Les bibliothèques publiques en Grande-Bretagne

K. C. Harrison

Après la loi de 1850 les bibliothèques publiques se multiplièrent en Grande-Bretagne et progressivement l'accès libre aux rayons se substitua aux anciens systèmes. Une nouvelle loi en I9I9 abolissait les limites financières de la précédente et prévoyait des bibliothèques de comté pour les zones rurales. Enfin, une loi votée en 1964 soumet toutes les bibliothèques publiques à l'inspection du Ministère de l'Éducation et impose la gratuité du prêt des livres. Le pays est divisé en circonscriptions qui assurent à toute la population le service d'une bibliothèque publique. La coopération inter-bibliothèques est poursuivie très activement, mais il reste beaucoup à faire soit pour continuer le mouvement des constructions nouvelles, soit pour le recrutement et l'amélioration des traitements des bibliothécaires qui sont encore en nombre insuffisant

On m'a demandé de tracer pour mes confrères français un tableau de l'état actuel des bibliothèques publiques en Grande-Bretagne et je suis heureux de tenter de remplir cette tâche. Mes lecteurs devront admettre toutefois qu'aucune connaissance du présent ne peut être atteinte sans référence au passé. Aussi brièvement que possible je dois par conséquent commencer par esquisser l'histoire du mouvement en faveur des bibliothèques publiques en Grande-Bretagne.

Il y avait en Grande-Bretagne avant 1850 des bibliothèques publiques de diverses catégories mais c'est de cette année là seulement que date véritablement le mouvement moderne. Pressé par des pionniers tels que William Ewart, Joseph Brotherton, Edward Edwards et d'autres, le Parlement discuta et adopta la première loi sur les bibliothèques publiques en 1850. Cette loi était en même temps bonne et mauvaise. Elle était mauvaise en ce qu'elle autorisait mais ne prescrivait pas. Elle autorisait les administrations locales d'une population dépassant 10 oooo habitants à établir des bibliothèques publiques financées par les taxes locales (connues sous le nom de « rates ») mais elle ne les obligeait pas à le faire. Un bâtiment, le traitement du bibliothécaire, l'éclairage et le chauffage pouvaient être fournis par des fonds publics mais pas les livres! On prévoyait naïvement que ceux-ci seraient procurés entièrement par les dons de bienfaiteurs ! D'un autre côté c'était une bonne loi en raison du fait qu'elle existait au recueil des lois et qu'elle fournissait une base ferme pour une législation future.

Manchester fut la première ville à appliquer la loi de 1850 et à organiser un service de bibliothèque, ce qu'elle fit en 1852 avec Edward Edwards comme bibliothécaire. Norwich avait appliqué la loi en 1850 bien que le service n'ait fonctionné que 7 ans plus tard. D'autres vilies peu à peu appliquèrent la loi mais les progrès furent très lents. En 1855 fut voté un amendement qui élevait la limite des crédits d'un demi penny à un penny. Cet amendement abaissait aussi le chiffre de la population à 5 000 et il rendait également légale l'acquisition de livres.

Durant les années 1860 et 1870 le nombre de municipalités appliquant la loi ne s'accrut que lentement; mais en 1877 fut fondée la « Library Association » (un an après le début de l'« American Library Association ») et un de ses buts avoués était de favoriser l'application des lois sur les bibliothèques publiques dans les cités importantes, les villes et les districts. Ainsi encouragé par la « Library Association » et aidé également par la générosité d'André Carnegie et d'autres bienfaiteurs qui fournirent les fonds pour les constructions des bibliothèques publiques dans de nombreuses villes, le mouvement s'étendit rapidement, surtout à partir de 1890. En 1879, 98 villes seulement avaient appliqué la loi, mais en 1889 elles étaient 194 et en 1899 leur nombre s'était élevé à 393·

La profession de bibliothécaire, telle que nous la connaissons aujourd'hui en Grande-Bretagne, ne s'est développée véritablement que dans les vingt dernières années du XIXe siècle. Bien que la « Library Association » ait commencé à organiser des cours de formation et des examens pour les aspirants bibliothécaires dès les années 1880 c'était en grande partie « l'aveugle conduisant un aveugle » parce que les connaissances techniques professionnelles telles qu'elles existaient alors s'étaient développées par tâtonnements. La classification et le catalogage, par exemple, étaient rudimentaires au regard des normes d'aujourd'hui. La plupart des bibliothécaires avaient élaboré leurs propres systèmes et leurs méthodes et ce ne fut qu'après la traversée de l'Atlantique par la classification décimale, créée par Melvil Dewey en 1876, que les bibliothécaires britanniques commencèrent à s'intéresser sérieusement au groupement des livres par sujets.

