Une Expérience de bibliothèque automatisée : GIBUS

Michel Boisset

Roland Beyssac

Afin de déterminer les perspectives ouvertes par l'introduction de l'automatisation dans les bibliothèques, une expérience de bibliothèque intégrée englobant dans un système unique toutes les opérations de catalogage, de documentation et de gestion a été réalisée par le Groupe informatiste de bibliothèques universitaires et spécialisées (G.I.B.U.S). Mis au point en dehors des idées et des solutions contenues dans les réalisations déjà connues, ce système est fondé sur une analyse globale des problèmes posés par les bibliothèques. Parmi tous les programmes réalisés ou en cours de réalisation, seuls ont été retenus ici les principes du catalogage, de la documentation et de la gestion des périodiques.

Entre les 16 et 27 novembre 1970, dans les locaux de la Fondation nationale des sciences politiques, s'est déroulée une démonstration de bibliothèque automatisée. Cette réalisation avait été décidée le 5 mars 1970 par un groupe de bibliothèques et de centres de documentation qui choisit alors de se présenter sous le sigle G.I.B.U.S. (Groupe informatiste de bibliothèques universitaires et spécialisées). Ce groupe comprenait les établissements suivants :
- la bibliothèque de l'École nationale supérieure des mines;
- la bibliothèque des Halles;
- la Bibliothèque municipale de Lyon;
- la Bibliothèque universitaire d'Aix-Marseille (section de Luminy);
- la Bibliothèque universitaire de Grenoble (section sciences);
- le Centre de documentation Sciences humaines du C.N.R.S.;
- la Recherche coopérative sur programme 207 du C.N.R.S. (catalogage des livres anciens);
- les Services de documentation de la Fondation nationale des sciences politiques.

Le Centre de calcul de l'École nationale supérieure des mines à Fontainebleau, l'Institut de recherche économique et de planification de Grenoble, l'Institut des mathématiques appliquées de Grenoble et l'Institut universitaire de technologie (section Informatique) de l'Université de Lyon assuraient la préparation des programmes.

Pour réaliser la démonstration, le GIBUS a obtenu des concours importants. La Compagnie IBM-France a mis à sa disposition tout le matériel nécessaire : 2 unités d'affichage 2260, un ensemble de transmission de données 1050, une unité de contrôle 2848 et la ligne spécialisée qui la connectait à l'ordinateur 360-40 situé à Boulogne-sur-Seine lequel a fonctionné pendant de nombreuses heures; la compagnie IBM-France a en outre offert l'assistance de plusieurs ingénieurs technico-commerciaux de grande compétence; elle a enfin aidé la Fondation nationale des sciences politiques à assumer les charges de l'installation dans ses locaux du matériel de la démonstration. L'agence Havas-conseil a soutenu l'équipe de ses encouragements et de ses conseils pour la mise en place de cette manifestation dont l'organisation posait un grand nombre de problèmes pratiques. La Compagnie des compteurs a accordé le prêt du matériel du circuit intérieur de télévision (une caméra, un magnétoscope, quatre récepteurs), sans lequel il eût été impossible de recevoir près de cent personnes par séance, comme ce fut le cas en raison de l'affluence des visiteurs. L'imprimerie Berger-Levrault a pris en charge l'impression, par procédé de photocomposition, de 10 000 plaquettes de présentation dont la maquette avait été conçue et réalisée par M. Pierre Faucheux. Enfin grâce à l'efficace collaboration des associations professionnelles suivantes : l'Association de l'École nationale supérieure des bibliothèques, l'Association de l'Institut national des techniques de documentation, l'Association des bibliothécaires français, l'Association française des documentalistes et des bibliothécaires spécialisés, l'Association nationale de la recherche technique, cette plaquette a pu être distribuée à l'ensemble des bibliothécaires et documentalistes français.

La démonstration s'est déroulée en 22 séances sur deux semaines. 2 000 personnes environ ont assisté aux présentations. Quelque 300 bibliothécaires et documentalistes ont demandé de participer à des séances de travail ultérieures, qui devraient avoir lieu d'ici à la fin de l'année 1971.

Il n'a été question dans les lignes ci-dessus que de l'accueil rencontré auprès des organismes et des professionnels extérieurs au GIBUS. Il ne faut pourtant pas manquer de signaler avec quel dévouement le personnel des établissements qui constituaient le GIBUS s'est dépensé jour et nuit pour réussir cette démonstration.

