Les bibliothèques publiques françaises

Edmond Guérin

Selon le manifeste de l'U.N.E.S.C.O., « la bibliothèque publique doit donner aux adultes et aux enfants la possibilité de marcher de pair avec leur époque, de ne jamais cesser de s'instruire et de se tenir au courant des progrès accomplis dans les sciences et dans les arts. Présentées de manière attrayante et sans cesse remises a jour, ses collections doivent être la preuve vivante de l'évolution du savoir et de la culture. Elle pourra ainsi aider les lecteurs à se faire eux-mêmes une opinion et à développer leur goût et leurs facultés critiques et créatrices. Il appartient à la bibliothèque publique de leur transmettre les connaissances et les idées, quelle que soit la forme sous laquelle elles sont exprimées ».

Les bibliothécaires des bibliothèques publiques françaises approuvent sans aucune réserve cette définition du rôle de la bibliothèque publique; ils ne le jugent pas trop ambitieux puisqu'ils demandent depuis quelques années que les pouvoirs publics de leur pays considèrent la bibliothèque publique comme un moyen privilégié de ce que, en France, on appelle l'éducation permanente. Leurs interrogations sont d'un autre ordre : leurs établissements sont-ils capables d'assurer ce rôle? Question fondamentale, en cette année 1973, au lendemain de l'Année internationale du livre qui, selon leurs espoirs, aurait dû considérablement amplifier le développement des bibliothèques publiques françaises.

Dans un premier temps, ils seraient tentés de répondre non à cette question, devant les difficultés qu'ils rencontrent quotidiennement dans l'exercice de leur profession, l'insuffisance et l'inadaptation des moyens dont ils disposent actuellement, la disparité entre ces moyens et le « besoin de lecture », exprimé ou latent, des populations qu'ils ont mission de desservir; ils peuvent cependant percevoir quelques indices qui permettent de tempérer ce premier jugement. Ils se rendent compte que, très lentement sans doute mais sûrement, l'idée de lecture publique progresse dans ce pays. Des expériences intéressantes de développement ou de création de bibliothèques publiques voient le jour. Trop lentement à leur gré, bien sûr, les moyens mis à leur disposition augmentent chaque année. N'y aurait-il pas là les prémisses favorables à un développement des bibliothèques publiques ? Quelque chose serait-il en train de bouger ?

C'est à cette interrogation que nous allons tenter de répondre. D'abord en présentant les structures actuelles des bibliothèques publiques françaises, puis en examinant les résultats qu'elles ont obtenus ces dernières années, enfin en essayant d'imaginer leur évolution au travers des expériences actuellement en cours.

L'organisation des bibliothèques publiques françaises.

Si l'on veut se faire une opinion précise des bibliothèques publiques en France, il est nécessaire d'étudier séparément les bibliothèques centrales de prêt (B.C.P.) et les bibliothèques municipales, et de tenter d'expliquer pourquoi cette dualité existe.

Le territoire français est morcelé en un très grand nombre de communes, encore plus de 37 000 en 1973, ce qui entraîne pour l'énorme majorité d'entre elles, un nombre restreint d'habitants et, par voie de conséquence, la modicité du budget. Si bien que les conseils municipaux, responsables de l'administration de ces communes, sont peu enclins à provoquer la création et le développement d'une bibliothèque publique. De ce qui précède, nous tirons deux remarques : la première, c'est la disparité qui peut exister entre deux communes de même importance en matière de bibliothèques publiques, puisque la création et le fonctionnement de ces établissements sont laissés à leur seule initiative. En second lieu, il va de soi que ce sont les plus petites communes qui sont les plus mal équipées et, jusqu'à la fin de la dernière guerre mondiale, les habitants d'immenses secteurs de la campagne française n'avaient aucune possibilité de fréquenter une bibliothèque publique.

C'est essentiellement pour cette raison qu'une des premières actions de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique a été de créer de nouveaux établissements, les B.C.P., afin de mettre théoriquement tous les habitants du pays devant la même situation et de leur permettre de faire valoir de la même manière leurs droits à la lecture publique, quelle que soit leur lieu d'habitation.

La France compte environ 800 bibliothèques municipales, d'importance très inégale, desservant environ 21 millions d'habitants. Le tableau 1 donne une idée de l'implantation de ces bibliothèques :

A la lecture de ce tableau, il apparaît bien que l'implantation des bibliothèques municipales est de moins en moins importante au fur et à mesure que le nombre d'habitants de la commune décroît.

Si le secteur des villes de plus de 100 000 habitants est couvert à 100 %, celui des communes de 10 ooo à 20 ooo habitants ne l'est plus qu'à 54 % de la population et celui de l'ensemble des communes de moins de 10 000 habitants à 5 %. Il convient de noter ici que les B.C.P. desservent 24 547 communes de moins de 20 ooo habitants, représentant 20 233 958 habitants.

L'importance quantitative de la population n'explique d'ailleurs pas entièrement la disparité qui existe entre nos bibliothèques municipales. Il faut aussi tenir compte de facteurs historiques qui ont fondamentalement marqué leur création et leur évolution. On sait que la plupart de nos bibliothèques ont été créées grâce à la confiscation des biens religieux et des biens d'émigrés à l'époque de la Révolution française de 1789, dans le but fort louable en soi de permettre au peuple l'accès des richesses culturelles, jusque-là réservées aux privilégiés. Mais elles ont subi autant d'inconvénients que d'avantages de cet héritage que, avant tout, elles devaient conserver. C'est l'importance démesurée donnée à cette fonction de conservation qui a fait assimiler très longtemps, trop longtemps, les bibliothèques françaises à des musées à livres accessibles à quelques érudits.

