La phonothèque nationale

Roger Décollogne

La Phonothèque nationale créée en 1938 a une double mission : recevoir en dépôt légal (institué par la loi du I9 mai 1925), conserver les documents phonographiques de toute catégorie, qu'elle prête au public sous certaines conditions. Elles a en outre repris les activités du « Musée de la parole », en enregistrant elle-même, ce que ne réalisent pas les firmes commerciales, les « voix célèbres » et un grand nombre de documents ethniques.La structure de la Phonothèque nationale s'est vue remaniée au fur et à mesure de l'accroissement de ses tâches et sa gestion pose différents problèmes qui vont du choix d'un personnel qualifié au traitement des collections et à la mécanisation des fiches de catalogue.

De nombreux articles de presse, la participation à plusieurs émissions radiophoniques, trois émissions télévisées, deux productions cinématographiques, ont, au cours des dernières années, appelé l'attention du grand public sur la Phonothèque nationale 1. Et pourtant, aucune des informations ainsi diffusées ne fut complète, car la presse, la radio, la télévision et le cinéma sont, par nature, contraints de sélectionner, donc de passer sous silence certains éléments, en réalité importants.

Qu'est-ce que la Phonothèque nationale française ? Quelle fut sa genèse et quelles sont ses attributions ? Quel rôle joue-t-elle et quelle place prendra-t-elle dans l'avenir ? Autant de questions auxquelles nous allons nous efforcer de répondre.

I. Naissance de la phonothèque nationale

Le 16 avril 1877, un Français génial mais quelque peu farfelu, C. Cros, qui occupait le modeste emploi de professeur adjoint, déposa à l'Académie des sciences un pli cacheté dans lequel il décrivait un procédé de reproduction des « phénomènes perçus par l'ouïe ». D'après ses contemporains, il voulait appeler « paléophone » l'appareil qu'il imaginait; mais il ne fut pas pris au sérieux.

La première véritable machine parlante fut construite par Edison au mois de décembre 1877 et baptisée « phonographe ». Dès lors, un nouveau mode d'expression était né et l'imagination de Jules Verne remplaçait déjà la correspondance écrite par la correspondance sonore dans Les Tribulations d'un Chinois en Chine.

A côté des cyclindres de cire, firent leur apparition, en 1893, les premiers disques pour « gramophone ». Nos modernes microsillons sont encore actuellement fabriqués selon les procédés qu'utilisait Berliner en 1893.

Il était logique de concevoir dès l'origine que tous ces enregistrements devraient être rassemblés dans un établissement spécialisé comme l'étaient les livres dans les bibliothèques.

Dès 1899, l'Académie des Sciences de Vienne (Autriche) définissait les structures d'un tel établissement et créait des archives phonographiques. En 1904, Berlin était doté à son tour d'un tel service.

En France, c'est l'initiative privée qui fut à l'origine de la création des « Archives de la Parole ». En effet, ce sont les Frères Pathé qui proposèrent à l'Université de Paris d'installer un laboratoire d'enregistrement où l'on graverait dans la cire toutes les voix que l'on voudrait conserver. Les Frères Pathé offraient de fournir gratuitement le matériel et le technicien nécessaires. Cette offre fut acceptée et l'inauguration de ce service eut lieu en grande solennité le 3 juin 1911. Après de brillants débuts, l'activité fut singulièrement ralentie par la première guerre mondiale; mais au lendemain de celle-ci, le législateur, prenant conscience de l'importance des nouveaux modes d'expression, décidait dans une loi du 19 mai 1925 d'étendre le dépôt légal des livres aux oeuvres phonographiques et cinématographiques.

Si l'on en croit certains recoupements effectués à partir de bribes de correspondances anciennes, on est conduit à penser que c'est pour tenir compte des dispositions de la loi nouvelle que les Archives de la Parole furent transformées en 1928 en « Musée de la Parole et du Geste ». L'installation du nouvel organisme se fit dans un immeuble prêté par la Ville de Paris à l'Université et situé au n° 19 de la rue des Bernardins, à Paris (5e). A cette époque, la Bibliothèque nationale alors enfermée dans un quadrilatère inextensible et qui connaissait déjà des soucis pour son développement, fit savoir qu'elle n'était pas en mesure d'accueillir de nouveaux types de documents.

En même temps, dans la presse, Gabriel Timmory insistait pour que le service qui serait chargé de la conservation des documents sonores prît le titre de « Phonothèque nationale ».

La conjonction des efforts d'un certain nombre de personnalités, parmi lesquelles il faut citer en particulier M. Grunebaum-Ballin, Conseiller d'État et M. Julien Cain qui avait été nommé, au printemps de 1930, Administrateur général de la Bibliothèque nationale, devait aboutir, sur la proposition de Jean Zay, Ministre de l'Éducation nationale, à la signature d'un décret en date du 8 avril 1938, qui instituait une Phonothèque nationale où seraient « déposés les documents phonographiques de toutes catégories destinés à être conservés ». Le décret ajoutait que la Phonothèque nationale serait installée au Musée de la Parole et qu'elle contistuerait une annexe de la Bibliothèque nationale pour l'application de la loi du 19 mai 1925 aux documents phonographiques.

Ainsi donc, dès l'origine, la mission de la Phonothèque nationale s'avérait double :
- recevoir le dépôt légal;
- conserver également toutes les autres catégories de documents phonographiques.

Elle était administrée par un Comité où étaient notamment associés l'Université de Paris, la Bibliothèque nationale et le Ministère de l'Intérieur (dépôt légal).

2. Attributions et structures

A. Les collections sonores.

a) Recevoir le dépôt légal des œuvres phonographiques constitue la première des tâches de la Phonothèque nationale. Il semblerait, au premier abord, que ce rôle soit extrêmement facile. En réalité, ce fut tout le contraire pendant de nombreuses années.

En 1938, alors que l'économie française n'était pas des plus prospères, les éditeurs de disques ont estimé qu'ils n'avaient pas à appliquer une loi de 1925 que tout le monde avait perdue de vue; les premiers appels au dépôt restèrent donc sans succès.

Puis vint la « drôle de guerre » apportant jour après jour dans le cœur des Français sa dose d'angoisse. C'est alors que les éditeurs, voyant s'ériger autour de nos monuments publics des barrières de protection contre les raids aériens, connurent la peur de voir leurs usines détruites; ils se tournèrent d'eux-mêmes vers la Phonothèque nationale pour demander que l'État sauve de la destruction le fruit de leur travail, et, le 25 janvier 1940, un premier colis de disques était déposé. Dans les premiers mois de cette année-là, les grands éditeurs firent des dépôts massifs.

Mais après cet élan, l'édition phonographique connut les sombres heures de l'occupation; la production tomba à un niveau extrêmement bas, car la matière première faisait défaut. Les producteurs suppliaient les particuliers de leur revendre au poids les vieux disques, afin de pouvoir en refondre la pâte. Bien entendu, tout cela ne donnait qu'un résultat médiocre en quantité et en qualité.