La première conclusion à tirer de l'opération GIBUS est donc celle-ci : il est désormais possible en France d'aborder résolument le passage à des méthodes modernes qui permettront aux bibliothécaires et documentalistes de remplir la mission de leur profession sur laquelle reposent l'efficacité de la recherche scientifique et de l'enseignement et le succès d'une véritable promotion culturelle.

Il faut maintenant parler de ce qui caractérise GIBUS dans l'ensemble de ce qui se fait en France et à l'étranger, dans le domaine de l'automatisation des bibliothèques.

La démonstration GIBUS était une expérience. Le choix de faire une expérience plutôt qu'une réalisation dans une bibliothèque particulière était imposé par l'objectif de voir d'abord où mène l'automatisation avant de décider de s'y engager et avant de dresser le plan à suivre pour la réussir. C'est pour la même raison que le choix s'est porté sur une expérience de bibliothèque intégrée englobant dans un système unique toutes les opérations de catalogage, de documentation et de gestion. C'est encore pour la même raison que, sans tenir compte dans un premier temps, du coût du système envisagé, la majorité des opérations a été traitée en mode conversationnel.

Il faut dire aussi qu'une expérience avait l'énorme avantage de pouvoir intéresser ensemble plusieurs établissements différents tant par leurs missions, leur niveau de spécialisation que par leur structure administrative et de permettre la mise en commun des moyens sans lesquels aucune action n'aurait été possible. Il faut reconnaître enfin qu'une expérience d'automatisation de bibliothèque intégrée en mode conversationnel présentait aussi l'intérêt de concerner toutes les autres bibliothèques et centres de documentation de France et qu'elle pouvait donc déboucher sur une démonstration à l'occasion de laquelle le projet pouvait être discuté et mûri. Et cet aspect n'est pas le moindre.

En effet l'automatisation d'une bibliothèque particulière concerne toutes les bibliothèques et tous les centres de documentation, non seulement parce que les problèmes traités sont sensiblement les mêmes, et que, par conséquent, les solutions trouvées pour l'un doivent être facilement adaptables aux autres et, en tout cas, les intéressent, mais surtout parce que l'automatisation permet aux bibliothèques et centres de documentation d'entrer dans une ère de travail commun et partagé. Mettre, par exemple, sous forme accessible par un système informatique tout le catalogue de la Fondation nationale des sciences politiques (500 ooo ouvrages, accroissement annuel de près de 20 000 titres, 7 000 périodiques, fichiers documentaires de 500 000 fiches) sera un travail considérable et intéressera beaucoup d'autres centres. Il faut que ce travail soit partagé et il est possible qu'il le soit. Les informations bibliographiques et documentaires dont ne disposent pas les services de documentation du groupe GIBUS et qui leur seraient utiles se trouvent dans d'autres établissements; le système informatique rend possible un accès rapide à des informations stockées dans des lieux éloignés.

C'est pourquoi, si l'objectif fondamental pour les membres de GIBUS demeurait de tester le système automatisé avant de décider de son application progressive dans leurs établissements, il n'en reste pas moins qu'ils attendaient tout autant le dialogue avec les professionnels de la documentation et de la bibliothéconomie, dans l'espoir qu'il serait le point de départ d'une vaste collaboration pour affronter les véritables difficultés de leur automatisation.

Le système GIBUS a été mis au point en dehors des idées et des solutions contenues dans les réalisations déjà connues. Il part d'une analyse globale des problèmes. Le résultat contient quelques innovations - ou du moins des solutions qui paraissent telles - qu'il convient maintenant d'exposer en détail. Tous les programmes réalisés ou en cours de réalisation ne seront pas présentées ici 1. La liste des programmes entrepris, avec l'indication du langage de programmation, de l'état actuel du nombre de cartes ou d'instructions et de leur objet se trouve en annexe n° I. Seuls seront exposés ici les principes du catalogage, les principes de la documentation et les principes de la gestion des périodiques.

I. Catalogage

Quand on traite de catalogage automatisé, il semble qu'on ne discerne pas assez clairement ce dont il s'agit. On a pensé à tort que le catalogage GIBUS s'opposait au catalogage MONOCLE 2.