Accès libre ou interdit.

Quant au contrôle des collections il était absolu car toutes les premières bibliothèques publiques britanniques employaient le système des magasins clos. D'immenses tableaux séparaient les lecteurs des rayonnages de livres, ces tableaux indiquaient si chaque titre d'ouvrage était « présent » ou « sorti ». Cette méthode imposait l'usage par les lecteurs de catalogues imprimés du fonds de livres et de très petites bibliothèques consacraient une part disproportionnée de leurs maigres crédits à la publication de ces catalogues imprimés. Les contacts entre le personnel de la bibliothèque et les lecteurs étaient presque inexistants. S'étant assuré que le livre qu'il désirait était présent, le lecteur remplissait un bulletin de demande et le remettait à un employé qui regardait à travers une petite ouverture dans le tableau et attendait alors qu'on lui remette le livre, ce qu'on faisait presque à contre-cœur.

Ce système, heureusement, ne dura pas longtemps. Des bibliothécaires clairvoyants des deux côtés de l'Atlantique persuadèrent leurs administrations d'adopter une politique de libre accès par laquelle les lecteurs étaient admis sans restrictions aux rayons pour choisir leurs livres dans une atmosphère de plus grande liberté. En Grande-Bretagne, James Duff fut le pionnier de cette tendance et en 1894 il établit l'accès libre dans ce qui est aujourd'hui la « Finsbury Public Library » de Londres. Un autre exemple de cette pratique avait eu lieu à Truro en Cornouaille quelques années plus tôt, mais n'avait pas eu de suite. L'exemple de Duff Brown donna l'impulsion à un mouvement qui s'étendit rapidement à tout le pays. En 1914 la plupart des bibliothèques britanniques s'étaient transformées et avaient adopté l'accès libre bien que quelques-unes se soient attardées à l'ancien système et ce n'est qu'en 1936 que le dernier exemple de la méthode des « tableaux » a disparu.

Le changement, il est inutile de le dire, eut toute la faveur du public et le nombre des utilisateurs des bibliothèques publiques s'accrut de façon sensible.

Avant 1914 la plupart des collectivités urbaines de Grande-Bretagne avaient ouvert un service de bibliothèque publique mais l'ensemble du pays était loin d'être entièrement desservi. Virtuellement rien n'avait été fait dans les zones rurales. Mais en 1915 le Professeur W. G. S. Adams prépara un rapport sur les ressources et la politique générale des bibliothèques pour les « Carnegie United Kingdom Trustees ». Dans ce rapport il préconisait de donner aux Conseils de Comté (« County Councils »), qui, à ce moment, n'administraient pas de bibliothèques, la responsabilité de fournir un service de bibliothèques aux régions rurales.

L'année suivante, en 1916, fut établi un service prototype de bibliothèque de comté dans le Staffordshire, tandis qu'en 1918 fut votée une loi sur l'éducation (pour l'Écosse), loi qui autorisait dans ce pays l'établissement de bibliothèques de comtés. Puis en 1919 ce fut l'importante loi sur les bibliothèques publiques (« Public Libraries Act ») autorisant les conseils de Comté en Angleterre et au Pays de Galles à administrer des bibliothèques et aussi abolissant la limite paralysante du taux d'un penny qui avait entravé le développement des bibliothèques publiques depuis 1855.

Les voies étaient désormais ouvertes pour desservir complètement le pays et pour développer les services existants. Les bibliothécaires des années 1920 exploitèrent au maximum ces possibilités. Il ne fallut pas longtemps pour que des bibliothèques de comté soient établies partout bien qu'au début les services aient été seulement esquissés. Entre temps les villes commencèrent à développer leurs services grâce aux crédits accrus qui lentement se frayaient leur voie après l'abolition de la limite d'un penny.

Débuts de la coopération entre bibliothèques.

L'étape suivante à laquelle s'intéressèrent les bibliothèques publiques fut la coopération entre bibliothèques. A mesure que s'accroissait l'usage de leurs collections et que la publication des livres aussi bien dans le pays qu'à l'étranger augmentait, il devenait évident qu'aucune bibliothèque ne pouvait se suffire à elle-même. Si les besoins des lecteurs devaient être pleinement satisfaits la solution était claire : il fallait créer un système de prêt interbibliothèques s'étendant à l'ensemble du pays.

