L'inventaire du fonds français du Cabinet des estampes
L'auteur, qui compte depuis 1934 parmi les rédacteurs de l'Inveiitaire du fonds français, en expose l'histoire, la publication en volumes consacrés à chacun des siècles à partir du XVIe sous l'impulsion de MM. Lemoisne, Laran et Vallery-Radot, avec le soutien de M. Julien Cain (début 1930). Il fait précéder cet exposé de celui des tentatives faites au XVIIIe et au xixe siècle pour publier de tels ouvrages et le fait suivre d'exemples de rédaction de l'Inventaire des divers siècles
Rédiger un inventaire susceptible de donner aux lecteurs le moyen de trouver les pièces qui les intéressent, et qui donne aussi le catalogue de l'œuvre des graveurs, a toujours été le rêve des conservateurs de collections publiques d'estampes. Mais la réunion des deux objectifs n'était pas fréquente : tantôt on donnait un catalogue de graveurs où les sujets étaient difficiles à trouver, tantôt un catalogue par sujets dans lequel la personnalité, l'intérêt par conséquent, de l'auteur n'était pas indiquée.
La forme qui peut actuellement sembler la plus parfaite devait être imaginée au Cabinet des estampes de Paris, seul au monde à avoir constitué depuis le XVIIe siècle une collection d'œuvres de graveurs et, avec les doubles, une collection d'estampes classées par sujets : le plan de cette double collection s'inscrit dans le plan des étages du Cabinet nouvellement aménagés grâce à M. Julien Cain : trois étages pour les pièces classées par sujets, deux étages pour les pièces classées par auteurs.
Dès le XVIIe siècle on a pensé, nous le montrerons, à l'Inventaire, mais c'est après la guerre de 1914 que seront établies et mises en vigueur par MM. Lemoisne et Laran les normes d'un catalogue scientifique et complet qui commence par l'école française, et porte le nom d'Inventaire du fonds français.
Il n'est pas inutile d'en parler un peu longuement car cet instrument de travail remarquable, et dont l'utilité n'échappe pas à ceux qui s'en servent, est à peu près inconnu en France, et même dans les divers départements de la Bibliothèque nationale. Tiré à 320 puis à 500 exemplaires, il n'est pas encore épuisé, car aucune réclame sérieuse n'a été faite pour en annoncer la publication; ses rédacteurs doivent donc avoir du courage pour continuer, et pour décider de mener à bien sous l'impulsion du Conservateur en chef, M. Jean Vallery-Radot, une tâche obscure et confidentielle à laquelle l'Administration consacre néanmoins les fonds nécessaires à la publication d'un volume environ par an.
A notre connaissance, quatre articles seulement lui ont été consacrés, le premier par M. Jean Laran 1, le second et le troisième par M. Jacques Lethève 2, le plus récent par M. Georges Wildenstein 3.
L'idée d'un tel inventaire n'était pas nouvelle au Cabinet des estampes, mais ce qui a manqué jusqu'en 1920 pour que sa réalisation devienne possible, c'est l'unité et la longueur de vues. En effet, le Cabinet des estampes possède plusieurs anciens inventaires manuscrits dont la conception était intéressante, mais ils ont été rapidement démodés comme ceux d'autres bibliothèques rédigés aussi aux XVIIIe et XIXe siècles parce qu'ils n'ont pas été continués. Nous allons citer de nombreux travaux, utiles à l'origine, mais que le départ ou le changement d'attributions de leurs auteurs a fait abandonner, que les idées nouvelles d'un successeur n'ont pas permis de continuer et d'achever.
L'idée d'un inventaire complet, volume par volume, se trouve déjà dans le catalogue imprimé de la collection Marolles rédigé par le collectionneur au moment où il essaie (1666) de vendre à un « puissant prince » sa collection que Louis XIV va acquérir en 1667. Qu'on en juge par quelques passages :
LVII. « François Villamène. L'œuvre de ce Maistre, qui dessinoit aussi bien qu'il avoit le burin excellent, a été recueillie dans un grand vol. in-fol. de doublefeuille, où se voit son Portrait gravé de la main de Jean Baptiste Castantain, et contient 224 pièces, tant de son dessein que des desseins de Raphaël d'Urbin, ou aussi des copies qu'il a faites de quelques ouvrages de Marc-Antoine... - LVII. Jean Saenredan. Son œuvre est de 132 pièces... Il a gravé l'Adoration des Pasteurs en trois grandes feuilles après Karle Van Mander, le Portrait de ce même Karle Van Mander après H. Goltzius, celuy d'Abraham Bloëmart... »
Marolles donne donc déjà une notice avec appréciation du talent du graveur, les maîtres d'après lesquels il a gravé, et souvent les sujets gravés.
