Les bibliothèques centrales de prêt. 1961-1966

Analyse des statistiques pour l'année 1966

Les tableaux portent sur l'activité des bibliothèques centrales de prêt proprement dites : nombre de dépôts desservis et d'ouvrages déposés, nombre de tournées par semaines et de dépôts par tournées etc. Les commentaires apportent quelques renseignements supplémentaires sur la lecture et les lecteurs.

L'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoyait la création d'une bibliothèque centrale de prêt par département, afin que soient assurés des dépôts temporaires et renouvelables d'ouvrages aux communes de moins de 15 000 habitants. Il existait dix-sept bibliothèques centrales de prêt en 1946, cinq furent créées entre 1946 et 196I, date sur laquelle portent les dernières statistiques publiées 1. De 1964 à 1966, le nombre des bibliothèques centrales de prêt a pratiquement doublé : six furent créées en 1964, six en 1965, cinq en 1966 et quatre créations sont prévues pour 1967.

Les quarante et une bibliothèques centrales de prêt (y compris deux départements d'outre-mer : La Réunion et la Martinique) existant actuellement desservent une population de 14 000 ooo habitants. Elles ont en règle générale leur siège au chef-lieu du département, sauf la Bibliothèque centrale de prêt de l'Aisne qui a son siège à Soissons, celle de la Charente à Confolens, celle de la Charente-Maritime à Saintes, celle de la Corse à Corte et celle du Lot-et-Garonne à Villeneuve-sur-Lot. Quant aux bibliothèques centrales de prêt d'Indre-et-Loire et du Pas-de-Calais, elles possèdent chacune deux annexes.

Jusque vers 196I, les locaux dont bénéficièrent les bibliothèques centrales de prêt restèrent précaires, locaux mis à leur disposition par les départements ou les municipalités, locaux appartenant à l'État ou loués par lui. Mais dès le IVe Plan une politique de construction de bâtiments neufs a pu être lancée. Actuellement, les bibliothèques centrales de prêt de la ,Gironde et du Rhône possèdent un local propre tout à fait adapté à leurs fonctions. Des constructions nouvelles sont en cours dans l'Aveyron, la Côte-d'Or, le Doubs, l'Hérault, le Loiret, le Bas-Rhin, la Seine-Maritime, la Réunion, et des travaux seront bientôt entrepris en Dordogne.

Dans les plus anciennes bibliothèques, les collections dépassent 100 000 volumes. Elles comprennent des ouvrages en nombreux exemplaires et offrent un choix très varié en romans et documentaires de différents niveaux. En effet, si l'on en juge par les statistiques adressées par les dépositaires, parallèlement à une demande très importante de romans, on note un intérêt certain pour les ouvrages d'histoire et géographie (récits de voyages), les biographies, les ouvrages de vulgarisation scientifique, plus particulièrement dans le domaine des sciences appliquées, et ce, quel que soit l'âge du lecteur. Les bibliothèques centrales de prêt possèdent souvent des fonds spéciaux, par exemple : pièces de théâtre pour les sociétés théâtrales dans les Deux-Sèvres, dans le Haut-Rhin livres d'agriculture dans la plupart des bibliothèques, discothèque dans la Marne, dans le Rhône..., ainsi que de nombreux fonds locaux, comme en Corse, dans l'Ille-et-Vilaine, la Seine-Maritime...

La qualité de la lecture publique rurale est toujours très liée à la personnalité et à l'influence du dépositaire. Si 85 % des dépositaires sont des membres du personnel enseignant, les 15 % restant se partagent entre des responsables de maisons de jeunes et de foyers ruraux, des directeurs d'usine, des retraités, des directeurs de maison d'éducation surveillée etc.

Quelques municipalités rétribuent les dépositaires, mais c'est exceptionnel et ceux-ci sont généralement bénévoles. La plupart ne tiennent pas de statistiques de prêt. Si dans un département on a pu recueillir 60 % de réponses aux demandes de statistiques faites par le conservateur, la moyenne s'établit autour de 25 %.