La France étant coupée en deux et sa capitale administrative étant installée à Vichy, le Ministère de l'Intérieur replié ne trouva rien de mieux que de promulguer, le 21 juin 1943, une nouvelle loi sur le dépôt légal; ce texte ignorait complètement l'existence de la Phonothèque nationale et osait suspendre les règles concernant le dépôt des oeuvres phonographiques jusqu'à l'intervention d'un règlement d'Administration publique.

A la Libération, cette loi fut validée. Heureusement, la plupart des éditeurs avaient compris que leur véritable intérêt consistait à respecter les dispositions antérieurement en vigueur, et d'autre part, ils avaient pris l'habitude d'effectuer ce dépôt.

Cependant, des pointages effectués en 1953 ont montré bien des lacunes dans le fonds. En outre, l'apparition de la gravure microsillon en 195I et le développement de sa diffusion en 1952 soulevèrent de graves difficultés. Les nouvelles matières premières utilisées pour la pâte, l'accroissement considérable de la durée de l'enregistrement gravé sur un seul support, entraînèrent une augmentation énorme du prix des disques. Aussi les éditeurs cherchèrent-ils un moyen de diminuer leurs frais généraux en réduisant leurs dépôts. Ils invoquèrent les dispositions de la loi relatives aux livres de luxe et remirent leurs disques en un seul exemplaire. Beaucoup trichèrent même en espaçant leurs envois et en prétextant que certains disques très demandés s'étaient trouvés pratiquement épuisés. La Phonothèque nationale connut alors des heures difficiles, qui coïncidèrent avec sa séparation du Musée de la Parole.

Lorsque M. Julien Cain me fit charger de mission, mon premier soin fut de faire respecter la loi. Depuis, nous n'avons pas cessé de harceler les éditeurs, car le monde de l'édition phonographique est très mouvant et chaque année apparaissent en moyenne 50 marques nouvelles, se substituant à 50 marques qui disparaissent, dans le même temps que certaines marques changent d'éditeurs. Il faut y ajouter la détection toujours très difficile des importateurs, et la découverte des éditions clandestines vendues sous le manteau; dans ce dernier cas, c'est la justice qui nous apporte maintenant son concours, lorsque de telles éditions sont saisies pour atteinte à l'ordre moral ou à l'ordre public. Il faut reconnaître que le décret n° 63-796 du Ier août 1963, qui complète la lacune de la loi du 2I juin 1943, nous apporte une aide précieuse, car il précise sans ambiguïté les obligations des éditeurs et producteurs de disques. Aussi croyons-nous utile d'en reproduire l'essentiel ci-après :
Article premier. - En application de l'article premier de la loi du 21 juin 1943 modifiant le régime du dépôt légal, les œuvres phonographiques mises publiquement en vente, en distribution, en location ou cédées pour la reproduction sont soumises à la formalité du dépôt légal. Par œuvres phonographiques s'entendent les enregistrements sonores de toute nature, quel que soit le support matériel ou le procédé technique utilisé.
Art. 2. - Le dépôt est effectué auprès de la Phonothèque nationale. Les exemplaires déposés doivent être conformes aux exemplaires courants, fabriqués, mis en vente, en distribution ou en location et, notamment, comporter les pochettes, emboîtages, reliures et notices qui les accompagnent.
Art. 3. - En application des articles 6 et 8 de la loi du 21 juin 1943, ce dépôt incombe au producteur et à l'éditeur qui doivent remettre chacun un exemplaire complet à la Phonothèque nationale, préalablement à sa mise en vente, en distribution ou en location, dans les conditions fixées par le décret du 21 novembre 1960 susvisé. Lorsque la même personne physique ou morale assure à la fois la production et l'édition, au sens défini par les articles visés ci-dessus, le dépôt des deux exemplaires lui incombe. Les œuvres phonographiques importées sont également soumises à la formalité du dépôt légal. Toute réédition, même partielle, d'une œuvre phonographique, doit être déposée au même titre qu'une œuvre nouvelle.
Art. 4. - Le dépôt est fait directement ou par voie postale; dans ce dernier cas, il bénéficie de la franchise, dans les conditions fixées par l'arrêté du 4 août 1943.

Ajoutons que ce texte a été rendu applicable aux départements d'outre-mer par le décret n° 64-573 du 17 juin 1964. En outre le décret du 2I novembre 1960, visé à l'article 3, fait obligation aux éditeurs de remettre les exemplaires du dépôt légal 48 heures avant leur diffusion. Cette disposition évite les dépôts massifs que certains éditeurs effectuaient en groupant leurs livraisons tous les trois mois.

Pour illustrer cette partie importante de l'activité de la Phonothèque nationale, rien ne vaut de citer quelques chiffres. Dans ses 15 premières années, la Phonothèque nationale reçut 17 586 disques. C'est le fonds devant lequel nous nous sommes trouvés en 1953. S'il avait fallu, à partir de ce bilan, établir des prévisions d'avenir, celles-ci se seraient rapidement révélées fausses; en effet, en 5 ans, de 1954 à 1958 inclus, le dépôt légal apporta 2I 064 disques. C'est au cours de cette même période que le disque à aiguille disparut pour céder progressivement la place au disque microsillon.

En 1959 apparaît la gravure stéréophonique, et dans les 5 années qui vont jusqu'en 1963 inclus, la Phonothèque nationale reçoit 31 801 disques.

Depuis lors, la production phonographique française semble devoir se fixer à une moyenne annuelle de 7 500 disques. Le total des années 1964 et 1965 réunies est de 15 307 disques et celui des 9 premiers mois de l'année 1966 dépasse 5 500 disques. Le graphique ci-dessous résume cette évolution.

Il faut ajouter quelques précisions à ces chiffres. Tout d'abord, les nombres ci-dessus correspondent à un exemplaire de chaque disque. C'est donc le double que doivent absorber nos magasins, puisque l'obligation du dépôt porte sur deux exemplaires. En outre, le compte est fait par « support » et non par oeuvre; un seul support peut contenir jusqu'à 20 documents, alors qu'un seul opéra nécessite en moyenne quatre supports. Pour mieux expliquer encore ceci, nous prendrons à titre d'exemple les chiffres de 1965. Si nous retirons des 7 436 disques déposés, les 400 disques qui correspondent à des périodiques ou à des éditions publicitaires, nous constatons que, sur 7 000 supports, nous avons 39 366 documents.

Le contrôle auditif de la totalité des disques de 1965 correspond à plus de 3 000 heures d'écoute. Il ne faudrait pas en déduire cependant que le personnel occupe une situation enviable, car en dehors de quelques contrôles par sondages, et des auditions fragmentaires parfois nécessaires pour établir la notice de dépouillement, ces disques restent muets pour ceux qui les manipulent.