A. - Catalogage MONOCLE.

Dans la plupart des cas jusqu'à maintenant, le catalogage automatisé consiste à remplacer les fichiers traditionnels par d'autres produits semblables mais fournis automatiquement. C'est un objectif très important, car la gestion des fichiers est une tâche écrasante dans les bibliothèques. Dans cette perspective automatiser le catalogue soulage le travail de l'intercalation. Au lieu de composer une notice directement sur une fiche, on rédige un bordereau où les informations bibliographiques sont individualisées et précédées du code les définissant; à l'entrée de ce bordereau en machine, un programme détecte et signale un certain nombre d'erreurs; le bordereau est ensuite corrigé; le même programme de contrôle intervient de nouveau. Lorsque le bordereau est considéré comme correct, il est confié à un nouveau programme qui stocke les informations bibliographiques sur un fichier magnétique (en général sur bandes); ce fichier est désormais le fichier central de la bibliothèque, mis à jour régulièrement par simple entassement des enregistrements. Pour permettre la consultation de ce fichier par le lecteur, on doit le mettre sous une forme lisible, après avoir organisé les informations bibliographiques selon la présentation prévue par les normes et après avoir classé les notices selon les règles de classement. Cette forme lisible peut être celle de listings d'ordinateur (cf. le catalogue de la bibliothèque du Centre universitaire de Luminy) ou celle d'une bibliographie imprimée, grâce aux procédés de photocomposition (cf. les projets pour la Bibliographie de la France).

L'avantage de ce système est évident : le stockage des notices est très sûr; il n'est pas encombrant : une bande magnétique peut remplacer jusqu'à vingt tiroirs de fiches classiques; la notice n'est stockée qu'une fois et le système permet d'obtenir tous les classements souhaitables (auteurs, titres, sujets, éditeurs, collections...), selon les règles d'intercalation les plus exigeantes.

Pour ce genre de catalogage dont l'objectif est le stockage de la notice complète et l'édition des notices correctement classées, le format MARC II, repris par la British national bibliography est certainement le meilleur et on ne peut que se féliciter du travail accompli par l'équipe MONOCLE pour en adopter la forme aux normes françaises de catalogage et de classement. Il ne peut d'ailleurs être raisonnablement envisagé d'utiliser un autre format qui empêche de profiter des vrais avantages de l'automatisation, c'est-à-dire l'échange d'informations bibliographiques entre bibliothèques de pays différents, grâce auquel on peut éviter de refaire le même travail un grand nombre de fois et accélérer les services rendus aux lecteurs.

B. - Catalogage GIBUS.

Dans le système précédent, l'avantage du lecteur se trouve dans le fait que le catalogue peut être diffusé en un plus grand nombre d'exemplaires qu'il n'existe de fichiers classiques, dans le fait aussi que le classement est plus rigoureux et sans défaillance. Mais rien n'est fondamentalement changé dans le problème du lecteur qui est d'atteindre facilement et rapidement la notice du document dont il a besoin. C'est pourquoi il faut envisager une autre forme de catalogage automatisé dont l'objectif sera de répondre mieux aux besoins du lecteur et aux nécessités de la gestion (par exemple, pour les vérifications automatiques dans la fonction d'acquisition).

Le catalogage GIBUS vise à fournir la possibilité d'obtenir rapidement le repérage d'un document. Cela oriente donc le système vers une organisation en accès direct du fichier central magnétique et vers la constitution de fichiers d'interrogation, qui sont comme les index du fichier central. Le choix de cette solution coûteuse de stockage entraîne en outre l'étude des limites à ne pas dépasser dans la simplification des informations bibliographiques du fichier central et des fichiers d'interrogation.

En effet, il faut accepter l'éventualité d'avoir à enregistrer les informations bibliographiques d'un très grand nombre de documents (500 ooo ouvrages à la Fondation nationale des sciences politiques, sans compter les articles de périodiques...).

Il est apparu que le lecteur n'a pas besoin, pour une réponse rapide, d'une notice bibliographique complète, mais seulement des informations suffisantes à l'identification précise de l'ouvrage et que les questions se posent en général sur les auteurs, les titres, les éditeurs, les dates d'édition, les collections ou les suites. C'est pourquoi le système de codage des données bibliographiques peut se réduire à moins de vingt codes (la liste des codes est donnée en annexe n° 2). Il est à remarquer que la zone ne se découpe jamais en sous-zone; s'il est nécessaire de distinguer des informations entre elles à l'intérieur d'une zone, on utilise la ponctuation normalement admise dans le catalogage traditionnel (par exemple, le prénom suit le nom et est entre parenthèses).

