Le dépôt légal : son sens et son évolution
Le dépôt légal se distingue de tout autre dépôt dans le domaine des arts graphiques par son caractère d'universalité: il vise toutes les productions. Son but a plusieurs fois varié du XVIe siècle à nos jours; son évolution a mis au premier plan aujourd'hui son but culturel (accroissement des bibliothèques, établissement de la bibliographie nationale). Ce sont les bibliothèques qui ont de plus la charge et le bénéfice du dépôt légal. L'organisation actuelle donne-t-elle toute satisfaction? Il semble qu'on doive s'orienter vers un système plus souple intéressant un plus grand nombre de bibliothèques.
L'institution du dépôt légal, on l'a souvent noté, a quelque chose d'ingrat. Elle évoque des idées confusément mêlées de censure, de police, de bibliothèques, de propriété littéraire. On confond souvent le dépôt légal avec le dépôt administratif ou le dépôt judiciaire.
Cherchons donc une définition. Les juristes définissent en général le dépôt légal comme « l'institution ordonnant la remise à une autorité publique, en un lieu déterminé par la loi, de un ou plusieurs exemplaires de toutes les productions des arts graphiques... ». Cette définition pourrait s'appliquer au dépôt administratif ou au dépôt judiciaire des publications périodiques s'il n'y avait le mot toutes. C'est parce qu'il vise toutes les productions des arts graphiques que le dépôt légal se distingue. de tout autre dépôt.
Ce caractère d'universalité une fois posé, une question vient immédiatement à l'esprit : pourquoi rassembler en un même lieu un ou plusieurs exemplaires de tout ce qui s'imprime? Il y a plusieurs réponses. Pour plus de clarté nous ramènerons à trois les fins que l'on peut reconnaître au dépôt légal à un moment ou à un autre de son histoire : une fin politique (surveillance de l'imprimerie et de l'édition par le gouvernement), une fin juridique (garantie de la propriété littéraire, contrôle des droits d'auteurs), une fin culturelle (accroissement des collections nationales, conservation du patrimoine littéraire).
Une brève analyse du développement de l'institution va nous montrer qu'après une première période de confusion sous l'Ancien régime, le dépôt légal se caractérise, de la Révolution à nos jours, par la prédominance successive de chacune des fins que nous lui avons reconnues. Il s'est fait ainsi divers essais à travers le temps qui sont d'un précieux enseignement.
Évolution historique du dépôt légal
1) L'Ancien régime : période de confusion des fonctions.
L'ordonnance de Montpellier du 28 décembre 1537, charte de fondation du dépôt légal, assigne deux buts à la nouvelle institution. Le premier, le but culturel, est clairement avoué, magnifiquement défini, et c'est lui qu'on a surtout aperçu : « Nous avons délibéré de faire retirer, mettre et assembler en notre librairie toutes les œuvres dignes d'être vues, qui ont été et qui seront faites, compilées, amplifiées, corrigées et amendées de notre temps pour avoir recours aux dits livres, si, de fortune, ils étaient ci-après perdus de la mémoire des hommes... »
Le second, le but politique, est moins noble. François Ier craint surtout les productions des imprimeries protestantes : il exige des libraires qu'ils communiquent, préalablement à la mise en vente, tout ouvrage imprimé hors du royaume à son garde de la librairie qui en fera, si besoin est, rapport au Conseil du roi et aux gens de justice « pour savoir s'il sera tolérable d'être vu, afin d'obvier aux méchantes œuvres et erreurs qui sont par ci-devant imprimées ès pays étrangers... ». En ce qui concerne les ouvrages imprimés en France, il est expressément défendu aux imprimeurs et libraires de les mettre en vente avant d'avoir fait le dépôt entre les mains du garde de la librairie ou son commis, sous peine de confiscation de tous et chacun des livres et amende arbitraire.
Dans l'application, l'ordonnance s'avéra inefficace. Le garde de la librairie, à Blois, ignorait les livres qu'on imprimait; il n'avait pratiquement pas de commis dans les bonnes villes et universités; et dès l'origine, la matière du dépôt légal s'avérait d'une espèce particulièrement insaisissable.