Après l'entrée de la collection Marolles, et pendant près d'un siècle, le Cabinet des estampes n'eut pas d'inventaire général et complet. Les collections entrées successivement, qui restaient séparées les unes des autres, étaient cataloguées sommairement lors de leur cession au Roi, certaines collections-sujets étaient aussi cataloguées, les estampes régulièrement déposées étaient inscrites également dans un registre spécial sous le titre d'estampes de privilège. Tous ces travaux étaient, en fait, des livres d'entrée, et non des catalogues destinés à aider le public.
Il fallut attendre Hugues-Adrien Joly (1750-1792) pour voir fondre toutes ces collections. Cette œuvre considérable commença en 1750, et dura jusqu'à 1780 : « Je viens de culbuter tout le Cabinet d'estampes » écrivait Joly qui en était très fier. Après ce nouveau classement, aussitôt, Joly se mit à en « dresser une table d'auteurs et de matières 4 ». Mais il n'était pas aidé, sinon par un « pieux soldat », et les artistes auxquels il demandait des renseignements biographiques ne lui répondaient pas, croyant que cette lettre officielle était une façon détournée de connaître leur train de vie afin d'asseoir la capitation. Sa table, encore conservée 5, est très sommaire; les sujets y sont répertoriés par ordre alphabétique, sans aucune idée systématique. D'ailleurs ce travail fut arrêté par la Révolution.
En fait, il a existé au début du XVIIIe siècle un répertoire du Cabinet, sous la forme de ce qui deviendra notre Inventaire du fonds français, mais conçu encore plus largement, c'est l'ensemble des notes de Pierre-Jean Mariette, entrées aux Estampes au XIXe siècle. Mariette les tenait de son père, et les a augmentées; elles se présentaient comme une liste de gravures d'après les peintres et d'estampes d'artistes classée par école et par ordre chronologique.
Mais, après l'entrée de milliers de pièces confisquées dans les maisons religieuses pendant la Révolution, et avec l'extension de l'estampe prouvée dans notre domaine par l'ouverture de nouveaux registres pour inscrire le dépôt légal, les travaux précédents devenaient très anachroniques. Ils ne devaient pas, cependant, être remplacés avant la fin du règne de Louis-Philippe, car, sous l'autorité nominale de plusieurs conservateurs, l'âme du Cabinet des estampes, Duchesne aîné, était, avant tout, occupé des classements; il n'eut le temps qu'assez tard de penser à un catalogue général, et encore lui reprocha-t-on vivement cette initiative, à en croire son ami Bonnardot.
Parmi ses successeurs, Henri Delaborde (1858-1886) aurait pu reprendre l'idée d'un catalogue; grand travailleur, auteur d'un livre estimé sur Ingres, d'un catalogue encore utile des gravures de Marc-Antoine, ayant dirigé pendant près de trente ans le Cabinet, on aurait pu attendre de lui la mise en œuvre d'un travail d'ensemble. S'il ne le fit pas, c'est peut-être qu'il était peu secondé, et que ses collaborateurs, de formation diverse, changeant souvent, découragés assez vite, ne purent constituer une équipe.
Cette équipe ne put se réaliser que peu avant la guerre de 1914, le conservateur d'alors, M. Courboin, étant secondé pour mettre l'entreprise sur pied par MM. Lemoisne et Laran qui conçurent l'idée d'un catalogue général, à commencer par les estampes françaises. En 1920, M. P.-A. Lemoisne, encore bibliothécaire, décida de la réalisation de ce qu'il appela l'Inventaire du fonds français, dont la réalisation nécessiterait deux générations, et dans lequel une suite de volumes, consacrés, les uns au XVIe s., d'autres, au XVIIe, au XVIIIe et aux xix-xxe siècles, seraient classés par ordre alphabétique d'artistes. Pour chaque artiste, on donnerait, autant que possible par ordre chronologique d'exécution, l'indication de toutes ses œuvres avec la cote qu'elles portent 6.
