La nouvelle édition de la Recommandation ISO/R9 pour la translitération
La deuxième édition de la Recommandation ISO/R9 pour la translitération des caractères cyrilliques s'efforce de réaliser un rapprochement entre le système des pays qui ont suivi les prescriptions de la Recommandation de 1954 et le système propre aux pays anglo-saxons. Les changements les plus importants introduits dans cette seconde édition concernent plusieurs signes de translitération et entraînent une application stricte du principe d'invariabilité de la translitération d'un même signe cyrillique malgré ses différences éventuelles de valeur phonétique dans telle ou telle langue slave. Il serait nécessaire de préciser les modalités d'application de cette seconde édition.
Il y a un certain temps déjà que la transcription traditionnelle des caractères cyrilliques d'après l'alphabet français (usage des groupes ch, tch, chtch, etc.) a été abandonnée dans les établissements spécialisés, et à la Bibliothèque nationale vers 1946, au profit du système fondé sur la notion nouvelle de translitération. Depuis 1956, date de la diffusion en France par l'AFNOR (fascicule FD Z 46-001) de la Recommandation R9 promulguée en 1954 par l'Organisation internationale de normalisation, « International standardization organization » (ISO), ces normes, proposées sur la base d'un large accord international, ont été adoptées par nos principales bibliothèques et par les entreprises bibliographiques patronnées par la Direction des bibliothèques et de la lecture publique. Au cours de ces quinze dernières années le système a fait la preuve de son efficacité. D'une simplicité élémentaire, qui le met à la portée de toute personne ne connaissant des langues slaves que leur alphabet, il offre en outre l'avantage d'avoir réduit au minimum le nombre des lettres pourvues de signes diacritiques et d'avoir même facilité la reproduction des plus employés de ces derniers à la machine à écrire grâce à des solutions de remplacement.
On peut bien dire que le passage d'un système à l'autre s'est opéré sans douleur. Pour ménager les transitions et bouleverser le moins possible les habitudes des lecteurs, certaines bibliothèques comme celle de la Sorbonne continuent même encore aujourd'hui à pratiquer des renvois constants des transcriptions précédentes aux translitérations présentes. Seul vestige - relique sentimentale - de l'usage traditionnel, le maintien du groupe kh pour traduire le x slave, variante autorisée par la Recommandation de 1954. A part de menues divergences (relatives à la transcription du r ukrainien et du III bulgare, sur lesquelles on reviendra), on peut dire que l'unité est réalisée entre nos principaux centres slaves, pour le plus grand bien des catalogues collectifs tels que l'Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours et le Catalogue collectif des ouvrages étrangers. La pratique de l'actuelle translitération cause si peu de difficultés et offre tant d'avantages qu'on ne pouvait que s'étonner de la lenteur de son internationalisation et se demander ce qui retenait encore d'autres grandes nations de consentir les légers sacrifices que nous, et d'autres, avions acceptés en renonçant à nos usages graphiques nationaux. Or, paradoxalement, on assistait justement au processus contraire. Le système anglo-saxon cherchait de plus en plus à renforcer ses positions et à élaborer une transcription commune à tous les pays de langue anglaise 3. Il paraissait même gagner du terrain chez nous : à preuve la fidélité avec laquelle le CNRS lui reste attaché, ou l'attitude de tel catalogue collectif de périodiques scientifiques qui, après s'être rallié au système ISO dans son avant-dernière édition, l'abandonnait dans la suivante pour le système britannique.
C'est sans doute moins le souci de perfectionnements à apporter au tableau de 1954 qui est à l'origine de la présente édition que le besoin de plus en plus pressant d'un rapprochement entre deux blocs. Besoin ressenti dès 1955, si l'on en croit l'historique qui ouvre cette 2e édition.
Comment se présente donc le nouveau document? Quels changements, quels amendements apporte-t-il au précédent? Quelles concessions mutuelles lui ont valu l'adhésion de la Grande-Bretagne et des États-Unis, la possibilité de prendre le titre de « Système international » et la publication parallèle d'une version anglaise et d'une version russe ?
Présentation mise à part (tableau propre au russe moderne précédant le tableau synoptique de translitération de l'ensemble des alphabets slaves cyrilliques; adjonction des caractères manuscrits aux caractères cyrilliques d'imprimerie), on constate d'abord que le tableau synoptique a été complété par plusieurs caractères qui faisaient défaut au précédent. Le total passe de 44 signes à 5I grâce à l'addition :
I° de lettres précédemment omises (les caractères 8 et 3I, propres à l'alphabet macédonien 4, le caractère 33, représentant le y blanc-russien, enfin le n° 5I, l'apostrophe introduite dans l'alphabet russe réformé avant le retour au signe dur médial, mais restée en vigueur dans les alphabets ukrainien et blanc-russien et qui, à ce titre, méritait une case particulière);
2° de trois caractères archaïques, éliminés des alphabets modernes. Mais l'essentiel réside dans les changements proprement dits opérés dans les signes de translitération. Il eût été souhaitable pour la commodité de la consultation et pour l'intelligence de ces novations qu'elles soient groupées et présentées à part, accompagnées d'un commentaire justificatif. Dans l'état actuel des choses, ce soin incombe à chaque usager. Voici, sous toutes réserves, ce qui nous a paru se dégager de la confrontation des deux tableaux et de l'interprétation des notes 1 et 2 de la page 8 de la Recommandation.
Nous sommes en présence d'une normalisation de compromis entre deux systèmes adverses et entre les principes qui les ont inspirés. Les partisans du système anglo-saxon sont restés sur leurs positions. Simplement, leurs transcriptions : zh, i, ts, ch, sh, shch, yu, ya correspondant aux caractères n° II, 18, 36, 37, 39, 40, 46, 47, sont intégrées désormais à la norme internationale à titre de variantes, à côté de notre kh (n° 35). Mais, attention! Ces neuf transcriptions sont déclarées solidaires, leur emploi indissociable : « elles peuvent être employées dans leur ensemble, mais non isolément ».