Si le catalogage GIBUS est plus simple que le catalogage MONOCLE et s'il est prévu pour des utilisations assez différentes, il n'en reste pas moins que le contenu est partiellement le même, c'est-à-dire que les informations retenues par GIBUS sont soumises aux mêmes règles de catalogage que dans le système MONOCLE, à la différence près qu'elles ne sont pas codées de la même façon, d'où la conséquence suivante : un enregistrement MONOCLE peut passer automatiquement dans le format GIBUS dans tous les cas, mais un enregistrement GIBUS ne peut pas passer dans le format MONOCLE dans tous les cas. Cela n'a d'ailleurs pas beaucoup d'importance, puisque les notices des bibliographies officielles seront toujours présentées selon le format international, c'est-à-dire selon le format MARC.

C. - Présentation du catalogage GIBUS.

Dans le format GIBUS, la première zone de tout bordereau contient un certain nombre de données sur lesquelles il est nécessaire d'apporter quelques explications. En effet cette zone permet d'obtenir ce que l'on peut appeler un « catalogue en relief ». Voici la structure de cette zone (cf. figure).

I. - Numéro d'enregistrement (I-5).

C'est le numéro de la notice; il sert à identifier la notice dans tous les traitements internes; il correspond en machine à l'adresse de stockage de la notice. Dans un fichier traditionnel, l'adresse (où l'on cherche la notice) est la place de sa « vedette » (auteur, titre, mot-matière...) dans le classement du fichier; dans le fichier magnétique l'adresse correspond à la place physique de l'enregistrement sur le support de stockage (disque magnétique) : l'enregistrement bibliographique est identifié uniquement par cette adresse.

2. - Statut de la notice (6).

Ce code correspond à celui du format MARC : N = notice nouvelle; C = notice modifiée; D = notice supprimée. Ce code aiguille le programme sur le module qui convient : création, correction ou suppression.

3. - Niveau (7-8) et Adresse du niveau supérieur (9-13).

Ces notions sont nouvelles par rapport au format MARC. Il s'agit de noter l'arborescence des notices entre elles et d'éviter de répéter des informations déjà enregistrées.

Voici par exemple comment GIBUS décompose la notice du livre intitulé l'Afrique du Nord de Jean Despois, paru en seconde édition aux Presses universitaires de France en 1968 (cf. figure).

La notice de ce livre fait donc l'objet de quatre enregistrements bibliographiques; les enregistrements de niveau supérieur sont communs à toutes les notices de niveau inférieur et ne sont jamais répétés. Lorsqu'on cataloguera le tome 2 (Sahara français...) il suffira d'indiquer le niveau de la notice (04) et de mettre ensuite l'adresse de l'enregistrement du niveau immédiatement supérieur.

4. - Numéro de lien (14-17).

Lorsqu'une notice est de niveau inférieur à 0I, elle est ou sera de même niveau que les autres notices de même père; toutes ces notices peuvent avoir un numéro d'ordre qui les classe les unes par rapport aux autres; c'est le numéro du lien.

5. - Numéro de document (18-23).

Ce numéro renvoit au fichier dans lequel sont enregistrées toutes les informations concernant la gestion des documents conservés dans la bibliothèque. Il correspond au numéro d'inventaire. Si la bibliothèque possède plusieurs exemplaires du même document, ils sont individualisés dans le fichier des documents et liés entre eux comme les maillons d'une chaîne.

6. - Type de notice (24).

Ce code correspond à la présentation de la notice : o (monographie); 1 (périodique) ; 2 (article de périodique ou chapitre de livre); 3 (tête d'ouvrage à suite); 4 (unité d'ouvrage à suite); 5 (tête de suite ou de collection). Il permet au programme de distinguer les traitements que les enregistrements de différents niveaux doivent subir selon les cas.

7. - Dépouillement (25).

Si l'enregistrement bibliographique fait l'objet d'un dépouillement, on met 1 dans cette position. Ce code permet de savoir, dans l'enchaînement des niveaux, à quel moment on descend au-dessous de l'unité bibliographique (monographie, périodique).

Lorsque le programme crée l'enregistrement dans le fichier magnétique, il rétablit automatiquement toute la structure du fichier selon le dessin ci-dessous.

La position 4-7 renvoie au niveau supérieur (enregistrement-père); la position 18-21 renvoie au niveau inférieur (enregistrement-fils); la position 22-25 renvoie à un autre enregistrement (enregistrement-frère) qui a le numéro suivant au même niveau. Quant à la position 26-29, elle donne l'adresse où sont stockées toutes les données bibliographiques appartenant à l'enregistrement.

La structure suivante est donc notée en permanence dans le fichier (cf. figure).