Un pas avait déjà été fait en 1916 vers la solution de ce problème lorsque la bibliothèque centrale des étudiants (« Central Library for Students ») avait été fondée par le Dr Albert Mansbridge, encouragé et aidé par les « Carnegie United Kingdom Trustees ». En 1927 un rapport gouvernemental sur les bibliothèques publiques (connu sous le nom de Kenyon Report) fut publié et parmi ses nombreuses recommandations figuraient des suggestions pour le progrès de la coopération entre bibliothèques.

Les années 1930 furent la période qui cimenta les solides fondations de la coopération entre bibliothèques en Grande-Bretagne. La « Central Library for Students », connue sous le nom de « National Central Library », est la cheville ouvrière du système de prêt interbibliothèques. Des bureaux régionaux furent créés un par un jusqu'à ce que le pays entier soit desservi. Au début ces bureaux étaient des associations de bibliothèques et des catalogues collectifs de leurs fonds étaient préparés.

Onze bureaux régionaux se partagent l'ensemble du pays et ils ont progressé de façon impressionnante depuis leur fondation. Des bibliothèques non publiques se sont maintenant associées aux bureaux régionaux et leurs ressources supplémentaires ont été les bienvenues et se sont révélées fort utiles.

Pendant la guerre de 1939-1945 les bibliothèques publiques de Grande-Bretagne firent beaucoup pour consolider leur position aux yeux de la population. Beaucoup, parmi lesquelles celles de Plymouth, Coventry et Eastbourne, furent détruites ou endommagées par les bombardements, mais presque partout le fonctionnement des bibliothèques fut continué avec des effectifs diminués, des horaires réduits et de maigres acquisitions. En dépit de ces difficultés elles atteignirent des chiffres de prêt record et apportèrent une contribution notable au progrès technologique ainsi qu'au maintien du moral de la population. Avant la guerre existait encore une barrière psychologique au plein usage des bibliothèques publiques puisque beaucoup de membres des classes moyennes ou élevées pensaient qu'il était en dessous de leur dignité d'y emprunter des livres. Depuis 1945 toutefois il n'est pas exagéré de dire que les bibliothèques en Grande-Bretagne sont devenues « respectables » et respectées.

Malheureusement la guerre a interrompu un mouvement de construction qui, dans les années 1930, commençait à prendre de l'élan. D'importants bâtiments avaient été construits à Manchester, Sheffield, Birkenhead, Marylebone et à d'autres endroits lorsque les hostilités empêchèrent de nouveaux progrès.

Ce ne fut pas avant le milieu des années 1950 que reprirent les constructions. Entre temps les bibliothécaires étaient obligés de faire fonctionner leurs services dans des bâtiments vieillis agrandis parfois par de petites annexes de quartier dans des baraques préfabriquées et par des bibliobus. Ces désavantages n'empêchèrent pas cependant une croissance impressionnante des services en général. Comme les services de prêt très améliorés, les bibliothèques de référence et les bibliothèques pour enfants firent des progrès marqués. Une meilleure formation bibliographique des bibliothécaires conduisit à une prise de conscience du besoin de meilleurs services de référence et graduellement ceux-ci commencèrent à prendre forme. Une amélioration semblable eut lieu dans le domaine des bibliothèques d'enfants à mesure que des bibliothécaires plus nombreux, formés à cette tâche spécialisée, montrèrent ce que l'on pouvait faire.

Dans les vingt dernières années cependant les progrès ont eu lieu surtout dans les domaines de la coopération entre bibliothèques, de la législation, de la formation professionnelle et des traitements, et des constructions. J'examinerai successivement chacun de ces domaines.

Spécialisation par sujets et coopération.

Il faut se souvenir qu'avant la dernière guerre la coopération entre bibliothèques en Grande-Bretagne était fondée sur les onze bureaux régionaux et sur la « National Central Library » qui était le moyeu du système. Ce système fonctionnait assez bien et dans l'ensemble continuait à le faire mais les demandes croissantes des lecteurs après 1945 commencèrent à révéler des fissures dans cette organisation. Pour les sujets scientifiques et techniques en particulier, le réseau présentait des lacunes et de nombreuses mesures avaient été prévues pour l'améliorer.