Cette influence de l'histoire est encore importante dans bien des bibliothèques françaises, plus facilement perceptible cependant en 1973 dans les locaux que dans le fonctionnement même. Encore convient-il honnêtement de préciser que, celui-ci étant tributaire de ceux-là, l'évolution de nos bibliothèques serait beaucoup plus rapide si elles étaient toutes installées dans des locaux adaptés à leurs fonctions.

Très souvent implantées au centre des villes, dans des immeubles anciens, des « hôtels particuliers », aux « salles majestueuses et solennelles », nos bibliothèques municipales ne peuvent absolument pas procéder aux conversions nécessaires.

La seule solution réside alors dans la construction pure et simple d'un immeuble neuf et fonctionnel. Le problème se complique cependant du fait que, ici comme partout, les terrains à construire sont extrêmement rares au centre des villes et, en tout cas, fort chers. Si l'on admet que d'une part l'accès des centres des villes devient de plus en plus difficile et que d'autre part la zone potentielle d'action d'une bibliothèque municipale est relativement restreinte, il apparaît préférable de décentraliser la bibliothèque et, tout en maintenant un établissement au centre de la ville, de construire des succursales dans les différents quartiers de la ville. C'est la solution qui est le plus souvent retenue à l'heure actuelle en France.

De nombreuses villes françaises ont donc procédé, ces dernières années, à la construction ou à la reconstruction de leurs bibliothèques, de nombreux projets sont soit en cours de réalisation, soit à l'étude. C'est ainsi qu'environ 55 000 m2 ont été mis en service au cours des années 1970 et 197I, ce qui représente près de 15 % de la surface totale dont disposent actuellement les bibliothèques municipales françaises.

Il est remarquable que cet effort concerne aussi bien des villes de petite et moyenne importance que les plus grosses agglomérations françaises. C'est ainsi que, pour citer quelques-unes des réalisations récentes, les villes de Dunkerque, Creil, Pau, La Roche-sur-Yon, Caen, Bron, Pantin, viennent de se doter de nouvelles bibliothèques. De même, deux programmes particulièrement importants viennent d'être menés à bien dans les deux villes les plus peuplées de France : Marseille et Lyon. La comparaison de ces deux dernières réalisations montre bien toute l'influence de l'initiative communale dans le domaine de la construction. En effet, les options définies au départ étaient très différentes d'une ville à l'autre. A Marseille, une politique de décentralisation entraîne la nécessité de prévoir la construction de bibliothèques secondaires dans les quartiers de la ville au moment où est mise en service une bibliothèque centrale de 8 100 m2. A Lyon, la bibliothèque centrale dispose de 27 000 m2 dont une part importante sera consacrée à l'accueil du public, à l'animation, à la documentation, ce qui n'exclura nullement d'ailleurs la possibilité d'ouvrir des succursales dans un avenir plus ou moins éloigné.

Cet effort en matière de construction a été facilité par le fait que depuis 1968 l'État accorde aux municipalités, qui sont responsables de la construction, une subvention pouvant aller jusqu'à 50 % du coût de la construction.

Construire ne suffit pas : il faut assurer le fonctionnement de l'établissement. Et, ici, l'intervention de l'État est très faible; en 1971, elle a représenté 5,57 % du total des dépenses de fonctionnement des bibliothèques municipales, alors que la part des municipalités était de 91, 53% de ce même total. Les charges salariales du personnel sont entièrement à la charge des villes, à l'exception des 54 bibliothèques dites « classées » pour lesquelles l'État prend en charge une partie, variant de 40 % à 60 %, des traitements du personnel scientifique. De même, l'aide au fonctionnement proprement dit a surtout valeur d'impulsion et d'encouragement. Proportionnelle à la dépense faite par habitant par la ville pour sa bibliothèque, elle devrait inciter chaque municipalité à augmenter cette dépense. Mais, en définitive, cette aide de l'État est encore trop faible pour obtenir les résultats escomptés.

Les B.C.P. sont des services gérés directement par la Direction des bibliothèques et de la lecture publique et qui ont pour mission de diffuser le livre dans les communes de moins de 20 ooo habitants du département dont elles ont la charge. Leurs dépenses de fonctionnement, comme celles d'investissement, sont entièrement à la charge de l'État. Cependant, les collectivités locales - communes et départements - peuvent y apporter leur contribution, sous forme de subvention. En 1945 furent créés huit B.C.P., en 1963 23 départements en étaient dotés et 5I en 1968. Il y en aura 66 en 1973.

En 1971, la France possédait 59 B.C.P. alors que le pays compte 99 départements et qu'il n'est pas prévu d'implanter de B.C.P. dans 6 de ces départements (Paris, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Guyane, Le Territoire de Belfort étant desservi depuis 1964 par la Bibliothèque centrale de prêt du Doubs). Les 59 B.C.P. existantes ne touchent d'ailleurs pas la totalité des communes de moins de 20 ooo habitants de leurs départements, d'autant que beaucoup d'entre elles sont encore en période d'implantation et n'ont pas atteint le maximum de leur développement; le tableau ci-dessous résume la situation à la fin de 1971 :

On constate d'une part que la clientèle potentielle des bibliothèques centrales de prêt en service en 197I représentait environ 67 % du nombre total des habitants des communes de moins de 20 ooo habitants et que d'autre part la population réellement desservie par ces mêmes B.C.P. était égale à 70 % de la population théoriquement bénéficiaire de leurs services.