Pour en terminer avec le dépôt légal, il faut encore indiquer que, depuis 1962 il apporte également à la Phonothèque nationale des bandes magnétiques que les techniciens ont dotées du qualificatif de « pré-enregistrées »; ces bandes magnétiques sont enregistrées tantôt en monophonie et tantôt en stéréophonie; leur vitesse de défilement est de 9,5 cm ou de 19 cm. Enfin, à côté de ces bandes magnétiques ordinaires, nous recevons depuis 1966 des bandes spéciales vendues vous la dénomination de « cassettes » ou de « cartouches ».

Pour répondre à une question qui est très souvent posée par ceux qui considèrent le disque seulement comme un objet de distraction, ajoutons que la part occupée par les variétés correspond seulement, en nombre de supports, à la moitié de l'édition.

b) La deuxième des attributions de la Phonothèque nationale, c'est-à-dire la conservation de tous les documents phonographiques, empiétait très nettement sur la mission du Musée de la Parole. Or, il se trouvait que ce musée connaissait une activité très ralentie depuis 1936 et que, devant cette léthargie, la Société Pathé lui avait retiré le concours de son technicien et de son matériel. Mais comme le responsable du Musée de la Parole avait été nommé conjointement directeur de la Phonothèque nationale, il fit aussitôt admettre par le Comité de la Phonothèque nationale que celle-ci devait procéder elle-même aux enregistrements que ne réalisaient pas les firmes commerciales; notamment tout le monde se trouvait d'accord sur la nécessité de conserver les « voix célèbres », dans une tradition qu'avait inaugurée en 1912 le Pr. Ferdinand Brunot en enregistrant la voix de Guillaume Apollinaire. En outre, la passion de Roger Devigne pour le folklore devait le conduire à réserver une part importante de son travail à l'enregistrement de la musique ethnique. Depuis lors, l'activité de la Phonothèque nationale dans ces deux branches particulières ne s'est jamais ralentie. Le produit de cette activité donne un total de 3 ooo documents sonores.

c) Parallèlement, pour répondre à de nombreuses demandes, la Phonothèque nationale a entrepris en 196I un autre travail de longue haleine : la recherche systématique de tous les disques antérieurs à l'application du dépôt légal, en vue de constituer une collection aussi complète que possible de tous les enregistrements sonores publiés depuis l'origine du phonographe. Il s'y ajoute aussi un certain nombre de fragiles rouleaux de cire, qui ont pu surmonter l'épreuve du temps. Cette glane a rapporté plus de 25 000 pièces dont un grand nombre nous ont été données.

C'est à ce fonds ancien qu'il faut ajouter les 15 000 disques du Musée de la Parole dont le rattachement administratif à la Phonothèque nationale a été prononcé en 1963.

d) Enfin, depuis 1966, fonctionne un service d'achats à l'étranger (Chine, Canada, États-Unis, Grande-Bretagne) et d'échanges internationaux (U.R.S.S.).

B. Musée historique du Phonographe.

Parallèlement aux enregistrements eux-mêmes, le Musée de la Parole d'abord, la Phonothèque nationale ensuite, ont été contraints de s'équiper des matériels de lecture correspondant aux différents modes d'enregistrement : phonographes à cylindre (pour rouleaux de toutes tailles), gramophones à disques (avec le double mode de lecture à saphir ou à aiguille), Téfiphones (pour la lecture des bandes gravées Téfi), magnétophones à fil, magnétophones à bandes, électrophones pour disques microsillons à trois vitesses, et aujourd'hui magnétophones à cassettes. Mon prédécesseur avait ainsi rassemblé une cinquantaine d'appareils exposés dans une petite salle sous le titre de « Rétrospective ».

Cette exposition, qui avait été fermée lors de la scission intervenue en 1953 entre le Musée de la Parole et la Phonothèque nationale, intéressait un assez grand nombre de visiteurs. C'est pourquoi, dès que la chose fut possible, nous avons présenté dans des vitrines les 16 appareils qui étaient la propriété de la Phonothèque nationale et nous nous sommes efforcés à la fois de « récupérer » le matériel du Musée de la Parole, et d'enrichir notre propre fonds. Le succès de ces deux tentatives nous place aujourd'hui devant une collection de plus de 300 phonographes, auxquels s'ajoutent 23 instruments de musique mécanique, - celle-ci pouvant être considérée comme l'ancêtre de la reproduction mécanique des sons.

Il fallait donner à ces appareils variés et quelque peu disparates un ordre à la fois logique et chronologique. C'est ce que nous avons fait en présentant une partie de la collection sous le titre de « Musée historique de l'enregistrement et de la reproduction sonore » que nous abrégeons habituellement en « Musée historique du Phonographe ». Cette exposition s'accompagne d'un certain nombre de documents graphiques : portraits de Charles Cros, d'Edison, de Lioret (premier constructeur français de phonographes en 1800), Berliner, Bettini; fac-similé des deux plis de Charles Cros adressés à l'Académie des Sciences, des dessins originaux d'Edison pour la construction du premier phonographe, etc.

La visite, accompagnée d'un commentaire et illustrée par l'audition des appareils, suivie d'une présentation de quelques documents sonores 'précieux des archives, dure environ une heure et demie. De nombreux visiteurs viennent de l'étranger et quelques-uns ont fait le voyage uniquement pour cette collection. Des groupes scolaires, des associations culturelles inscrivent régulièrement cette visite à leur programme.

Il est difficile de donner ici un aperçu de la variété de cet ensemble. Nos collections sont cependant si pittoresques qu'elles ont pu servir de décor à une présentation de haute couture!

La mise en valeur dans des conditions correctes de la totalité de la collection exigerait un local de plus de 1 ooo m2, dans lequel le visiteur pourrait être guidé au moyen d'un écouteur individuel par les procédés électroniques modernes.

C. Documentation phonographique.

En 1954, la Phonothèque nationale ne possédait en fait de livres qu'un dictionnaire de musique du format livre de poche, un exemplaire du petit Larousse illustré et ... l'annuaire du téléphone! Aujourd'hui, elle possède une véritable bibliothèque, dans laquelle on trouve, à côté d'ouvrages de référence sur la musique, de nombreuses biographies de musiciens et d'artistes, un très grand nombre de catalogues de disques et pratiquement tous les ouvrages modernes et les revues contemporaines ayant trait à l'enregistrement sonore. A cela s'ajoutent des ouvrages plus anciens, des coupures de presse, des articles de revues, des photographies, des photocopies, une assez belle série d'affiches de la Belle Époque.

Ces documents sont constamment utilisés soit pour répondre aux questions les plus invraisemblables qui nous sont posées soit pour illustrer des productions télévisées ou cinématographiques.

Mais il faudra un jour donner à la Phonothèque nationale les moyens lui permettant la communication de cette documentation aux lecteurs. Comme beaucoup de pièces sont très fragiles et certaines devenues pratiquement introuvables, il sera nécessaire de les faire microcopier.

D. Le laboratoire d'enregistrement et de reproduction.

Nous avons parlé plus haut des missions d'enregistrement qui alimentent le fonds exotique de la Phonothèque nationale, ainsi que de la mise en conserve des voix de nos contemporains les plus célèbres. Ces opérations justifient la présence à la Phonothèque nationale d'un laboratoire d'enregistrement et de reproduction sonore.