Le premier pas fut fait lorsque chaque bureau régional commença à étudier un plan de spécialisation par sujet à l'intérieur de sa propre région. Le champ entier des connaissances fut partagé entre les bibliothèques d'une même région consentant à coopérer entre elles et les bibliothèques s'engagèrent à acheter, à prêter et à conserver toute la production bibliographique sur les sujets qui leur étaient attribués. La participation financière de chaque bibliothèque fut établie proportionnellement à ses ressources. Le London Union Catalogue, représentant les bibliothèques du Londres métropolitain, fut le premier à entreprendre un tel plan, ce qu'il fit en 1948.

La publication de la Bristish national bibliography en 1950 encouragea le progrès de ces plans de spécialisation par sujet et au milieu des années 1950 la plupart des régions les avaient mis en œuvre. Entre temps un comité national de coopération régionale entre bibliothèques existait depuis 193I bien que son influence dans les années 1930 ait été négligeable. Il vint à la vie en 1950 cependant, ne se contentant pas de susciter et de faire progresser de tels plans mais aussi régissant un plan national desservant toutes les régions (« National Inter-Regional Coverage Scheme ») qui assurait à partir du Ier janvier 1959 que chaque région entreprendrait de fournir tous les livres des principales divisions de la classification décimale. Dans cette organisation il y a donc un exemplaire disponible, pouvant être prêté, de toute publication britannique parue après la guerre. Cela a soulagé grandement la charge de la « National Central Library » qui peut maintenant consacrer la plus grande partie de ses crédits, qui sont limités, à l'acquisition des ouvrages étrangers.

Les demandes accrues de documentation sur les sujets scientifiques et techniques ont été satisfaites de deux façons. D'abord ont été créés un grand nombre de plans locaux de coopération ad hoc qui s'occupent de ce problème, plans qui groupent les ressources combinées des bibliothèques publiques, universitaires, industrielles et d'autres bibliothèques spécialisées dans certains domaines déterminés. Un avant-goût de ces progrès avait été donné avant la guerre lors de la création du « Sheffield Interchange Organisation » (connu sous le nom de SINTO). Depuis 1945 des plans analogues ont proliféré dans toute la Grande-Bretagne et font du bon travail. Il y a maintenant des organisations ayant pour centres Liverpool (LADSIRLAC), West London (CICRIS), Hull (HULTIS), Nottingham (NANTIS) et beaucoup d'autres régions. L'organisation de Nottingham, par exemple, est connue comme le « Nottingham and Nottinghamshire Technical Information Service » et consiste en 90 bibliothèques membres dont 17 sont des bibliothèques publiques. De telles organisations, outre l'aide très réelle qu'elles apportent aux lecteurs et aux chercheurs, ont fait beaucoup pour instaurer l'unité de la profession de bibliothécaire en Grande-Bretagne en rapprochant les uns des autres les conservateurs de bibliothèques publiques, universitaires et spécialisées.

Un autre progrès réel, dans la coopération entre bibliothèques techniques, a été la fondation en 1962 de la « National Lending Library for Science and Technology » à Boston Spa dans le Yorkshire. Dirigée par une institution gouvernementale, le « Department of Scientific and Industrial Research », cette bibliothèque organisée comme un laboratoire se consacre à réunir et à fournir des informations à partir de livres et de périodiques étrangers. C'est cette mesure qui a influencé la « National Central Library » qui devient de plus en plus la bibliothèque nationale de prêt pour les sciences humaines. Quelques bibliothèques publiques sont les agents de la « National Lending Library for Science and Technology » et peuvent lui emprunter directement. Les autres peuvent utiliser ses services par l'intermédiaire des bureaux régionaux.

Nouvelle législation sur les bibliothèques.

La dernière loi, très longtemps attendue, est le «Public Libraries and Museums Act » de 1964. Elle est l'aboutissement des nombreuses réflexions de beaucoup de personnes durant les quarante-cinq années qui se sont écoulées depuis la promulgation de la loi précédente. Depuis leurs origines les bibliothèques publiques britanniques ont été tourmentées par l'inégalité des services dans les différentes parties du pays. Cette situation remonte aux premières lois qui autorisaient des collectivités d'une population aussi peu importante que 5 000 habitants à créer des services de bibliothèques indépendants.