On peut voir dans ces chiffres une des conséquences du mode de fonctionnement de la plupart des B.C.P. En effet, l'outil essentiel d'une B.C.P. est le (ou les) bibliobus. Or, ceux-ci sont en nombre insuffisant pour assurer un service direct de la population. Il a donc fallu trouver des relais qui eux sont en contact avec le public : il s'agit des dépôts implantés le plus souvent à l'école, mais quelquefois en d'autres lieux publics, mairie par exemple, bibliothèque municipale quand elle existe, ce qui est rare, etc. Les responsables de ces dépôts - les dépositaires -sont donc des bénévoles qui ne peuvent consacrer au fonctionnement du dépôt qu'ils sont censés gérer, qu'un temps très limité. En outre, ils ne possèdent, est-il besoin de le préciser, aucune qualification professionnelle de bibliothécaire et ne sont pas forcément des apôtres de la lecture. C'est ce qui explique que par suite de l'impossibilité de trouver, soit un lieu public pouvant abriter le dépôt, soit un dépositaire compétent, soit les deux à la fois, les B.C.P. sont amenées à leur corps défendant à ignorer un certain nombre de communes de leurs départements. Là encore, il n'y a aucune obligation des conseils municipaux à demander le bénéfice des services de la B.C.P.

Il est bien évident que cette situation risquant d'empirer en raison des transferts des populations des zones rurales vers les zones urbaines, il importe de permettre aux B.C.P. de fonctionner selon d'autres procédés. C'est ce que certaines d'entre elles ont commencé à réaliser, notamment par la mise en service de bibliobus, dits de « prêt direct », qui, eux, desservent directement la population. Mais la formule des bibliobus, même de prêt direct, ne paraît pas suffisante pour assurer un service satisfaisant à l'ensemble de la population : il paraît préférable, chaque fois que le relais offre des garanties suffisantes de le considérer, non pas comme un simple dépôt de livres, mais comme une véritable petite bibliothèque publique. Cela suppose en particulier des installations matérielles décentes et un responsable qualifié.

Nous l'avons vu, la mission essentielle des B.C.P. est la diffusion du livre parmi l'ensemble de la population des communes de moins de 20 000 habitants. Cependant, les conditions de leur fonctionnement ont amené leurs responsables à considérer très tôt les enfants scolarisés comme une clientèle privilégiée : c'est encore à l'école que le dépôt est le plus souvent installé; ce sont les enfants qui, à travers leurs instituteurs, ont le plus de contact direct avec le bibliobus et par conséquent avec le personnel de la B.C.P. D'ailleurs en 1968, l'État a ajouté à la mission traditionnelle des B.C.P. telle qu'elle a été définie ci-dessus, celle de desservir l'ensemble des établissements scolaires du premier degré et du premier cycle du second degré, la limite des 20 000 habitants n'intervenant pas en ce domaine. Ce service qui n'est encore assuré que par une demi-douzaine de B.C.P., est effectué par bibliobus pratiquant le prêt direct par classes et sous la conduite des maîtres.

Le moyen essentiel d'action des B.C.P. est donc le bibliobus. Étant donné l'extrême dispersion des populations ayant vocation à être desservies par les B.C.P. il n'a pas semblé nécessaire de prévoir des installations permettant l'accueil du public. Trop rarement encore d'ailleurs, les B.C.P. disposent de locaux récents et fonctionnels : seules, une vingtaine d'entre elles utilisent des bâtiments construits à leur intention.

Ces nouveaux bâtiments, dont la réalisation incombe entièrement à l'État alors que le terrain est offert gracieusement par le département, comprennent seulement un magasin à livres, d'accès facile et d'aspect agréable, un garage pour les bibliobus et la fourgonnette de livraison, une petite discothèque, quelques bureaux et ateliers, une petite salle de réunions. Les premiers programmes s'étant avérés trop petits (500 m2), la tendance actuelle est à l'agrandissement des locaux jusqu'à 1500 m2. Le personnel des B.C.P. est uniquement composé de fonctionnaires de l'État. Les effectifs, tenant compte de l'importance du département, varient pour chaque B.C.P. de 4, qui est un minimum, à une trentaine de personnes, mais, de toute manière, sont encore très insuffisants.

Voici donc, bien brièvement esquissée, l'organisation actuelle des bibliothèques publiques françaises, organisation dont le trait essentiel est l'existence de deux réseaux. Cependant, poursuivant les mêmes buts et chargées de mêmes missions, toutes les bibliothèques publiques présentent des caractéristiques communes, notamment dans les principes et les modes d'action.

Les principes et les modes d'action

Pendant très longtemps, nous l'avons dit, les bibliothèques françaises ont représenté pour le public de ce pays un monde fermé, presque secret, réservé à ce qu'il est convenu d'appeler l'élite. Ce n'est que très lentement que, entre les deux guerres mondiales, la nécessité d'ouvrir les portes des bibliothèques s'est imposée. Peu à peu, cette idée progressait et maintenant elle est communément admise.

La bibliothèque publique, comme son nom l'indique, appartient au public, il faut donc qu'il y vienne, mais il faut aussi qu'il y revienne. Ce n'est pas si facile et cela suppose au départ qu'il ait envie d'y venir. Or rien n'est moins sûr dans les circonstances actuelles ; la bonne volonté ne suffit pas dans ce domaine et le bibliothécaire doit puiser dans les ressources de son imagination pour faire prendre à son futur lecteur « le chemin de la bibliothèque ». Cela nécessite un emplacement bien choisi et un aspect extérieur agréable des locaux dont il dispose. Lorsque le lecteur est entré dans son établissement, le bibliothécaire veille à la qualité de l'accueil qui lui est réservé. Les formalités sont réduites au minimum, tout est fait pour favoriser la découverte du monde des livres. Les techniques employées facilitent la démarche du lecteur. Accès direct au plus grand nombre possible de livres, fichiers d'utilisation facile, système de prêt rapide et efficace, tels sont quelques-uns des procédés qui permettent au public en fréquentant la bibliothèque de s'en former une bonne impression. Des salles de prêt aménagées à la manière des magasins en libre service, l'alignement monotone des rayonnages interrompus par quelques coins de repos ou des batteries de présentoirs, voire des tourniquets mobiles, permettent au lecteur qui a le temps de rester assez longtemps dans la bibliothèque de se former une bonne opinion qu'il répercutera parmi son entourage.

