II. Deuxième partie du stage. Synthèse des critiques et conclusions du groupe

Albert Lefort

Si l'on considère l'ensemble des expériences relatées, il apparaît que les stagiaires ont repris les propositions de travail de la première partie du stage, en les adaptant à leur public et à leur propre tempérament. Ils ont dépassé ces propositions en créant des formes d'animation dans l'optique d'une promotion de la bibliothèque et de la recherche du public; ils ont continué, en les amplifiant, les méthodes traditionnelles d'animation de la bibliothèque (exposition, thème du mois, heure du conte), et ils ont tenté un certain nombre d'actions de type publicitaire.

Les participants ont tenu pour la plupart à utiliser la méthode de la veillée-lecture, ceci principalement pour des raisons de commodité (la veillée-lecture étant un dispositif relativement rapide à mettre en place), en ne se contentant d'ailleurs pas de copier mais s'attachant à adapter et à transformer cette méthode qui n'avait été présentée que comme un point de départ lors de la première partie du stage. Plusieurs ont découvert ou ont approfondi le problème de la littérature enfantine et de la lecture en milieu scolaire. Ils tiennent à poursuivre ce type d'animation, les enfants pouvant être l'intermédiaire privilégié entre le livre et les adultes.

Il est intéressant de constater que pratiquement tous les participants ont tenu l'engagement pris lors de leur inscription au stage - se mettre en situation d'animer - alors même qu'ils devaient le faire dans un laps de temps relativement court, avec parfois peu de moyens, et dans une période peu propice pour certains.

Au cours de leur exposé - et dans la discussion collective qui suivit - les stagiaires ont formulé un certain nombre d'observations concernant le déroulement de leurs diverses expériences d'animation. Ils ont exposé les difficultés rencontrées et en ont tiré les enseignements utiles.

I. La veillée-lecture.

C'est ainsi que pour la veillée-lecture, les stagiaires ont mis en relief les difficultés propres à la lecture à haute voix : le handicap de la fatigue et du manque de forme physique en général, l'écueil d'un rythme verbal mal soutenu, le rôle primordial d'un entraînement à la respiration pour éviter l'essoufflement et « l'ivresse du lecteur » consécutifs à l'accélération du rythme cardiaque.

Plusieurs ont noté l'incidence de l'attitude du public sur le déroulement de la lecture : les bavardages en particulier, fréquents chez les auditeurs enfants et adolescents, qui perturbent facilement le lecteur. Inversement, une mauvaise lecture influe sur le comportement du public qui ressent très vite le malaise du lecteur et commence à s'agiter, à s'ennuyer et finalement ne participe plus. Dans le même ordre d'idées, il s'agit de prendre en considération le problème du choix du livre et de son découpage, afin d'exclure les livres qui risquent d'être ma adaptés à un public donné et de rejeter les découpages mal faits ou trop longs. A ce sujet, certains livres semblent se prêter difficilement à un découpage.

Pour ce qui est du débat après la lecture, la discussion peut être longue et difficile à démarrer. Ici il faut faire la part de l'impatience de l'animateur qui voudrait voir le public réagir instantanément. Celui-ci peut avoir besoin d'un temps de repos et de réflexion, ce qui se traduit par un silence de plusieurs minutes quelquefois. Mais ce n'est pas un temps mort; mieux vaut laisser durer le silence que de l'interrompre brusquement et maladroitement.

Quant aux conditions de travail, l'importance des moyens matériels mis à la disposition de l'animateur n'est pas à dédaigner. Il est préférable d'éviter, par exemple, les chaises inconfortables, les salles trop grandes, les éclairages mal choisis.

2. Conditions de l'animation.

En règle générale, la préparation de toute animation se doit d'être minutieuse. Il faut se méfier du bricolage et de l'improvisation. Ainsi, les contacts sont à prendre à l'avance et l'animateur doit veiller à s'entourer de collaborateurs qui lui donneront la connaissance du milieu. Ils lui seront également utiles pour le seconder sur le plan pratique et surtout en devenant des relais qui pourront par la suite poursuivre l'expérience entreprise.