Cette carence fait qu'on cherche de nouveaux moyens. Un édit d'août 1617 relie le dépôt légal au système des privilèges : c'est là l'origine lointaine de la fonction de protection de la propriété littéraire assignée par la suite au dépôt légal. Dans un arrêt du Conseil privé du 17 octobre 1704 se dessine bien le système confus d'alors : sous peine d'annulation du privilège les auteurs, libraires, imprimeurs, graveurs doivent remettre cinq exemplaires, dont deux vont au garde de la Bibliothèque du Roi, un au garde du Cabinet du château du Louvre, un au chancelier, un au censeur.
Malgré des sanctions énormes, - qui n'étaient pas appliquées, - le rendement du dépôt légal pendant l'Ancien régime fut dérisoire, surtout en ce qui concerne la province.
2) Révolution : le dépôt légal, garantie de la propriété littéraire.
La Révolution supprime le dépôt légal, comme le privilège et la censure, avec toutes les charges de l'Ancien régime. Elle le restaure en 1793, pour une nouvelle fonction : garantir la propriété littéraire. L'article 6 des décrets-lois des 19 et 24 juillet 1793 est ainsi rédigé : « Tout citoyen qui mettra au jour un ouvrage soit de littérature, soit de gravure dans quelque genre que ce soit, sera obligé d'en déposer deux exemplaires à la Bibliothèque nationale ou au Cabinet des estampes de la République, dont il recevra un reçu signé par le bibliothécaire; faute de quoi il ne pourra être admis en justice pour la poursuite des contrefactures. » Dans ce système le dépôt est donc fait par l'auteur, s'il le désire. Les ouvrages anonymes, par définition, n'ont pas à être déposés. La fin culturelle du dépôt légal apparaît comme très négligée. Quant à la liaison de la propriété littéraire et du dépôt légal, elle a été vivement combattue par la suite et pratiquement supprimée par la jurisprudence.
3) Empire : le dépôt légal comme instrument de police.
L'Empire donne au dépôt légal pour but la surveillance administrative de l'imprimerie et particulièrement de la presse. L'article 48 du décret-loi du 5 février 1810 fixe le dépôt légal à 5 exemplaires, dont 3 sont destinés à la Censure, 1 à la Bibliothèque impériale, 1 à la Bibliothèque du Conseil d'État. Le lieu de dépôt est la Préfecture, ce qui est une heureuse décentralisation.
Il n'y a pas de sanctions prévues. Et pourtant les dépôts s'effectuent très bien : l'imprimerie et la librairie sont rattachées à la police; le directeur général de l'Imprimerie accorde, refuse et peut retirer à tout moment leur brevet aux imprimeurs et libraires. Dans ce système la fonction culturelle du dépôt légal profite de la fonction politique prédominante. C'est une solution qui, pour être efficace n'est pourtant pas, à notre avis, parfaite.
La Restauration conserva d'abord le système de l'Empire, puis l'atténua progressivement. La surveillance administrative de la presse est'alors confiée au dépôt administratif (loi du 9 juin 1819) et au dépôt judiciaire (loi du 28 juillet 1828). La fonction culturelle du dépôt légal regagne du terrain : l'ordonnance du 9 janvier 1828 fixe le dépôt à deux exemplaires, l'un à la Bibliothèque du Roi, l'autre au Ministère de l'intérieur. Ce dernier doit, après examen, envoyer son exemplaire à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.
4) Période contemporaine : le dépôt légal au service de la culture.
La lutte de la presse et du pouvoir pendant tout le XIXe siècle aboutit à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dont l'article 3 fixe un dépôt légal essentiellement culturel dans son but : « Au moment de la publication de tout imprimé il en sera fait par l'imprimeur, sous peine d'amende de 16 à 300 francs, un dépôt de 2 exemplaires destiné aux collections nationales. » Pratiquement le but n'est pas pleinement atteint : le dépôt se fait par l'intermédiaire des préfectures - souci de surveillance administrative -, et les prescriptions légales manquent complètement sur l'état des imprimés à déposer. Les imprimeurs peuvent ainsi déposer séparément le texte, la couverture, les planches d'un même livre dans des préfectures différentes : à la Bibliothèque nationale il est impossible de reconstituer de nombreux livres.