A première vue, un tel inventaire était bien peu utile au point de vue de l'histoire des artistes puisque chacun d'eux est représenté aux Estampes par un œuvre composé de pièces montées et de suppléments non reliés, mais la complexité des entrées, les conceptions différentes des conservateurs avaient fait mettre pour certains artistes leurs gravures plutôt qu'à leur œuvre dans diverses séries documentaires; d'autre part leur œuvre d'illustrateur restait inconnu, les livres illustrés se trouvant au département des Imprimés. Enfin, les séries documentaires étant composées par des doubles, de ce côté encore un inventaire semblait inutile; cependant, malgré leur richesse, les séries documentaires ne sont pas constituées par des doubles de toutes les estampes du Cabinet; les pièces les plus intéressantes et les plus précieuses sont conservées à un seul exemplaire, et celui-ci est placé dans la série auteurs. Pour toutes ces raisons, un inventaire général embrassant, outre les séries auteurs, les séries documentaires, était très important et exceptionnellement utile.
L'entreprise était hardie; il fallait être sûr de soi, et des appuis qu'on allait rencontrer. Pour les premiers volumes, M. P.-A. Lemoisne eut l'habileté de trouver même un éditeur, si bien que leur impression ne devait rien coûter à l'État pendant plusieurs années. Une enquête générale prouva à M. Lemoisne qu'aucun pays n'avait entrepris une œuvre de cette envergure, les collections, hors de France, étant trop dispersées et les conservateurs, malgré l'ampleur moins grande de leurs écoles nationales, étant effrayés devant une telle tâche à entreprendre 7. Vers 1920, donc, on se mit au travail, et on commença la rédaction.
L'inventaire du xve siècle n'est pas prévu. On a estimé, en effet, qu'il ne s'imposait pas. D'abord les incunables du Cabinet des estampes ont été reproduits en couleurs dans une somptueuse publication parue chez Van Oest en 1926 (2 vol. in-4°). Le texte, dû à M. P.-A. Lemoisne, exposait avec franchise les incertitudes de l'érudition d'alors en ce qui concerne ces gravures, et d'ailleurs la définition d'art français à cette époque reste encore à préciser 8.
L'Inventaire du XVIe siècle est terminé; il est complet en deux volumes. Le premier, dû à André Linzeler, a paru chez Maurice Le Garrec, « fournisseur du Cabinet des estampes », en 1932. Il catalogue en ses 546 pages les graveurs de A à LEU compris, soit environ trois mille pièces. Chaque notice comprend le titre de la pièce, une description avec dimensions, un renvoi à un catalogue antérieur, l'indication de la cote. Le second volume, qui nous a été confié, a été édité par la Bibliothèque en 1958. Il va de LEVERT à WOEIRIOT, contient aussi les anonymes, un supplément et des tables. Il se présente de façon un peu différente du premier. Tout d'abord, par hasard, les graveurs les plus importants, ceux qui nécessitent les plus longs développements, ont été catalogués par M. Linzeler. Les notices, ici, sont donc beaucoup plus courtes. D'autre part des dépouillements assez poussés, notamment celui du Fichier Laborde (actes d'état civil d'artistes parisiens), des vieux ouvrages de Papillon, de Rondot, de Bertolotti, comme de livres plus récents (recueils d'actes donnés par Guiffrey, Coyecque, Delen) et l'utilisation du très beau livre de M. Robert Brun (Le Livre illustré en France au XVIe siècle, 1930) ont permis de donner - même si nous ne connaissons pas leur œuvre - de très nombreux noms de graveurs. La recherche des anonymes en a fait découvrir d'autres encore, d'où un supplément assez important 9. Le volume est terminé par une table alphabétique des graveurs et des noms propres, puis vient une table méthodique des sujets représentés, divisée en dix-neuf chapitres, premier essai imprimé de répertoire par sujets de collections d'estampes. Ce répertoire rend déjà de grands services.
L'Inventaire du XVIIe siècle est confié à M. Roger-Armand Weigert qui en assure seul la publication. M. Weigert a publié trois volumes depuis 1939, un est sous presse; il est allé de A jusqu'à la lettre G, c'est-à-dire environ jusqu'à la moitié de l'Inventaire que nous comptons bien voir terminer.
Cet Inventaire est excellemment rédigé, en tenant compte du contenu et des nécessités de la publication. Les estampes et les illustrations ne sont pas décrites, l'auteur donne seulement le titre, la technique, l'état ou les états, et le n° dans les catalogues anciens. Il indique la cote, et la fait suivre de discussions ou de précisions sur l'endroit où est le cuivre, le rapport avec telle peinture considérée comme l'original s'il s'agit d'une gravure de reproduction.