Cette organisation a l'avantage d'éviter la répétition inutile d'informations bibliographiques, elle permet en outre de connaître à tout moment l'état d'une collection, d'une suite ou d'un ouvrage à suite; elle permet aussi d'obtenir de la même façon le sommaire des périodiques dépouillés.

La présentation de ce système de catalogage est certes un peu rapide; mais peut-être a-t-elle suffi à faire connaître certaines particularités du catalogage GIBUS. Est-il utile de rappeler qu'il ne s'agit que d'une expérience ? Sa fiabilité n'a pas pu être encore mesurée sur de gros fichiers; et le coût des traitements qu'il nécessite n'a pas non plus été étudié.

2. Documentation

Il s'agissait de montrer, dans le cadre de l'expérience GIBUS, un système de documentation qui puisse être utilisé dans une bibliothèque. Tous les systèmes documentaires utilisés ou expérimentés jusqu'à présent ont été conçus pour des centres de documentation spécialisés dans un domaine du savoir qui peut parfois être assez vaste mais qui ne va jamais, comme dans les bibliothèques, jusqu'à être encyclopédique.

On sait que depuis longtemps la méthode qui a pu prévaloir dans les centres de documentation désireux de s'automatiser consistait à établir un thesaurus spécialisé, c'est-à-dire à retenir un nombre plus ou moins important de termes, à établir éventuellement des relations entre ces termes, à regrouper les synonymes et à éviter autant que possible l'emploi de termes pouvant avoir des significations multiples ou imprécises. Chaque centre de documentation construit son propre système d'organisation de l'information, adapté à ses besoins du moment et, généralement, sans se soucier de pouvoir communiquer avec d'autres centres.

Le problème documentaire se pose de façon très différente dans les bibliothèques. S'il est admis que celles-ci contiennent dans leurs fonds une masse d'information très souvent supérieure à celle des centres de documentation, l'exploitation systématique de cette information n'a jamais été l'objectif principal ni même un des objectifs des bibliothèques. Les catalogues classiques sont surtout un moyen plus ou moins pratique d'accéder, par l'intermédiaire de la cote, à des documents dont on connaît déjà par ailleurs l'existence. Si les fichiers-matières traditionnels devaient rendre un compte exact de la qualité et de la richesse des fonds possédés dans une grande bibliothèque, le volume de leurs fiches en rendrait rapidement le maintien et le maniement impossibles. Parce qu'elles étaient trop riches, les bibliothèques étaient condamnées à ne pas exploiter leurs ressources.

Le problème se présentait ainsi pour GIBUS avec cependant deux éléments nouveaux : l'informatique, qui permet de manipuler des fichiers magnétiques de plus en plus importants, et un besoin croissant de documentation générale que ne peuvent satisfaire les centres spécialisés. Le système documentaire, partiellement présenté au cours de la démonstration, est donc la première approche, au niveau encore expérimental, d'un projet de documentation automatique pour la future Bibliothèque des Halles.

Les contraintes dont il fallait tenir compte étaient multiples. L'imprécision du vocabulaire naturel dans le domaine encyclopédique oblige à passer par l'intermédiaire d'un langage codé, plus rigoureux certes, mais moins facilement maniable, alors même qu'il est souhaitable qu'une recherche documentaire soit à l'avenir faite sans difficulté majeure par le plus grand nombre de lecteurs. La quantité de renseignements à manipuler exige une structuration très poussée, soit pour ne pas perdre une information rattachée logiquement à une autre, soit pour éviter d'obtenir une information parasite. Et pourtant tout le monde ou presque reconnaît les difficultés presque insurmontables de la création d'un thesaurus général. Enfin, il fallait songer à s'insérer le plus possible dans les courants nationaux ou internationaux d'information et donc adopter un langage qui fut le plus communicable possible.

Toutes ces raisons, parfois contradictoires, ont amené à choisir, pour cette expérience, la Classification décimale universelle, utilisée comme langage d'indexation, sans en surestimer la valeur et sans sous-estimer l'indignation que ce choix risquait de soulever dans le monde de la documentation, fort attaché à la confection patiente et minutieuse de ses thesauri.