Mettre le public au contact direct du livre, c'est aussi amener le livre le plus près possible du lecteur, lorsque ce dernier ne peut se rendre lui-même à la bibliothèque. On a remarqué très souvent que le secteur géographique desservi par un établissement, même fonctionnant dans d'excellentes conditions, est relativement limité. Les difficultés de la circulation et du stationnement automobiles dans le centre de la ville, l'éloignement des nouveaux quartiers d'habitation, la mise en service de voies de contournement font que très souvent, les habitants des quartiers excentriques ne viennent que rarement au cœur de la cité, et uniquement pour un motif bien précis. La bibliothèque publique se décentralise donc, soit en ouvrant des succursales dans les quartiers, soit en mettant des bibliobus en service.

Lorsque cela est possible, c'est-à-dire chaque fois que la densité de la population le justifie, le bibliothécaire demande la construction ou l'aménagement de locaux à usage de bibliothèque de quartier. Mais cette solution n'est pas toujours possible dans un proche avenir et, en attendant sa réalisation, il fait passer un bibliobus dans le quartier. Ce véhicule, assurant un service minimum, celui du prêt de livres, permet de sensibiliser la population aux problèmes de la lecture et est donc en même temps un excellent moyen de publicité.

De toute manière, nous le répétons, il ne saurait s'agir, dans l'hypothèse d'un quartier à forte densité de population, que d'un moyen provisoire d'amener de nouvelles catégories de lecteurs à utiliser la bibliothèque. Par contre, dans des régions peu peuplées, banlieues pavillonnaires ou zones rurales par exemple, le bibliobus restera pendant très longtemps la seule solution possible au problème du développement des bibliothèques publiques. C'est ce qui explique en particulier que les B.C.P. considèrent le bibliobus comme le moyen privilégié de leur action.

Il est peut-être aussi un danger qui guette les succursales implantées dans les quartiers excentriques, celui de se refermer sur elles-mêmes et d'aller tout doucement vers l'étiolement et pourquoi pas, la fermeture. De plus en plus, la vie moderne veut que les quartiers aient tendance à se replier sur eux-mêmes : disposant sur place de tout ce dont ils ont besoin, leurs habitants préfèrent « rester chez eux » pendant leurs périodes de travail et s'évader loin de leur domicile les jours de repos. Il faut que la succursale reste un de leurs pôles d'attraction, et en conséquence, se montre toujours dynamique. Ne pouvant offrir les mêmes services que la centrale dont elle dépend, elle est tenue à un renouvellement constant, et des livres qu'elle offre au choix de ses utilisateurs et des activités qu'elle peut éventuellement leur proposer. Cela suppose qu'elle maintienne des liens extrêmement étroits avec l'établissement principal dont elle dépend, et éventuellement avec les autres succursales. Intervient ici la notion de réseau, chaque bibliothèque, centrale ou de quartier, étant un élément d'un ensemble ayant les mêmes objectifs.

D'ailleurs, mais ceci est quelque peu théorique, chaque lecteur devrait pouvoir bénéficier des mêmes services, qu'il soit inscrit à la centrale, à l'une des succursales, où à l'un des bibliobus. Ce n'est guère possible, l'expérience l'a prouvé. Il est cependant un domaine où cette égalité peut être respectée : c'est celui de l'information sur la vie même de la bibliothèque. Il faut que, quel que soit l'emplacement de son domicile, l'usager soit tenu au courant, régulièrement et complètement, des activités de l'ensemble du réseau, centrale et succursales. Liste des nouvelles acquisitions, annonce des expositions, bulletin de liaisons sont quelques-unes des mille façons d'intéresser la population à sa bibliothèque. Car il faut essayer de faire participer la plus grande partie de la communauté à la vie de l'institution. C'est sans doute une des meilleures façons de l'insérer dans la cité.

Ouverte à tous, la Bibliothèque publique respecte les opinions de chacun, elle sait rester objective. Cela ne veut pas dire qu'elle reste indifférente devant l'événement ; au contraire, elle suit de très près l'actualité, elle achète les documents les plus récents dans les domaines les plus variés de l'activité des hommes.

La Bibliothèque propose au public, réel et potentiel, un ensemble de services tel que chacun puisse la fréquenter, y trouver ce qu'il cherche et ce dont il a besoin. Elle doit pouvoir être à même de corriger certaines inégalités culturelles ayant souvent des causes sociales et l'on connaît bien des exemples d'autodidactes qui ont dû ou doivent leur savoir à la seule bibliothèque. Distraire, bien sûr, mais aussi, éduquer, renseigner et documenter telles sont les diverses fonctions de la bibliothèque.

En effet la Bibliothèque municipale française, riche en fonds anciens, se veut aussi bibliothèque d'étude, elle met à la disposition des étudiants, des enseignants et de chercheurs, un fonds encyclopédique de niveau élevé, ses collections de manuscrits, ses ouvrages anciens, ses sources de documentation pour l'histoire locale et régionale.

