Nécrologie

Gabriel Esquer

Germaine Lebel

Gabriel Esquer est mort à Alger, le 14 avril 196I, au terme d'une longue carrière passée tout entière en Algérie.

Né à Caunes-Minervois, près de Carcassonne,le 12 avril 1876, dans une ancienne abbaye bénédictine du VIIIe siècle, devenue la propriété de sa famille, ses huit premières années s'écoulent dans le cloître et dans le jardin de l'abbaye. Peut-être doit-il à cette première ambiance sa curiosité du passé et son goût pour l'histoire...

Après une rhétorique supérieure au lycée Janson de Sailly, il hésite entre le Conservatoire et l'École des chartes. Il se décide, en fin de compte, pour celle-ci et obtient le titre d'archiviste-paléographe, avec une thèse brillante sur : Le dernier Valois, François d'Alençon et d'Anjou.

Tout en poursuivant ses études, il fait ses débuts dans le journalisme au Gil Blas, au Voltaire, à L'Aurore de Clemenceau et devient secrétaire général du Théâtre des Mathurins et des Bouffes-Parisiens. C'est alors qu'il a l'occasion d'approcher de près des artistes illustres, des « monstres sacrés » comme Sarah Bernhardt, Mouney-Sully, Réjane, des auteurs dramatiques tels que Jules Renard, Tristan Bernard, Robert de Flers, des critiques comme Sarcey, Catulle Mendès, Émile Faguet.

Nommé archiviste en chef du département du Cantal, il séjourne à Aurillac, de 1903 à 1908 et en profite pour réunir les éléments d'une étude sur : La Haute Auvergne à la fin de l'Ancien Régime.

Mais son esprit curieux et avide de nouveauté lui fait accepter d'enthousiasme le poste d'archiviste-bibliothécaire du Gouvernement général de l'Algérie qu'on lui propose au début de 1909. C'est le 8 février 1909 qu'il débarque pour la première fois à Alger et ce premier contact est décisif. Quittant les neiges du Cantal, il s'émerveille du ciel bleu, de la température exceptionnellement douce et se sent conquis pour toujours.

Durant ces cinquante-deux années algériennes, les activités de Gabriel Esquer sont multiples, exercées sur des plans très divers, mais toujours avec un égal bonheur.

Aux fonctions d'archiviste-bibliothécaire qu'il exerce de 1909 à 1942, il joint, à partir de 1920 - à son retour de la guerre passée aux Dardanelles - celles d'administrateur de la Bibliothèque nationale d'Alger, poste laissé vacant par la mort, en 1916, d'Émile Maupas, le biologiste bien connu. Il est en même temps chargé de cours à la Faculté des lettres d'Alger, où il enseigne les sciences auxiliaires de l'histoire, secrétaire général de la Fédération des sociétés savantes de l'Afrique du Nord, secrétaire général de la Société historique algérienne et assure, à ce titre, la publication de l'importante Revue africaine. Quant à son activité journalistique, elle ne devait pas se ralentir jusqu'à ses derniers jours. Il collaborait encore, ces dernières années, au Journal d'Alger et aux émissions culturelles de France V.

En tant qu'archiviste-bibliothécaire du Gouvernement général, on lui doit l'organisation de la bibliothèque de cette administration, ainsi que la publication, dans la collection des Documents inédits sur l'histoire de l'Algérie, de la Correspondance du duc de Rovigo, des généraux Voirol et Drouet d'Erlon, du maréchal Clauzel, l'édition de : La Reconnaissance des villes fortes et batteries d'Alger(1808), par le chef de bataillon Boutin, etc...

La mort ne lui permettra pas de terminer la publication de la correspondance du maréchal Bugeaud, entreprise avec la collaboration de Pierre Boyer.

Administrateur de la Bibliothèque nationale d'Alger, qu'il dirige de 1920 à 1948, avec une égale compétence, il travaille à obtenir la construction d'une nouvelle bibliothèque. Malheureusement, ce projet ne pourra être réalisé que plus tard.

Ces diverses activités ne l'empêchent pas d'élaborer une oeuvre scientifique considérable, où la méthode historique la plus rigoureuse s'allie à un remarquable talent littéraire.

Dès son arrivée à Alger, il oriente ses recherches vers l'histoire de l'Algérie et, en particulier, de l'expédition de 1830. Outre de nombreux articles, ces recherches lui fournissent la matière d'un livre important, paru en 1923 et réédité en 1929, intitulé : Les Commencements d'un Empire. La prise d'Alger (1830). Cet ouvrage vaut à son auteur le grand prix littéraire de l'Algérie et le 2e prix Gobert de l'Académie française.

A l'occasion du centenaire de l'Algérie, il publie ensuite, en 1929, sa magistrale Iconographie historique de l'Algérie, depuis le XVIe siècle jusqu'en 187I, véritable monument, en 3 volumes grand in-folio, groupant 1 0II reproductions tirées des bibliothèques du monde entier et qui est une mine de renseignements concernant l'histoire de l'Algérie. Il obtient, pour cet ouvrage, le prix Bordin à l'Académie des beaux-arts, le prix du Comité de l'Algérie et le prix Barbié du Boccage, de la Société de géographie de Paris.

Au cours de la dernière guerre, il collabore au journal Combat pendant la période 1943-1946 et publie, également en 1946, un ouvrage sur le débarquement intitulé : 8 novembre 1942, premier jour de la libération.

Parvenu à une profonde connaissance de l'histoire algérienne, dominant entièrement son sujet, il rédige, de 1950 à 1953, plusieurs études d'ensemble : une Histoire de l'Algérie, dans l'ouvrage intitulé Visages de l'Algérie, paru aux Horizons de France, avec la collaboration d'André Cléac'h, G. Audisio et Christian de Gastyne, sa petite Histoire de l'Algérie, dans la collection « Que sais-je? », parue en 1950 et rééditée en 1960 et son charmant guide d'Alger : Alger et sa région, dans la collection Sites et monuments.

Citons encore, en 195I, dans la collection Colonies et empires, L'Anticolonialisme au XVIIIe siècle, un choix de pages de l'ouvrage de l'abbé Raynal : Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, puis, de 1954 à 1956, une série de fascicules parus dans la revue Simoun : l'Algérie vue par les écrivains, la Vie intellectuelle en Algérie, la Vie algérienne de Petrus Borel le lycanthrope.

Lorsque la mort le surprit, Gabriel Esquer s'occupait d'écrire ses Mémoires, qui n'auraient certainement pas manqué de saveur ni de piquant.

Les plus hautes distinctions honorifiques avaient couronné ses travaux. Il était officier de l'Instruction publique, officier de la Légion d'honneur, commandeur du Ouissam Alaouite et membre non résidant de l'Académie des sciences d'outre-mer.

Il laisse le souvenir d'un savant authentique, d'une forte personnalité et d'un ami fidèle.