La restauration des journaux par « séricollage »

Henry-Frédéric Raux

La Bibliothèque nationale de Paris conserve, dans son annexe de Versailles, d'immenses collections de journaux dont la préservation pose de difficiles problèmes.

Ces journaux en effet, particulièrement ceux du XIXe siècle et des premières années du xxe, ou ceux des périodes de guerre, sont imprimés sur un papier à fort pourcentage de pâte mécanique qui a tendance à se détruire de lui-même par l'interaction de ses composants; de plus, les modalités de conservation, avant la construction de l'annexe spécialisée de Versailles, n'ont pas toujours été parfaitement adaptées aux exigences très particulières des collections de journaux. Certaines collections sont restées longtemps exposées à la lumière, presque toutes ont été pliées; beaucoup sont devenues d'une telle fragilité qu'il ne peut être question de les communiquer dans cet état. Or ces collections de journaux régionaux, départementaux et locaux sont pour la plupart uniques, et de plus en plus souvent consultées par les historiens, pour lesquels elles constituent des documents de première importance.

On ne pouvait faire appel pour résoudre ce problème aux procédés classiques de restauration, appliqués de façon courante aux manuscrits et aux pièces d'archives : protection par résille de soie, ou par pellicule plastique (Laminator), beaucoup trop coûteux et beaucoup trop lents, eu égard à la masse de documents à traiter.

Depuis 1954, des essais sytématiques ont été réalisés, au département des Périodiques de la Bibliothèque nationale, en liaison avec l'atelier central de restauration, et deux formules sont apparues satisfaisantes, qui sont maintenant appliquées l'une et l'autre, de façon complémentaire.

I. La reproduction sur microfilm des collections entières, lorsque celles-ci sont encore en assez bon état pour pouvoir supporter le passage devant l'objectif. Un plan de reproduction est mis en œuvre depuis 1958, en liaison avec l'Association pour la conservation et la reproduction photographique de la presse (A.C.R.P.P.) 1.

2. L'inclusion entre deux éléments transparents vieillissant sans altération des feuillets devenus trop fragiles.

Après plusieurs années d'études et d'essais, le matériau de protection choisi a été un papier mousseline, pur chiffon, type AFNOR VII 5 de 13 grammes au mètre carré.

Pour l'inclusion du journal entre les deux feuillets de papier mousseline, un appareil spécial a été mis au point, qui dérive d'une table de sérigraphie (« silk screen », couramment employé pour l'impression de textes en couleurs, notamment d'affiches). L'encre de la sérigraphie est remplacée par de la colle, d'où le nom de « séricollage » donné à ce procédé.

La transformation de la machine primitive consiste surtout dans l'adaptation d'une turbine d'aspiration particulièrement puissante qui maintient le journal plaqué sur la table pendant les opérations d'encollage. Les écrans de soie sont montés sur des châssis interchangeables, chaque châssis correspondant à un format de journal.

Le processus du travail est le suivant : le feuillet de journal à doubler est étalé sur la table (en Formica perforé de plusieurs centaines de trous de I,5 mm de diamètre) et maintenu par l'aspiration de la turbine, fortement appliqué contre cette table; à la limite du procédé, un feuillet réduit en lambeaux peut donc être reconstitué comme un véritable puzzle. L'écran de soie, à trame très fine, est abaissé sur le feuillet, et c'est à travers cet écran que la colle sera étalée par un mouvement d'aller et retour d'une raclette en caoutchouc; le papier si fragile du journal ne subit donc aucun effort de friction au passage de la raclette et la colle est répartie de façon parfaitement homogène sur toute la surface. L'écran est relevé, la feuille de papier mousseline est appliquée sur la surface encollée, l'aspiration est supprimée, le feuillet déjà protégé sur une de ses faces est retourné et les mêmes opérations se répètent pour l'autre face.

L'ensemble, maintenant composé de trois épaisseurs, est placé entre deux blanchets de laine et passé dans une calandreuse électrique qui efface les bulles d'air et les irrégularités diverses qui pourraient subsister et donne à l'ensemble une cohésion parfaite. Il ne reste plus ensuite qu'à assurer le séchage, qui doit être mené lentement, à froid, et être très sévèrement contrôlé.

Les diverses opérations de séchage et de mise en presse terminées, les journaux sont encore conservés pendant plusieurs semaines dans l'atelier, en petites piles; au milieu de chacune des piles est glissé un hygromètre-épée et c'est seulement lorsque les indications de ces appareils coïncident avec celles de l'appareil enregistreur d'ambiance que les journaux sont, après un dernier examen de contrôle, renvoyés en magasin. Il est en effet capital de ne laisser subsister entre le journa et la pellicule de protection aucune trace d'humidité, qui pourrait favoriser le développement de moisissures, malgré toutes les précautions prises (colle spéciale additionnée de formol, etc.).

Le texte du journal reste parfaitement lisible à travers le papier de soie; il est possible de le communiquer sans risque, la résistance de l'ensemble étant trè supérieure à celle d'un papier journal neuf; la collection est sauvée. Des essais de reproduction photographique de journaux ainsi doublés ont donné d'excellents résultats.

Dans le petit atelier de restauration de journaux, créé en 1959 au département des Périodiques, deux ouvriers restaurent quotidiennement par ce procédé 50 numéros de journaux environ : c'est bien peu en face des dizaines de milliers de journaux à sauver, mais c'est un rendement élevé en comparaison des procédés classiques, et qui justifie les dépenses d'équipement engagées, d'ailleurs modestes (de l'ordre de 20 ooo NF au total en 1959); outre la table de « séricollage » et la calandreuse électrique, qui sont les appareils les plus coûteux, l'atelier comporte un grand séchoir métallique de 80 claies, une presse à percussion, une cisaille à ébarber et diverses installations secondaires. On peut même se demander s'il n'y aurait pas place en France pour un second atelier analogue, mis en priorité à la disposition des bibliothèques et des archives des départements, dont les collections de journaux ne sont pas toujours, elles non plus, en parfait état de conservation, et auquel les réserves de travail de la Bibliothèque nationale assureraient en tout état de cause le plein emploi.