L'Inventaire est très complet, il mentionne même, entre crochets, les pièces manquantes au Cabinet des estampes et citées par ailleurs. Des dépouillements très étendus non seulement dans les séries d'œuvres de graveurs, mais dans les séries documentaires et spécialement dans celle des portraits, ont permis à l'auteur de retrouver un grand nombre d'estampes; il a fait, d'autre part, des recherches aux Imprimés, très poussées, pour retrouver de très nombreuses pièces dans les livres illustrés. Enfin, M. Weigert, dépouillant les notes manuscrites de Mariette conservées au Cabinet des estampes, les volumes si utiles publiés par la Société de l'histoire de l'art français, les Comptes des Bâtiments, le Fichier Laborde, faisant part de ses recherches personnelles dans les archives notariales, a pu préciser des dates et donner des notices intéressantes et nouvelles sur les artistes.
L'Inventaire du XVIIIe siècle est en cours de publication depuis 1930. A cette date, le premier volume a paru sous forme de fascicules chez Maurice Le Garrec. Huit volumes ont paru, et deux sont prêts à être imprimés, l'ensemble va de à la fin de la lettre G, donc plus de la moitié du fonds du XVIIIe siècle est cataloguée. L'inventaire est « savant », c'est-à-dire que Marcel Roux, son premier auteur et qui en a publié seul sept volumes (et un huitième avec M. Pognon) l'avait conçu sur le plan des catalogues de Bocher 10, avec copie de la lettre complète de l'estampe, description de la pièce, indication des dimensions, des états, de la cote. De plus le catalogue donne des extraits de journaux du temps, un commentaire sur le sujet, la biographie du personnage représenté, des indications sur l'original des tableaux reproduits par la gravure 11.
Le travail est considérable, les recherches dans les journaux d'annonces anciens a le grand intérêt de dater les pièces publiées généralement sans date, des recherches très poussées aux Imprimés permettent de retrouver les illustrations souvent difficiles à identifier. En effet, les graveurs au XVIIIe siècle avaient pris l'habitude de remettre ou de léguer leur œuvre au Cabinet des estampes, mais sans un mot, sans une indication, et comme l'œuvre devait, pour être plus précieux, se composer de pièces « avant toute lettre », le rédacteur du Catalogue a eu fort à faire afin de rendre accessibles au public moderne ces pages sans inscriptions qui étaient devenues des sortes de rébus.
MM. Edmond Pognon et Yves Bruand ont repris cet inventaire après la mort de M. Roux, qui l'avait continué même après sa mise à la retraite. Ils en ont révisé légèrement la formule, sacrifiant notamment les pages de biographies de personnes représentées ou de narrations d'événements prises avant eux à diverses sources, rendant le texte plus lisible, et les descriptions plus simples, infléchissant la notice autrefois sèchement objective, vers une appréciation des qualités et des défauts du graveur 12.
L'Inventaire du XIXe et du xxe siècle avait été confié à M. Jean Laran, qui a publié chez Le Garrec le premier volume en 1930. Associé à l'ouvrage en fait depuis la dernière partie du second volume, j'ai travaillé avec M. Laran, puis seul, puis avec M. Lethève et Mlle Gardey. L'inventaire qui comprend actuellement onze volumes va de A à la fin du J; un volume jusqu'au milieu de L, reste en manuscrit. Le travail a donc assez largement dépassé la moitié du fonds.
L'Inventaire après 1800 catalogue les œuvres des artistes du xixe et du xxe siècle; tâche énorme en raison de la prolifération de l'estampe entre 1815 et 1890 (à partir de cette époque, la gravure est relayée par la photographie). On y trouve non seulement les aquafortistes, les burinistes, les lithographes, les illustrateurs, mais aussi les dessinateurs humoristes, si nombreux après 1860. Pour réaliser ces volumes d'inventaires, il a fallu se livrer à de grands dépouillements de catalogues de Salons; on a établi une table sur fiches du livre de Vicaire sur les livres illustrés du XIXe siècle, une autre du livre de Mahé sur les livres de luxe parus après la première guerre mondiale, on recourt chaque fois au catalogue sur fiches des illustrateurs tenu à jour par M. Guignard; M. Philippe Roberts-Jones, attaché à titre étranger, a fait don au Cabinet de son très utile inventaire des Humoristes travaillant de 1850 à 1890; les livres de raison, les notes des artistes ont été utilisés; M. Laran a fait dépouiller, de plus, les séries sujets du Cabinet afin de trouver les pièces qui auraient été classées là et non au dossier de leur auteur.