S'il est le plus connu, cet aspect de la fonction de documentation de la bibliohèque n'est cependant pas le seul. Il est devenu commun d'affirmer que beaucoup de travailleurs changent de profession deux ou trois fois au cours de leur vie. Les bibliothèques sont présentes pour les aider dans ces mutations souvent difficiles.

Les enfants, eux, savent très vite qu'elles existent et qu'ils peuvent en user, voire en abuser. Et pour eux la bibliothèque devient tout naturellement le centre de documentation idéal. Bénéficiant de nouvelles méthodes pédagogiques faisant appel à leur curiosité, à leur esprit de recherche, ils savent trouver à la bibliothèque le document dont ils ont besoin pour compléter et illustrer le cours magistral, pour mener une enquête à bien. Les résultats obtenus ces dernières années dans ce domaine sont particulièrement frappants : une des conséquences en est l'insuffisance des locaux réservés aux enfants dans les bibliothèques publiques, même celles de construction récente.

Pourtant un sérieux effort a été entrepris, aussi bien dans les établissements anciens que dans les nouveaux. La Bibliothèque pilote de Clamart, réservée aux enfants, qui met l'accent sur la collaboration avec l'enseignement et l'animation par le livre et les techniques audiovisuelles, fait école. Les bibliothécaires se sont ingéniés à libérer dans un premier temps un « coin pour enfants », puis à leur réserver une première salle, enfin à leur consacrer un étage entier. C'est que les enfants, davantage que les adultes, aiment se retrouver à la bibliothèque. Peu à peu celle-ci leur a proposé d'autres activités que celles de la lecture et de la recherche documentaire. Souvent elle est le seul endroit de la ville où l'on puisse à la fois écouter une histoire, entendre des disques, regarder des diapositives, dessiner et peindre, réaliser des expositions, etc. Insensiblement, elle est devenue un véritable petit centre culturel à l'usage des enfants. Peut-être trouvera-t-on que, ce faisant, la bibliothèque a débordé le cadre de sa mission. Ce n'est sans doute pas l'essentiel : la cause des bibliothèques publiques progressera énormément si ces enfants, qui envahissent actuellement nos bibliothèques publiques et nos bibliobus, se souviennent encore de la rue qui y conduit lorsqu'ils seront devenus des adultes.

Pour ceux-ci la question se pose différemment : certes l'animation autour et par la bibliothèque est reconnue indispensable. Mais beaucoup pensent qu'il existe un danger à développer démesurément les activités d'animation et demandent à ce qu'on se souvienne que la raison d'être des bibliothèques est essentiellement, voire uniquement d'amener de nouvelles couches de la population à la lecture. D'autres, au contraire, ne voient aucun inconvénient à ce que la bibliothèque soit le lieu et le support de manifestations culturelles dont les liens avec la lecture et le livre ne sont pas évidents. A vrai dire, le débat ne concerne pas les seuls bibliothécaires et la solution qui peut être trouvée au problème doit tenir compte de facteurs locaux qui sont très variables d'une ville à l'autre. L'essentiel est que la bibliothèque puisse au moins s'intégrer dans une action culturelle voulue et organisée par la collectivité dont elle dépend.

De toute manière, animer une bibliothèque suppose que son responsable ait à sa disposition d'autres supports de la connaissance que le livre. C'est une des raisons qui expliquent l'importance de plus en plus grande donnée à ces autres supports dans nos établissements que l'on commence à appeler des « médiathèques ».

Ce n'est pas la seule, leurs responsables savent bien qu'il leur faut s'adapter aux techniques audiovisuelles. Et comme partout ailleurs, ils sont prêts à franchir le pas, persuadés que les disques, les films, les diapositives, les bandes et les cassettes ne remplaceront jamais totalement le document imprimé.

Ce dont ils sont certains aussi, c'est que les seules activités actuellement souhaitables - et nous avons volontairement insisté sur certaines d'entre elles - les conduisent à demander des établissements de plus en plus importants. Décentraliser la bibliothèque ne veut pas dire la fractionner, l'émietter à l'infini. Les bibliothécaires de ce pays ont trop souffert de leur isolement pour risquer d'y revenir en raison du développement prévisible des bibliothèques publiques.

Les institutions ne sont rien sans les hommes chargés de les faire fonctionner, c'est un adage bien connu. Et il conviendrait de se demander ici si le personnel des bibliothèques publiques est en mesure d'assurer les tâches correspondant à leur mission. Question délicate, à laquelle, dans les circonstances présentes, il est difficile d'apporter une réponse. Qu'il soit simplement permis de dire que la formation actuellement dispensée à tous les niveaux de l'emploi permet d'assurer dans de bonnes conditions le travail de gestion technique. Un progrès certain a été fait notamment par la mise en service de la Bibliothèque publique de Massy qui sert de bibliothèque d'application à l'École nationale supérieure de bibliothécaires.

Les résultats

On trouvera ci-après un tableau résumant l'activité des bibliothèques publiques. Les renseignements qui y sont contenus peuvent paraître fragmentaires et incomplets. Rappelons que le Bulletin des bibliothèques de France publie annuellement des statistiques plus complètes et plus précises. Enfin, la comparaison de l'activité de l'ensemble des bibliothèques publiques françaises n'a pu être faite que pour les années 1970 et 197I en raison des différences de conception dans l'établissement des statistiques des bibliothèques centrales de prêt et des bibliothèques municipales jusqu'en 1969. Il convient en outre de préciser que ces résultats ne sauraient être maniés qu'avec prudence, des adaptations s'étant révélées nécessaires par suite du mode de fonctionnement de chaque bibliothèque.