Mais celui-ci a aussi la tâche de recopier en les filtrant les documents anciens qui sont parfois de très médiocre qualité, non seulement en raison de l'usure ou de l'épreuve du temps, mais plus souvent parce que les procédés utilisés il y a 60 ou 70 ans étaient très imparfaits. Rendre ces documents « audibles » constitue une tâche des plus délicates mais aussi des plus exaltantes.

Le laboratoire a également pour mission de faire des copies pour l'écoute des documents qui ne figurent dans nos collections qu'en exemplaire unique. Cette opération permet, outre l'amélioration signalée ci-dessus, de préserver de la destruction un document original quelquefois de grande valeur.

Outre ces activités contribuant à la vie de la Phonothèque nationale, le laboratoire a même été appelé à travailler à maintes reprises pour le ministère des Armées.

E. Le service des auditions et des conférences.

Nous venons précisément d'évoquer la qualité que nous voulons donner à l'audition des documents qui composent notre collection; en effet, un de nos soucis majeurs est de ne pas laisser dormir dans des réserves toutes les richesses que nous accumulons. En dehors de cet échantillonnage que nous présentons en complément aux visites du musée sont organisées des auditions collectives sur des sujets divers présentés par un conférencier. Quelquefois même nos collections ont été portées à l'extérieur 2.

En dehors des auditions collectives, la Phonothèque nationale, grâce à des cabines spécialement aménagées, met, sous certaines conditions, ses collections à la disposition du public. Ses principaux « usagers » relèvent de l'Université : professeurs et étudiants. Ensuite viennent les producteurs de radio en quête d'idées nouvelles pour des émissions, les producteurs de cinéma à la recherche d'une sonorisation pour un film, les chercheurs, et... les curieux.

Il nous faut faire une mention spéciale pour deux catégories particulières. D'abord les éditeurs de disques, qui, n'ayant pas conservé certaines matrices, découvrent tout à coup l'intérêt que paraît présenter une réédition; ils sont alors très heureux de constater que nous avons conservé un exemplaire à l'état neuf à partir duquel ils effectuent un repiquage.

Enfin, nous recevons très souvent des demandes émanant des descendants d'artistes ayant connu une heure de gloire, qui cherchent, sentimentalement, à reconstituer l'héritage sonore que l'on n'avait pas songé à leur transmettre.

F. Les services administratifs.

L'évolution des différentes sections de la Phonothèque nationale, l'accroissement des crédits, des effectifs, les locaux et des tâches, alourdissent considérablement le travail du secrétariat administratif. Sans nous étendre longuement sur cet aspect particulier, soulignons néanmoins quelques éléments de l'extension du service.

En 1954, en dehors du directeur, la Phonothèque nationale comptait deux employés à temps complet et trois employés à mi-temps. En 1966, l'effectif est passé à 18 employés à temps complet, le nombre des employés à mi-temps restant toujours égal à trois.

De 1949 à 1954, la subvention de fonctionnement de la Phonothèque nationale, sur laquelle était imputée la rémunération du personnel, était passée de 2 756 ooo anciens francs à 3 200 000 anciens francs (respectivement 27 560 nouveaux francs et 32 000 nouveaux francs).

Des 32 ooo francs de 1954, cette subvention est montée en 1962 à 91 500 francs, auxquels la Direction des Bibliothèques a ajouté 8 ooo francs pour des achats exceptionnels de collections destinées à constituer le début du fonds ancien.

En 1963, la Direction des Bibliothèques ayant pris à sa charge sur le budget de l'État la rétribution du personnel, la subvention de fonctionnement a été ramenée à 60 200 francs, avant d'atteindre en 1966 la somme de 82 700 francs.

Ces sommes sont encore très insuffisantes. Il ne faut cependant pas oublier que, parallèlement à l'accroissement des subventions de fonctionnement, la Direction des Bibliothèques a consenti un gros effort sur le plan de l'équipement.

G. Organisation générale.

La coordination des différentes activités de la Phonothèque nationale, telles que nous venons de les énumérer et de les décrire, imposait de construire des structures rationnelles. Celles-ci se trouvent résumées dans l'organigramme ci-après.

3. Problèmes de gestion

A. Les locaux.

Lorsque le législateur, en 1925, a institué l'obligation du dépôt légal pour les œuvres phonographiques, il ne s'est pas préoccupé des conditions matérielles dans lesquelles pourrait fonctionner cette nouvelle institution.

Le premier obstacle qui fut mis à l'application de la loi fut précisément le manque de locaux. La Bibliothèque nationale connaissait alors une grave crise de croissance et se trouvait dans l'incapacité d'accueillir un nouveau service. Lorsque M. Julien Cain fut nommé, en 1930, administrateur général de cet établissement, il fit un grand nombre d'enquêtes pour résoudre ce problème. Ce n'est qu'en 1938 que, sur sa proposition et grâce à une décision énergique du ministre de l'Éducation nationale, Jean Zay, un accord put intervenir au terme duquel le Musée de la Parole acceptait d'héberger le nouvel organisme qui recueillerait le dépôt légal des œuvres phonographiques, et qui prendrait le nom de « Phonothèque nationale ». L'Université alla même jusqu'à fournir les casiers dans lesquels devaient être rangés les disques.

Un premier pas était fait, mais combien timide! La grande pièce, où furent installés les casiers et sur la porte de laquelle une plaque de cuivre rutilante annonçait la présence de la Phonothèque nationale, ne mesurait pas plus de 58 m2. Le rangement des disques étant prévu sur trois côtés de cette salle, le quatrième mur fut affecté au fichier et le milieu fut réservé pour les postes de travail du personnel. Comme, d'autre part, il avait été décidé de donner à l'animateur du Musée de la Parole la direction de la Phonothèque nationale, cet agent bénéficiait déjà d'un bureau particulier. Enfin, le divorce entre la Société Pathé et l'Université ayant été consommé, le laboratoire d'enregistrement et de reproduction sonore du Musée de la Parole se trouvait vide : il fut tout naturellement affecté à la Phonothèque nationale.

La guerre survint en septembre 1939, alors que l'établissement n'avait pas encore pu commencer à fonctionner. Le ministère de l'Éducation nationale venait tout juste de faire inscrire dans son budget pour l'année 1940 la première subvention destinée à la Phonothèque nationale. Et en dehors du directeur, aucun agen n'était nommé. Dans ces conditions, il y avait tout lieu de prévoir que les locaux resteraient suffisants pour une longue période. A la Libération, tout le monde pouvait faire preuve de la plus grande quiétude, puisque le dépôt légal n'avait apporté que 2 800 disques.

Toutefois, à ce moment, les choses se gâtent. Pour des raisons que nous n'avons pas à évoquer ici, une tension naît entre l'Institut de phonétique et la Phonothèque nationale, et, d'aggravation en aggravation, elle aboutira à une rupture en 1953. Or, c'est pendant cette période que le dépôt légal prend peu à peu de la vigueur et remplit rapidement les casiers. A partir de 1950, la Direction des Bibliothèques est alertée et de nouvelles enquêtes commencent pour chercher un autre local.