On ne possède donc aucun chiffre total des prêts par département, mais de l'examen des résultats fragmentaires on peut déduire que 2 à 4 % de la population adulte forme la clientèle fidèle des dépôts des bibliothèques centrales de prêt. Quant aux enfants on peut évaluer que 50 à 75 % d'entre eux empruntent les livres déposés par la bibliothèque centrale de prêt. Si l'on évalue l'ensemble de la population sans distinguer les adultes des enfants, c'est plus de 10 % de la population qui peut être considérée comme clientèle de la bibliothèque centrale de prêt.

Si l'on se réfère à l'ensemble des communes des départements dotés d'une bibliothèque centrale de prêt, 70 % environ d'entre elles sont effectivement desservies par le bibliobus.

Il est certain que les bibliothèques centrales de prêt de création récente ne sont pas encore à même de pourvoir la totalité des communes de moins de 15 000 habitants. Quant au nombre de communes desservies par les services plus anciens, malgré une légère augmentation générale, on constate parfois une diminution sensible, liée sans doute aux modifications apportées ces dernières années dans l'enseignement : le plus souvent la fermeture de l'école, dans les communes devenues trop petites, a eu pour conséquence la suppression du dépôt. Mais il arrive parfois que celui-ci ait pu être maintenu grâce au dévouement d'un lecteur et l'on remarque en effet une certaine corrélation entre la diminution des dépôts « école » et l'accroissement des dépôts « divers » dans certains départements.

Cependant, comme le note M. Pitangue, directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de l'Hérault, la situation de ces villages ne laisse pas d'être alarmante : « Dans huit cas sur dix, la fermeture de l'école d'une petite commune ou d'un hameau entraîne la suppression du dépôt de la Bibliothèque centrale de prêt; le maire se refuse à en prendre la responsabilité, et trouver un responsable sérieux s'avère difficile. Dans 50 % des cas où le dépôt a été maintenu grâce au dévouement d'un lecteur, il a fallu se résoudre, après quelques mois, à sa fermeture, tout au moins provisoire, le responsable étant découragé par le manque d'intérêt des rares lecteurs dispersés ».

Parallèlement à ces mesures, la suppression d'écoles devenues trop petites, la création de collèges d'enseignement général, de Collèges d'enseignement secondaire et de collèges d'enseignement technique ainsi que le ramassage scolaire, constituèrent dans certaines communes un facteur d'expansion spectaculaire du nombre d'élèves et accrurent par là-même les demandes d'ouvrages. On s'est efforcé d'y faire face en procédant, dans ces nouveaux établissements, à des dépôts massifs, le plus souvent permanents - du moins pour l'année scolaire - et constitués d'une grande quantité d'ouvrages pour adolescents. Ainsi certains dépôts se sont-ils singulièrement accrus, dans l'Aisne par exemple, ou en Haute-Garonne, où le nombre maximum des ouvrages déposés a doublé depuis 196I. Mais, devant ces dépôts de conception nouvelle, bien des bibliothécaires se montrent réticents, ne voyant là qu'une nécessité pratique non dépourvue de risques. « Cette expérience, constatait M. Simonnet, alors directeur de la Bibliothèque centrale de prêt de l'Aisne, si elle ne se solde pas par un échec, est cependant décevante... Dans bien des cas on retrouve avec le collège d'enseignement général un milieu clos, sans vraie communication avec le bourg ». En effet le fonds de la Bibliothèque centrale de prêt se trouve déséquilibré par l'accroissement des collections pour enfants. Les adultes qui n'ont déjà que trop tendance à lier étroitement l'action de la Bibliothèque centrale de prêt à l'école se trouvent devant des possibilités de choix restreintes et ont l'impression d'être sacrifiés. Pour remédier à cette situation on ne peut qu'envisager de créer, en dehors des groupes scolaires, des dépôts destinés aux adultes, mais se pose alors le problème de trouver un dépositaire hors du milieu pédagogique.