Au stade de l'indexation, une zone spéciale est réservée sur le bordereau de catalogage GIBUS. L'indexeur y fait figurer les différents indices simples C.D.U. qui lui paraissent exprimer le mieux le contenu du document. Les signes de relation ou la juxtaposition d'indices simples ne sont pratiquement pas utilisés. Il n'y a aucune limitation sur le nombre des indices. Parallèlement l'indexeur doit vérifier sur le dernier état des dictionnaires C.D.U. à double classement, alphabétique et par indice, fournis par l'ordinateur, que les indices qu'il vient de mettre y figurent déjà avec leurs équivalents alphabétiques appropriés. S'il n'en est pas ainsi, l'indexeur doit les faire entrer en machine. Il utilise alors un bordereau spécial sur lequel figurent l'indice nouveau, son ou ses équivalents alphabétiques et différents codes.

Dans les dictionnaires, un indice peut correspondre à plusieurs équivalents alphabétiques ou, inversement, un seul mot peut déboucher sur plusieurs indices. Enfin l'indexeur doit veiller à ce que les niveaux de la hiérarchie C.D.U. intermédiaires entre le nouvel indice et les indices déjà entrés figurent bien dans le dictionnaire avec leurs équivalents alphabétiques. Le dictionnaire C.D.U. se constitue donc, avec ses entrées alphabétiques correspondantes, au fur et à mesure de l'arrivée de nouveaux documents. Si un même mot peut avoir plusieurs sens différents, selon qu'il est employé dans tel ou tel domaine, il se retrouve dans les dictionnaires lié à des indices C.D.U. différents qui doivent permettre, par la suite, d'en préciser le sens en fonction des besoins de l'utilisateur.

Au moment de la recherche documentaire, l'utilisateur dispose d'un terminal composé d'un petit écran, analogue à un écran de télévision, et d'un clavier du même type que celui d'une machine à écrire. Les messages envoyés par l'ordinateur s'inscrivent sur l'écran. Il en est de même pour les réponses et les questions de l'utilisateur qui, frappées sur le clavier, se répètent sur l'écran où elles peuvent être facilement contrôlées et corrigées avant d'être envoyées, pour traitement, à l'unité centrale de l'ordinateur.

Le mode d'interrogation documentaire doit comporter deux options. Dans la première, l'utilisateur pose directement sa question en indices C.D.U., reliés par les opérateurs ET ou OU. C'est l'option la plus complexe pour l'utilisateur et la plus simple du point de vue de la programmation. Le public qui assistait à la démonstration GIBUS a pu en suivre les détails. La deuxième option, dont la programmation n'a pu être complètement achevée pour GIBUS, doit permettre de poser des questions non plus par des indices C.D.U. mais par des mots. Il est intéressant de signaliser en outre que ce système est prévu de telle façon que l'on puisse ultérieurement y intégrer d'autres formes de langage documentaire, ce qui permettra d'assurer la liaison dans un même ensemble entre une documentation encyclopédique et des documentations spécialisées.

L'utilisateur doit composer son interrogation au moyen d'un certain nombre de mots reliés par les opérateurs ET et OU. Chacun de ces mots est traduit en indice C.D.U. par le système grâce au dictionnaire qui a été constitué au moment de l'indexation. Si un mot est traduit par plus d'un indice C.D.U., c'est qu'il peut avoir plusieurs significations. Les différentes acceptions sont alors signalées par un message. L'utilisateur doit choisir le ou les sens qui lui conviennent. Il peut ensuite continuer normalement sa question. Autrement dit, les ambiguïtés sémantiques, nombreuses dans un domaine documentaire encyclopédique, sont automatiquement détectées dans une question et l'ordinateur fait appel à une intervention humaine pour les résoudre. L'utilisateur n'a donc ici ni à connaître la C.D.U., qui est employée comme moyen de recherche interne, ni à utiliser un vocabulaire artificiellement compliqué. Par ailleurs, il est possible d'élargir à volonté la portée d'une question en utilisant la hiérarchie C.D.U. ainsi que les renvois. On peut interroger soit simplement sur un mot, traduit par une notion C.D.U., soit sur cette notion et les notions qui lui sont rattachées à un ou plusieurs niveaux.

3. Gestion des périodiques

La gestion des périodiques ou plus généralement des publications en série comprend leur acquisition et leur communication; ces deux opérations leur sont communes, bien que plus compliquées, avec les monographies. Les programmes GIBUS de communication contiennent des modules particuliers aux périodiques; ceux d'acquisition ne comprennent pas encore les procédures de réabonnement. Mais ce qui rend difficile la gestion des périodiques, c'est essentiellement la fonction qu'on appelle dans certaines bibliothèques « bulletinage » et dans d'autres « kardexage ». GIBUS dispose d'un programme particulier de « kardexage » en mode conversationnel.

