plus de 50 % de responsables de centres de documentation) et qu'elle devait s'orienter de façon privilégiée vers l'examen des systèmes de saisie, des rapports usagers/documentation et l'efficacité des fonds réunis à leur intention.

Dans une seconde partie A. Tomberg devait remarquer pour conclure que cette Conférence avait laissé dans l'ombre certaines questions telle que la collaboration entre les secteurs publics et privés ou l'information uniquement sur support magnétique, et regretter l'absence de représentants des firmes d'ordinateurs et de logiciels.

M. Cockx devait rappeler quant à lui que des opérations de type plus proprement bibliothéconomique ne devaient pas être non plus négligées (contrôle bibliographique universel, catalogage partagé, etc.).

La communauté européenne est déjà riche de moyens technologiques trop souvent sous-employés alors qu'il s'agit de facteurs décisifs du développement général des pays concernés.

Nous nous permettrons si vous le voulez bien de rejoindre dans nos conclusions personnelles les derniers orateurs cités en ajoutant qu'il est plus que souhaitable que les bibliothécaires ne s'y sentent pas à l'étroit dans l'avenir, confrontés comme ils l'ont été souvent pendant ces trois jours à des travaux de recherche parfois très éloignés de leurs préoccupations actuelles.

Plutôt que de dresser un bilan négatif d'ensemble, il convient d'encourager l'orientation de ce type de congrès vers l'étude de procédures à retombées moins lointaines et plus pragmatiques, sans négliger tout l'intérêt que présentent des réunions de travail, traitant par exemple des rapports usagers / documents même si de celles-ci ne jaillit pas immédiatement la lumière.