Il n'est pas question d'énumérer ici toutes les démarches qui furent faites ni toutes les propositions qui furent étudiées. Signalons cependant que furent rejetés tour à tour les projets prévoyant un transfert à Versailles, au Château de Maisons-Laffitte, dans un hôtel particulier ou même divers appartements. Si les hôtels particuliers étaient trop chers, et leur contexture peu compatible avec les besoins de la Phonothèque nationale, les appartements, eux, furent éliminés, car il n'était pas possible d'y entreposer le poids considérable des disques. Cette charge dépassait déjà 15 tonnes en 1955.

Une de nos premières tâches fut de rechercher et de trouver un local. La Direction des Domaines de la Seine nous apporta une aide précieuse par ses conseils et son soutien, mais fut dans l'impossibilité de proposer un immeuble à une époque où tous les services administratifs connaissaient une extension véritablement extraordinaire. Les conclusions des nombreuses démarches faites étaient que, compte tenu des faibles crédits dont disposait la Direction des Bibliothèques pour cette opération, il fallait s'orienter vers la location ou l'acquisition d'un local commercial en rez-de-chaussée, avec un important sous-sol. La visite des agences immobilières n'apportant que de maigres résultats, on procéda à l'insertion de petites annonces dans quatre grands journaux quotidiens. Cette méthode fut d'une grande efficacité, puisque en très peu de temps fut reçue une centaine de propositions pour des locaux très divers dans les différents quartiers de Paris. Ces locaux étaient presque tous à louer et leurs loyers s'échelonnaient de 2 000 à 80 ooo francs 1. Mais il est d'usage pour les locaux commerciaux de verser une indemnité dite de « droit de bail » ; le montant de cette sorte de reprise oscillait entre 45 000 et 200 000 francs 3.

Les petites annonces conduisirent le propriétaire de l'immeuble mitoyen du Musée de la Parole à proposer l'acquisition d'une fraction de sa maison qu'il s'apprêtait à mettre en vente par lots. C'est ainsi que nous pûmes acquérir, après la consultation des 14 services qui durent intervenir dans cette affaire, et avec l'approbation de la Commission centrale de contrôle des opérations immobilières, un local de 210 m2 pour la somme nette de 64 000 francs.

Puis, l'amélioration des relations entre la Phonothèque nationale et l'Institut de Phonétique nous permit de garder le bureau de l'ancien directeur de la Phonothèque nationale. Et en 1963, le rattachement du Musée de la Parole à la Phonothèque nationale nous apporta, outre les nombreux disques de cet organisme, la grande pièce qui constituait autrefois le studio d'enregistrement et qui avait été transformée en réserve. Cela portait la superficie de nos locaux à 332 m2.

Mais la croissance galopante des collections nous étouffait chaque jour davantage. Aussi attendions-nous avec impatience les vastes locaux que M. Julien Cain nous avait promis dans le nouveau bâtiment érigé pour la Bibliothèque nationale à l'angle des rues de Richelieu et de Louvois dont nous n'ignorions pas, bien sûr, que la première partie prenante de cet immeuble était le département de la musique. C'est finalement sur l'initiative de M. Étienne Dennery, nouvel administrateur de la Bibliothèque nationale, que le transfert eut lieu. Depuis le Ier octobre 1965, la Phonothèque nationale dispose donc de locaux supplémentaires, dans lesquels a été transféré le service du dépôt légal des oeuvres phonographiques. La superficie totale de cette section est de 9II m2, qui se répartit en 142 m2 pour six bureaux, 180 m2 pour la salle des catalogues qui occupe une partie du magasin, 30 m2 pour la réception du public et les cabines d'audition et 540 m2 pour les réserves où sont entreposés les disques et bandes magnétiques.

B. Le personnel.

Les difficultés de recrutement du personnel ne sont pas propres à la Phonothèque nationale, puisqu'elles constituent actuellement une des caractéristiques majeures de la Fonction publique; toutefois, elles présentent dans notre établissement un aspect particulier.

D'abord, comme dans beaucoup de bibliothèques, notre effectif est quantitativement insuffisant. A l'origine, la Phonothèque nationale possédait un directeur en titre qui était rémunéré par l'université de Paris en raison de ses fonctions au Musée de la Parole; cela lui permit même d'utiliser le personnel de l'un pour le service de l'autre. Puis, au lendemain de la guerre, il put s'adjoindre une secrétaire, et en 1949, il recruta un premier vacataire qui travaillait à mi-temps. La même année, il engageait un garçon de laboratoire pour les prises de son et les copies d'enregistrement. En 1954, le nombre des vacataires était passé à trois, ce qui donnait un effectif total de deux agents à temps complet et de trois agents à mi-temps. A la fin de 1965, cet effectif est passé à dix-huit agents à temps complet, le nombre des employés à temps partiel étant resté de trois.

Mais les tâches se sont tellement accrues non seulement en volume, mais encore en diversité, qu'il faudrait raisonnablement une soixantaine de personnes pour faire fonctionner à plein rendement tous les services de la Phonothèque nationale. A ceux qui seraient tentés de s'étonner d'une telle prétention, nous pouvons signaler que l'O.R.T.F. utilisait ces dernières années pour sa seule discothèque 54 personnes, dont plus de 30 étaient affectées au catalogage 4. C'est en faisant des compressions sur le personnel chargé du catalogue, grâce à la mécanisation, -comme nous le verrons plus loin, - que l'on pourrait donc assurer toutes les missions de la Phonothèque nationale avec 60 personnes seulement.

Néanmoins, le plus important problème reste celui de la qualification des agents. Tant que le ministère de l'Éducation nationale a versé une subvention qui correspondait à la fois aux dépenses de matériel et de personnel, il était vain de se préoccupper de la dénomination que l'on donnerait aux employés qui n'étaient placés sous la protection d'aucun statut, et dont la rémunération horaire était sensiblement égale à celle que l'on alloue aux femmes de ménage. Mais il fallut bien des années avant que le ministère des Finances n'acceptât le transfert sur le chapitre du personnel des Bibliothèques, dans le budget de l'Éducation nationale, des crédits correspondant aux rémunérations; cette mesure n'intervint qu'en 1963.

En effet, il convenait de choisir un nom pour nos agents. Comme ils étaient peu nombreux, d'origines diverses, de fonctions différentes, la solution choisie fut de les intégrer dans le corps des contractuels; en bas de l'échelle, se trouvaient les assistants, comme dans les bibliothèques, mais pour les emplois moyens et supérieurs, on se rallia aux termes de « sous-phonothécaire » et « phonothécaire ». Un grand pas avait été franchi, puisque le personnel était appelé à bénéficier de la protection d'un statut et que, d'autre part, l'État reconnaissait enfin l'existence d'une profession nouvelle. Deux étapes restent encore à parcourir : fixer d'une façon définitive dans quelles conditions seront recrutés les phonothécaires contractuels, et surtout leur ouvrir les portes du corps scientifique des Bibliothèques afin qu'ils puissent accéder à la titularisation.