Le système repose sur une organisation de fichiers à deux niveaux : un niveau pour la définition du périodique et un niveau pour la définition des livraisons ou fascicules sur lesquels les contrôles sont effectués.

I. - Les fichiers.

A. Fichier-documents.

Dans le fichier de premier niveau, on trouve les données suivantes :
- l'adresse de la notice dans le fichier catalogue (voir plus haut : numéro d'enregistrement) ;
- l'adresse, dans le même fichier, de l'enregistrement concernant un autre exemplaire du même périodique (voir plus haut : numéro de document);
- l'adresse physique du document, c'est-à-dire sa place en magasin;
- l'adresse du premier enregistrement concernant le périodique dans le fichier du second niveau (celui des livraisons);
- le code de périodicité.

B. - Fichier-état.

Le fichier de second niveau a la structure suivante :

dans laquelle :
- FE 1 et FE 14 reçoivent les codes grâces auxquels on note s'il s'agit d'un regroupement de livraisons (code « E » en FE 1 suivi de la définition de la première livraison reçue; FE 14 vide suivi de la définition de la dernière livraison reçue) ou s'il s'agit d'une livraison seule (code « L » en FE 1 suivi de la définition de la livraison; en FE 14, code « o », si la livraison a été reçue ou code « 9 » si la livraison a été réclamée, suivi en FE 21 de la date de la réception ou de la réclamation).
- FE 2 - FE 5 - FE 8 et FE 15 - FE 18 - FE 21 servent à définir la livraison : FE 2 et FE 15 désignent le volume ou le tome, FE 5 et FE 18 le numéro, FE 8 et FE 21 la date (an, mois, jour ou saison).
- FE 27 contient l'adresse, dans le même fichier-état, de l'enregistrement suivant du même périodique. Ainsi on peut avoir la chaîne suivante pour un même périodique :

Ces quatre enregistrements signifient que la bibliothèque possède la collection complète sauf le numéro 110 (volume 10) de février 1970, qu'elle a reçu, le 10 février 1971, le numéro 122 (volume II) de février 1971, que le numéro 121 de anvier 1971 est apparu manquant à cette date, qu'il a été réclamé le même jour.

II. La procédure.

Le kardexage automatique dans le système GIBUS s'opère de la manière suivante :

I° Le bibliothécaire donne au système les informations minimales pour identifier le périodique; ce sera l'I.S.S.N. (International serial standard number) lorsque celui-ci sera défini et universellement adopté; ce peut être, en attendant, un système d'abréviations.

2° l'ordinateur affiche le titre du périodique pour vérification. Si le titre est correct, on passe à l'opération suivante; sinon, on revient à l'opération I.

3° le système affiche la définition de la dernière livraison reçue.

4° le bibliothécaire, tenant compte de l'information affichée, envoie au système l'information la plus élémentaire possible pour définir la livraison reçue. Par exemple, dans le cas présenté plus haut, la dernière livraison affichée sera :

Si la livraison reçue est le numéro 123, il suffira de fournir soit le code du mois (03), soit le numéro (123).

Si, en revanche, la livraison reçue n'est pas la suivante et qu'elle comporte une erreur de numérotation, il faudra donner au système le numéro (123) et le code du mois (04); dans ce cas, le système repèrera l'anomalie, la signalera au bibliothécaire et attendra sa décision : soit recommencer en 4, soit forcer la logique sans entraîner de réclamation, soit forcer la logique avec réclamation.

Pour pouvoir simplifier à ce point les opérations de kardexage, il a fallu analyser de très près le problème dans toute sa complexité.

Une première analyse avait détecté 26 cas possibles. Il en existe en fait 729. D'inégale importance fort heureusement.

Prenons le cas du numéro, 9 cas peuvent se présenter 3.

I. La « donnée », ne comporte pas de numéro alors que le « fichier » en comporte un.

2. On fournit un numéro pour la « donnée », mais l'information « fichier » n'en comporte pas.

3. Ni la « donnée », ni le « fichier » ne comportent d'indexation de numéro.

4. Le numéro de la « donnée » est inférieur au numéro du « fichier » et correspond à une livraison manquante.

5. Idem, mais le numéro ne correspond pas à une livraison manquante.

6. Le numéro de la « donnée » est égal au numéro du «fichier ».

7. Le numéro de la « donnée » est égal au numéro qui suit celui du « fichier » (ceci est le cas normal).

8. Le numéro de la « donnée » est supérieur au numéro qui suit celui du « fichier » et correspond à un numéro que l'on est en droit d'attendre.