Les tableaux statistiques 2 mettent en évidence la quasi-disparition du bibliobus-caisse au profit du bibliobus-rayon qui permet au dépositaire de choisir lui-même son lot d'ouvrages. Dans quelle mesure peut-on voir là une préfiguration du prêt direct ? A l'heure actuelle, celui-ci ne peut être qu'exceptionnel avec les moyens dont disposent les bibliothèques centrales de prêt : il requiert beaucoup plus de temps, par conséquent plus de personnel, davantage de véhicules. Il n'exclut pas absolument la pratique du dépôt, ne serait-ce qu'en raison des heures de loisir tardives de nombreux ruraux. Par ailleurs il semble imcompatible avec les habitats dispersés et le caractère souvent timide et méfiant du rural.

Toutefois Mlle Untersteller, directrice de la Bibliothèque centrale de prêt du Bas-Rhin, a tenté quelques expériences très révélatrices de son efficacité et de ses avantages. Ainsi, à Hohengoeft (323 h), Rangen-Mittelkurz (140 h) et Zeinhein (122 h), on ne comptait qu'une seule lectrice tant que les dépôts étaient effectués à l'école. Dès la première tournée on enregistrait les résultats suivants :
48 adultes inscrits }
18 adolescents inscrits --> 222 livres empruntés.

Lors de la deuxième tournée, 20 % de la population était atteinte, soit :
59 adultes inscrits
23 adolescents inscrits --> 312 livres empruntés.

Ces expériences n'ont pu être réalisées que grâce à l'acquisition d'un deuxième bibliobus, ce, entièrement au frais de la « Société des amis de la Bibliothèque centrale de prêt ».

Le prêt direct s'est développé en Indre-et-Loire où la Bibliothèque centrale de prêt, que dirige M. Fillet, dispose de quatre bibliobus, l'Association des amis de la Bibliothèque centrale de prêt ayant permis l'achat de trois véhicules supplémentaires. L'expérience se déroule à deux niveaux, le niveau « scolaire » et le niveau « adulte ».

En Indre et Loire, depuis 1960, toutes les écoles publiques, sans exception, reçoivent toutes les cinq semaines la visite d'un bibliobus. L'enfant choisit directement son livre dans les rayons, guidé par un sous-bibliothécaire. Ainsi est-il possible d'atteindre toute la population scolaire (du moins celle des établissements d'enseignement public) quel que soit son âge. On constate qu'au bout de quelque temps les enfants procèdent à des échanges d'ouvrages accompagnés de propos sur leurs lectures, et que le quart des livres rendus est remis en circuit.

Cette forme de prêt aux enfants a par ailleurs des incidences sur la lecture des adultes : les parents lisent les livres empruntés par leurs enfants, et l'on assiste à une forme de lecture « sous-terraine » que l'on se doit de souligner. En l'absence d'autres lectures, le livre scolaire semble tenir lieu de moyen d'information, phénomène qui tend à manifester la possibilité pour le livre de trouver droit de cité dans un milieu où il était inconnu jusqu'alors.

Parallèlement au prêt scolaire et au même rythme, c'est-à-dire toutes les cinq semaines, il est procédé à des dépôts pour les adultes, dont la formule est le choix direct par les dépositaires. Les demandes sont par conséquent plus rapidement satisfaites et l'amélioration se relève également dans la qualité des livres qui sont plus nouveaux.

Le prêt direct aux adultes en Indre-et-Loire est pratiqué dans les communes importantes, les chefs-lieux de canton (16 points desservis) et il s'avère là aussi un moyen excellent de favoriser et de vivifier la lecture. Les dépôts qui avaient été maintenus parallèlement deviennent peu à peu inutiles et tendent à disparaître. La physionomie nouvelle du bibliobus, hors de son contexte scolaire, constitue donc la meilleure publicité en faveur de la lecture publique rurale, sinon agricole (le public atteint reste en effet beaucoup plus rural qu'agricole.)