Là encore, il faudra vaincre bien des difficultés, car il n'existe pas un enseignement supérieur musical calqué sur l'enseignement supérieur des sciences, du droit ou des lettres. Une enquête minutieuse a révélé que la seule formation à la carrière de phonothécaire était donnée par une section spéciale du lycée de Sèvres préparant aux métiers et commerces de la musique. D'excellents éléments sortent de cet établissement : la plupart font carrière à l'O.R.T.F. ou dans les postes de radio périphériques; certains ont trouvé un débouché nouveau dans les discothèques qui font partie des maisons de la culture; la Phonothèque nationale a recruté aussi parmi eux de très bons collaborateurs. Mais des difficultés subsistent du fait que le Brevet de technicien supérieur délivré à l'issue de la scolarité à Sèvres n'est pas assimilé à une licence, même lorsque les diplômés étaient antérieurement titulaires du baccalauréat.

Une autre expérience vécue a montré que les possesseurs du « Certificat d'aptitude à l'enseignement de la musique » pourraient faire également des phonothécaires compétents; mais la direction des personnels enseignants n'accepte pas d'en affecter à la Phonothèque nationale; en cas de succès au concours, les candidats doivent obligatoirement exercer dans un lycée ou renoncer à leur diplôme. Quant à l'enseignement dispensé par le Conservatoire national supérieur de musique ou par les Conservatoires de musique de province, il ne peut conduire en aucun cas à une carrière dans un établissement assimilé aux bibliothèques.

Certains ne manqueront pas de s'étonner que la recherche de personnel ait été faite essentiellement dans le cadre des institutions qui préparent à l'enseignement musical. Cela tient au fait que la grosse majorité des enregistrements sonores concerne la musique.

Il n'est pas inconcevable que, dans un proche avenir, l'École nationale de bibliothécaires crée dans son enseignement une option « Phonothèque » pour laquelle les élèves recevraient une instruction musicale, comparable à celle qui est actuellement dispensée dans les sections spéciales du lycée de Sèvres pour l'obtention du brevet de technicien dont nous parlions tout à l'heure, ou du lycée La Fontaine, pour la préparation au Certificat d'aptitude à l'enseignement de la musique. C'est seulement lorsqu'elle aura été dotée de fonctionnaires provenant d'un tel recrutement que la Phonothèque nationale pourra considérer qu'elle a atteint, dans l'échelle des établissements publics nationaux, le niveau qui lui convient.

C. Le matériel et les méthodes.

Dans beaucoup de domaines, la Phonothèque nationale se différencie peu des bibliothèques; c'est pourquoi nous nous contenterons de développer ici certains aspects qui font sa particularité.

Puisque nous avons abordé le problème des locaux, en fonction du rangement des disques, signalons que la méthode qui semble actuellement la meilleure pour leur conservation est le rangement vertical. Cette conclusion résulte des expériences effectuées non seulement à l'étranger, mais aussi par le Musée de la Parole dont les premiers disques sont en rayons depuis 19II.

Mais la bonne solution, que nous n'avons pu encore - malheureusement -mettre en pratique, serait, pour la conservation à longue échéance des disques, de ranger ceux-ci verticalement sur des tablettes inclinées, dont le fond serait perpendiculaire à la tablette, selon le principe qui a été adopté pour le transport des livres dans les bibliobus. Ce procédé permettrait de répartir la charge du disque en deux points et aurait pour effet d'annuler l'excès de fragilité qui a été constaté à l'endroit du disque qui repose sur la tablette.

Pour les bandes magnétiques, le principal ennemi de leur conservation est constitué par les champs magnétiques. Il n'existe pas encore d'appareil permettant de détecter ceux-ci; nous en sommes encore à attendre l'apparition d'une sorte de compteur Geiger que nous pourrions promener dans nos réserves pour y détecter la présence éventuelle d'un magnétisme quelconque.

La deuxième singularité de la Phonothèque nationale est de posséder un laboratoire d'enregistrement et de reproduction sonore; celui-ci effectue des prises de son pour faire entrer dans nos collections des documents d'un grand intérêt historique ou littéraire ou artistique, mais qui ne présentent, par contre, aucun intérêt commercial, et de ce fait, ne tentent pas les éditeurs. En second lieu, ce laboratoire remplit pour nous les fonctions d'un atelier de restauration : par un « repiquage » savant, faisant intervenir des filtres très sensibles, on réussit à rendre audibles des disques qui ont été enregistrés, il y a plus de soixante ans avec des instruments rudimentaires, et qui ont, en outre, souvent souffert d'une manipulation peu soigneuse. Ces travaux de remise en état sont effectués d'une façon systématique, car il a toujours été admis que notre établissement ne devait pas se contenter d'emmagasiner pour l'avenir sans donner dans le présent la moindre possibilité de consultation. Mais il est bien évident aussi que celle-ci ne peut pas se faire par l'accès direct du public aux collections.

La tâche la plus astreignante, la plus ingrate et la plus complexe consiste dans le catalogage de toute cette masse de disques que nous recevons. A l'origine, avaient été créés trois fichiers :
- les fiches du premier contenaient la description complète d'un disque;
- dans le deuxième étaient classées par ordre alphabétique les fiches de noms, qu'il s'agisse des compositeurs, des auteurs littéraires ou des interprètes;
- le troisième fichier était systématique et contenait dans chaque genre les fiches classées par titre.

Le premier fichier constitue une nouveauté par rapport à ce qui se fait dans les bibliothèques; il a été continué sur sa lancée première et a pris le nom de catalogue général des marques; en effet, les fiches y sont classées d'après le nom d'édition figurant sur l'étiquette, et dans l'ordre numérique du numéro qui a été donné par l'éditeur. Un même éditeur peut diffuser plusieurs marques, dont parfois aucune ne correspond au nom de l'entreprise. On pourra facilement s'en rendre compte en consultant le tableau de l'édition phonographique française de 1966, qui a été ajouté en annexe à la présente étude. Ce fichier spécial se révèle d'une très grande utilité; son usage est réservé au personnel de la Phonothèque nationale, qui y recourt quotidiennement pour une quantité de recherches et de pointages.

Le deuxième fichier a été scindé dès 1955 pour donner naissance, d'une part, au catalogue des auteurs et compositeurs et, d'autre part, au catalogue des interprètes ou exécutants.

Il s'est avéré que le troisième fichier n'était facilement utilisable que par des consultants avertis; c'est pourquoi nous l'avons doublé par un fichier général de titres classés alphabétiquement. On comprendra aisément que la plupart de ceux qui viennent rechercher l'enregistrement d'un grand air lyrique ne savent pas toujours, pour certaines œuvres, s'il s'agit d'un opéra, d'un opéra-comique ou d'un drame lyrique.