L'Inventaire est volontairement abrégé : pas de description, le titre de l'estampe lui-même abrégé, la technique, la date, la cote. Jamais de commentaires. Même on réunit parfois dix ou vingt pièces en une notice d'une ligne, si elles ne valent pas davantage. Cette économie rigoureuse est exigée par l'énormité de la matière, et par l'obligation de finir un jour assez prochain le Catalogue. M. Vallery-Radot a calculé qu'un seul volume, le tome IX, contient deux mille notices de graveurs 13, et au moins quatre cent mille pièces cataloguées. Donc pour les onze volumes publiés de cet inventaire, on peut considérer que (de A à L), 22.000 graveurs ont été catalogués et 4 à 5 millions de pièces.
M. Laran, vers 1938, a établi avec nous le plan d'une table méthodique de l'inventaire, plan qui a été en partie utilisé pour la table de l'Inventaire du XVIe siècle. Les rédacteurs pensent à la table méthodique en établissant leurs notices, et ajoutent parfois un mot typique entre parenthèses afin d'éclaircir le sens de l'estampe que le rédacteur de la table, travaillant sans voir les pièces, ne pourrait comprendre par son seul titre. D'après ce plan, les trois premiers volumes de l'inventaire ont été dépouillés, et leur table établie sur fiches par une attachée bénévole, Mme Allez, qui y a travaillé plus de deux ans; le travail est interrompu depuis son départ, faute de personnel, mais il devra être repris.
Ce grand travail de l'Inventaire du fonds français, soutenu après M. Lemoisne par M. Vallery-Radot, auquel s'intéresse M. Julien Cain, et auquel l'Institut de France a accordé plusieurs fois des prix ou des récompenses, a des chances d'être terminé dans une vingtaine d'années. Dès maintenant, puisque ses rédacteurs ont déjà catalogué plus de la moitié des estampes françaises des siècles qui leur sont confiés, il rend des services éminents. Relativement aisé à consulter en entier pour telle recherche, il apporte aux recherches par sujets faites par les amateurs d'images une aide essentielle; guide des historiens de l'art moderne et contemporain, ainsi que des historiens des sciences sociales et économiques, utilisé de plus en plus par les érudits pour l'histoire littéraire, indispensable à ceux qui font des études anecdotiques, il est devenu la Bible des documentalistes auxquels il fournit non seulement les images mais leurs commentaires. Quant aux historiens de l'estampe et du livre, ils y trouvent des renseignements de première main, des catalogues d'artistes et les moyens de retrouver les pièces très dispersées que ces gros volumes regroupent. C'est un monument à la gloire de l'estampe française qui s'édifie ici, et dont la réalisation peut nous rendre fiers. En effet, une équipe très réduite, de une à trois personnes par siècle catalogué, arrive à réaliser rapidement une série de volumes, sans interrompre pour cela bien d'autres tâches (classement, montage, service public).
Extraits de notices et de catalogues d'artistes publiés dans les divers volume de l'inventaire du fonds français
Nous l'avons dit, l'inventaire de chacun des siècles revêt une forme différente, en raison du nombre, de l'intérêt, de la valeur des diverses estampes. On en verra quelques exemples ici.
La page de l'Inventaire après 1800 consacrée au catalogue de Goerg (rédigé par M. J. Lethève) montre comment est traité le catalogue d'un artiste jugé important par les rédacteurs; celle du catalogue de Gengembre, au contraire, est la forme habituelle des notices « contractées », résumant ce qu'apporte d'utile un graveur médiocre; celle du catalogue d'Auguste Clot montre que les imprimeurs lithographes, ou en taille-douce, ne sont pas oubliés dans la mesure où ils apportent quelque chose, comme dans celle où ils publient des pièces signées uniquement par eux, et que nous leur attribuons.
Les pages de l'Inventaire du XVIIIe siècle (dues à M. Marcel Roux) montrent comment cet inventaire a été conçu par lui; tout est rédigé sous cette forme (qui a été un peu allégée dans les volumes suivant les siens). Le titre, l'identification, la date sont indiqués. Les pièces manquantes au Cabinet sont indiquées entre crochets.