Seconde innovation : l'application stricte du principe d'invariabilité de la translitération d'un même signe cyrillique malgré les différences de valeur phonétique qu'il peut présenter dans les divers alphabets slaves.
Que va-t-il résulter de tout cela dans la pratique ?
La première disposition - le blocage des variantes nationales - nous touche directement. Puisque notre fameux kh s'y trouve incorporé, nous voici donc contraints de l'abandonner à son triste sort et de nous résigner, semble-t-il, à l'h normalisé. En ce qui nous concerne personnellement, nous avouons que c'est sans regret que nous nous séparerions du disgracieux et encombrant digramme. Mais on a plus de peine à se rallier à la solution h, dictée probablement à l'ISO dès le départ par l'exemple de l'alphabet croate. On ne s'explique pas que cette lettre ait été préférée à l'x employé par nos slavisants et généralisé depuis longtemps dans l'alphabet phonétique international.
L'application de la seconde disposition (note 1 de la page 8) : la translitération par le même signe d'un caractère cyrillique susceptible de valeurs phonétiques différentes dans les différentes langues slaves, intéresse cinq caractères : le «г» (n° 4), le « и » (n° 14), le « i » (n° 15), le « щ » (n° 40), le «ъ » (n° 4I), et, par contrecoup, le « x » (n° 35) (voir ci-dessous). La première édition n'avait pas pris franchement parti sur ce point. Elle n'avait uniformisé que la translitération par g du n° 4. Mais elle recommandait pour les trois autres une transcription conforme à leur réalité phonique là où elle différait du russe. Aujourd'hui les quatre caractères sont translitérés ne varietur et l'on a partout :
r = g, même en ukrainien et russe blanc où il vaut h;
и = i, même en ukrainien où il vaut y;
щ = šč même en bulgare où il vaut št
ъ = », même en bulgare où il vaut a sourd.
Reste le n° 15 (le i pointé cyrillique 5). qui présente un cas différent. Le tableau précédent translitérait identiquement par notre i latin les deux lettres cyrilliques notant cette voyelle. C'était contrevenir à un autre principe, celui de la spécialisation des signes (probablement ce que l'introduction de nos deux éditions entend par le terme de non-ambiguïté). On a donc eu recours à un diacritique pour distinguer le second du premier : il sera désormais transcrit partout i.
Un correctif, heureusement, vient porter remède à cette normalisation qui heurte le sens phonétique. La note 1 admet que l'on désire « respecter l'originalité des alphabets slaves particuliers » et rétablit à titre de variantes les recommandations de la première édition. Du même coup le i redevient i en ukrainien et russe blanc. Toutefois, le recours éventuel à la variante phonétique h du signeg en ukrainien et russe blanc oblige, h étant réservé à la translitération du x cyrillique, à translitérer ce dernier par ch dans ces deux langues.
L'adoption de la variante h pour g pose au surplus un problème particulier, dans le détail duquel il n'est pas possible d'entrer ici. Notons seulement la perplexité qu'éprouve le translitérateur en présence des termes scientifiques en geo et logija. Autant la variante y s'imposait irrécusablement pour le и ukrainien notant le iery russe, autant la translitération d'un mot ukrainien comme geologičnyj par heolohičnyj parait choquante. (L'IPPEC dans sa dernière édition a eu recours au compromis geolohičnyj...)
Nous en aurons terminé avec la revue des modifications les plus importantes (et avec les difficultés qu'elles entraînent) apportées dans le nouveau tableau en relevant la nouvelle translitération recommandée pour le ï ukrainien et qui ne comporte pas de solution de rechange. Représenté jusqu'ici par ji, on lui garde maintenant sa forme originale de i tréma. Cette disposition n'est pas le moindre de nos sujets d'étonnement. La seule explication plausible, mais qui, à notre avis, ne la justifie pas, est là encore l'intervention d'une raison de principe : le principe, cher à certains membres de la commission internationale, de la réduction au minimum de l'emploi des lettres groupées (tellement préférable, pourtant, à la multiplication des lettres pourvues de signes auxiliaires). Cependant le groupe je, parallèle à ji (car. 10) a bien été maintenu, et l'on ne sache pas que les digrammes traditionnels ju et ja aient jamais été contestés. C'est, à notre avis, une erreur. Il convenait, au contraire, de différencier au maximum la transcription des trois variétés de (i) des alphabets slaves. Ce n'est pas précisément l'image que nous offre la séquence des caractères 14, 15, 16 : II = i ; i = i ; ï = ï...
On voit que l'utilisation de cette recommandation révisée soulève pas mal de problèmes, plus, semble-t-il (mais peut-être était-ce une illusion ?) qu'il n'en paraissait rester à régler et qu'elle est exposée aux interprétations personnelles et contradictoires. La translitération du x, du ï, et même du i cyrilliques, l'usage des variantes phonétiques, sont remis en question. Aussi serait-il opportun que les modalités de son application (puisqu'elle prétend abroger l'édition précédente) dans nos bibliothèques soient étudiées de près et fassent l'objet d'une concertation aussi générale que possible. Toute modification, même solidement fondée, dans la forme de nos vedettes entraîne un changement dans le classement des documents, qui constitue le plus épineux des problèmes en un domaine où la continuité et l'uniformité sont des impératifs majeurs, et retentit, ne l'oublions pas, sur nos catalogues collectifs permanents. Il serait paradoxal que l'adoption prématurée et unilatérale de la Recommandation nouvelle provoque des divergences tellement contraires à ses intentions premières.