Au temps où n'existaient que les disques dits de 78 tours, le travail du catalogage était relativement simple, car chaque disque ne pouvait pas contenir plus de deux oeuvres. Aujourd'hui, cela correspond aux disques simples de 17 cm réservés principalement à l'utilisation en juke-box et qui sont de loin les moins nombreux. La plupart des disques de 17 cm, c'est-à-dire les plus petits, comportent au moins quatre oeuvres. Pour chacun de ces disques, le minimum des fiches à établir est de 14.

En faisant un saut à l'autre extrémité, nous avons pu constater que pour certains disques de 30 cm particulièrement touffus, nous dépassions facilement 120 fiches.

Le problème était, dès lors, de faire face à un tel travail; deux solutions se présentaient :
- ou bien multiplier les effectifs du personnel jusqu'à concurrence de l'effectif nécessaire, ce qui exigeait en outre des locaux beaucoup plus importants;
- ou s'efforcer de mécaniser ce travail.

Dans une première période, la Direction des Bibliothèques a bien voulu accepter partiellement la première solution, pour la simple raison qu'il n'existait aucun matériel susceptible de faire les fiches. Mais en même temps, nous avons poursuivi les études de mécanisation, car il était évident que la Phonothèque nationale ne pourrait pas obtenir, avant 1975 au moins, les 45 personnes qui auraient été nécessaires pour le catalogage, si l'on avait utilisé les méthodes adoptées par la radiodiffusion-télévision française. Cette recherche se révéla d'autant plus difficile que dès le départ, il avait été prouvé que les grands ensembles mécanographiques I.B.M. ou Bull étaient absolument inutilisables pour la confection des fichiers accessibles aux public. En soi, cette constatation était d'ailleurs fort heureuse, car il était certain que l'administration n'allouerait jamais les crédits considérables nécessaires à la mise en service de tels ensembles pour la simple confection d'un catalogue sur fiches.

Mais notre enquête sur des matériels mécanographiques plus simples et donc relativement très bon marché a fini par aboutir, si bien que la Direction des Bibliothèques nous a attribué une subvention grâce à laquelle un premier groupe de trois machines vient d'être installé dans nos locaux neufs de la rue de Louvois. Après la période d'essai sur place, qui est actuellement en cours, - et qui succède aux essais qui avaient été faits chez le constructeur avant la passation de la commande, - ce premier atelier fonctionnera en régime de croisière dès le début de janvier 1967. Il serait trop long de décrire ici les opérations complexes qu'il a fallu réaliser sur des machines utilisées habituellement pour tenir des comptabilités d'entreprises ou pour dresser des états de salaire. Il serait très ardu aussi d'expliquer le détail de leur fonctionnement.

Contentons-nous donc de le résumer ainsi : sur une première machine, une employée frappe la fiche descriptive de la totalité d'un disque; la machine en même temps perfore une bande de papier; lorsque tous les éléments du disque ont été ainsi transférés en perforations, la bande est coupée et collée à ses deux extrémités pour former une boucle. Cette boucle passe ensuite sur une machine lectrice dans laquelle on a inséré au préalable un programme établi une fois pour toutes et qui donne l'ordre dans lequel doivent se présenter les différents éléments qui figureront sur les fiches secondaires (la fiche descriptive étant considérée comme la fiche principale). La machine lectrice fera donc autant de fiches qu'il y aura d'auteurs ou de compositeurs, d'interprètes ou d'exécutants, de titres et de genres; elle réglera elle-même l'ordre des termes, faisant toujours passer en tête une autre vedette à chaque changement de fiche, imprimant cette vedette en rouge, et réglant les espacements nécessaires pour passer d'une fiche à la fiche suivante. Le lecteur pourra voir sur une des photographies qui accompagnent cet article le premier ensemble de trois de ces machines qui viennent d'entrer en service.

Signalons au passage, pour la petite histoire, qu'un des problèmes qui s'est révélé le plus difficile à résoudre, a été celui de l'approvisionnement en fiches de ces machines qui travaillent en automatique continu; il est heureusement aujourd'hui résolu. Il ne restera plus, pour compléter ce groupe, qu'à lui adjoindre un massicot électrique automatique; il en existe actuellement sur le marché, qui sont capables de débiter 5 à 6 ooo fiches à l'heure. Et déjà nous avons entrepris des recherches pour le tri mécanique de toutes ces fiches.

En tenant compte du rythme moyen des entrées et des temps de fabrication afférents aux machines, il faudra 8 ou 9 de celles-ci pour que la Phonothèque nationale puisse non seulement se mettre à flot, mais encore se tenir constamment à jour. Souhaitons que ce domaine que nous avons exploré puisse profiter un jour à toutes les phonothèques de notre pays. Comme nous garderons les bandes perforées classées dans l'ordre des marques et des numéros, il serait facile d'effectuer des travaux sur commande pour telle ou telle bibliothèque qui créerait une phonothèque. Il suffirait que celle-ci nous adresse chaque mois la liste de ses acquisitions pour que nous puissions lui confectionner en quelques heures toutes les fiches correspondantes.

Par ailleurs, nous avons voulu que notre système puisse déboucher sur l'utilisation par les grands ensembles électroniques. Les travaux préliminaires déjà effectués nous permettent d'entrevoir, par un transfert mécanique de nos bandes sur des cartes perforées, l'impression de discographies sélectives et de catalogues.

4. Rayonnement de la phonothèque nationale

Par son originalité, la Phonothèque nationale s'est classée au premier rang dans le monde par différents points de son organisation. Elle a ouvert la voie du dépôt légal des oeuvres phonographiques; et par sa symbiose avec le Musée de la Parole, elle s'est trouvée à la tête d'une importante collection de disques anciens, qui ont pris aujourd'hui dans le langage international le nom de « disques historiques ». Elle a su concentrer dans son laboratoire les appareils nécessaires à la lecture et à la reproduction de ces vieux documents. En groupant les vieux appareils d'audition, elle a constitué un musée qui retrace toute l'histoire de la reproduction mécanique de la musique et de la parole.

Mais elle a voulu faire plus encore en s'instituant le lieu de rencontre de tous ceux qui œuvrent dans le même domaine.

Certains éditeurs de disques considéraient autrefois que la Phonothèque nationale n'avait été créée qu'en vue de leur imposer des charges supplémentaires; ceux-ci sont maintenant de plus en plus rares. Par contre, nombreux sont ceux qui recourent à nos services pour différentes informations, et le Syndicat national de l'industrie et du commerce phonographiques entretient avec nous d'excellentes relations qui se sont concrétisées en 196I par l'adhésion de ce syndicat à la Société des Amis de la Phonothèque nationale.