Avec les années la production croissante de livres par les maisons d'édition et les demandes de plus en plus nombreuses des lecteurs rendaient évident le fait que les très petites collectivités ne pouvaient absolument pas disposer des ressources nécessaires à l'entretien de bibliothèques publiques efficaces. Il n'est que juste d'ajouter ici qu'il existe des exemples de très bons services gérés par de petites collectivités tout comme il y a eu des exemples de services très médiocres dans des villes et des comtés importants. Faute de normes minima établies, trop de place était laissée à la décision des administrations considérées individuellement et ceux qui souhaitaient faire des économies n'avaient que trop latitude de le faire aux dépens des bibliothèques. Depuis 1920 l'idée dominante inclinait à la création d'administrations plus importantes et plus viables ainsi qu'à l'établissement de normes nationales minima. La loi de 1964 a été basée sur ces nécessités.

En bref, la nouvelle loi place les bibliothèques publiques sous la surveillance du Ministère de l'Éducation (« Minister of Education and Science »); les administrations des bibliothèques doivent laisser celui-ci inspecter les installations de la bibliothèque, les fonds de livres et les statistiques. La loi prévoit aussi la création de deux conseils consultatifs des bibliothèques l'un pour l'Angleterre, l'autre pour le Pays de Galles et le Monmouthshire. Des conseils régionaux de coopération entre les bibliothèques seront également créés en vertu de la loi, le Ministre étant chargé de la responsabilité de désigner les futures régions de bibliothèques. On s'attend d'ailleurs à ce qu'aient lieu dans l'avenir quelques fusions de régions afin de réduire leur nombre.

Jusqu'ici les « parishes » (paroisses, c'est-à-dire communes rurales) avaient été autorisées à administrer des bibliothèques mais la loi nouvelle abolit cette faculté. Désormais seuls les conseils de comtés (« County Councils »), les conseils municipaux urbains, les « boroughs » (arrondissements) de Londres et la Cité de Londres seront autorisés à continuer d'administrer des bibliothèques publiques. Il en est de même pour les villes de moins de 40 ooo habitants et les districts de plus de 40 ooo habitants s'ils administraient déjà une bibliothèque immédiatement avant la mise en vigueur de la nouvelle loi. Les administrations de bibliothèques dans les villes et les districts urbains de moins de 40 ooo habitants devront demander au Ministre son approbation pour continuer à le faire. Pour décider si ces dernières administrations peuvent continuer à diriger complètement leurs propres bibliothèques, le Ministre devra d'abord s'assurer qu'elles se conforment à ses normes d'efficacité. Toutes les constatations possibles auront lieu avant qu'une décision ne soit prise et les administrations voisines pourront s'associer pour gérer des bibliothèques publiques.

Le nombre total des administrations ayant une bibliothèque publique en Grande-Bretagne a décru lentement au cours des dernières années à mesure que de petites « parishes » et collectivités remettaient sagement leurs pouvoirs aux « County Councils » qui sont capables de fournir des services plus complets. Cette diminution va maintenant s'accélérer. En vertu de la loi de 1964, 17 « parishes » vont certainement perdre leur pouvoir de gestion d'une bibliothèque et, en outre, 193 villes et districts urbains qui ont moins de 40 ooo habitants le feront peut-être. En fait il est peu vraisemblable qu'un aussi grand nombre cesse de gérer des bibliothèques et ceci pour trois raisons.

D'abord beaucoup d'entre elles seront sans doute capables de justifier qu'elles satisfont aux normes d'efficacité requises. Ensuite un certain nombre profitera de la possibilité de s'associer à des administrations voisines et enfin des révisions des divisions administratives en général ont lieu actuellement en Grande-Bretagne, révisions qui auront pour effet de créer des unités moins nombreuses mais plus importantes.

La loi confirme la gratuité du prêt de n'importe quel livre, périodique ou brochure ou de tout autre document ainsi que de la photocopie de tels documents. Il est permis toutefois de faire payer la mise en réserve d'un ouvrage ainsi que le retard dans le retour des livres. Les administrations de bibliothèques peuvent aussi faire payer le prêt des disques et des documents iconographiques. Cela est, à mon avis, une disposition regrettable de cette loi. Actuellement quelques bibliothèques font payer une redevance et d'autres ne le font pas et nous devons nous attendre à ce que cette situation peu satisfaisante continue.