Cependant, on peut en tirer un certain nombre de remarques permettant de saisir la réalité de la situation actuelle de la lecture publique en France à travers quelques chiffres simples.

Encore convient-il de remarquer que le réseau des bibliothèques publiques ne touche qu'à peine 80 % de la population (39 000 000 d'habitants). Si l'on parle d'activité des bibliothèques publiques, cette moyenne brute demande donc à être modulée.

Par exemple, on considère que, pour les bibliothèques municipales, le prêt a été de 1,38 volume par habitant desservi, tandis qu'il était de I,04 pour les bibliothèques centrales de prêt.

Les dépenses totales pour les deux types de bibliothèques se sont élevées en 197I à 207,4 millions de francs, tous budgets confondus - investissement et fonctionnement - villes et État -, soit 3,99 F par Français.

Une comparaison précise entre les années 1970 et 197I est rendue difficile par le fait que les dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel et d'acquisitions ont été sous-évaluées en 1970, faute d'avoir pu collecter les chiffres correspondants pour les bibliothèques centrales de prêt.

L'on peut néanmoins constater une progression dans tous les domaines. Bien sûr, il ne faut pas en tirer de conclusions définitives, il s'agit uniquement de la confirmation de quelques tendances qui jusqu'ici étaient perçues de façon intuitive.

Si l'on rapproche par exemple le pourcentage d'augmentation du nombre de prêts réalisés (II,6) de celui de la population desservie (3,7), on est amené à supposer que, d'une part, le nombre des lecteurs augmente et que d'autre part, le nombre de livres lus par chaque usager au cours de l'année progresse également. Il serait intéressant de déterminer la part respective de chacun de ces deux éléments. Cela s'avère pratiquement impossible, notamment en raison des difficultés qu'éprouvent les bibliothèques centrales de prêt à évaluer le nombre des lecteurs de leurs dépôts.

Signalons cependant que, pour les bibliothèques municipales, les emprunteurs représentaient 4,7 % de la population desservie en 1969 et 5,5 % en 1971, tandis que le nombre moyen de volumes empruntés par utilisateur était de 23,7 et 23,9 pour les mêmes années.

Le pourcentage de l'augmentation des effectifs est important (9,9), particulièrement parmi les professionnels (18,3). Cela tend à confirmer que les bibliothèques publiques recherchent à améliorer les services qu'elles rendent, non seulement sur le plan de la quantité, mais aussi sur celui de la qualité. Cette recherche de l'amélioration de la qualité du service rendu se retrouve encore dans l'effort de décentralisation des locaux fixes ou mobiles des bibliothèques. Alors que le nombre des unités administratives n'a progressé que de 2,7 % d'une année sur l'autre, celui des points de desserte a augmenté de 7,7 %.

La distorsion entre le pourcentage d'augmentation du nombre de livres achetés (4,4), et celui du nombre de prêts réalisés (II,6) devrait s'atténuer très rapidement, si l'on veut que les bibliothèques se développent dans de bonnes conditions. Elle traduit le fait que les livres « tournent » de plus en plus vite dans nos établissements.

La quantité des disques achetés en 107I a augmenté de 3I,5 % par rapport à l'année précédente, alors que, dans le même temps celle des livres n'a progressé que de 4,4 %. Cette constatation illustre bien l'importance de l'effort des bibliothèques publiques en faveur des nouveaux media, même si l'on sait que le nombre de disques achetés doit nécessairement être plus important du fait que les collections en étaient très réduites jusqu'à ces dernières années.

Les progressions constatées au cours de cette rapide étude permettent-elles d'affirmer que les bibliothèques publiques françaises sont en train de « décoller»? Après tout, beaucoup de chefs d'entreprises s'estiment satisfaits lorsque la progression des activités de leurs établissements d'une année sur l'autre atteint 10 %. Mais n'oublions pas que les bibliothèques françaises « prennent le départ » avec un sérieux handicap. C'est pourquoi il faut être très prudent avant de se prononcer.

L'avenir des bibliothèques publiques françaises. Perspectives

Les résultats peuvent paraître encore bien faibles, les bibliothécaires français en ont pleinement conscience, mais ils savent aussi que, en fonction des moyens actuels dont ils disposent, ils ne peuvent espérer qu'une augmentation très lente de cette moyenne nationale de lecture. Pourtant, ils sentent qu'ils pourraient obtenir des résultats appréciables, si les possibilités leur en étaient données. Chaque fois qu'ils font un effort particulier, chaque fois qu'ils lancent une expérience dans un but précis, la réussite est là : les lecteurs affluent. Et leur crainte n'est pas de ne pas trouver de nombreux lecteurs, mais d'être rapidement débordés et de ne pas pouvoir répondre à la demande.

Cependant, en France comme ailleurs, tout le monde n'est pas persuadé de la nécessité du développement des bibliothèques publiques. Prédisant la « mort du livre », d'aucuns en déduisent qu'il est inutile de consacrer des crédits relativement importants aux institutions chargées de le distribuer. Mort du livre? il n'y paraît guère dans les circonstances actuelles et la quantité de ceux qu'on imprime chaque année augmente régulièrement. Quant aux autres média, nous avons vu que les bibliothèques publiques ne les récusent pas et qu'elles ont déjà entamé certes timidement, l'adaptation de certaines de leurs activités à leur utilisation au grand bénéfice du public. Il s'agit en l'occurrence uniquement d'un problème de techniques, et donc, en dernière analyse, de crédits.

