« Enrichissements de la Bibliothèque nationale »

Jean Babelon

La Bibliothèque nationale vient de rassembler un choix des pièces les plus précieuses ou les plus rares qui sont entrées dans ses collections au cours des quinze dernières années, les unes par dons, les autres par legs, la plupart par la voie d'acquisition.

Les divers départements de la Bibliothèque nationale ont apporté leur contribution à cette présentation dont l'importance a été soulignée par M. Louis Joxe, ministre de l'Éducation nationale, à l'issue de l'inauguration.

Le catalogue 1 comprend I.30I notices rassemblées par départements. Chacun des conservateurs en chef les a fait précéder d'une courte introduction. M. Jean Babelon, M. Jean Adhémar et Mlle Monique de la Roncière ont bien voulu, à l'intention du Bulletin des Bibliothèques de France, exposer plus longuement ce qu'ont été les enrichissements du Cabinet des médailles, du Cabinet des estampes ainsi que ceux du département des Cartes et plans.

Cabinet des médailles

Les accroissements du Cabinet des médailles durant les quinze dernières années ont été remarquables par leur quantité autant que par leur qualité. Il n'a donc été possible de faire figurer au catalogue de l'Exposition qu'un choix très restreint des monnaies, médailles, objets divers, dont l'afflux constant a enrichi les collections nationales. Bien plus, faute de place, nombre de pièces signalées n'ont pu prendre place dans les vitrines réservées au Département dit « des Médailles et Antiques ». On aurait voulu dresser un bilan exhaustif de ces apports répartis dans tous les secteurs, cela n'a été réalisé qu'en partie.

Ces accroissements tiennent à différentes causes : d'abord l'emploi des crédits annuels réguliers, à quoi sont venus s'adjoindre des ressources mises à la disposition du conservateur en chef, quand il s'est agi de ne pas laisser échapper l'occasion d'acquérir une pièce d'une importance particulière, ou bien un fonds entier apparu sur le marché. De plus, une tradition honorable qui n'est pas tombée en désuétude a voulu que de célèbres collectionneurs se soient défaits en notre faveur du fruit de leurs recherches, poursuivies durant toute une vie.

Quant aux acquisitions que l'on peut dire courantes, elles ont été concertées en relation avec les archéologues travaillant sur les divers chantiers de fouilles, et aussi menées à bien à l'occasion des grandes ventes publiques.

Un bref résumé donnera quelque idée de la valeur du travail ainsi accompli par les membres du personnel scientifique qui se sont partagé la besogne, chacun selon sa spécialité.

Dans le domaine de la numismatique grecque, si riche par la documentation qu'elle nous apporte dans l'ordre historique ou esthétique, les séries de l'Italie méridionale et de la Sicile ont continué de retenir l'attention. Signalons d'autre part, un tétradrachme des Bisaltes, un autre de la Ligue chalcidienne, et la curieuse pièce de Scioné, qui illustre par ses types la légende de Protésilas, première victime de la guerre de Troie. En outre, on s'est attaché à compléter des ensembles : les monnaies de Crète qui posent d'intéressants problèmes de style et d'histoire mythologique; les monnaies des Rois de Syrie (Séleucides); les monnaies des Rois Parthes; les monnaies d'Arménie; les monnaies de Characène, sur les rives du Golfe Persique.Les collections du Cabinet des médailles sont ainsi devenues sans rivales. Un lot de petites monnaies de bronze de Syrie nous met sous les yeux de remarquables types d'architecture.

La numismatique romaine, depuis le IVe siècle av. J.-C., jusqu'à l'époque byzantine est représentée par des pièces rares, comme le sesterce de Britannicus, les tétradrachmes de l'usurpateur Uranius Antoninus, frappés à Emèse et où l'on voit la pierre sacrée d'Elagabale, plus tard le médaillon d'or de Constantin qui porte le nom de Francia, le médaillon d'argent qui commémore la fondation de Constantinople, en 330, le médaillon d'or de Magnence frappé à Trèves, une rare monnaie d'argent de Priscus Attalus.

Les séries des monnaies gauloises se sont accrues de quelques statères d'or, et de monnaies diverses des Vénètes, des Carnutes, des Nervii, des Parisii...

Il importait au premier chef d'accroître dans toute la mesure du possible, les séries nationales. De très nombreuses monnaies mérovingiennes, carolingiennes, royales françaises, féodales, ont pris place dans nos médailliers. Elles ont fait l'objet d'études de détail, ou de publications d'ensemble qui donnent le dernier état de la science à leur sujet. A cela viennent s'adjoindre des monnaies de l'Orient latin. Mais le phénomène monétaire se poursuit sous nos yeux. Les monnaies étrangères de tout pays n'ont donc pas été oubliées, non plus que quelques exemplaires de monnaies primitives qui permettent, par comparaison, de saisir à son début cette évolution sociale ou économique.