Bien que la loi ait quelques défauts aux yeux d'un certain nombre de bibliothécaires elle a accompli une grande partie de ce qui était désirable. En créant des administrations de bibliothèques moins nombreuses mais plus efficaces et en donnant au ministre le pouvoir d'inspection pour s'assurer que les normes minima d'efficacité sont respectées, la loi fera beaucoup pour élever le niveau général des bibliothèques publiques de Grande-Bretagne. On attend beaucoup aussi des conseils consultatifs projetés qui pourraient exercer une influence bénéfique de premier ordre. Un progrès notable a été accompli par la loi de 1919 qui faisait tomber les limites financières et encourageait le développement des bibliothèques de comtés. Un progrès aussi remarquable est dans l'ordre des possibilités après la loi de 1964 si les bibliothécaires et leurs administrations veulent bien saisir les pouvoirs qui ont été mis entre leurs mains.

La nouvelle loi ne prévoit aucune aide de l'État pour les bibliothèques publiques qui continueront à être entièrement financées par les ressources locales. Un autre point qui n'a pas été fixé par la loi, en dépit de l'insistance de la « Library Association », est l'échelle des traitements pour les bibliothécaires ayant une qualification professionnelle. Le Ministre estimait que cette question devait être laissée à l'appréciation des employeurs, c'est-à-dire des administrations locales.

La « Library Association » a cependant joué un rôle déterminant dans la formation et le progrès professionnels depuis des années et sans aucun doute continuera à le faire. Elle organise des examens et conserve un registre des bibliothécaires diplômés ou qualifiés dont le nombre dépasse aujourd'hui 7 000. L'Association a également encouragé la création d'écoles de bibliothécaires en Grande-Bretagne. Il existe maintenant quatorze de ces écoles dont trois de niveau universitaire qui donnent en un an un enseignement de bibliothéconomie et onze écoles d'un niveau secondaire (« non-graduates ») donnant un enseignement à temps complet durant deux années. Certaines de ces dernières écoles offrent en outre des cours d'une durée d'un an pour les « graduates ».

Bien que les écoles britanniques de biliothécaires aient pris très récemment de l'extension à la fois en nombre et en importance, il y a encore un besoin considérable de bibliothécaires qualifiés. Cela est dû au progrès sans précédent des bibliothèques en général qui s'est produit durant ces 20 dernières années. Les bibliothèques spécialisées en particulier ont grandi rapidement et presque la moitié des effectifs sortant des écoles de bibliothécaires se dirige maintenant vers ce secteur de la bibliothéconomie. En fait, pour la première fois, moins de la moitié du nombre total des bibliothécaires diplômés est employée dans les bibliothèques publiques du pays.

Les traitements offerts aux bibliothécaires diplômés sont en général au niveau de ceux des professions comparables et c'est à la « Library Association » qu'il faut en attribuer en partie le mérite. Un bibliothécaire nouvellement diplômé reçoit maintenant 895 £ par an, plus qu'un professeur nouvellement diplômé, bien que le maximum garanti de ce dernier soit plus élevé que celui du bibliothécaire. Ce qui manque dans la carrière des bibliothèques publiques ce sont des échelons de carrière avantageux, semblables à ceux qui existent dans l'administration (« Civil Service ») et dans beaucoup d'autres professions. Néanmoins il existe des classes dans les échelles de salaires des administrations locales et le bibliothécaire qualifié peut obtenir de l'avancement dans ces classes. La compétition est très âpre toutefois et il est possible que des bibliothécaires diplômés très compétents piétinent à un échelon de salaire très peu satisfaisant. Le bibliothécaire en chef de bibliothèque publique de Grande-Bretagne le plus payé actuellement reçoit 4 500 £ par an et il doit y avoir plus de 150 bibliothécaires, surtout des bibliothécaires en chef, qui ont de 2 00o à 3 000 £.

De nouveaux bâtiments contre des vieux.

Une des plus récentes préoccupations des bibliothécaires de Grande-Bretagne a été de disposer de nouveaux bâtiments. J'ai décrit plus haut la situation périlleuse des constructions des bibliothèques publiques en Grande-Bretagne après la dernière guerre. La plupart des services fonctionnaient dans des constructions élevées en 1880 ou même avant. Ces installations avaient fourni un excellent service mais elles étaient généralement trop petites, trop compactes et trop peu flexibles pour suffire aux activités grandement accrues des bibliothèques publiques.