Plus difficile est de prévoir quel sera l'avenir de la bibliothèque en fonction de l'évolution de la société. Sa vocation de service public la conduit nécessairement à exercer son activité en fonction de la société dans laquelle elle est intégrée. Et il est nécessaire qu'elle se prépare dès maintenant aux conséquences des mutations de caractère sociologique qui s'annoncent. Elle le fait au travers de quelques actions spécifiques, peu ou mal connues, dont les conséquences et les résultats devraient permettre les adaptations et les développements nécessaires.

Nous avons constaté ci-dessus que les transformations pédagogiques sont une des causes de l'augmentation de la fréquentation des bibliothèques par les enfants et les jeunes adolescents. Il est à prévoir que cette mutation de l'enseignement est irréversible, et que, de plus en plus, les maîtres et professeurs feront appel au travail personnel de leurs élèves. Ceux-ci trouveront-ils toujours sur place, c'est-à-dire dans leurs établissements scolaires, la documentation nécessaire? Une politique récente prévoit bien que chaque établissement d'enseignement scolaire devra posséder son propre centre de documentation dans un proche avenir, mais cette nouvelle institution sera-t-elle capable de répondre à toutes les sollicitations dont elle sera l'objet ? On sait bien en effet toutes les difficultés qu'ont à se développer et à se maintenir les organismes de même type vivant isolément. Ne faudra-t-il pas les organiser en réseaux et, dans ce cas, la bibliothèque publique n'est-elle pas déjà prête à apporter son appui et son aide à ce réseau ? Ne sera-t-il pas nécessaire alors de prévoir une collaboration très étroite entre le personnel enseignant et celui des bibliothèques ?

L'expérience qui se met en place actuellement dans le département d'Indre-et-Loire sous la responsabilité conjointe de l'Inspection académique et de la B.C.P. devrait permettre d'apporter des éléments de réponse à ces questions. Le principe en est simple. Des camionnettes de la B.C.P., agissant comme des centres de documentation itinérants, apportent à l'établissement qui en a fait a demande, les documents, sur différents supports, relatifs à un certain nombre dé thèmes préalablement communiqués à la B.C.P. par les enseignants. Pendant tout le temps nécessaire, les élèves consultent ces documents dans une salle réservée à cet effet sous le contrôle conjoint de leur professeur et d'une sous-bibliothécaire. Le travail terminé, la camionnette pourra faire bénéficier un autre établissement de la documentation qu'elle transporte et qui sera remplacée par une autre apportant les éléments documentaires nécessaires à l'étude d'autres thèmes.

C'est un exemple parmi d'autres des services que la bibliothèque publique peut rendre à l'institution éducative. Bien des sections enfantines de bibliothèques municipales accueillent maintenant les élèves, non pas seulement individuellement, mais par classes et sous la conduite des professeurs. Mais ce système ne pourrait être étendu systématiquement à tous les établissements scolaires d'une même ville.

L'école se rénove dans ses méthodes, c'est une certitude; il importe aussi qu'elle redéfinisse sa finalité. Il ne s'agit en effet pour elle moins de donner une somme de connaissances définitivement acquises que de permettre à tous ceux qui la quittent d'avoir le désir et l'aptitude permanente de toujours apprendre davantage afin de mieux comprendre. Une récente loi vient d'établir les premiers fondements de la formation continue en France. Pour nous bibliothécaires cependant, il est indispensable de lever une ambiguïté, qui, si elle se maintenait, risquerait de dénaturer l'action de la bibliothèque publique. L'éducation permanente ne saurait être confondue avec la formation professionnelle continue : cette dernière en est un élément, sans doute important, mais un élément parmi d'autres. L'objectif essentiel de l'éducation permanente n'est donc pas de permettre à chaque citoyen d'acquérir une autre ou une meilleure qualification professionnelle, mais de le mettre en situation de se réaliser pleinement selon ses propres aptitudes. C'est donc un effort individuel constant qui lui est demandé et qui, mieux que la bibliothèque et ses documents, peut lui permettre ce travail personnel?

Depuis 18 mois une opération de cet ordre est en place à Sallaumines-Noyelles-sous-Lens dans le Pas-de-Calais, dans un milieu ouvrier particulièrement défavorisé en matière culturelle jusqu'à ces dernières années. Le Centre universitaire d'étude et d'enseignement professionnel, maintenant devenu U.E.R. de l'Université de Lille, a en effet choisi ce secteur pour y mener une expérience de formation permanente collective dont l'objectif à long terme est l'élévation du niveau culturel de la population. La Bibliothèque centrale de prêt du Pas-de-Calais, sollicitée dès le début de l'opération, a apporté successivement son concours à trois niveaux : constitution d'une bibliothèque à l'intention des « formateurs », à base d'ouvrages concernant l'éducation et la pédagogie des adultes et de documentation technique, puis fourniture de matériel audio-visuel et de documents aux « formés » en fonction de leurs activités qui vont de l'alphabétisation à l'étude d'une langue étrangère, enfin, constitution d'une bibliothèque de culture générale. Il est encore trop tôt pour analyser les résultats obtenus, mais on peut sans crainte d'erreur affirmer que l'utilisation systématique de la bibliothèque par les formés et les formateurs conduit à une élévation qualitative du niveau de lecture. Il est remarquable en effet, de constater que le pourcentage des documentaires empruntés par les usagers de la bibliothèque de Sallaumines est le double de celui de dépôts de la B.C.P. implantés dans des localités dont la population présente les mêmes caractéristiques socio-professionnelles que celle de Sallaumines. Or, on ne peut pas dire que les lecteurs utilisent ces ouvrages par besoin, puisqu'ils bénéficient par ailleurs de tous les documents nécessaires à leur formation « utilitaire » proprement dite.