Inventaire après 1800, t. IX, p. 229.
Goerg (Édouard)
Peintre graveur, né en Australie à Sydney, en 1893, de parents français, mais d'ascendance anglaise par sa mère. En France depuis 1900, fut en 1913 élève de l'Académie Jullian. Il commença à graver en 192I des planches où l'on constate l'influence technique de Laboureur, mais dont les sujets peignent avec cruauté la comédie humaine. Ses eaux-fortes avec morsures au pinceau offrent alors un style impressionniste qui atteint volontairement la caricature. Vers 1934, au cours d'un voyage en Hollande, il subit fortement l'influence de Brueghel et de Bosch : c'est le commencement d'une nouvelle manière, représentée par des planches plus grandes sur des sujets visionnaires que l'artiste qualifie lui-même « d'apocalyptiques ». Une de ses eaux-fortes, intitulée Lui, architecte, qui offrait un portrait d'Hitler, est interdite pendant l'occupation. En 1943, il aborde la lithographie, avec un penchant très marqué pour la couleur; on y retrouve quelques-uns des caractères typiques de sa peinture : teintes vives et précieuses, figures féminines du type filles fleurs.
S'il donne des planches dès 1925 à des livres illustrés, c'est après 1944 qu'il exécute ses illustrations les plus importantes, aussi bien à l'eau-forte qu'en lithographie, et des ouvrages comme le Livre de Job ou Les Fleurs du Mal sont placés par les amateurs parmi les plus importants de l'après-guerre.
Goerg est président des Peintres-Graveurs français et vice-président du Comité national de la gravure, il est le professeur pour l'eau-forte à l'École des beaux-arts. Grâce aux dépôts et à un don exceptionnel de l'artiste, nous possédons de lui un oeuvre presque complet comportant de nombreux états. Nous avons utilisé le catalogue de l'œuvre gravé de l'artiste dressé par Mme Thieffry comme thèse à l'École du Louvre.
I. Le duo, e. f., 192I [T. I.
2. L'hôtel des bains, e. f., 192I [T.2.
3. Cinq à sept, e. f., 192I [T. 3.
4. Amour, amour, e. f., 192I [T. 4.
5. La femme enceinte, e. f., 192I [T. 5.
6. La pêcheresse, e. f., 192I (T. 6.
Inventaire après 1800, t. V, p. 49-50.
Clot (Auguste)
Imprimeur lithographe en couleurs, né à Paris en 1858; † 1936. Il travaille d'abord à l'imprimerie Lemercier où il imprime le Polichinelle de Manet, puis il s'installe à son compte rue du Cherche-Midi en 1896. Son premier client est Odilon Redon. Il imprime les lithos de Forain, de Carrière, de Fantin, de Whistler; les Nabis et le groupe de jeunes peintres graveurs de 1890, enchantés de son habileté, lui confient leurs œuvres : Maurice Denis, Roussel, Luce, Signac, Bonnard, Vuillard, Matisse, Degas et Mary Cassatt le font travailler, ainsi que Blanche. Aidé de son fils, qui continue son métier et ses traditions, il travaille pour les lithographes en couleurs d'après-guerre, notamment MM. L. A. Moreau et Vertès.
Auguste Clot n'est pas seulement un merveilleux ouvrier et tireur, il est dessinateur lithographe lui-même, il expose aux Artistes Français entre 1886 et 1906. Cela l'aide dans les travaux qu'on lui confie : en effet, on lui fait lithographier des dessins de Cézanne, de Rodin, de Renoir, notamment pour les éditions de la Gazette, l'album Germinal, et les albums Vollard, et ce sont ses excellents fac-similés qu'on trouve souvent maintenant sous leur nom dans les catalogues et les ventes.
Degas s'était emporté devant un fac-similé de Clot d'après lui : « Comment, on a osé... », puis il avait ajouté : « Il est rudement fort, le cochon qui a fait cela. »
Nous n'avons pas rencontré les Salons suivants de Clot : Marine, d'apr. E. Vernier, 1887; - Le Transport la Corrèze, d'apr. E. Montenard, S. 1888.
I. L. Pasteur, impr. J. et A. Lemercier, S. 1886.
S. n. r.
2. Danseuse rattachant son épaulette, lithogr. en fac-similé, d'apr. Degas dans Germinal, à la Maison Moderne, S. 1904. - Jeune femme au buste (Mlle Diéterle), d'après Renoir, ibid.