Des relations étroites et régulières avec les groupes déjà constitués dans le domaine de l'animation devraient donc exister pour faciliter le travail, d'où l'intérêt de connaître les instances susceptibles de lancer des animations, ainsi que leurs possibilités techniques d'intervention. Ex. : Fédération des œuvres laïques, directions départementales de la jeunesse et des sports, fédérations des Maisons de jeunes et de la culture. En effet, il est indispensable de bien connaître le public auprès duquel l'animateur intervient, ce qui suppose préalablement une bonne connaissance du cadre de vie dans lequel ce public évolue, ses motivations, ses goûts, ses centres d'intérêt, ceci pour exclure le « parachutage » de l'animation, et éviter les expériences isolées et sans prolongement.

Du reste, tout activité contrainte ne sert à rien et on ne peut imposer une action culturelle à des gens qui n'en ressentent pas le besoin. C'est pourquoi il n'y a pas a priori de recettes et de théories infaillibles : il y a seulement un certain nombre de techniques adaptables à chaque cas, et un public qui évolue.

3. Formation.

Il apparaît indispensable de remettre en cause les fonctions actuelles du bibliothécaire qui risque, en se cantonnant dans ses tâches techniques, d'offrir à son public des équipements irréprochables qui ne seront utilisés que par les « lettrés », ou de n'assurer que la distribution du livre auprès d'un public déjà lecteur, sans qu'il y ait de véritable promotion du livre. Il faut donc changer les rapports existants entre le bibliothécaire et son public, en introduisant une nouvelle fonction : le bibliothécaire-animateur.

Actuellement, il semble que les bibliothèques publiques n'aient pas les moyens de faire de l'animation, par manque de personnel et par manque de temps (la priorité est généralement donnée aux tâches techniques). L'animation apparaît alors comme un surcroît de travail puisqu'elle est « en plus » des tâches habituelles. Cela explique qu'elle soit mal comprise et mal acceptée par la profession. Dans ces conditions, le professionnel qui fait de l'animation peut ressentir une impression de solitude, et, s'il est mal soutenu, il risque de se disperser dans des opérations ponctuelles, sans véritables débouchés. Sur un plan plus personnel, il est indispensable que certains blocages d'ordre psychologique disparaissent pour que le bibliothécaire-animateur soit prêt à effectuer sa fonction de relation.

Cela pose le problème de la formation des professionnels, car en plus des aptitudes personnelles, le bibliothécaire-animateur doit acquérir de nouvelles connaissances qui devraient être précisées en fonction des objectifs dégagés au cours du stage. Ces connaissances devront être les moins formelles possibles afin de redonner aux professionnels tout leur pouvoir créateur. Les stagiaires pensent que l'École nationale supérieure de bibliothécaires doit étudier les modes possibles de formation à donner au bibliothécaire-animateur, dans le cadre de la formation initiale, et désirent participer dans le cadre de la formation permanente à d'autres stages leur permettant d'améliorer sur des points particuliers leurs aptitudes personnelles à l'animation. Pour concrétiser ces réflexions, le directeur de l'École nationale supérieure de bibliothécaires présent au stage a demandé aux participants s'ils désiraient constituer un groupe de travail qui serait chargé d'étudier un programme d'enseignement de l'animation au niveau des enseignements moyens (concours de recrutement de sous-bibliothécaire et certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire) dans la perspective d'une éventuelle réforme du certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire. La proposition fut adoptée, et le groupe aussitôt formé des personnes suivantes : Aliette Brachet, Jean-Louis Duboc, Francine Masson, Claudine Maugirard, Edith Peres, Hervé Roberti, Marie-Cécile Robin, Jacqueline Schmelzer, Brigitte Letellier.

N.D.L.R. : Sous le titre « Bibliothèques publiques et clubs de lecture » le n° 28, octobre-décembre 1973, de Lecture et bibliothèques a publié un dossier des diverses remarques, dont celles des participants, formulées à propos de ce stage. Le Bulletin des bibliothèques de France a par ailleurs publié dans son numéro I, janvier 1974, p. I-20, un article de Mlle Brigitte Letellier sous le titre Le Droit de lire. Une expérience d'animation menée par la Bibliothèque centrale de prêt de la Sarthe depuis 1970.