La bibliothèque publique n'est pas le seul organisme à s'occuper d'éducation permanente. Cette action suppose qu'elle travaille en étroite liaison avec des organismes ayant la même vocation : université, syndicats, associations culturelles, etc. Cela suppose qu'elle puisse s'intégrer aux structures qui sont en train de se créer.

Recherche de nouvelles structures, c'est aussi un élément du développement des bibliothèques publiques. L'accélération de l'urbanisation, le vieillissement de la population habitant au centre des villes, les essais d'animation des quartiers périphériques imposent l'adaptation de la bibliothèque publique à un mode de vie en pleine mutation. Il est né de ces diverses constatations une nouvelle conception des équipements éducatifs sociaux et culturels : ce sont les « équipements intégrés ». La nouveauté consiste à faire coopérer différentes administrations à un programme commun dont l'objectif majeur est d'attirer en un même lieu un public divers par l'âge, le niveau socio-culturel et les centres d'intérêt et de lui offrir un ensemble de ressources et d'activités socio-éducatives qui puisse répondre de façon « globale » aux besoins et aux goûts des individus et des groupes. Les exemples de Yerres, la Ville neuve de Grenoble, Istres, comportent un établissement scolaire; ils n'ont pas encore dépassé l'étape de l'expérimentation. Très normalement la bibliothèque publique y trouve place et semble s'y révéler, de façon privilégiée, l'équipement « charnière » facilitant l'intégration des activités, des publics de différents âges. C'est un exemple, parmi d'autres, des possibilités de renouveau et d'efficacité qui s'offre à une politique de développement de la lecture publique en France.

De même, les 5 villes nouvelles de la Région parisienne conçoivent les bibliothèques ou leurs succursales intégrées dans un ensemble socio-éducatif, soit seulement autour d'un établissement d'enseignement, soit avec d'autres équipements culturels, tels que théâtre, cinéma, musée, etc. Il ne faudrait cependant pas que cette intégration puisse exclure la possibilité du regroupement des bibliothèques d'une même ville en une seule unité administrative.

Actuellement, il s'agit essentiellement d'équilibrer et de concerter des programmes de construction qui peuvent et doivent se compléter. Il n'y a donc pas de difficultés majeures, mais le fonctionnement de ces réalisations demandera beaucoup d'imagination, aussi bien dans l'établissement de leur statut et leur financement que dans l'animation et la coordination de leurs activités.

Très souvent en effet des opérations de cette nature sont rendues difficiles par es institutions administratives françaises. La multiplicité et l'éparpillement des communes, le cloisonnement et la centralisation de l'administration sont autant d'obstacles à une organisation harmonieuse des bibliothèques publiques. C'est pourquoi la majorité des bibliothécaires réunis au sein de la Section des bibliothèques publiques de l'Association des bibliothécaires français préconise la mise en place de nouveaux établissements, les bibliothèques de secteur. Une même unité administrative, la bibliothèque de secteur, serait responsable de l'ensemble des problèmes relatifs à la lecture publique dans un secteur donné du territoire. Ce secteur, regroupant aussi bien des populations rurales qu'urbaines, devrait compter un nombre suffisant d'habitants (de 80 000 à 100 000) pour permettre d'assurer à la population l'ensemble des missions habituellement dévolues aux bibliothèques publiques. Ce système aurait entre autres intérêts celui de placer tous les habitants du pays dans les mêmes conditions d'accession à l'utilisation des bibliothèques.

Il est bien d'autres problèmes qui en cette année 1973 sollicitent l'attention des responsables des bibliothèques publiques. Surtout, la marche quotidienne de leurs établissements absorbe la plus grande partie de leur temps. Faisant face à la pression croissante des lecteurs, désirant leur donner toujours davantage satisfaction, parant souvent au plus pressé, ils n'ont guère la possibilité de réfléchir et de penser à l'avenir. En outre, souvent seuls dans leurs villes, ils se sentent bien isolés et éprouvent de plus en plus le besoin de se rencontrer avec leurs collègues, ne serait-ce que pour avoir l'occasion de parler de leurs difficultés, mais aussi de leurs espoirs.

Car ils espèrent, ils savent que, très lentement mais très sûrement la cause de la Lecture publique gagne du terrain. Ils constatent que depuis 1968 des progrès ont été réalisés. Ils espèrent que ces progrès dont la presse se fait quelquefois l'écho, dont leurs édiles municipaux ou départementaux se félicitent à l'occasion amèneront les pouvoirs publics à amplifier et à prolonger un effort financier encore insuffisant.

C'est indiscutablement la première condition qui permettra aux bibliothèques publiques de ce pays d'affirmer leur vocation « qui répond à l'appel de l'homme et de la société d'aujourd'hui ». Institution ouverte à tous, commune à tous, allant à tous, elle peut satisfaire dans chaque individu, comme dans les groupes, l'aspiration fondamentale à connaître, comprendre, juger, choisir.

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Tableau 1

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Tableau 2 - Situation en 1971

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Tableau 3 (1/2)

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Tableau 3 (2/2)

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  1. (retour)↑  Paris exclus.
  2. (retour)↑  Cf. Bull. Bibl. France, 18e année, n° 6, juin 1973, p. 245 à 272.
  3. (retour)↑  Les chiffres des années 1970 et 1971 ne sont pas tout à fait comparables, les mêmes rubriques ne recouvrant pas toujours les mêmes données, car un certain nombre d'éléments n'a pu être pris en compte pour 1970. C'est le cas, notamment, des « autres dépenses » ordinaires qui n'ont pu être évaluées en 1970 pour les bibliothèques centrales de prêt.