Ad. 251, p. 4.
Inventaire après 1800, t. IX, p. II.
Gengembre (Joseph-Zéphirin)
Peintre et dessinateur lithographe, né à Paris vers 1800, mort après 1870. Sans doute fils de Victor Gengembre, qui suit. Il expose au Salon des tableaux représentant des chevaux et des chevauchées en Algérie entre 1839 et 1870.
I. Six lithogr. camaïeu, d'après l'auteur, chez Bulla et Delarue à Paris et Anaglyphic Company à Londres 1844 : La Licorne ; Le Tigre ; Le Loup ; Béliers; Cheval oriental ; Chien de Terre-Neuve.
2. Dix-neuf sujets divers sur la Conquête de l'Algérie et sur le cheval, 1840-1843. - Vingt et une de chevaux pour un cours de dessin, chez Delarue, 185I-1862. - Cours d'animaux, 60 pl., 1886. - Trois chevaux de course, d'apr. O. Pichat, 1863 : Fille de l'air ; - Gladiateur ; - Gontran.
S. n. r.
Inventaire du XVIIIe siècle, t. VII, p. 16.
Deny (Martial)
Graveur en taille-douce, né en 1745, frère de Jeanne Deny, dont il est parfois difficile de distinguer les œuvres des siennes. On lui doit quelques estampes galantes, comme le Restaurant, d'après Lavreince. Il a collaboré pour une bonne part à la suite de costumes publiée par Basset. Comme tous ses contemporains, Martial Deny s'est passionné pour la nouvelle invention des ballons, et il a représenté deux ascensions célèbres à l'époque, celles de Charles et de Blanchard.
4. Le Retour du marché, d'après Van Dalen.
Pendant du Retour des champs, gravé par Godefroy, d'après Claude Lorrain. Les deux pièces furent annoncées dans l'Avant-Coureur en janvier 1773 (p. 4) : « Le Retour des champs et le Retour du marché, deux estampes en pendant... A Paris, à l'adresse ci-dessus [chez Buldet, rue de Gèvres]. La première de ces estampes a été gravée d'après le tableau de Claude Lorrain, d'après Godefroy, et la seconde, d'après le tableau de V. Dalens, par Deny. Les deux estampes sont ornées de figures d'animaux et de lointains où la vue se promène agréablement ».
Ef. 314.
74. « Le Maréchal des logis ». A l'âge de soixante-dix ans, il délivre une jeune fille que deux brigands avaient attachée à un arbre; d'un coup de sabre, il coupa la joue à l'un des brigands et le poignet à l'autre.
75. « La Villageoise rendue à ses parents ». Le vieux militaire remet la jeune fille à ses parents qui lui offrent de l'épouser; il refuse la fille, qu'il ne peut rendre heureuse à son âge, et la bourse qu'on lui offre pour prix de sa belle action.
Les 2 pièces. Coll. Henin (115, p. 56).
Cela se passait en 1785. Le Maréchal des logis Louis Gillet revenait à pied de Nevers à Autun, son pays natal. En route, il s'égara. Il traversait une forêt quand il entendit des cris lamentables. C'était une jeune fille, que deux brigands avaient dépouillée et attachée à un arbre. Le brave homme n'hésita pas, et courut au secours de la malheureuse. Il désarma et mit en fuite, après l'avoir blessé, un des deux agresseurs. L'autre lui lâcha un coup de pistolet et le manqua. Un coup de sabre lui abattit le poignet. Après cet exploit, le vieux militaire connut son heure de célébrité. La gravure popularisa ses traits et sa belle action. Dupuis et Voysard gravèrent son portrait en 1786. Déjà au Salon de 1785, Pierre-Alexandre Wille avait exposé (n° 144) un tableau qui le mettait en scène, et qui fut gravé par son père en 1790.
76. « Prise de la Bastille ». Cette forteresse qui avoit sue résister au Grand Condé fut attaquée, le 17 juillet 1789 [etc.]. Au-dessous : « A Paris chez Deny Graveur rue des Noyers près celle St-Jacques n° 34 ». Ovale. H. 0,217 m X L. 0,178 m.
Epr. en noir. Coll. de l'Hist. de Fr.
Trois épr. coloriées. Coll. de l'Hist. de Fr. et Coll. Hennin (118, p. 40).