De façon annexe la fonction juridique du dépôt légal reparaît sous une nouvelle forme : l'acte de dépôt i ndique le chiffre du tirage et le titre de l'imprimé.
La loi du 19 mai 1925 marque un nouveau et grand progrès. Le dépôt d'éditeur est créé au profit de la Bibliothèque nationale. Le dépôt d'imprimeur reste confié au Ministère de l'intérieur, qui transmet les exemplaires à la Bibliothèque nationale pour attribution à une bibliothèque parisienne. Les déclarations de dépôt légal sont plus détaillées, et le recoupement des déclarations d'éditeur et d'imprimeur donne une meilleure garantie aux auteurs.
La loi du 21 juin 1943, qui est en vigueur aujourd'hui, par certains détails qui sentent son époque, marque un retour à la fonction politique du dépôt légal. Mais dans l'ensemble, elle n'arrête pas l'évolution commencée de l'institution. Le dépôt légal est placé sous la direction du Ministère de l'intérieur, mais, en fait, jamais les services de ce Ministère et ceux de la Bibliothèque nationale n'avaient été aussi nettement séparés : les éditeurs doivent déposer de façon distincte quatre exemplaires à la Bibliothèque nationale, un exemplaire au Ministère de l'intérieur. Quant au dépôt d'imprimeur, il dépend uniquement des services de la Bibliothèque nationale, établis dans les bibliothèques régionales.
Pour la première fois deux fonctions du dépôt légal, sa fonction culturelle et sa fonction politique, sont nettement séparées. La fonction juridique est, comme précédemment, secondaire : les déclarations de dépôt d'éditeurs et d'imprimeurs renseignent les auteurs sur le chiffre de tirage de leurs ouvrages. C'est une faible garantie du contrat d'édition, et cette fonction du dépôt légal ne subsiste que par l'absence de législation dans ce domaine. Quant à la garantie de la propriété littéraire elle se limite à conserver au dépôt légal une valeur déclarative de droits.
On peut donc considérer le dépôt légal, au point où il est parvenu de son évolution, comme un dépôt légal à prédominance culturelle tendant à se détacher de ses autres fonctions. Cette évolution est aidée par le fait que la fonction de surveillance du dépôt légal, dévolue au Ministère de l'intérieur, perd de son importance. La preuve en est dans la création de nouveaux dépôts de surveillance : dépôt administratif au bénéfice du Ministère de l'information, dépôt spécial à la Commission de contrôle des publications destinées à la jeunesse.
En rattachant le dépôt légal du Ministère de l'intérieur aux autres dépôts de surveillance et en rapprochant le dépôt légal de la Bibliothèque nationale des deux dépôts à tendance culturelle que sont ceux des publications officielles et des phonogrammes, on obtient le tableau suivant qui est l'état actuel des dépôts fixés par la loi 1.
Tableau des différents dépôts d'imprimés actuellement exigés.
A. Les dépôts culturels.
I) Loi du 2I juin 1943 :
- s'adresse aux éditeurs ou à toute personne physique ou morale qui en tient lieu et aux imprimeurs;
- concerne les imprimés de toute nature, sauf les travaux dits de ville, les travaux dits administratifs, les travaux dits de commerce. Les impressions musicales sont exemptées du dépôt d'imprimeur. Les ouvrages de luxe tirés à moins de 300 exemplaires, les estampes artistiques tirées à moins de 200 exemplaires, et les réimpressions sont soumises à un dépôt réduit : 1 exemplaire par l'éditeur, 1 exemplaire par l'imprimeur.
- Dépôt de l'éditeur en 4 exemplaires à la Bibliothèque nationale, 58, rue de Richelieu, Paris (IIe).
- Dépôt de l'imprimeur en 3 exemplaires à la bibliothèque régionale dont il dépend par son lieu de résidence :
AMIENS (Bibliothèque municipale, 50, rue de la République) : Aisne, Ardennes, Somme, Oise.
ANGERS (Bibliothèque municipale, 20, rue du' Musée) : Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe, Indre-et-Loire.
BESANÇON (Bibliothèque municipale, 9, rue de la Bibliothèque) : Doubs, Haute-Saône, Jura.