Le logement, les divers établissements d'enseignement et d'autres besoins avaient la préférence pour l'emploi du capital limité dont la nation disposait jusqu'à la fin des années 1940 et ce ne fut qu'au milieu de la décennie suivante que la construction de bibliothèques publiques put avoir le feu vert. Plymouth fut une des premières villes à avoir une nouvelle bibliothèque centrale sur l'emplacement de l'ancienne qui avait été bombardée. Cela se passait en 1955 et il fallut encore quelque temps avant que de nouvelles bibliothèques centrales ne suivent, bien que les dix dernières années aient vu proliférer les nouvelles bibliothèques annexes dans tout le pays.

Depuis 1960 un changement surprenant s'est produit et durant les cinq années qui se sont écoulées entre 1960 et 1964 près de 400 installations on été construites. Quelques-unes sont de très petites annexes mais il y a eu un progrès aussi pour des bâtiments beaucoup plus importants. De nouvelles bibliothèques centrales ont été construites pour Holborn, Kensington, Hampstead et Hornsey (toutes situées dans l'agglomération de Londres) et à Luton, Norwich, Nuneaton, Eastbourne, Chertsey et dans d'autres villes. Des bibliothèques centrales ont été réaménagées ou agrandies à Sunderland et Belfast, et à Durham, Antrim, dans le Staffordshire, dans le Kent et la partie occidentale du Yorkshire de nouvelles bibliothèques centrales de comté ont été ouvertes. De très importantes annexes nouvelles ont été bâties à Sheffield, Bristol, Liverpool, Lewisham, Hendon, Lambeth et Fulham, tandis que les bibliothèques des comtés de Lancashire, Essex, Middlesex, Nottinghamshire et de la partie occidentale du Yorkshire, pour n'en nommer que quelques-unes, ont engagé des programmes de construction ambitieux et ont déjà achevé beaucoup de remarquables annexes nouvelles. Ce n'est pas tout, car il y a encore des progrès en vue puisque Birmingham, Bradford, Newcastle et Stoke sont en train d'étudier activement des projets de nouvelles bibliothèques centrales qui devraient être prêtes dans un an ou deux.

L'influence des bibliothèques scandinaves a été prédominante dans la conception des nouvelles constructions de bibliothèques publiques britanniques mais des leçons ont été prises également aux États-Unis et en Allemagne de l'Ouest. On est heureux de pouvoir dire que beaucoup d'architectes éminents se sont intéressés aux problèmes de bâtiments de bibliothèques publiques. La nouvelle bibliothèque centrale de Hampstead, par exemple, a été conçue par Sir Basil Spence, architecte de la cathédrale de Coventry, tandis que la bibliothèque de Nuneaton est l'œuvre de Frederick Gibberd qui a fait aussi les plans du port aérien de Londres. Cela est un nouveau signe, s'il en était besoin, de la considération dont jouissent les bibliothèques publiques dans la vie britannique d'aujourd'hui.

J'aimerais décrire très brièvement un récent exemple : la nouvelle bibliothèque centrale de Luton. Elle couvre près de 4 000 m2 et a coûté environ 400 000 £ y compris le mobilier et les rayonnages. Elle contient une grande bibliothèque de prêt pour adultes sur deux niveaux, une bibliothèque pour enfants distincte comportant une charmante salle pour l'heure du conte, une bibliothèque de référence indépendante, une salle consacrée à la musique possédant un service de prêt de disques, des cabinets d'étude (carrels) et un très bel amphithéâtre pour conférences avec scène, loges et toutes les installations pour la projection de films et de vues fixes. La bibliothèque est très active et le prêt a lieu par le système photographique (« photocharging system ») employant deux appareils Recordak. Le bâtiment offre un grand attrait, non seulement pour les lecteurs au service desquels il est consacré, mais pour les bibliothécaires britanniques ou étrangers également.

Problèmes des méthodes de prêt.

Mentionner les systèmes de prêt me rappelle que les bibliothécaires de bibliothèques publiques en Grande-Bretagne ont montré un grand intérêt pour cette question durant les dix dernières années. Depuis l'établissement du libre accès la méthode traditionnelle d'enregistrement du prêt a été jusque tout récemment encore le système Browne, dans lequel chaque ouvrage a une fiche de livre et chaque lecteur a un ticket ou des tickets en forme de pochette. Lorsqu'un ouvrage est emprunté la fiche de livre est placée dans la pochette qui constitue la carte de lecteur et classée derrière un guide portant une date. Au retour du livre la fiche de livre est replacée dans le volume et la pochette de lecteur lui est rendue. Avec le service accru de beaucoup de bibliothèques publiques cette méthode est devenue trop lente, surtout au retour, et des files d'attente à la banque des rentrées en ont résulté. En conséquence, les bibliothécaires britanniques ont expérimenté et mis en pratique beaucoup de systèmes nouveaux.