En ce qui concerne les relations entre les diverses discothèques et phonothèques de France et la Phonothèque nationale, rappelons qu'un décret du 16 octobre 1953 avait créé une coordination entre les différentes phonothèques publiques et semi-publiques, les chargeant toutes de verser à la Phonothèque nationale ceux de leurs enregistrements qui devraient être conservés pour la postérité. Cette mesure autoritaire, bien que signée par tous les ministres intéressés, n'a été suivie d'aucun commencement d'exécution. On peut d'autant plus le déplorer que, par le biais d'associations internationales, les responsables de ces différents établissements ont été appelés à se rencontrer périodiquement et à entretenir des rapports qui sont plus amicaux qu'administratifs. Il en est résulté qu'en 196I, ce sont les phonothécaires français qui ont pris l'initiative de lancer l'idée d'une association internationale. C'est en France que se sont tenus tous les travaux préparatoires, sous le haut patronage de l'UNESCO.

Parallèlement et dans le même temps, les phonothécaires français élaborèrent les règles de catalogage des documents sonores. Ce travail fut commencé sous la présidence de M. Schaeffner, chef du département d'ethnomusicologie du Musée de l'Homme; lorsque ce dernier se retira, il fit élire à la présidence le directeur de la Phonothèque nationale.

Une Fédération internationale des Phonothèques fut créée à Milan le 27 mai 1963. Les statuts de la nouvelle organisation internationale prévoyant la création de comités nationaux, le Comité national français fut constitué sous la présidence d'honneur de M. Schaeffner, et le directeur de la Phonothèque nationale président en exercice de la Fédération, en fut élu président.

Mais pour que la Phonothèque nationale conserve cette place privilégiée qui est la sienne, il reste encore beaucoup à faire, car, s'inspirant de notre exemple, beaucoup de nations nous imitent aujourd'hui et mettent en œuvre des moyens matériels importants. Au cours de ces dernières années, de nombreuses phonothèques nationales ont été créées, et, parallèlement, se sont constituées dans de nombreuses villes de l'étranger des discothèques publiques. La plupart du temps, ces initiatives n'ont aucun lien entre elles.

En France même, on a pu assister à la naissance et au développement de tous les types actuellement connus de phonothèques : phonothèques publiques, phonothèques de recherches, phonothèques de prêt officielles ou privées, phonothèques municipales ou départementales; certaines phonothèques se créent dans les bibliothèques, d'autres dans les musées, quelques-unes enfin dans les Maisons de culture.

Un grand nombre de bibliothèques ont la chance d'être regroupées sous une tutelle unique, celle de la Direction des Bibliothèques et de la lecture publique; et les bibliothécaires qui étaient autrefois les plus esseulés, comme ceux du Conseil d'État ou de la Cour de Cassation, font partie désormais d'un corps qui bénéficie d'un statut.

Si l'on recensait les besoins de toutes les phonothèques, on pourrait envisager une formation commune pour l'ensemble de celles qui appartiennent au secteur public et l'on pourrait même envisager d'étendre cette action jusqu'aux discothèques d'entreprises.

Ajoutons que les soucis des phonothécaires sont d'une façon générale les mêmes dans tous les pays; or, ils sont maintenant suffisamment nombreux pour mettre en commun leurs expériences et faire ainsi progresser leurs établissements. Ce besoin de coopération dans tous les domaines, et notamment dans la formation d'un personnel spécialisé, est exprimé dans le statut de la Fédération internationale des phonothèques. C'est l'ensemble de ces questions d'un intérêt universel que s'efforcera de traiter l'Assemblée générale de cette Fédération, qui se réunira en juin 1967 à Paris et qui prendra le titre de : « Premier Congrès mondial des Phonothèques ».

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Evolution de la productin phonographique

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Organisation générale

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L'édition phonographique frnaçaise en 1966 (1/5)

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L'édition phonographique frnaçaise en 1966 (2/5)

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L'édition phonographique frnaçaise en 1966 (3/5)

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L'édition phonographique frnaçaise en 1966 (4/5)

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L'édition phonographique frnaçaise en 1966 (5/5)

  1. (retour)↑  Adresse du secrétariat administratif : 19, rue des Bernardins, Paris 5e (Tél.: 033-69-58). Adresse de la Régie du dépôt légal : 2, rue de Louvois, Paris 2e (Tél. : 742-02-51).
  2. (retour)↑  Parmi les auditions et conférences données, on peut citer :
    - II mars 1961 : « Les Débuts de l'enregistrement sonore » par André FAUROU, au Festival international du Son;
    - i 1 mars 1962 : « Entretien sur la Chanson française en 1925 » par MM. Philippe PARÉS et Georges VAN PARYS, au Festival international du Son;
    - 6 avril 1962 : « Évocation de voix illustres de l'époque héroïque du phonographe » par André FAUROU ;
    - 2 juin 1962 : « Causerie sur Weingartner », en présence et avec la participation de Mme Weingartner, par MM. BALASCHEFF et BOUILLANNE;
    - 20 juin 1962 : « Debussy et le disque », avec la participation de Mme Jane Bathori, par M. Jean ROY;
    - 30 novembre 1962 : « Évolution de l'art vocal, jugée à travers les disques » par M. André FAUROU;
    - i 1 mars 1963 : «Hommage à Francis Poulenc » par Henri HELL, au Festival international du Son;
    - 22 octobre 1963 : « Quelques souvenirs de ma carrière depuis 1900 » par Mme Jane BATHORI ;
    - 17 décembre 1963 : « Manuel de Falla et le disque » par M. Roland MANUEL; - 21 février 1964 : « Les Contrebandiers de la frontière lyrico-littéraire » par M. Jacques CHAILLEY;
    - 23 mars 1964 : « Quand la mesure est pleine » (Cantate pour bande magnétique) par M. Paul ARMA;
    - 16 novembre 1964 : « Le Musicien de film » par M. Georges VAN PARYS;
    - 14 décembre 1964 : « Présentation de documents sonores émanant d'hommes d'État et de chefs militaires enregistrés au cours des deux guerres mondiales » par M. René CASSIN;
    - 13 mars 1966 : « La Phonothèque nationale et le Musée de la Parole » par M. Roger DECOLLOGNE, à Cherbourg, pour la Société cherbourgeoise des Conférences de l'Hôtel de Ville;
    - 12 mai 1966 : « La Musique viet-namienne dans le monde des musiques extrême-orientales » par M. TRAN VAN KHE.
  3. (retour)↑  Ces sommes sont exprimées en nouveaux francs.
  4. (retour)↑  Les archives sonores de l'O.R.T.F. sont réparties en deux services voisins, qui sont depuis l'an dernier rassemblés avec les deux bibliothèques spécialisées sous l'autorité d'une seule personne; la discothèque achète en plusieurs exemplaires et systématiquement tous les disques mis en vente en France, qu'ils soient édités par une entreprise française ou qu'ils soient importés pour une diffusion chez les disquaires; la Phonothèque nationale reçoit de son côté deux exemplaires des mêmes disques en vertu du dépôt légal. La Phonothèque de l'O.R.T.F. conserve quant à elle les enregistrements sur bande magnétique de toutes les émissions qu'elle diffuse; une commission spéciale décide, avec l'épreuve du temps, quels enregistrements doivent être conservés définitivement, et quels enregistrements peuvent être effacés.