BORDEAUX (Bibliothèque municipale, 3, rue Mably) : Gironde, Landes, Basses-Pyrénées, Dordogne.
CHALONS-SUR-MARNE (Bibliothèque municipale, passage Henri-Vendel) : Marne, Haute-Marne, Aube.
CLERMONT-FERRAND (Bibliothèque municipale et universitaire, I, bd La Fayette) : Allier, Puy-de-Dôme, Cantal, Haute-Loire.
DIJON (Bibliothèque municipale, 5, rue de l'École-de-Droit) : Côte-d'Or, Yonne, Nièvre.
LILLE (Bibliothèque municipale, I, place Georges-Lyon) : Nord, Pas-de-Calais.
LIMOGES (Bibliothèque municipale, 6, place de l'Ancienne-Comédie) : Haute-Vienne, Indre, Creuse, Corrèze.
LYON (Bibliothèque municipale, 4, av. Adolphe-Max): Saône-et-Loire, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire, Ardèche, Drôme, Isère.
MARSEILLE (Bibliothèque municipale, 2, place Auguste-Carli) : Gard, Bouches-du-Rhône, Var, Alpes-Maritimes, Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Vaucluse, Corse.
MONTPELLIER (Bibliothèque municipale, 37, bd de l'Esplanade) : Pyrénées-Orientales, Aude, Lozère, Aveyron, Hérault.
NANCY (Bibliothèque municipale, 43, rue Stanislas) : Meurthe-et-Moselle, Meuse, Vosges, Moselle.
ORLÉANS (Bibliothèque municipale, I, rue Dupanloup) : Loiret, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Cher.
PARIS (Bibliothèque nationale, 58, rue Richelieu, 2e) : Seine, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise.
POITIERS (Bibliothèque municipale, place du Marché-Notre-Dame) : Vienne, Deux-Sèvres, Vendée, Charente-Maritime, Charente.
RENNES (Bibliothèque municipale, 7, place Hoche) : Ille-et-Vilaine, Côtes-du Nord, Finistère, Morbihan, Loire-Atlantique.
ROUEN (Bibliothèque municipale, 3, rue de la Bibliothèque) : Seine-Maritime, Calvados, Eure, Manche, Orne.
STRASBOURG (Bibliothèque nationale et universitaire, 6, place de la République) : Bas-Rhin, Haut-Rhin, Territoire de Belfort.
TOULOUSE (Bibliothèque municipale, I, rue du Périgord) : Lot, Tarn-et-Garonne, Gers, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège, Tarn, Lot-et-Garonne.
2) Loi du 29 juillet 188I, article 35, modifié par la loi du 14 avril 1952 et la loi du 3I décembre 1953, complété par l'arrêté du 15 avril 1960 :
- s'adresse aux éditeurs de publications officielles (ministères, administrations publiques, tant de Paris que des départements et d'outre-mer, établissements publics, entreprises nationalisées);
- concerne les documents imprimés par les éditeurs sus-visés, soit à leur compte, soit au compte d'une maison privée d'édition.
- Dépôt d' 1 exemplaire à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale.
- Dépôt d' 1 exemplaire à la Bibliothèque du Sénat.
- Dépôt de 5 exemplaires au Ministère de l'éducation nationale, Service des échanges internationaux, 65, rue de Richelieu, Paris (IIe), sur la demande de ce Service pour satisfaire aux accords d'échange de publications officielles souscrits par l'intermédiaire du Ministère des affaires étrangères.
3) Le dépôt des disques phonographiques prévu par la loi du 2I juin 1943, se fait en 2 exemplaires à la Phonothèque nationale, 19, rue des Bernardins, Paris (Ve), qui avait été désignée pour le recevoir par le décret du II mai 1938.
B. Les dépôts de surveillance.
I) Loi du 21 juin 1943 :
- s'adresse aux éditeurs;
- concerne les imprimés de toute nature, périodiques et non-périodiques, sauf les travaux dits de ville, administratifs ou de commerce;
- dépôt d' 1 exemplaire à la Régie du dépôt légal au Ministère de l'intérieur, 3, rue Cambacérès, Paris (VIIIe).