Là où le prêt direct ne peut, pour des raison budgétaires, être appliqué, il reste possible de favoriser l'activité de la Bibliothèque centrale de prêt en resserrant les liens entre le bibliothécaire et les dépositaires, expérience qui tend à se multiplier et qui se concrétisa, tout récemment, dans le Loiret où fut organisée une journée d'étude qui réunissait la plupart des dépositaires 3.

Un indice particulièrement concret de l'activité des bibliothèques centrales de prêt consiste dans le nombre de leurs tournées hebdomadaires. La moyenne de une à cinq tournées par semaine est restée à peu près stationnaire. Dans certains départements on note une augmentation du nombre des tournées depuis 196I, par exemple :

Or, il apparaît que l'attitude des conseils généraux et des conseils municipaux est déterminante pour l'expansion de la lecture publique. En Indre-et-Loire, la subvention du Conseil général accordée à l'Association des amis de la bibliothèque (entre 100 000 F et 140 000 F en moyenne par an) a permis, depuis 1960, d'acheter des livres en plus grand nombre, d'acquérir trois nouveaux véhicules et de recruter trois sous-bibliothécaires et deux chauffeurs. L'aspect nouveau des services rendus a permis de demander aux lecteurs une cotisation qui, pour être modique (I,50 F pour les enfants et 2 F pour les élèves de C.E.G. et les adultes), n'en est pas moins appréciable puisque l'aide financière ainsi obtenue dépasse 30 000 F par an. A ces chiffres, il faudrait encore ajouter les subventions communales. Dans le Tarn, le Conseil général s'est montré très favorable à la bibliothèque centrale de prêt; le deuxième bibliobus 4 offert par le département en 1966 et l'accroissement de la subvention départementale constituent une promesse d'expansion. Citons enfin un ancien service départemental érigé en Bibliothèque centrale de prêt du Pas-de-Calais en 1966 qui procède à neuf tournées par semaine : la bibliothèque dispose de trois véhicules, elle emploie seize personnes, elle reçoit l'aide de l'Institut pédagogique national, de l'Inspection académique, de l'Association des Amis de la Bibliothèque centrale de prêt, et une subvention du Conseil général s'élevant à 300 ooo F.

S'il existe à l'heure actuelle quarante et une bibliothèques centrales de prêt et si des services départementaux, dont treize sont subventionnés par la Direction des bibliothèques et de la lecture publique, ravitaillent d'autres départements, certaines régions sont encore complètement dépourvues de tels services.

Dès l'origine s'est révélée l'importance capitale de la demande scolaire qui, depuis, ne cesse de s'accroître et que l'on s'est toujours efforcé de satisfaire au détriment peut-être de la lecture des adultes. Une nouvelle méthode de distribution, fondée sur le principe du prêt direct, permettrait d'étendre les services du bibliobus à l'ensemble de la population, avec plus de dynamisme et d'obtenir des résultats plus profonds et durables. C'est d'abord un problème des moyens. Actuellement chaque Bibliothèque centrale de prêt coûte à l'État en moyenne 109 612 F, soit 0,3I F par habitant, pour les 14 000 000 théoriquement desservis. Si l'on tient compte des subventions diverses, principalement départementales et communales, on atteint le chiffre de 0,4I F par habitant.

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Dépôts dans les départements

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Nombre de tournées

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Tableau (1/2)

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Tableau (2/2)

  1. (retour)↑  Voir : B. Bibl. France, 7e année, N° 12, décembre 1962.
  2. (retour)↑  Voir ci-dessous, en annexe.
  3. (retour)↑  Voir : Bull. Bill. France, 12e année, N° 6, juin 1967, p. 254.
  4. (retour)↑  Un deuxième bibliobus fonctionne également en Seine-et-Oise et dans l'Isère.