Nécrologie

Frantz Calot (1889-1973)

Jacques Guignard

Frantz Calot, qui devrait être l'une des figures les plus marquantes parmi les bibliothécaires de sa génération, ne trouva pas d'emblée sa voie. De souche lorraine, mais parisien de naissance, ou peu s'en faut, - il était né à Neuilly-sur-Seine, le 25 septembre 1889 - il manifesta de bonne heure des goûts artistiques et littéraires très prononcés. Aussi pensa-t-il devenir professeur de dessin et fréquenta-t-il l'Académie Jullian comme l'École des Beaux-Arts, en même temps qu'il donnait à différents quotidiens ou hebdomadaires, nombre de poèmes, de contes et de croquis le plus souvent signés du pseudonyme de Guy Tollac. Son père, qui était avoué, désirait pour ce fils un autre avenir et le jeune homme dut s'inscrire à la Faculté de droit et faire un stage dans une étude. En fait, il passa les examens de la licence ès-lettres (mention philosophie), en 1914. Vint la guerre mondiale qui marqua une brusque interruption dans sa carrière. Dès l'armistice, Frantz Calot enseignait le latin et le français à Paris, dans un établissement privé, l'École Descartes, rue de la Tour, et conserva ce poste durant quelques années. Mais au hasard d'une conversation avec l'abbé Langlois, bibliothécaire de l'Institut catholique, dont il ne partageait du reste pas toutes les idées, il apprit l'ouverture d'un concours pour le recrutement de bibliothécaires d'État. Avec l'assiduité qu'il mettait en toutes choses, Frantz Calot s'y prépara sous la direction de Charles Mortet, alors administrateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Il y fut reçu second (décembre 1919) et c'est tout naturellement à la Bibliothèque Sainte-Geneviève qu'il fut aussitôt nommé bibliothécaire. Sa formation et son sens artistiques l'y firent rapidement affecter à la Réserve et les huit années qu'il y passa furent des plus fructueuses. Au jour le jour, il accomplit là d'excellent travail. En outre à une époque où les expositions n'étaient pas si nombreuses, il eut l'occasion de participer à la préparation de quelques-unes de celles qui ont laissé un si durable souvenir (Le Livre français des origines à la fin du second Empire, au Pavillon de Marsan, avril 1923; La Montagne Sainte-Geneviève, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, mai 1924; Port-Royal et le jansénisme, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, mai 1925), en même temps qu'il publiait d'intéressantes études sur le livre ancien.

C'est pourtant à la Bibliothèque de l'Arsenal que Frantz Calot devait donner toute sa mesure. Nommé conservateur en 1928, en remplacement de Frantz Funck-Brentano, il se montra un excellent collaborateur pour l'administrateur d'alors, Louis Batiffol. Quand vint pour celui-ci l'âge de la retraite et que la Bibliothèque de l'Arsenal eut été rattachée administrativement à la Bibliothèque nationale, c'est tout naturellement aussi que Frantz Calot en fut nommé conservateur en chef (1935). Il éprouvait un profond attachement pour le vieux palais de Sully, du Maréchal de la Meilleraye et du Marquis de Paulmy, pour le prestigieux décor et le si beau mobilier de ces salons où passent les ombres de Nodier et de Heredia. Il était plus attaché encore à ses inestimables collections de manuscrits et de livres anciens et se plaisait à dire que la Bibliothèque de l'Arsenal restait la seconde bibliothèque de France. La tâche y était lourde et la mise en valeur des collections théâtrales posait notamment des problèmes dont la solution n'était pas toujours facile. Mais Frantz Calot sut persuader M. Julien Cain de la nécessité d'aménager au sous-sol et au rez-de-chaussée des magasins très modernes, pourvus de rayonnages d'un type à grande densité, parmi les premiers qui aient été installés à Paris. En un temps où les registres des catalogues manuscrits et les fichiers n'étaient pas à la disposition des lecteurs, il tint à faire établir et à rendre accessible des catalogues sur fiches. Enfin, il eut à cœur d'enrichir les collections. Grâce à une campagne auprès des éditeurs, il sut y faire entrer les livres d'art les plus caractéristiques de l'époque, en même temps que les relations qu'il entretenait dans le milieu des philosophes et des poètes permettaient à l'Arsenal de recevoir en don d'intéressants autographes.

Aux trésors de la Bibliothèque de l'Arsenal comme à ceux de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Frantz Calot consacra maints articles publiés le plus souvent dans le Bulletin du Bibliophile, fondé par son prédécesseur Charles Nodier avec Techener. C'est, en effet, à l'époque romantique que son cœur restait le plus attaché. En témoignent la part qu'il prit, avant même d'être affecté à la Bibliothèque de l'Arsenal, à la préparation de l'exposition Le Salon de Charles Nodier et les Romantiques (mai 1927), ses articles sur Desenne (Le Bibliophile, 193I), La Vie de Bohême et ses illustrateurs (Le Portique, 1946), sur Tony Johannot (Le Dessin, 1948) et surtout le chapitre qu'il consacra au livre romantique dans l'Art du livre en France des origines à la fin du Second Empire (1924). Mais l'histoire de l'Arsenal fut pour Frantz Calot l'occasion de bien d'autres études, notamment celle que lui inspira José-Maria de Heredia, bibliophile (Le Livre et ses amis, 1946). Maints autres articles témoignent de l'intérêt que Frantz Calot portait à notre profession. De ses premières années, il avait conservé le goût de l'enseignement. Les nombreux stagiaires qu'il forma ne l'ont pas oublié. C'est en songeant aux jeunes bibliothécaires qu'il prit l'initiative de publier un excellent ouvrage sur l'Art du livre en France des origines à nos jours, pour lequel il fit du reste appel à la collaboration de L.-M. Michon et de P. Angoulvent (1931) et qu'il donna, avec M. Georges Thomas, un Guide pratique de bibliographie (1936).

Exigeant pour les autres comme il l'était pour lui, sévère même, mais fort juste, Frantz Calot cachait sous un aspect parfois bourru, une sensibilité profonde. Sa conscience professionnelle comme ses qualités d'intelligence et de coeur lui valurent l'attachement de ses collaborateurs, qui ne s'est jamais démenti. Les honneurs lui étaient venus. Il était officier de la Légion d'honneur et commandeur de l'Ordre des Palmes académiques. Mais plus qu'à ces distinctions, il se montra sensible à l'hommage qui lui fut fait en 1960 d'un volume de Mélanges d'Histoire du livre et des bibliothèques, où l'on trouve, avec d'importantes contributions, la bibliographie de ses travaux.

C'était déjà l'âge de la retraite (1959). Elle fut cruelle pour Frantz Calot. Il lui avait été pénible de quitter son grand appartement de la Bibliothèque de l'Arsenal pour aller habiter en banlieue. Il n'avait aucune famille et la mort de sa femme le laissa fort isolé. Sa seule joie était de venir parfois dans la maison qui lui devait beaucoup. Mais ses visites s'espacèrent, puis finirent par cesser. Le II octobre 1973, des voisins le trouvèrent écroulé dans sa chambre, mourant. Seuls quelques fidèles suivirent le cercueil de cet homme de bien, qui avait tant servi les bibliothèques et le Livre.