Nécrologie

Henri Moncel

P. Leguay

Le 6 octobre dernier, par le plus doux après-midi d'automne, les amis d'Henri Moncel l'ont conduit au cimetière de Sèvres. Nous étions peu nombreux. Moncel avait quitté la Bibliothèque nationale depuis plus de vingt ans. Tout s'est passé comme si cet homme discret, après avoir traversé la vie sur la pointe des pieds, n'avait pas voulu faire plus de bruit par sa mort. Il était né à Saint-Lô le 5 février 1880. Licencié ès lettres de la Faculté de Paris, on le voit ensuite, ce qui est assez rare chez un jeune Français, étudier à Bonn et à Leipzig. Il conserva toute sa vie le goût des études allemandes et ses qualités de germaniste trouvèrent à la Bibliothèque leur naturel emploi. Il contribua notamment pour une grande part à organiser l'exposition Goethe en 1932. Entré à la Bibliothèque le Ier mars 1909, il était nommé sous-bibliothécaire le 28 novembre 1912. Il était affecté dès ses .débuts à l'Inventaire général. Son nom apparaît pour la première fois parmi ceux des collaborateurs au tome XLVI qui est de 1911. Il y fit toute sa carrière et, après M. Rastoul, en assuma la direction. Comme rédacteur ou comme chef de service la part qu'il prit à cette grande entreprise est considérable.

Secret et n'aimant guère s'extérioriser, il a peu écrit, peu publié, mais tout ce qu'il a donné porte sa marque. On comprend quand on l'a connu qu'il ait eu pour Ximénès Doudan, l'hôte des de Broglie, une affection particulière. De celui-ci, dans la Bibliothèque romantique d'Henri Girard, il a donné les Révolutions du goût (1924). Ces deux esprits, fins et mesurés, ennemis du bruit, délicats et comme frileux, étaient fait l'un pour l'autre. Dans la Nouvelle bibliothèque romantique, avec une préface de Mary Ducaux, il a donné d'Henriette Renan ses Souvenirs et impressions : Pologne, Rome, Allemagne, voyage de Syrie. Il avait besoin d'être entraîné, de faire équipe avec quelqu'un. C'est ainsi qu'il a publié avec Henri Girard en 1923, une Bibliographie des œuvres de Renan. Avec Henri Girard encore il a donné Pour et contre le Romantisme bibliographie des travaux publiés de 1914 à 1926, et une notice sur les beaux livres du XIXe siècle. En 1930 il prit part à l'exposition du Romantisme. Nous avons mentionné son rôle dans l'exposition Goethe. Il fut la cheville ouvrière de l'exposition du Symbolisme en 1936, en rédigea et signa avec André Jaulme le beau catalogue précédé d'une préface d'Edmond Jaloux. De courts articles, des comptes rendus dans La Revue des bibliothèques, La Revue germanique achèvent cette brève bibliographie.

Dès 1911, encore stagiaire, il avait épousé celle qui fut désormais tout le charme et la douceur de sa vie. Bien avant sa retraite, qui lui fut donnée en 1941, il avait acquis sur les hauteurs de Sèvres une villa où il passa toutes les dernières années de sa vie entre sa femme et la fillette qu'ils avaient adoptée. C'était la maison du sage. Il y réunissait pour ces « parties de jardin » qu'aimait sa femme, d'origine anglaise, ses nombreux amis. S'il s'éloignait c'était pour des séjours en montagne, car ce bibliothécaire était aussi un alpiniste. Il faisait de rares apparitions à la Bibliothèque où nous l'accueillions toujours avec grand plaisir. Son aspect était si robuste que l'idée de sa mort ne venait à personne. Sans un accident stupide, sa famille, ses amis l'auraient possédé encore longtemps. Ce vieillard de quatre-vingt-trois ans fut renversé par une voiture alors qu'il faisait des emplettes pour sa femme malade. Un de ses derniers soins, sur son lit d'hôpital, fut de s'enquérir si elle était chauffée, si le calorifère fonctionnait. Détail où il est tout entier. De cet homme charmant et qui n'eut point d'ennemis tous ceux qui l'ont ne fut-ce que rencontré garderont toujours un souvenir ému.