2) Loi du 29 juillet 188I, article 10, modifié par la loi du 3I décembre 1945, article 150 :
- s'adresse aux directeurs de publications périodiques;
- concerne les journaux et périodiques;
- dépôt double :
- dépôt administratif en 10 exemplaires (provisoirement 6 pour les publications paraissant au moins une fois par semaine et 4 pour les autres) au Ministère de l'information, 37, avenue de Friedland, pour Paris et la Seine, à la préfecture, ou à la sous-préfecture ou à défaut à la Mairie, pour les autres départements;
- dépôt judiciaire de 2 exemplaires signés au Parquet du procureur de la République, ou, à défaut de tribunal, à la mairie.
3) Loi du 16 juillet 1949 :
- s'adresse aux éditeurs de publications destinées à la jeunesse;
- concerne les publications périodiques ou non qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents.
- Dépôt de 5 exemplaires au Ministère de la justice, 4, place Vendôme, Paris (Ier), pour la Commission de contrôle des publications destinées à la jeunesse.
Le dépôt légal et les bibliothèques
En fait aujourd'hui le dépôt légal est donc revenu à sa fonction originelle, après avoir écarté ou mis au second plan ses autres fonctions. Il sert essentiellement la culture, non seulement en enrichissant les fonds des bibliothèques, mais surtout en assurant par la conservation de collections témoins la pérennité de la production littéraire du pays. Une des caractéristiques de son développement dans la dernière période est l'augmentation du nombre des bibliothèques intéressées à son fonctionnement : d'abord ce fut seulement la Bibliothèque nationale, puis, sous la Restauration, la Bibliothèque Sainte-Geneviève; plusieurs bibliothèques parisiennes sont jointes à cette dernière en 1926; enfin en 1943, s'ajoutent aux précédentes dix-huit bibliothèques régionales, dont le nombre est porté à dix-neuf en 1953. Il convient de se demander quel bénéfice ont pu retirer de cette évolution, d'une part les bibliothèques, d'autre part le dépôt légal lui-même envisagé dans son rendement.
1. Intérêt du dépôt légal pour les bibliothèques.
Le dépôt légal, comme moyen d'accroissement des collections, présente un intérêt certain pour la Bibliothèque nationale, qui reçoit directement des éditeurs toute la production française. Toute... du moins en principe. Nous verrons tout à l'heure s'il serait possible de réduire l'inévitable marge des lacunes du dépôt légal.
Soulignons toutefois un autre aspect de la question : si le dépôt légal enrichit, à n'en pas douter, les collections de la Bibliothèque nationale, cet enrichissement ne devient-il pas dans certains cas, excessif ? Le dépôt légal ne risque-t-il pas d'alourdir nos fonds d'une quantité d'imprimés qui n'ont souvent que valeur d' « archives »? Peut-être y aurait-il lieu de réserver, comme le principe en est déjà admis pour certaines catégories de documents, un traitement simplifié à un plus grand nombre de publications, tout en continuant à en assurer la conservation. Mais ceci dépasse l'objet de cette étude.
En ce qui concerne les bibliothèques régionales auxquelles échoit la production typographique de leur ressort, l'intérêt qu'elles en retirent est plus discutable. Le dépôt effectué par l'imprimeur donne, comme sous la loi de 1881, des ouvrages parfois incomplets. De même, il fragmente les collections de périodiques dont l'impression est fréquemment partagée entre divers imprimeurs résidant en divers lieux. Surtout, la répartition des ouvrages, basée sur le lieu d'impression, risque de décevoir les attributaires. Une monographie sur la Bretagne, imprimée et déposée à Clermont-Ferrand, serait mieux à sa place à Rennes, qui doit l'acquérir.
Enfin, si nous évoquions précédemment les inconvénients que représente, même pour la Bibliothèque nationale, un dépôt légal trop abondant, que dire des bibliothèques provinciales, dont les locaux souvent insuffisants, sont encombrés par le dépôt légal d'une masse de publications sans intérêt pour elles. Des manuels scolaires, des ouvrages de vulgarisation, des bulletins d'associations, qui ont déjà leur place à Paris, viennent grossir sans utilité les collections de telle ou telle bibliothèque de province, au hasard du lieu de leur impression. C'est ainsi que Lyon reçoit environ 500 bulletins paroissiaux intéressant toutes les régions...