Le système photographique (« photocharging system ») a été une solution répandue dans quelques régions, utilisant soit la Recordak camera soit la machine Remington-Rand qui a été perfectionnée à Gothenburg et est maintenant très répandue en Scandinavie. L'enregistrement sur cartes perforées est utilisé à Holborn tandis que le système américain « Bookamatic » est employé dans le voisinage à Saint-Pancras. D'autres systèmes, ainsi que des variantes des procédés ci-dessus, ont été essayés et le dernier progrès est la recherche faite par certains bibliothécaires en ce qui concerne l'emploi de calculateurs pour la sortie des livres. Il est trop tôt pour dire si l'usage de ces calculateurs est possible mais il semble certain que le système de prêt idéal reste encore à découvrir.

Un autre aspect du progrès des bibliothèques publiques britanniques reste à citer et c'est l'extension des discothèques. Ces dernières se sont développées essentiellement dans l'après-guerre et elles devinrent encore plus populaires avec l'apparition des disques de longue durée en 1950. Plus de 100 des 560 administrations de bibliothèques publiques de Grande-Bretagne possèdent maintenant des discothèques. Comme il a été mentionné plus haut, ce prêt peut être payant mais la majorité des bibliothèques ne fait effectivement pas payer, excepté, naturellement, pour réserver un disque et en cas de retard dans le retour de celui-ci. Presque toutes les bibliothèques publiques de Londres et un certain nombre de villes de province et de comtés possèdent cette section également.

J'aurais souhaité donner à mes lecteurs quelques statistiques à jour de bibliothèques publiques prises dans toute la Grande-Bretagne, mais les dernières statistiques remontent à 196I-62. A ce moment existaient 562 administrations de bibliothèques publiques distinctes avec plus de 40 000 points de distribution. Le stock total se montait à 77 millions de volumes (à peu près 1 volume et demi par habitant), les prêts se montaient au total à 460 millions (soit 9 par habitant) et la dépense totale était de 25 millions de livres (soit presque 10 shillings par habitant). La part consacrée aux acquisitions de livres était de 6 millions de livres et plus de 15 000 personnes étaient employées à ce service. A peu près 1/3 de celles-ci occupaient des postes de bibliothécaires qualifiés mais étant donné la pénurie nationale de personnel qualifié ces postes n'étaient pas tous pourvus de cette façon. Quand les statistiques de 1964-65 seront publiées, il est tout à fait certain que les chiffres ci-dessus seront augmentés de façon appréciable.

Emploi d'un équipement moderne.

Voilà donc une esquisse de la situation des bibliothèques publiques dans mon pays. Bien que le service soit complet en ce sens que tout habitant peut avoir recours aux services d'une bibliothèque publique, bien que beaucoup de nouvelles constructions aient été élevées, bien que les bibliothèques emploient des équipements modernes (tels que le Telex, le lecteur de microfilms et les machines à photocopier), bien que les contacts avec les collègues étrangers augmentent rapidement et bien que les fonds de livres se soient améliorés de façon surprenante il demeure beaucoup à faire. Le besoin le plus urgent est peut-être celui de meilleurs traitements de façon à attirer plus de candidats (et surtout des hommes jeunes) vers la profession. Ensuite vient le besoin d'écoles de bibliothécaires plus nombreuses, de façon à assurer la formation de plus de bibliothécaires. Enfin, bien que l'effort de construction ait été considérable, beaucoup de nouveaux bâtiments sont encore nécessaires.

Le plus grand espoir pour l'avenir immédiat est toutefois apporté par la loi de 1964 sur les bibliothèques publiques et les musées et la manière dont elle est interprétée et appliquée par le Ministre, par la profession et par les administrations ayant des bibliothèques. La plupart des bibliothécaires de bibliothèques publiques de Grande-Bretagne sentent qu'ils se trouvent maintenant au seuil d'une ère nouvelle. Je le crois moi-même et je suis sûr qu'un article comme celui-ci écrit dans dix ans d'ici tracera un tableau très différent.