Nécrologie

Hélène Dufresne

Jeanne Giraud

Ses amis, ses collègues et anciens collaborateurs, qui avaient éprouvé la sûreté de son amitié, ont appris avec tristesse le décès de Mlle Hélène Dufresne, le 6 septembre 1971 à Thiers, sa ville natale, où elle s'était retirée depuis qu'en 1965 avaient pris fin ses activités professionnelles à la Bibliothèque universitaire de Poitiers, qui se confondaient pour elle avec sa vie personnelle la plus profonde.

Dans le domaine des livres se situait en effet son authentique vocation; mais ce n'est qu'assez tard qu'elle la réalisera pleinement. Née en 1900, elle était d'une génération - celle qui abordait l'adolescence à l'époque de la Grande Guerre - où les femmes ne s'inséraient pas encore sans tâtonnements ni sans obstacles dans la vie sociale et professionnelle. C'est donc par des détours incertains qu'elle entrera peu à peu dans la familiarité du livre et au service de ceux qui lisent.

De 1924 à 1932, nous la voyons successivement chef de service du Comité de tourisme en montagne au Touring Club de France, puis secrétaire générale de la Fédération de tourisme du Massif Central à Clermont-Ferrand. De 1934 à 1939, elle est attachée aux Services bibliographiques des Messageries Hachette. Puis sa voie se précise et s'oriente. Bibliothécaire depuis le Ier janvier 1940 à la Section d'études économiques du Secrétariat d'État à la marine marchande, elle sera nommée le Ier décembre 1942 à la bibliothèque du Ministère des finances dont elle assurera l'organisation technique. Au Ier août 1946, elle entre dans les Services centraux des bibliothèques de France où elle sera chargée plus particulièrement de l'étude du statut du personnel, de l'Inventaire des publications officielles et de l'établissement de notices documentaires sur les bibliothèques municipales contrôlées et surveillées. Elle prépare alors et soutiendra en juin 195I un mémoire pour le Diplôme d'études supérieures sur La Politique du livre de 1789 à 1830, prélude à la thèse de lettres dont nous reparlerons plus loin.

Mutée à la bibliothèque universitaire de Poitiers le Ier juin 195I, elle sera intégrée dans le corps des conservateurs le Ier octobre 1962. C'est dans ce poste qu'elle donnera pendant quatorze ans la mesure de sa compétence et de ses mérites professionnels. En même temps, elle y réalisera le grand œuvre de sa vie, un travail où se rejoignent sa passion pour son métier et sa connaissance approfondie du XVIIIe siècle érudit, auquel ses affinités d'esprit l'accordaient parfaitement. C'est sur la carrière obscure d'un lointain collègue, Ameilhon (1730-18II), et son rôle persévérant et efficace dans l'histoire complexe de la sauvegarde des bibliothèques à l'époque révolutionnaire, que se fixe son intérêt de chercheuse tandis qu'une sympathie confraternelle - voire une amicale partialité - à l'égard de son héros, vibre dans des pages que l'austérité de la documentation n'empêche pas d'être alertes et élégantes, parfois même teintées d'humour. Cet ouvrage, qui a été recensé en son temps ici-même 1 la classait d'emblée parmi les dix-huitiémistes avertis et lui valait en 1962 le grade de docteur ès-lettres avec la mention Très honorable.

Érudition et esprit public : cet avant-titre de sa thèse, par lequel elle entendait définir la personnalité du bibliothécaire de la ville de Paris puis de l'Arsenal, s'ajuste rigoureusement à la période poitevine de sa propre carrière. Par un de ces miracles qui ne sont accordés qu'à ceux qui se donnent sans partage à un idéal, elle a su poursuivre quotidiennement pendant dix ans la préparation de son grand travail sans que jamais ne fussent diminués le rendement ou la qualité de ses tâches professionnelles. Chargée du traitement de toutes les entrées, à l'exception des périodiques, elle assumait aussi la préparation des jeunes sous-bibliothécaires et l'information des lecteurs. Étudiants ou professeurs pouvaient à toute heure du jour frapper à la porte de son cabinet dans la certitude qu'elle mettrait avec le même élan à leur disposition les ressources de son expérience bibliographique et de sa connaissance des fonds. Chevalier dans l'Ordre des palmes académiques depuis 1960, sa nomination au grade de chevalier dans l'Ordre national du mérite venait en 1965 consacrer sa carrière.

En 1965, en effet, la limite d'âge l'arrachait à cette bibliothèque de Poitiers où elle avait passé tant d'heures heureuses de fécond labeur. Elle ne devait pas l'oublier et beaucoup ne l'y oubliaient pas; elle y revenait chaque année, comme en un pèlerinage, précédé d'un pèlerinage parisien où se retrempait sa connaissance du vieux Paris qui éclaire si heureusement tant de pages de sa thèse et où se réveillait sa vocation de « fouineuse » aux éventaires hétéroclites des bouquinistes des quais. Après peu d'années de loisirs, rapidement perturbées par la maladie, elle disparaît sans avoir pu continuer ses précieuses recherches sur l'histoire des bibliothèques, qu'elle plaçait au cœur même de l'histoire de la culture. Pour ses amis, son souvenir demeure inoubliable et toujours présent l'écho de ses propos inattendus et pittoresques, inoubliable aussi la qualité de son amitié qu'elle exprimait en un mot pour elle privilégié : fidélité.

Il convenait de rendre ici hommage à une carrière assez brève mais exemplaire, où une sûre maîtrise de la technique était informée par un droit esprit de service et de dévouement au monde du livre.

  1. (retour)↑  I. DUFRESNE (Hélène). - Érudition et esprit public au XVIIIe siècle. Le bibliothécaire Hubert-Pascal Ameilhon (1730-18II). - Paris, Nizet, 1962. Compte rendu par Paule Salvan in Bull. bibl. France, sept.-oct. 1963, pp. 619-620.