9. Idem, mais il n'y a pas correspondance.

Ceci est valable pour le numéro, pour la date et pour le volume. Ce qui fait bien : 9 × 9 × 9 = 729 cas possibles, par combinaison de trois fois les 9 possibilités.

Le programme a été réalisé en réduisant à 7 les éventualités, puis en supprimant une dimension (la date) qui a été traitée au coup par coup. C'est donc un tableau de 49 cases qui constitue notre table de décision. Après avoir fait l'ensemble des tests (3 : tome, numéro, date), on se branche au traitement indiqué dans la case correspondant au cas identifié. Actuellement 12 traitements distincts ont été retenus. L'amélioration de ce traitement est donc uniquement une question d'analyse par l'utilisateur de certains cas spéciaux.

C'est pourquoi ce programme se présente non pas comme l'état final de notre expérience, mais comme un support pour une analyse plus fine, comme un instrument de travail pour aider les bibliothécaires à analyser très exactement les cas qui peuvent se présenter.

Le programme de kardexage est uniquement orienté vers la mise à jour du fichier état. Il ne contient aucune procédure de réclamation. Un autre programme reste à écrire, sur les mêmes bases, pour détecter les périodiques dont les livraisons ont été interrompues et non reprises.

Conclusion

Les personnes qui ont assisté aux démonstrations GIBUS ont vu fonctionner une grande partie des programmes annoncés. L'expérience n'en est pas pour autant terminée. Elle a permis d'intéresser un grand nombre de bibliothécaires et de documentalistes aux problèmes de l'automatisation des bibliothèques : les propositions de collaboration ont été nombreuses pour continuer la recherche dans ce domaine. L'effort entrepris pour présenter en démonstration des fonctions telles que la communication, les acquisitions, le catalogage et l'interrogation peut donc être poursuivi sur la base des programmes existants et aboutir dans des délais rapprochés à la présentation des fonctions de documentation et de gestion des périodiques.

Peut-on dire après cette expérience que l'on sait mieux comment prévoir et organiser l'automatisation d'une bibliothèque ? Il est encore prématuré de l'affirmer. Toutefois les recherches entreprises ont permis de prendre conscience de la dimension nationale et même internationale du problème de l'automatisation des bibliothèques; investir des moyens humains et financiers importants dans une entreprise comme celle-ci n'est envisageable que si la certitude morale est acquise que le lecteur - chercheur, étudiant ou profane - pourra obtenir des bibliothèques la qualité et la rapidité des services qu'elles doivent rendre. Comment le penser si chaque bibliothèque limite ses services bibliographiques et documentaires aux documents qu'elle possède ?

Les éléments d'évaluation (place, temps, ...) qui ont été obtenus à partir d'un fichier limité apportent la base d'une analyse de rentabilité qui reste à compléter. Il faut donc souhaiter que l'étude entreprise soit étendue et débouche sur la préparation d'un plan pour l'automatisation des bibliothèques, plan pour l'élaboration duquel sera nécessaire la participation de tous les bibliothécaires et documentalistes et indispensable le concours de spécialistes (informaticiens, organisateurs, économistes, etc.).

Illustration
1. Catalogage. "Catalogue en relief"

Illustration
1. Catalogage. "Afrique du Nord de Jean Despois"

Illustration
1. Catalogage. Dépouillement (1/2)

Illustration
1. Catalogage. Dépouillement (2/2)

Illustration
3. Gestion des périodiques. 1 Les fichiers (1/2)

Illustration
3. Gestion des périodiques. 1 Les fichiers (2/2)

Illustration
3. Gestion des périodiques. 2. La procédure

Illustration
Annexe 1 (1/2)

Illustration
Annexe (2/2)

Illustration
Annexe 2 (1/2)

Illustration
Annexe 2 (2/2)

  1. (retour)↑  Une documentation a été distribuée à l'occasion des démonstrations; il en reste encore un certain nombre d'exemplaires disponibles que l'on peut demander à Michel BOISSET, Bibliothèque nationale 58, rue de Richelieu, Paris (2e).
  2. (retour)↑  Voir : B. Bibl France, 15e année, n° 7, juillet 1970, pp. 327-342.
  3. (retour)↑  On appelle donnée l'information fournie par le bibliothécaire concernant le document qui arrive, et fichier les informations de la dernière livraison.