2. Efficacité du régime actuel du dépôt légal en ce qui concerne son rendement.
Le rendement du dépôt légal est en fonction des moyens d'information dont disposent les bibliothèques.
La Bibliothèque nationale est assurément mieux placée que toute autre pour recueillir le maximum d'informations, puisqu'elle est dotée d'un service spécialisé.
Néanmoins, il ne faut pas se dissimuler que la surveillance des publications reste difficile. Le dépôt des publications officielles, entre autres, pose un problème irritant. Celles-ci sont parfois insaisissables, en raison de la complexité des services responsables et de la multiplicité des lieux d'impression. Si l'Imprimerie nationale dépose ce qu'elle imprime pour les administrations centrales, les publications des administrations départementales et locales manquent souvent totalement. Nombre de documents importants, aussi, échappent au dépôt, parce qu'ils sont multigraphiés, et faute d'un imprimeur instruit de ses obligations. Une amélioration pourrait être obtenue par l'installation d'un responsable des publications dans chaque administration centrale et départementale. Les bibliothécaires des ministères ou les archivistes des préfectures sembleraient qualifiés pour veiller au dépôt des publications administratives.
Il n'est pas aisé non plus d'obtenir le dépôt d'éditeurs occasionnels, tels que les partis politiques, les foires, les salons, les expositions... Il faut sans cesse harceler les uns, essayer de faire comprendre aux autres que leur intérêt coïncide précisément avec leur devoir.
Ici, nous touchons du doigt une des causes de l'insuffisance du rendement provincial. Si les moyens d'information manquent parfois au Service du dépôt légal, il est évident que les bibliothèques régionales sont, bien davantage, démunies. Elles sont peu renseignées, en dehors de leur siège, sur ce qui s'imprime, dans un ressort souvent trop étendu. Les moyens de détection leur manquent. Elles n'ont pas à leur disposition le personnel qui pourrait prospecter les villes voisines.
Des missions ont parfois été confiées à des employés du Dépôt légal : il semble bien que le résultat acquis ait été disproportionné aux crédits engagés. Augmenter le nombre des centres habilités à recevoir le dépôt légal remédierait à la difficulté d'information : plus le réseau des enquêteurs sera serré, plus la quête sera fructueuse.
Il faut, en résumé, avouer que la mission des bibliothèques régionales chargées du dépôt légal est ingrate. Nous ne pouvons méconnaître l'étendue de leur tâche, la précarité de leurs ressources insuffisamment compensées, nous l'avons vu, par les avantages que leur procure le dépôt légal.
Il semble qu'il serait de bonne politique d'intéresser davantage les bibliothèque s au dépôt légal en s'orientant vers une formule plus souple qui leur permettrait de bénéficier du dépôt au moyen d'une redistribution rationnelle à partir de Paris. Un pas a d'ailleurs été fait en ce sens : la contribution du dépôt légal à la constitution d'une future Bibliothèque nationale centrale de prêt intéresse l'ensemble des bibliothèques. D'autre part, on peut interpréter dans le même esprit la distribution d'un exemplaire de certains périodiques à Strasbourg et à Toulouse, destiné au prêt entre bibliothèques.
Nous avons ainsi souligné quelques-unes des imperfections du dépôt légal, et suggéré quelques solutions qui pourraient en améliorer le fonctionnement : notre conclusion, cependant, ne sera pas pessimiste. S'il convient d'accroître l'efficacité du dépôt légal en transformant ce qui doit l'être, il faut reconnaître que les résultats n'en sont déjà pas si mauvais.
Le dépôt légal, qui a pu au XVIe siècle être édicté par un roi pour constituer sa bibliothèque, est devenu aujourd'hui d'intérêt général et d'exécution collective.
Il sert à tous directement par l'accroissement de nombreuses bibliothèques, indirectement par les bibliographies qu'il sert à établir, au premier chef la Bibliographie de la France et ses importants suppléments. Il convient certes d'améliorer son rendement : nous espérons avoir montré que l'effort vers un meilleur dépôt légal ne peut plus être aujourd'hui celui d'un seul garde de la librairie, mais celui de la collectivité des bibliothécaires.