Nécrologie

Yvette Enjolras (1923-1974)

Marcelle Lesur

C'est avec beaucoup d'émotion et le coeur serré que je voudrais dire ici ce qu'ont été pour mes collègues et pour moi ces douze années, où nous avons eu comme conservateur, puis conservateur en chef de la Bibliothèque de l'École des Mines de Paris, Mlle Yvette Enjolras arrachée trop brutalement à notre affection, le 4 mars 1974. Elle avait une âme de chef, sachant aller jusqu'au bout de ses décisions, quelles qu'en soient les difficultés, mais elle avait aussi - et toujours - un sourire d'amie pour aider chacun à résoudre ses problèmes, notre peine en est donc doublement douloureuse.

Après de brillantes études, elle débuta sa carrière de bibliothécaire à Château-roux où elle fit, grâce à un dynamisme inlassable, d'une bibliothèque riche de fonds anciens peu exploités, une grande bibliothèque. Parallèlement, elle créait une bibliothèque d'enfants, manifestant ainsi l'intérêt qu'elle portait à la formation culturelle des jeunes. Durant ces sept années passées à Châteauroux, elle avait pu, par ses contacts humains avec ses lecteurs, se créer des amitiés et des amis, qui ont gardé son souvenir et qui nous ont en donné des preuves au moment de sa disparition prématurée.

En 195I elle passait le Diplôme supérieur de bibliothécaire, puis le concours de recrutement de la Direction des bibliothèques. Enfin en 1959, elle venait à Paris pour créer la bibliothèque du Centre national des études judiciaires. Elle fournit là un effort à la fois écrasant et exaltant pour elle; en quelques mois elle fut prête à accueillir dans sa bibliothèque, les futurs magistrats formés par cette école nouvelle. Quelques mois plus tard, une partie de cette école se déplaçait à Bordeaux. Elle dut organiser une nouvelle bibliothèque dans cette ville, ce qu'elle fit avec d'autant plus de joie que son esprit vif et lucide se passionnait pour cette tâche nouvelle : ce fut donc deux bibliothèques nouvelles en un an.

Enfin en 196I, elle prenait la direction de la bibliothèque de l'École des Mines. Là, dès son arrivée, avec cette volonté indomptable qui la poussait vers les tâches les plus difficiles, elle allait désormais s'intéresser aux problèmes d'informatique et d'automatisation. Elle était en effet particulièrement intéressée par le problème de l'information et de la documentation et elle travailla avec ardeur à la recherche de solutions satisfaisantes aussi bien pour les chercheurs que pour les bibliothécaires et documentalistes; c'est ainsi que, recherchant avec toute l'ingéniosité dont elle était capable un moyen de diffusion rapide de la documentation, elle créa le télé-catalogage ; avec cette technique elle réalisait la documentation rapide à distance; mais son esprit, toujours en éveil, y voyait déjà un moyen d'entrée en ordinateur. Grâce à sa ténacité, elle réussissait en effet à adapter le téléimprimeur au travail des bibliothèques, celui-ci donnant à la fois des informations en clair (fiches bibliographiques) que l'on pouvait transmettre à distance, et une bande perforée des mêmes informations susceptible de passer en ordinateur, préparant ainsi la recherche documentaire automatisée comme elle l'expliqua dans ce Bulletin  1. Elle demandait alors à deux de ses jeunes collaboratrices de passer un diplôme d'informatique. Elle a eu la joie, courant décembre 1973, de voir sortir les premiers listings des index du bulletin des nouvelles acquisitions de la bibliothèque.

Mais, depuis deux ans, elle voyait s'ouvrir devant elle la perspective de la création d'une bibliothèque moderne dotée d'une automatisation qu'elle voulait sans défaut et qui serait le couronnement de sa carrière. La Direction de l'École des Mines l'avait en effet chargée de faire des plans d'une annexe que la Bibliothèque doit installer à Fontainebleau. Ce fut pour elle une grande joie et une occasion de recherches qui la passionnaient. Ce fut ausi un très gros travail auquel elle a donné beaucoup de son temps, sans mesurer ni compter sa fatigue.

Enfin une quatrième création lui était demandée : après Fontainebleau, l'École des Mines envisage à Antibes, dans le complexe Sophia-Antipolis, une très grande bibliothèque. Mlle Enjolras avait déjà fait plusieurs plans avec beaucoup de précisions. Elle était faite pour concevoir et créer de grandes choses. En sa trop courte vie elle en a donné la preuve.