Une place, malheureusement trop restreinte, a été faite dans l'exposition aux trésors monétaires mis au jour sur tous les points du territoire national. Ces dépôts, selon l'esprit de la loi qui en prescrit la déclaration et en régit l'attribution, sont communiqués pour examen scientifique au Cabinet des médailles, et c'est là que des spécialistes éprouvés se livrent à la tâche difficile d'identifier les pièces, de les classer, de façon à déterminer la date de leur enfouissement et les conjonctures historiques et politiques qu'elles révèlent.

Les médailles, françaises ou étrangères, constituent un domaine nettement séparé de celui des monnaies. Elles forment un chapitre de l'histoire de l'art, mais aussi, aux époques où les gouvernements trouvaient en elles un instrument de propagande efficace, elles méritent qu'on en analyse les types et les légendes plus ou moins éloquentes, et parfois agressives. Rappelons la bataille métallique qui mit aux prises la Hollande et la France de Louis XIV. A côté de ces pièces on trouvera de belles médailles russes en or, les médailles de la Maison de Savoie données par S. M. Humbert II d'Italie. L'histoire de la médaille se poursuit à notre époque par les pièces frappées à la Monnaie, ou bien fondues à peu d'exemplaires. Les artistes contemporains marchent sur les traces de leurs aînés en manifestant plus ou moins d'indépendance. Eux aussi trouvent leur inspiration dans l'actualité et laisseront des portraits des personnages du siècle.

Parmi les médaillons ou pièces analogues, nous citerons un médaillon de buis qui représente Sigismond Pandolphe Malatesta, seigneur de Rimini, œuvre probablement du médailleur allemand Mathes Gebel, qui s'inspirait de la médaille de Matteo de' Pasti, sans renoncer pour autant à son style personnel de tailleur de bois. Plus loin, sur une plaque de bronze argenté nous trouvons le portrait de Louise de Lorraine, épouse de Henri III. Un médaillon de cire colorée est le modèle du médaillon de Victor Amédée de Savoie, fondu par le maître Guillaume Dupré, en 1636. Enfin le grand médaillon de bronze de Jeanne d'Arc fut placé par Chapu au centre du tablier de la cheminée de la salle d'orgue, dans l'hôtel Gounod.

Rassemblés dans une vitrine, on trouvera une collection précieuse de sceaux et de bulles de l'Orient latin, parmi lesquels relevons le sceau de Baudoin Ier, roi de Jérusalem, ou celui de Bohémond III, prince d'Antioche de 1163 à 1201.

Un monument insigne de la glyptique a pu être retenu, au passage de l'occasion, quand il est apparu sur le marché. Il s'agit d'un grand camée rond de sardonyx qui nous offre un très délicat portrait d'Octavie, la sœur d'Auguste, au moment de son mariage avec Marc Antoine, en 39 av. J.-C.

Dans une haute vitrine verticale ont été rassemblés des objets disparates, certes, mais qui attestent que le Cabinet des médailles n'a rien perdu du caractère universel que lui ont donné ses fondateurs, et les mécènes à qui il a dû son prestige au cours des siècles. C'est ainsi qu'on y trouvera un clou de fondation en terre cuite de Goudéa datant du IIIe millénaire av. J.-C., une urne funéraire en marbre, affectant la forme d'un petit temple, et portant une inscription romaine, un manche de couteau mithriaque en bronze, trouvé dans les environs de Narbonne, des bijoux d'or de style gréco-asiatique, un miroir urtukide en bronze, du XIIe siècle ap. J.-C.

Une petite tête en marbre, représentant sans doute quelque philosophe de l'époque d'Adrien, nous pose l'énigme de son expression sceptique et méditative; c'est là un portrait rare par la finesse du modelé plastique.

En dernier lieu nous nous attarderons sur les objets légués par le connaisseur raffiné que fut M. Guérin. On peut dire que tous les styles et toutes les époques y sont représentés : fragment de céramique grecque du ve siècle, figurine égyptienne en ivoire, de l'époque pré-dynastique, petits bronzes qui évoquent l'art animalier des steppes. Au centre une charmante statuette de bronze d'époque hellénistique, de dimensions bien exiguës, mais toutefois monumentales.

Le bas de la vitrine est occupé par deux dessins choisis parmi les projets de médailles d'Augustin Dupré.

  1. (retour)↑  Enrichissements de la Bibliothèque nationale de 1945 à 1960. Dons et acquisitions [Préf. de Julien Cain]. - Paris, impr. Tournon, 1960. - 21 cm., XII-232 p., XXIV pl., couv. ill.